Entretien de Mme Sophie Primas, ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec Public Sénat le 10 décembre 2024, sur la situation en Syrie et l'accord avec le Mercosur.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

Q - Bonjour, Sophie Primas.

R - Bonjour, Oriane.

Q - Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation, ministre démissionnaire déléguée au commerce extérieur et aux Français de l'étranger. On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale, représentée par Stéphane Vernet de Ouest France. Bonjour, Stéphane.

Q - Bonjour, Oriane. Sophie Primas, bonjour.

R - Bonjour.

Q - Sophie Primas, on va bien sûr parler des suites de la censure et du Mercosur. C'est évidemment très important et nos agriculteurs attendent des réponses. Mais d'abord un mot sur la Syrie. Plus de 24h après la chute de Bachar el-Assad, est-ce que, comme l'Allemagne, la France va suspendre le traitement des demandes d'asile des réfugiés syriens ?

R - C'est un sujet qui est en réflexion aujourd'hui au gouvernement. C'est une véritable question. Moi, je trouve qu'il ne faut pas se précipiter. Aujourd'hui, on a effectivement une forme de révolution en Syrie qui est en place, avec un changement de gouvernement qui est évidemment bienvenu au regard de l'inhumanité que l'on découvre jour après jour dans ce pays. Maintenant, je pense qu'il faut être prudents et avoir une analyse assez apaisée de la situation.

Q - C'est-à-dire qu'il ne faut pas les suspendre tout de suite, pas faire comme l'Allemagne ?

R - C'est en réflexion. Je pense qu'il faut avoir des contacts avec les nouveaux dirigeants. Il faut regarder comment on peut mettre en place un nouveau gouvernement, comment on va protéger les minorités. Vous savez que le droit d'asile c'est aussi la protection des minorités. Donc il faut s'assurer aussi que les minorités soient protégées. Ce qui est remarquable, c'est l'afflux de Syriens qui retournent dans leur pays. Ça, c'est tout à fait remarquable. Moi, je pense qu'il faut être un tout petit peu prudents et regarder comment tout cela se passe dans les prochains jours, les prochaines semaines.

Q - Jordan Bardella hier a évoqué la chute du régime de Bachar el-Assad comme étant une "catastrophe". Il redoute une nouvelle crise migratoire. J'imagine qu'il pense à 2015. Il a raison ou il est complètement à côté de la plaque ?

R - Je pense qu'on ne peut pas dire que la chute du régime est une catastrophe. Je pense que, encore une fois, quand on voit les images, quand on découvre petit à petit l'inhumanité de ce qu'était ce régime, on ne peut pas dire que c'est une catastrophe.

Q - Mais sur le risque ou la peur du retour d'une crise migratoire ?

R - Je pense qu'il faut faire attention, je pense qu'il faut être prudents.

Q - Donc la question se pose bel et bien, quand même ?

R - La question se pose évidemment.

Q - Est-ce que vous craignez que le nouveau régime libère des djihadistes qui pourraient se diriger vers l'Europe ?

R - Tout ça est beaucoup trop tôt. On sait l'histoire de ces révolutionnaires. On sait leurs liens avec les mouvements terroristes. Vous voyez, on a quand même un faisceau d'inquiétudes sur ce régime. Donc je pense que, vraiment, il est temps d'attendre. Enfin, il est temps de regarder, d'observer, d'analyser...

Q - Il y avait aussi des djihadistes français qui étaient emprisonnés là-bas. Est-ce qu'au gouvernement il y a une inquiétude sur un potentiel retour de ces djihadistes ?

R - On a ce problème tout le temps. Tout le temps, on parle du retour des djihadistes. On a le retour des femmes, le retour des enfants, le retour d'un certain nombre de personnes. Evidemment que ce sont des sujets qui sont extrêmement sensibles. Il me semble vraiment qu'il faut analyser la situation avec un peu de temps, un peu d'informations et de renseignements.

(...)

Q - On va parler d'un autre sujet, sujet d'inquiétude pour nos agriculteurs, c'est le Mercosur. Ursula von der Leyen est allée en fin de semaine dernière en Amérique latine pour finaliser les négociations, malgré l'opposition claire et nette de la France. Est-ce que c'est une claque politique pour Emmanuel Macron ?

R - Je ne sais pas si c'est une claque politique pour Emmanuel Macron, mais c'est une grosse déception pour les agriculteurs. Moi, je vais le regarder plutôt comme ça. Je pense qu'on attendait, dans cet automne ou début d'hiver, en fin d'année... On avait deux éléments qui étaient des éléments un peu dangereux. Il y avait le G20 au Brésil, qui était un événement où elle aurait pu annoncer effectivement la fin des négociations. Et puis, il y avait le sommet du Mercosur qui se tenait à Montevideo. Donc elle a profité, j'allais dire, de cet espace médiatique pour aller annoncer la fin des négociations. J'insiste bien, c'est la fin des négociations. Ce n'est pas la ratification. On n'est qu'au début. C'est pour ça que c'est évidemment, là aussi, un mauvais moment pour nous, parce qu'encore une fois, nous étions au travail avec Annie Genevard, avec Jean-Noël Barrot, avec Benjamin Haddad, avec le Premier ministre et même le Président de la République pour effectivement contrer ce Mercosur.

Q - Mais ça veut dire qu'elle a profité de la crise politique en France ?

R - Elle a profité du sommet du Mercosur. C'était pour elle un objectif important.

Q - Et ça n'a rien à voir avec notre situation à nous ? Ce n'est pas une mauvaise manière qu'elle fait à la France, quelque part ?

R - Je pense qu'elle avait cet espace-là. Je ne cherche pas à la dédouaner de toute responsabilité, mais j'explique qu'elle avait cet espace-temps qui était le sommet du Mercosur. Et de l'autre côté, il y a le 20 janvier l'investiture officielle de Donald Trump, avec derrière des pays comme l'Argentine, qui sont quand même dans la lignée de Donald Trump, et l'inquiétude très forte d'une sortie des accords de Paris. Et je pense qu'à ce moment-là, c'était fini. À partir de la fin du mois de janvier, c'était fini. Elle n'aurait plus été en capacité de signer ces accords, ou en tout cas d'annoncer la fin des négociations, parce qu'il est probable que l'Argentine... En tout cas, l'Argentine s'interroge sur la sortie des accords de Paris.

Q - Mais ça veut dire juste qu'elle a joué un peu perso, qu'elle a privilégié les intérêts de l'Allemagne à la position commune de l'Union Européenne ?

R - Elle a profité du fait qu'effectivement la France n'était pas en grande forme politique, alors que vraiment, le travail de construction qu'on avait fait depuis notre arrivée au gouvernement, je le répète, avec Annie, avec Jean-Noël, avec tout le monde, un travail de persuasion auprès de nos collègues européens était en train de payer. D'ailleurs, vous voyez qu'il y a des réticences. Et vous voyez aujourd'hui qu'il y a des Etats qui nous permettront peut-être d'avoir la minorité de blocage lors du passage...

Q - Vous pensez encore l'avoir ? Vous pensez encore pouvoir bloquer cet accord avec le Mercosur ?

R - Mais il ne faut pas lâcher une seconde. Quand je suis arrivée au gouvernement, on était loin d'avoir cet accord, cette minorité de blocage. Mais petit à petit, on a tous travaillé, on a tous persuadé. On a travaillé avec le monde agricole, on a travaillé avec nos collègues européens. Et honnêtement, il y a aujourd'hui des pays qui se posent des questions qui ne s'en posaient pas. Au dernier G20 Commerce où je suis allée à Bruxelles il y a une quinzaine de jours, il y a des pays qui n'ont pas dit non, mais qui ont dit : "Attendez, on va voir ce qu'il y a dans l'accord final". Parce qu'en fait, on connaît l'accord de base qu'on avait refusé en 2019 ; on ne connaît pas l'accord intermédiaire qui a été négocié depuis. On ne sait pas ce qu'il y a dedans.

Q - Mais vous ne l'avez toujours pas eu ?

R - Non.

Q - Parce que là, Ursula von der Leyen dit : "C'est négocié". Mais qu'est-ce qui a été négocié ?

Q - Vous ne savez pas ce qu'elle a négocié, Ursula von der Leyen ?

R - Elle nous dit, elle nous annonce : "Mais non, on a mis les accords de Paris comme une clause essentielle", etc.

Q - En gros, elle dit qu'elle a répondu aux exigences de la France, sur l'Accord de Paris, sur la déforestation ?

Q - C'est-à-dire que là, le gouvernement français n'a toujours pas la copie de l'accord qu'Ursula von der Leyen a négocié ?

R - Aucun gouvernement. Ce qui fait qu'il y a aujourd'hui des Etats qui disent : "Nous, on ne dit pas non, on ne dit pas oui ; on attend de voir ce qu'il y a à l'intérieur de l'accord."

Q - Mais qu'est-ce que vous pouvez faire pour exiger qu'elle vous montre cet accord ?

R - Elle va être obligée de le présenter à la Commission.

Q - Et quand ?

R - Quand elle décidera de passer l'accord, il va falloir que l'accord soit d'abord juridiquement écrit, parce qu'aujourd'hui il y a des intentions qui sont dans l'accord, mais juridiquement tout n'est pas écrit - surtout s'il y a un instrument additionnel, il va falloir juridiquement l'écrire, le traduire dans les 27 langues et puis l'envoyer pour étude.

Q - Parmi les Etats que vous évoquiez qui ont des doutes, il y en a aussi qui peuvent très bien se dire : "Finalement, j'ai obtenu gain de cause" ou "les clauses renégociées l'ont été tel que nous le demandions" et donc, puisque tout le monde disait : "On ne peut pas signer un accord en l'état", il a changé. Est-ce qu'il n'y a pas aussi des Etats qui peuvent changer d'avis ?

R - Mais voyons ce qui est à l'intérieur !

Q - Mais comment on fait pour négocier avec nos partenaires européens ?

Q - Avec quels Etats vous pensez obtenir cette minorité de blocage, aujourd'hui ?

R - Aujourd'hui, la Pologne s'est clairement positionnée. L'Italie a dit plus que ses doutes, et je peux vous dire que le monde agricole italien est très remonté. Vous avez des pays comme la Belgique, vous avez des pays comme l'Autriche. Donc, avec la France, on a largement la minorité de blocage, largement. La Lituanie, par exemple, ce sont des pays...

Q - Donc cet accord ne s'appliquera pas ? Est-ce que vous pouvez garantir à nos agriculteurs que cet accord ne s'appliquera pas ?

R - Non, je ne peux pas garantir aux agriculteurs, mais je...

(...)

Q - S'il n'y a pas de minorité de blocage réunie au niveau du Conseil européen, il y a aussi le vote de ratification du Parlement européen. Est-ce que vous travaillez avec les groupes politiques ?

R - Bien sûr, évidemment.

Q - Et là, vous en êtes où ? C'est secret ?

R - Secret, non, mais je ne veux mettre personne en porte-à-faux, parce qu'on a des discussions qui transcendent évidemment les partis.

Q - Mais vous pourriez réunir une majorité contre la ratification du Mercosur au Parlement ?

R - On fait ça un par un. Vous savez, on a pris un mapping de l'hémicycle européen et on y va par parti, par pays et on cherche des alliés, et les signaux ne sont pas mauvais. Mais moi je pense qu'une bataille, elle n'est jamais gagnée, mais surtout elle n'est jamais perdue. Donc quand j'entends des gens qui nous disent : "C'est la faute de ceci", "il faut se battre", "vous n'y arriverez pas", défaitistes, etc... Moi je pense qu'il faut se battre pied à pied, pays par pays, pour avoir la minorité de blocage et parlementaire par parlementaire pour avoir le Parlement avec nous.

Q - Donc ce que vous dites à nos agriculteurs ce matin, c'est que cet accord, il est loin d'être appliqué encore ?

R - Il est loin d'être appliqué. Et moi, en tout cas, à la place où je serai dans quelques jours, je continuerai à me battre. Je voudrais juste rajouter, si vous me le permettez, quelque chose sur le Mercosur, pour dire que je redis que nous ne sommes pas contre les accords de libre-échange et nous ne sommes surtout pas opposés aux pays d'Amérique du Sud. Parce que je ne voudrais pas laisser croire que je déteste les pays d'Amérique du Sud. Les pays d'Amérique du Sud sont des pays avec lesquels, évidemment, on converse. Il y a beaucoup d'entreprises européennes, et en particulier françaises, qui sont implantées en Amérique du Sud, qui font des infrastructures, de l'énergie. On a beaucoup de business, j'allais dire, avec l'Amérique du Sud. Et il n'est pas question de... Ce n'est pas une coupure avec l'Amérique du Sud. C'est juste les termes de ce traité-là que nous ne voulons pas.

Q - Petite question un petit peu annexe pour terminer là-dessus, puisque ça a provoqué des tensions entre Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, le fait qu'elle ait finalisé les négociations de cet accord. Est-ce que du coup il a annulé son invitation à l'inauguration de Notre-Dame, Emmanuel Macron ?

R - On ne sait pas qui, de la poule ou de l'oeuf, était en premier. C'est sûr qu'elle devait venir à l'inauguration de Notre-Dame. On s'est tous dit : "elle prend des risques". Parce qu'il y a des périmètres de sécurité, mais après les périmètres de sécurité, il va falloir quand même qu'elle traverse, et je pense que les agriculteurs l'auraient reçue. Je pense qu'elle a été prudente ou que le gouvernement lui a suggéré d'être prudente. Je ne sais pas la réponse.

(...)

Q - On parle beaucoup de la dette, mais il n'y a pas que la dette publique qui pose problème. On a aussi une balance commerciale déficitaire de manière chronique, et dans des proportions toujours plus élevées. On bat des records chaque année. Qu'est-ce qui ne va pas ? Comment est-ce qu'on pourrait redresser la barre aujourd'hui ?

R - Pas toujours plus élevées, parce que là, on reflue

Q - Les chiffres seront bon cette année ?

R - Non, ils ne sont pas bons, mais ils sont moins mauvais. Si je peux me permettre, ce n'est pas mon action, donc je suis assez zen. Ce n'est pas en 8 semaines, évidemment, qu'on a inversé la tendance. Mais c'est quoi une balance extérieure qui est mauvaise ? C'est d'abord un défaut de compétitivité de notre propre industrie, qui nous oblige à aller importer. Evidemment, c'est d'abord cette question-là. Et c'est des questions sur lesquelles Laurent Saint-Martin et Antoine Armand, étaient en train de travailler. Le ministère de l'industrie également, Marc Ferracci, était en train de travailler. Donc ça, c'est le premier élément de notre balance extérieure négative : c'est un manque de compétitivité et un renoncement à un certain nombre d'industries au profit d'importations. Deuxièmement, vous aviez l'énergie, d'où l'obligation de travailler sur ces questions d'énergie. Donc c'est premièrement ça. Et puis c'est la compétition pour aller chercher des marchés à l'extérieur et à l'export. Et là, on progresse plutôt. Moi, je voudrais juste dire une petite nuance par rapport à ça, c'est qu'on a - enfin, ce n'est pas une nuance - une balance des paiements qui est plus favorable. Pourquoi ? Parce qu'on a beaucoup d'entreprises françaises aujourd'hui qui ont décidé de s'implanter dans les pays. Donc en réalité, les exportations qu'on ne fait pas, c'est de l'activité pour nos entreprises françaises qui se sont elles-mêmes délocalisées à l'étranger et qui font à la fois des chiffres d'affaires et des profits qui, à un moment, reviennent dans la balance des paiements français. Et ça, c'est plutôt bon. Et puis, on est aussi excédentaire en services. Donc on voit bien que c'est sur l'industrie, sur nos activités de production, que nous avons un problème de compétitivité, plus sur l'énergie, évidemment.

(...)


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2024