Texte intégral
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Daïc AUDOUIT, pour l'interview politique de la matinale, celle qui doit passer encore ces journées, ces nuits au téléphone pour tenter de convaincre les députés, la ministre chargée des relations avec le Parlement, Nathalie DELATTRE.
DAÏC AUDOUIT
Oui, on a vu hier que Michel BARNIER espère quand même échapper à la motion de censure. Ça ressemble à la méthode Coué. On va voir ce qu'elle en pense.
Bonjour madame.
NATHALIE DELATTRE
Bonjour.
DAÏC AUDOUIT
Merci d'être avec nous. Vous êtes ministre en charge des Relations avec le Parlement. Vous êtes chargée de faire le lien entre le Gouvernement et les différents groupes politiques donc vous étiez au cœur des négociations ces derniers jours. On va en parler. Mais en attendant, je vais vous poser une question désagréable et pas très originale, mais vous avez déjà commencé à faire vos cartons ?
NATHALIE DELATTRE
Pas du tout, non. Est-ce que vous connaissez un sportif qui est battu d'avance ? Non. On fait la course jusqu'au bout.
DAÏC AUDOUIT
Mais ça ressemble à de la méthode Coué quand même ce que dit Michel BARNIER. "Oui, je peux échapper à la motion de censure." Mais le PS nous dit qu'ils vont la voter, le RN aussi. Enfin, rien ne va bouger d'ici cet après-midi.
NATHALIE DELATTRE
Le PS le dit depuis le départ. On a déjà eu une motion de censure présentée par leurs soins. Ils n'ont pas bougé d'un iota. Le RN, effectivement, a des déclarations. Il y a deux motions de censure déposées ce soir, une par le RN et une par le Nouveau Front populaire. Nous verrons.
DAÏC AUDOUIT
Oui, mais il n'y a aucune raison que ça change par rapport à ce qui était hier après-midi. Parce que Michel BARNIER a l'air de soi. Donc, on Nous on se dit c'est vraiment que de la méthode Coué.
NATHALIE DELATTRE
On a encore quelques heures pour essayer de convaincre. C'est effectivement ma mission d'essayer d'aller voir des députés individuellement. Puisqu'aujourd'hui, nous en sommes et nous en appelons à une responsabilité individuelle. On voit bien que c'est un intérêt général…
DAÏC AUDOUIT
C'est-à-dire que là, vous appelez au téléphone ? Vous, madame ?
NATHALIE DELATTRE
Il y a des considérations individuelles. Donc oui…
DAÏC AUDOUIT
Vous appelez chaque député, notamment socialiste, un peu hésitant, en disant "Soit responsable, tu ne peux pas faire ça à la France. Tu ne peux pas mettre le chaos dans l'économie." C'est ça ce que vous dites ?
NATHALIE DELATTRE
Je crois que je ne suis pas la seule à les appeler. Je pense que… Quand je fais des déplacements, quand les ministres font des déplacements, quand le Premier ministre fait des déplacements, on nous dit "Tenez bon. Nous souhaitons avoir une stabilité. Michel BARNIER nous rassure." Et donc, en fait, je ne suis pas la seule. Je pense que les citoyens appellent leurs députés aussi à ne pas avoir une trajectoire individuelle, mais bien un vote en responsabilité. Et c'est ce que je relaie.
DAÏC AUDOUIT
Il y a un des arguments qui a été développé par Michel BARNIER hier, comme il le fait depuis plusieurs jours, c'est de dire qu'il pourrait y avoir des difficultés économiques très importantes. Or, en Arabie Saoudite, Emmanuel MACRON a dit le contraire. Il a dit Il ne faut pas paniquer. Notre économie est assez forte pour résister à ce choc-là. Mais l'argument de Michel BARNIER, il est annulé par le Président la République.
NATHALIE DELATTRE
Non, Écoutez, bien sûr qu'il faut qu'on rassure les marchés financiers parce qu'effectivement, nous sommes dans une période très tendue. Le Premier ministre n'a jamais caché la vérité d'une situation difficile et la nécessité de faire 60 milliards d'euros d'économies.
DAÏC AUDOUIT
Mais lui, il dit que s'il y a une motion de censure et qu'il est renversé – j'exagère un peu – ça va être la catastrophe. Et Emmanuel MACRON, hier nous dit "Mais non, l'économie est forte."
NATHALIE DELATTRE
Écoutez, l'économie peut effectivement tenir quelques temps. Mais nous savons déjà que les marchés financiers sont tendus. Je reçois des coups de fil des chefs d'entreprises qui sont très, très inquiets. Ils sont en lien avec leurs banques qui, eux, vont acheter de l'argent sur les marchés financiers. On sait très bien que les taux vont remonter assez fort, que nous allons être obligés d'emprunter sur des fonds qui sont beaucoup moins sécures. Donc oui, on se veut toujours rassurant parce que je pense que le Président de la République n'a pas acté la censure encore. Il joue le match jusqu'au bout.
DAÏC AUDOUIT
Lui aussi, il est peut-être dans la méthode Coué également. L'idée, c'est qu'on tente tout et on ne regrettera rien.
NATHALIE DELATTRE
De toute manière, il ne faut jamais avoir de regrets. Il faut effectivement travailler. Et ce n'est pas du tout… Depuis le départ, nous savons que nous avons une échéance plus ou moins courte. On remet le travail tous les jours sur l'ouvrage et on fait en sorte d'essayer de faire au mieux pour protéger les Français. Je crois que ce que nous avons en ligne de mire, et c'est bien le texte que nous proposons aujourd'hui, c'est un compromis. Jamais il n'y avait eu de compromis depuis 14 ans sur un texte de protection des Français, de protection sociale.
DAÏC AUDOUIT
Oui, entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Mais c'est parce que c'est des bords politiques différents. Puisque vous évoquez la situation depuis trois mois, est-ce que tout n'était pas joué d'avance vu l'équation politique avec trois blocs qui sont à peu près égaux au sein de l'Assemblée nationale ? C'était écrit l'histoire par avance ?
NATHALIE DELATTRE
Non, parce que sinon nous n'aurions pas accepté la mission. Je crois que chaque membre du Gouvernement aujourd'hui a fait en conscience et continue à faire et s'est projeté dans l'avenir. Oui, tout est possible parce que nous pouvons convaincre par rapport à un électorat. Je veux dire qu'encore une fois, ce ne sont pas – nous espérons – nous n'avons pas des députés hors-sol qui vont prendre des décisions de façon individuelle par rapport à leur calendrier personnel. C'est le cas pour Marine Le PEN qui a effectivement un calendrier judiciaire, qui a un match à jouer dans son parti politique. Aujourd'hui, on voit qu'elle a moins de parts de marché que Jordan BARDELLA etc.
DAÏC AUDOUIT
Vous dites qu'elle a peur de Jordan BARDELLA donc elle montre les muscles.
NATHALIE DELATTRE
Elle a besoin effectivement d'exister. En fait, aujourd'hui, ce n'est pas ce qu'on demande. Ce qu'on demande, c'est d'avoir un sursaut par rapport à l'intérêt général.
DAÏC AUDOUIT
Mais dans cette incapacité à trouver une stabilité politique, qui était la mission qui a été confiée à Michel BARNIER, il a concédé hier qu'il avait fait quelques erreurs. Est-ce que l'erreur n'a pas été d'ignorer l'Assemblée nationale, de se reposer avant tout sur le Sénat ? Par exemple, vous êtes une ancienne sénatrice, vous n'avez jamais été députée et vous êtes en charge des relations avec le Parlement et donc avec l'Assemblée nationale. Est-ce que vous étiez la mieux placée pour discuter avec des députés ?
NATHALIE DELATTRE
En tout cas, j'étais celle qui n'avait pas de conflit avec tel ou tel groupe. Et moi, je connais pas mal de députés. Ce n'est pas parce qu'on est sénateur qu'on ne met pas les pieds à l'Assemblée nationale…
DAÏC AUDOUIT
Bien sûr, évidemment, et qu'on ne connaît pas la vie politique.
NATHALIE DELATTRE
…et qu'on ne connaît pas la vie et les personnalités qui sont en charge…
DAÏC AUDOUIT
Mais on ne connaît peut-être pas les subtilités et les rapports de force extrêmement complexes qu'il peut y avoir dans une Assemblée nationale pour essayer de bouger les curseurs.
NATHALIE DELATTRE
Non, bouger les curseurs, c'était pour ma part plus sur le Parti socialiste. Je veux dire qu'ils ont été élus pour beaucoup d'entre eux par le Front républicain. Ils sont en train de tuer le Front républicain. C'est-à-dire que des électeurs qui leur ont fait confiance pour faire barrage au RN, qui étaient centristes de droite, aujourd'hui se sentent trahis. Donc effectivement, ce Front républicain, il était quand même normal de pouvoir penser que les socialistes allaient pouvoir, à un moment donné, se détacher d'un pacte LFI avec quand même un programme qui va jusqu'à poser une proposition de loi contre l'apologie du terrorisme.
DAÏC AUDOUIT
Je réponds deux choses à votre argument. Un, le RN ne va pas arriver au pouvoir si Michel BARNIER est renversé. Donc le PS continue à faire un barrage républicain contre l'accès du RN au pouvoir. Et ensuite, deux, vous n'avez pas laissé la chance au NFP et donc au PS, dans le cadre du NFP, d'avancer sa candidate et son programme.
NATHALIE DELATTRE
Alors attendez, ce n'est pas Michel BARNIER, ce n'est pas le Gouvernement qui a… Le président de la République choisit son Premier ministre. En l'espèce, il a choisi Michel BARNIER, qui a choisi de représenter les groupes politiques sur une palette de Didier MIGAUD jusqu'à Bruno RETAILLEAU.
DAÏC AUDOUIT
Didier MIGAUD étant la seule personne de gauche dans un Gouvernement…
NATHALIE DELATTRE
Qui a accepté… Je veux dire que la porte a toujours été ouverte. En fait, il y a eu un refus de leur part. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, quand je les vois en entretien avec le Premier ministre, ils disent que, oui, l'ascension va leur permettre peut-être d'avoir un sursaut, eux, pour avoir un destin plus personnel, plus particulier au Parti socialiste, de se refonder…
DAÏC AUDOUIT
Quand vous voyez qu'il est prêt à bouger là, en ce moment ; il dit, "Oui, on fait un compromis. Oui, on peut aller au pouvoir, mais sans que ce soit totalement le programme du NFP." Ce qui n'était pas forcément le discours tenu par le PS, mais on sent qu'il y a un bouger. Vous diriez qu'ils auraient peut-être pu le faire avant ?
NATHALIE DELATTRE
Je ne suis pas sûre qu'il y ait véritablement un bouger. Il y a peut-être une envie, un désir et qui ne sera peut-être pas assouvi parce qu'ont-ils véritablement la possibilité de le faire et les moyens de le faire ? Je ne sais pas. Je crois qu'ils sont effectivement tenus très fort par cet accord avec LFI.
DAÏC AUDOUIT
Autre personnalité de gauche, c'est Bernard CAZENEUVE, qui, on va dire, est proche des radicaux de gauche. Vous êtes la présidente du Parti Radical, qui est l'un des anciens radicaux de droite. Vous êtes les cousins des radicaux de gauche. Finalement, pour vous, ça ne serait pas mal, CAZENEUVE ?
NATHALIE DELATTRE
Écoutez, pour l'instant, j'ai Michel BARNIER, en qui j'ai toute confiance. Et nous verrons ensuite. Je ne fais jamais de politique-fiction. Je suis au quotidien dans l'action. Il y a aujourd'hui une situation difficile à gérer. Il faut qu'on le fasse en responsabilité.
DAÏC AUDOUIT
C'est juste être lucide sur l'avenir et d'essayer d'apporter une réponse le plus rapide possible. Ce n'est pas de la science-fiction d'évoquer un après BARNIER.
NATHALIE DELATTRE
Écoutez, il appartient au Président de la République… Je crois que, quand on regarde les différents noms qui sont cités, il y a des personnalités qui peuvent effectivement remplir la mission, qui sont des hommes d'État aujourd'hui. Et nous avons, en tout cas, besoin d'un homme d'État. Mais nous avons aujourd'hui Michel BARNIER.
DAÏC AUDOUIT
Ok. Mais peut-être pas tout à l'heure, à 20h. Ça peut être quelqu'un qui soit issu du socle commun, qui succède à Michel BARNIER. Ça serait la même équation politique, ça ne servirait à rien.
NATHALIE DELATTRE
En tout cas, il va bien falloir qu'une solution soit trouvée. Si, encore une fois, la censure est votée en fin de soirée, il va falloir qu'il y ait des bougés. Sinon, nous allons rentrer et nous sommes déjà dans une crise, un début de crise institutionnelle. Il va falloir effectivement que des bougés soient réalisées par différentes personnes. Parce que sinon, nous allons vers un renversement de Gouvernement tous les deux mois, deux-trois mois.
DAÏC AUDOUIT
On verra pour les bougés, là, d'ici cet après-midi, dans la soirée.
NATHALIE DELATTRE
Merci à vous.
DAÏC AUDOUIT
Merci beaucoup, madame. Bonne journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 décembre 2024