Texte intégral
THOMAS SOTTO
A 8 h 15, l'interview d'Amandine BEGOT, RTL, plus que jamais au cœur de l'actualité, actualité politique. Vous recevez à présent Sébastien LECORNU, celui que beaucoup voient déjà à Matignon pour succéder à Michel BARNIER. Bonjour et bienvenue à vous.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour.
AMANDINE BEGOT
Bonjour Sébastien LECORNU. Marine LE PEN a expliqué hier soir avoir agi, je cite, pour protéger les Français. Que dites-vous ce matin ? Elle se trompe ?
SEBASTIEN LECORNU
Il suffit de regarder lucidement ce que d'ailleurs la presse étrangère dit de la situation politique française et de l'extraordinaire inquiétude qu'il y a dans le pays ce matin pour voir que c'est plutôt une terrible nouvelle pour les Français. Alors, on est dans une démocratie, chaque parlementaire prend ses responsabilités, ce n'est même pas chaque parti, chaque député individuellement prend ses responsabilités. Enfin, on le voit bien, certains ont peut-être exagéré les arguments sur le risque d'un shutdown, comme on dit en français à l'américaine, en disant : "Ça serait terrible" et moi, je ne souscris pas à ces arguments-là qui sont inutilement catastrophiques. Mais enfin, on ne peut pas non plus dire qu'avoir un budget ou ne pas avoir de budget pour le pays, avoir un Gouvernement ou ne pas avoir de Gouvernement pour le pays, c'est la même chose. Et en plus, en se déconnectant du contexte international, en se déconnectant…
AMANDINE BEGOT
Ça affaiblit la France sur le plan international.
SEBASTIEN LECORNU
Ça ne peut pas la renforcer. Par définition, en plus, la Cinquième République a plutôt habitué nos partenaires à de la stabilité. Nous sommes une démocratie, il y a eu une dissolution, les Français se sont exprimés, ont donné une Assemblée nationale et donc c'est aux responsables politiques que travaillons entre eux. Ce qui surprend, si vous voulez, mes interlocuteurs étrangers ou mes homologues, qui sont souvent issus de démocraties parlementaires, parfois difficiles, parfois anciennes, où ça ne passe pas toujours facilement, mais c'est de se dire : "Mais pourquoi les responsables politiques français ne sont pas davantage capables de compromis ?". Et ça, je pense que c'est quelque chose qui heurte beaucoup autant de nos amis britanniques, nos amis allemands pour prendre les démocraties voisines, mais même au-delà, en disant : "Mais, au fond, pourquoi vous n'êtes pas capables de compromis ?". Et moi, vous voyez, je suis à la tête d'un ministère qui, s'il n'y a pas de budget pour l'année prochaine, va avoir une perte sèche de cette augmentation de 3,3 milliards d'euros pour notre armement.
AMANDINE BEGOT
Mais ça veut dire quoi concrètement ?
SEBASTIEN LECORNU
Globalement, depuis 2017, le président de la République a décidé de redonner des moyens aux Armées, si je fais très vite, doubler le budget militaire. Ça veut dire que vous avez un escalier d'augmentation où chaque année, on franchit une marge de trois milliards d'euros en plus qui s'accumulent pour arriver à hauteur de 68 milliards d'euros aux Européens en 2030. L'année prochaine, nous étions censés franchir le seuil de cinquante milliards d'euros, qui est absolument déterminant, parce que derrière, c'est la rénovation de notre dissuasion nucléaire, c'est la modernisation de nos forces, des équipements, de l'entraînement. Vous voyez bien que les forces armées, en plus, sont largement sollicitées en ce moment. On parle beaucoup du maintien de la paix et de l'accord qui a été trouvé, encore fragile au Liban.
AMANDINE BEGOT
On met en danger nos Armées ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, moi, je suis mesuré. Il y a plus d'argent cette année qu'il y en avait l'année dernière et qu'il y en avait il y a cinq ans. En revanche, il est impensable que ce réarmement soit freiné ou ralenti. Pour quelles raisons ? Parce que derrière, vous avez des industries de défense françaises à qui on demande, vous m'avez suffisamment posé la question à ce micro, l'économie de guerre, ça ne va pas assez vite, il faut produire plus vite. Et ben, allons quoi ? Vous pensez que le monde économique, les 200 000 salariés des 4 000 entreprises de défense en France, elles peuvent se satisfaire de ce climat d'instabilité en disant : "Les commandes, au fond, qui devaient arriver, ne vont pas arriver". Puis derrière, il y a des mesures qui sont importantes, parce que le rapport à la troupe, c'est un rapport de confiance. Nous sommes censés revaloriser un certain nombre d'euros l'année prochaine. Ces sommes-là sont dans ces augmentations. Et vous voyez, en fait, là, il y a deux enjeux pour notre agriculture et nos agriculteurs, parce que dans la loi de finances pour l'année prochaine, il y a des mesures très importantes.
AMANDINE BEGOT
Mais ça, c'est le constat, Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Et le monde de la défense qui sont au fond les deux secteurs de souveraineté.
AMANDINE BEGOT
Concrètement, on fait quoi maintenant ? Cette motion de censure, elle n'a pas été adoptée de justesse, je rappelle, 331 voix pour, il en fallait 288, c'est donc une très nette majorité. Est-ce que ça veut dire qu'il faut élargir le socle commun ? Est-ce que vous seriez d'accord, par exemple, d'avoir un accord avec les socialistes, un accord de non-censure, comme l'a proposé Boris VALLAUD, le chef du groupe PS à l'Assemblée ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense qu'on doit tout faire pour que les socialistes se détachent de la France insoumise. Je dis ça, je ne viens pas de la gauche, mais je suis un Républicain. Je travaille avec la Gauche Républicaine dans mon département de l'Eure et je vois bien que là, l'histoire, d'ailleurs, sera dure sur cette séquence. Cette censure automatique préalable du Parti Socialiste. Dès que Michel BARNIER a été nommé, l'ensemble du Nouveau Front Populaire, Parti Socialiste compris, Europe Écologie Les Verts compris, ont dit : "De toute façon, nous, quoi qu'il arrive, on censure".
AMANDINE BEGOT
Mais ça veut dire quoi, tout faire pour que le PS rompe avec LFI ?
SEBASTIEN LECORNU
Non mais, ce qui aussi, assez mécaniquement, a déporté le pouvoir de censurer vers le Rassemblement National. Et donc là, je pense qu'il faut qu'il y ait un dialogue qui s'allonge. Gabriel ATTAL, d'ailleurs, a dit des choses à la tribune dans ce sens. Je pense que la responsabilité de ma famille politique, de là où je viens, c'est d'effectivement permettre au Parti Socialiste d'évoluer dans sa position. En tout cas, c'est une urgence, parce que c'est un parti de Gouvernement qui a donné deux président de la République à la France.
AMANDINE BEGOT
Mais ça veut dire faire des concessions ? Sur quoi, très concrètement, des compromis ?
SEBASTIEN LECORNU
Ça veut dire faire des compromis et je vais vous dire une chose, je pense que les Françaises et les Français, une fois qu'ils ont voté aux élections législatives, anticipés, par définition, n'arrivent pas à comprendre que leur responsable politique ne soit pas capable de compromis. Un compromis, ça veut dire qu'à la fin, il y aura un budget qui ne ressemblera pas complètement à ce qu'on voulait les uns et les autres, mais que ça sera toujours mieux que pas de budget du tout.
AMANDINE BEGOT
Donc, vous leur tendez la main sérieusement, ce matin, au Parti Socialiste ?
SEBASTIEN LECORNU
Moi, en tout cas, j'appelle, ce n'est pas que le tendre de la main, j'appelle à ce qu'on puisse tout faire, y compris mes propres amis politiques, MoDem, Horizons et Renaissance, évidemment, cela va sans dire, à permettre au Parti Socialiste de sortir du chemin dans lequel il s'est mis ces dernières semaines et ces derniers mois.
AMANDINE BEGOT
Et avec le Rassemblement national, vous faites quoi ? Marine LE PEN assure que le RN laissera travailler un nouveau Premier ministre. Elle dit vouloir qu'au budget, il soit acceptable pour tous. Est-ce que vous seriez prêts, par exemple, à renoncer à la désindexation des retraites ? C'est la ligne rouge qu'elle a fixée.
SEBASTIEN LECORNU
Je ne peux pas répondre à cette question, je ne suis pas ministre du Budget. Après, il y a une réalité, c'est qu'il va falloir travailler avec tout le monde. Il y a des adversaires politiques, il faut les combattre au moment des élections. Puis ensuite, les ministres ne peuvent pas trier les députés, c'est les Français qui trient les députés au moment des élections.
AMANDINE BEGOT
Donc, cette histoire de retraite, pourquoi pas ?
SEBASTIEN LECORNU
Je ne sais pas répondre à cette question. Je suis assez précis dans ce que je suis ministre des Armées, donc je ne vous parle pas des retraites. Je peux vous parler des pensions de nos militaires, je peux vous parler de plein de choses, mais je ne réponds pas à cette question. Non, ce que je veux dire par là, c'est que de toute façon, il faudra bien discuter et faire preuve de compromis.
AMANDINE BEGOT
Donc chacun va devoir lâcher sur ses lignes rouges.
SEBASTIEN LECORNU
Mais je pense que c'est ce que les Français veulent. Enfin, on dit que l'Assemblée est morcelée, c'est la faute de la dissolution. Il ne manquerait plus qu'on engueule les Français parce qu'ils ont mal voté maintenant. Non, je veux dire, d'ailleurs, cette Assemblée, elle ressemble un peu aux divisions du pays, malgré tout. Donc, maintenant, est-ce qu'on a une classe politique…
AMANDINE BEGOT
Avec trois blocs ?
SEBASTIEN LECORNU
Ben oui, je crois que c'est assez démocratique à certains égards, même si ce n'est pas très efficace, c'est un étang, mais en tout cas, c'est de se dire qu'il faut trouver un chemin dans lequel chacun prend ses responsabilités. Puis lors des prochaines élections, elles arriveront bien assez vite, par définition, d'autres questions seront intranchées par les Français, c'est ça aussi une démocratie moderne.
AMANDINE BEGOT
Sébastien LECORNY Je vous posais cette question, notamment sur les retraites, sur les lignes rouges, parce que vous le savez bien, et on ne va pas se mentir, votre nom revient depuis plusieurs jours. Vous allez me dire, c'est le cas à chaque fois, mais avec insistance.
SEBASTIEN LECORNU
Et donc, c'est le cas à chaque fois.
AMANDINE BEGOT
Pour remplacer Michel BARNIER à Matignon. C'est vous le prochain Premier ministre ?
SEBASTIEN LECORNU
Non. Une fois de plus, un, c'est le président de la République qui nomme. Et puis de toute façon, à chaque remaniement, effectivement, j'ai le droit à peu près au même refrain.
AMANDINE BEGOT
Vous venez de passer trois jours avec le Président en Arabie Saoudite. Vous n'en avez pas parlé ?
SEBASTIEN LECORNU
Non.
AMANDINE BEGOT
Vraiment ? Non mais vous n'en avez pas parlé du tout ? Promis.
SEBASTIEN LECORNU
Non, oui, promis. En fait, là, on voit bien qu'il y a un énorme décalage.
AMANDINE BEGOT
Enfin, ça paraît fou, pardon, excusez-moi, mais vous êtes pendant trois jours avec le président de la République en pleine crise politique ici. J'imagine qu'il y a même des moments où vous êtes seul en tête à tête. Vous n'êtes pas obligé de nous dire ce que vous êtes dit, mais vous êtes parlé quand même de ce qui se passe en France.
SEBASTIEN LECORNU
On parle de ce qui se passe en France, ce n'était pas votre question première. Bon, après, je vais vous dire une chose. Il y a un décalage énorme. Moi, je veux que les auditrices et les auditeurs s'en remontent entre ce qu'on a dû gérer en Arabie Saoudite et ce qu'il y a à gérer ici. Escalade avec l'Iran, seuil de prolifération nucléaire potentiellement franchi ou franchissable par l'Iran dans les semaines qui viennent, cessez-le-feu au Liban, comment l'administration TRUMP va se positionner sur la question de l'Ukraine ? Comment l'arrivée des soldats de Corée du Nord sur le théâtre russo-ukrainien change la donne ? C'est bien notre problème d'ailleurs, vous voyez, c'est qu'on a un monde qui est tout sauf stable et dans lequel il va bien falloir que les responsables politiques français prennent aussi leurs responsabilités. Et d'ailleurs y compris sur l'aide à l'Ukraine et sur tout ce qui peut se produire dans les semaines qui vont venir.
AMANDINE BEGOT
Prendre vos responsabilités. Vous parliez de compromis. Vous l'avez montré avec la loi de programmation militaire. Vous savez aboutir à des compromis. Vous avez le bon profil. Vous cochez un bon nombre de cases. Vous êtes d'accord avec ça ?
SEBASTIEN LECORNU
Je ne peux pas parler de moi. Non mais si votre question, c'est est-ce que la programmation militaire à la fin ressemblait à ce que j'avais mis sur la table, la réponse est non parce que j'ai fait des compromis.
AMANDINE BEGOT
Donc vous savez faire les compromis ?
SEBASTIEN LECORNU
J'étais président de Conseil général à 28 ans. J'étais maire à 27 ans et pas que par une performance électorale si j'ose dire, c'est qu'à un moment donné il faut discuter avec tout le monde. En fait, je vais le dire autrement, il ne faut pas être sectaire. Ça ne veut pas dire qu'on abandonne ses valeurs et ses idées. Je sais où j'habite, je sais ce à quoi je crois. Puis à un moment donné, je suis pragmatique. Donc, quand je me suis retrouvé au lendemain de la réforme de retraite sous l'autorité d'Élisabeth BORNE et d'Emmanuel MACRON à devoir faire passer cette programmation militaire historique, j'ai discuté avec tout le monde et il y a des choses sur lesquelles je n'ai pas cédé parce que je considérais que c'était mauvais pour le pays. Il y a des choses sur lesquelles il fallait entendre que les députés et les sénateurs, du reste, ça s'appelle la vie parlementaire.
AMANDINE BEGOT
Si Emmanuel MACRON vous demande d'aller à Matignon, vous ne dites pas non ?
SEBASTIEN LECORNU
Je suis ministre des Armées.
AMANDINE BEGOT
Oui, jusqu'à 10 h ce matin.
SEBASTIEN LECORNU
Je crois que je, alors, jusqu'aux affaires courantes, le système et l'État est tenu et à chaque remaniement, c'est à peu près…
AMANDINE BEGOT
Et vous ne dites pas non.
SEBASTIEN LECORNU
Parce que ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. Un peu de dignité aussi dans notre vie politique ne fera pas de mal. Enfin, les gens seraient surpris de voir le ministre des Armées venir comme ça, discuter de tout ça au micro de RTL. Moi, je suis candidat à rien. J'ai fait récemment un livre, vous le savez, qui revient uniquement sur les questions militaires, parce que je considère que c'est un des grands sujets majeurs des semaines et des mois qui vont venir et c'est ma grande passion par ailleurs et c'est un secret pour personne que je me suis battu pour être ministre des Armées. En tout cas, je l'ai ardemment voulu et le président de la République m'a fait confiance pour ce faire et ça, ça compte pour moi.
AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup Sébastien LECORNU.
THOMAS SOTTO
Merci Sébastien LECORNU. Si jamais vous deveniez Premier ministre, est-ce que vous nous accorderez votre première interview sur RTL ?
SEBASTIEN LECORNU
Le vrai sujet, c'est si je ne le suis pas, est-ce que vous allez me réinviter ? C'est plutôt la question.
THOMAS SOTTO
Dans les deux cas. Est-ce que vous accorderez votre prochaine interview ?
SEBASTIEN LECORNU
Oui, je suis ministre des Armées.
AMANDINE BEGOT
Ce sera ce soir le nom du Premier ministre, pardon ?
SEBASTIEN LECORNU
Je n'en sais rien. Je ne sais pas.
THOMAS SOTTO
Bon, merci, Monsieur le Ministre des Armées. En attendant la suite et on espère que vous viendrez en tant que Premier ministre. A 9 h, c'est Jean-Philippe TANGUY pour le Rassemblement national qui sera notre invité puisqu'on continue à balayer le champ politique ce matin. Et puis dans un instant, c'est Philippe CAVERIVIERE qui sera sans doute un peu plus insolent que nous. Désolé.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 décembre 2024