Texte intégral
Q - Bonjour, Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour.
Q - Ministre démissionnaire des affaires étrangères, vous restez la voix de la France à l'international, après le Président de la République, jusqu'à la nomination de votre successeur. Après un demi-siècle de règne du clan Assad, Bachar al-Assad est donc tombé en Syrie. Comment est-ce que vous qualifiez ce moment ?
R - C'est un moment historique et toutes mes pensées, depuis hier, vont au peuple syrien - en Syrie, comme en exil - qui retrouve enfin le parfum de la liberté. Comment ne pas se réjouir de la chute de l'un des pires dictateurs de notre époque, après des années, des décennies d'une oppression féroce ? Plus de 400.000 personnes tuées, le recours massif à la torture ou au viol, la détention massive de prisonniers politiques ou encore l'utilisation de gaz, le chlore, le gaz sarin contre sa propre population. Un régime dont je rappelle qu'il a poussé près du quart de la population de la Syrie à l'exil, qu'il a libéré des terroristes islamistes et qu'il n'a rien fait pour combattre le terrorisme, et dont je rappelle enfin qu'il a fait assassiner un ambassadeur français, Louis Delamare, dont je veux saluer la mémoire. C'est donc un bouleversement historique et c'est la démonstration, s'il en était besoin, que la loi du plus fort n'est jamais durablement la meilleure.
Q - Mais est-ce que c'est une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle - pour la paix dans la région, notamment ?
R - La paix est à construire. C'est une bonne nouvelle pour la liberté. C'est une bonne nouvelle pour le peuple syrien, qui doit désormais prendre son destin en main. Et c'est pourquoi nous voulons soutenir une transition politique qui soit inclusive, qui permette à toutes les minorités d'être représentées, qui soit respectueuse des droits de l'Homme, des droits de la femme, et qui permette à la Syrie de s'engager sur le chemin d'une paix juste et durable.
Q - Beaucoup de questions très précises sur la situation. D'abord, peut-être, le sort de Bachar al-Assad, puisque cette nuit les agences de presse russes affirment qu'il aurait trouvé refuge, avec sa famille, à Moscou. Est-ce que vous avez des confirmations là-dessus ?
R - C'est ce que j'ai compris en lisant les dépêches de la Russie, alliée historique de Bachar al-Assad, et qui subit là un revers cuisant, puisqu'après avoir soutenu ce régime dans l'oppression qu'il a menée contre son propre peuple, la Russie pourrait perdre sa base arrière en Méditerranée, celle qui lui a permis de conduire des actions de déstabilisation au Maghreb ou en Afrique.
Q - Les rebelles disent qu'ils préservent, pour le moment, les bases russes qui se trouvent en Syrie.
R - Certes, mais vous voyez bien que le régime de Bachar al-Assad comptait sur le parapluie, sur la protection de la Russie pour assurer sa survie, qu'il n'a pas pu en bénéficier, et que c'est le régime qui est tombé.
Q - C'est un échec pour Moscou ?
R - C'est un échec évident pour Moscou.
Q - Bachar al-Assad a fui son pays au bout de quelques jours. Ça a duré une dizaine de jours, selon la remontée des rebelles. Vous êtes étonné qu'il ait abandonné aussi rapidement ?
R - Je ne suis pas étonné qu'un dictateur comme Bachar al-Assad finisse par tomber. C'est le sort de ceux qui tournent l'oppression contre leur peuple. Et depuis des années - puisque la guerre civile a commencé il y a 13 ans en Syrie -, l'emprise de Bachar al-Assad sur son peuple et sur son pays s'était progressivement réduite comme peau de chagrin. C'est ensuite une succession d'événements qui ont précipité sa chute, qui ont effectivement surpris par leur rapidité, et qui doivent conduire toutes les parties à se comporter avec le sens des responsabilités qui s'impose dans un moment historique comme celui-ci, dans l'intérêt des Syriens.
Q - Sur le cas de Bachar al-Assad particulièrement, il faut rappeler qu'il fait l'objet d'un mandat d'arrêt en France pour complicité de crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Maintenant qu'il est tombé, qu'il se trouve en Russie, est-ce que les Russes peuvent le livrer ?
R - Vous savez, la position de la France est constante : la justice internationale doit être appliquée partout et tout le temps. Et je souhaite - pas dans un esprit de revanche ou de vengeance, mais simplement parce qu'il n'y a pas de paix sans la justice, ni de justice sans la vérité - que Bachar al-Assad puisse être tenu comptable de ses actes.
Q - Puisqu'on parlait de Moscou, la Russie réclame la tenue d'une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité des Nations unies ce lundi. Vous faites la même demande, vous confirmez qu'elle aura bien lieu ?
R - Bien sûr, nous y participerons. D'ailleurs, je veux souligner à cette occasion qu'il y a un processus sous l'égide des Nations unies, dans le cadre de la résolution - c'est-à-dire de la loi onusienne - 2254, qui prévoit un dialogue entre le régime et les oppositions, et qui doit, désormais, s'élargir à toutes les parties prenantes dans ce conflit, pour que la Syrie, demain, appartienne aux Syriens, et que cette transition puisse se faire de manière ordonnée et pacifique.
Q - Vous dites que vous voulez une transition démocratique en Syrie. C'est quoi, le réflexe du ministre des affaires étrangères français, quand il se passe un événement aussi historique ? Là, hier, par exemple, qu'est-ce que vous avez fait ?
R - C'est d'échanger avec mes autorités, bien évidemment - le Président de la République, le Premier ministre. C'est de prendre contact avec certains de mes homologues dans la région, et notamment les pays voisins de la Syrie, pour partager nos analyses et pour mettre en commun nos priorités dans cette affaire.
Q - Est-ce qu'il existe des contacts, aujourd'hui, entre la France et le groupe HTS, Hayat Tahrir al-Cham, et le chef des rebelles, [Abou] Mohammed al-Joulani ?
R - Comme vous le savez, nous avons rompu nos relations diplomatiques avec la Syrie en 2012, et notre intransigeance vis-à-vis de ce régime criminel nous vaut, d'ailleurs, une reconnaissance unanime de toutes les parties syriennes. Ceci étant dit, nous avons un envoyé spécial pour la Syrie, qui y est très régulièrement et qui échange avec toutes les parties.
Q - Il est sur place en ce moment ?
R - Il est dans la région en ce moment. Il sera en Syrie les prochains jours. Quant à moi, j'ai pu échanger avec mes homologues israéliens, jordaniens et turcs. Et ce qui se dégage de ces échanges, c'est la volonté partagée que, dans la transition politique, toutes les minorités puissent être représentées, puissent trouver leur place.
Q - Vous parliez de représentant. L'ambassade de France a fermé depuis 2012. Il n'est pas question, pour le moment, de la rouvrir. Ce changement politique ne change rien sur les relations diplomatiques, aujourd'hui, entre la France et la Syrie ?
R - D'abord, je veux rassurer vos auditeurs : nous suivons attentivement la situation de nos ressortissants, des quelques centaines de Français qui sont sur place, au travers de l'ambassade de Roumanie, et au travers de notre ambassade de France à Beyrouth. Ensuite, le soutien et l'appui que la France apportera à cette transition politique de la Syrie dépendra du respect de nos exigences, que j'ai évoquées tout à l'heure : une transition inclusive qui respecte les minorités, qui respecte les droits de l'Homme et le droit international.
Q - Alors, justement, les rebelles. Les rebelles sont conduits aujourd'hui par un certain Abou Mohammed al-Joulani, qui a un passé récent de djihadiste. Il dit avoir rompu avec al-Qaïda. Est-ce que vous croyez à sa normalisation ? Est-ce qu'il faut lui faire confiance ?
R - Vous l'avez dit, al-Joulani, HTC, a rompu avec Daech et al-Qaïda, mais il s'agit là d'un mouvement islamiste. Soyons lucides, il y a des risques très importants qui guettent la Syrie : celui de la fragmentation et de l'instabilité, comme on a pu le voir par le passé en Libye ou en Irak, et celui de l'islamisme, et sur ce sujet nous serons intransigeants. Je veux rappeler que depuis dix ans, avec nos alliés américains et d'autres de la coalition internationale, nous luttons contre le terrorisme. Et ce que nous disons aujourd'hui, c'est que cette transition politique que nous appelons de nos voeux, ne doit laisser aucune place à l'extrémisme et aucune place au terrorisme.
Q - Mais comment on s'assure de ça ?
R - On mobilise nos leviers. Quels sont les leviers de la France, dans cette affaire ? Le premier, c'est celui que j'ai cité tout à l'heure : intransigeance absolue vis-à-vis du régime - et ce n'est pas si fréquent que cela, regardez les positions que d'autres pays occidentaux ont prises, ce qui nous vaut le respect et la reconnaissance de toutes les parties dans le conflit - ; lien étroit que nous avons tissé avec les oppositions syriennes, y compris celles qui sont en exil, et avec certaines des minorités - je pense à la minorité kurde - ; et enfin, nous avons le levier financier, puisqu'il faudra participer à la reconstruction, que ce soit au niveau français ou au niveau européen, et nous ne le ferons que si les conditions que j'ai évoquées tout à l'heure sont effectivement respectées.
Q - Le groupe HTS est-il toujours considéré par la France comme une organisation terroriste ?
R - Ce groupe est considéré par l'ONU comme une organisation terroriste, mais je crois qu'il y a eu des allers-retours sur le sujet. Il appartient à ce groupe de faire la démonstration de sa volonté sincère, d'écarter l'extrémisme, d'écarter l'islamisme et le djihadisme de cette transition et, surtout, d'organiser une transition qui permette à toutes les minorités syriennes, auxquelles nous sommes très attachés, de prendre toute leur part.
Q - On vous pose la question, parce que les talibans eux-mêmes ont félicité hier le peuple syrien et les rebelles en question. Est-ce que vous vous inquiétez de la place qu'ils pourront donner dans la société syrienne, ce groupe HTS, ces rebelles qui prennent le pouvoir en Syrie ?
Q - Aux femmes.
R - La place qui sera donnée aux femmes, la place qui sera donnée aux minorités chrétiennes, druzes, kurdes, conditionne la capacité de la Syrie à vivre en paix et en sécurité dans sa région.
Q - Mais les premiers signaux, puisqu'ils sont à Alep depuis d'une dizaine de jours...
R - Mais les premiers signaux - j'entendais Gilles Kepel sur votre antenne tout à l'heure - démontrent une volonté de ces groupes d'écarter les exactions dont certains groupes islamistes ou djihadistes sont coutumiers, d'écarter certaines attitudes qui démontreraient une volonté hégémonique. Mais nous sommes très prudents, et je le dis : l'appui de la France sera conditionné au respect des minorités et des droits humains.
Q - Ça s'apprécie sur la durée ?
R - Ça s'apprécie sur la durée, évidemment.
Q - Mais alors, expliquez-nous : pourquoi les Etats-Unis aujourd'hui ont bombardé des dizaines de positions de l'Etat islamique en Syrie ? Est-ce que la France participe à ces opérations aussi ?
R - C'est une opération qui est menée par les Etats-Unis contre Daech, pour éviter que, profitant du vide laissé par le régime, Daech puisse ressurgir. C'est une opération qui s'inscrit dans l'esprit de ce pourquoi la France s'est battue, de ce pourquoi les soldats français se sont battus depuis dix ans en Syrie, c'est-à-dire pour défaire Daech et éviter que, par ses actions de déstabilisation et de terrorisme, il vienne porter atteinte aux intérêts français.
Q - Mais ce risque d'une résurgence de Daech, aujourd'hui, il existe ?
R - Il existe, bien évidemment. Et c'est pourquoi nous nous mobiliserons tout au long de cette transition pour rendre la Syrie aux Syriens et pour éviter qu'elle ne soit prise en otage par des groupes djihadistes.
Q - On a tous assisté à ces scènes extraordinaires des prisons libérées, avec des prisonniers politiques, avec des femmes parfois violées, avec leurs propres enfants qui étaient nés en prison. Mais il y a aussi, dans ces prisons syriennes, il peut aussi y avoir des membres de l'Etat islamique hostiles à la France. Est-ce que vous craignez, avec ces récents événements, que le risque terroriste augmente pour l'Europe, pour nous ?
R - Je crois qu'il y a l'opportunité de le contenir. Vous le savez, il y a effectivement un certain nombre de combattants terroristes qui sont détenus dans une partie de la Syrie qui échappait déjà au régime, le nord-est du pays, et dont la situation n'évolue pas avec les développements récents. Je crois que l'instauration d'un Etat fort qui respecte les Syriens dans leur diversité ethnique, politique et religieuse est sans doute la meilleure garantie que nous puissions avoir contre le risque terroriste - c'est vrai -, mais contre aussi les vagues migratoires qui, en 2015, ont atteint l'Europe par l'exil de centaines de milliers, de millions de Syriens qui fuyaient la torture, la persécution, les gazages arbitraires de Bachar al-Assad.
Q - Cette crainte de résurgence de Daech, ces prisonniers qui pourraient être libérés, et parmi eux des djihadistes... Il y a aussi cette crainte de la vague migratoire. Jordan Bardella, président du Rassemblement National, alertait hier sur "France 3" : "j'appelle d'ores et déjà l'Union européenne et les différents pays de l'Union à anticiper dès maintenant le risque d'un déferlement migratoire où pourraient se glisser des terroristes islamistes." Vous dites la même chose ? Vous avez la même crainte ?
R - Je dis que c'est un contresens absolu et je déplore au passage la bienveillance coupable dont a bénéficié Bachar al-Assad dans une certaine partie de l'extrême droite française et de l'extrême gauche française, pour différentes raisons - solidarité bolivarienne d'un côté, fascination pour les dictateurs de l'autre. Ce qui s'est passé en 2015, l'afflux massif de femmes, d'enfants, d'hommes syriens risquant leur vie en Méditerranée pour chercher refuge en Europe, c'est la responsabilité unique de Bachar al-Assad, de ses alliés russes et iraniens, qui ont persécuté cette population. C'est donc, avec la chute du régime, un espoir, l'espoir que les réfugiés syriens, dans le Moyen-Orient et peut-être bientôt en Europe, puissent enfin rentrer dans leur pays. Je parle là d'hommes et de femmes qui ont dû quitter leur pays sous la menace de la persécution. Je parle d'enfants qui ont quitté leur pays sans jamais vraiment pouvoir le connaître. Et ce que nous voyons dans les images qui sont diffusées depuis hier, ce sont de jeunes adolescents, de jeunes adultes qui retournent dans un pays qu'ils n'ont jamais vu et qui est pourtant le leur.
Q - On les voit qui arrivent du Liban, mais il y en a aussi beaucoup en France. Est-ce que la France va oeuvrer pour que ces personnes qui sont réfugiées aujourd'hui chez nous puissent revenir rapidement dans leur pays ?
R - Mais vous le savez, la France a conditionné, d'une certaine manière, le retour des réfugiés ou en tout cas a dit que le retour des réfugiés ne pouvait advenir que dans la mesure où ils pouvaient rentrer en Syrie en sécurité. La sécurité n'est pas encore tout à fait assurée, mais elle doit l'être et cette transition politique doit le permettre, de manière à ce que le million de réfugiés syriens au Liban, les millions de réfugiés syriens en Jordanie, ceux qui en Europe souhaiteraient revenir, puissent le faire en toute sérénité.
(...)
Q - Toujours avec Jean-Noël Barrot, le ministre démissionnaire des affaires étrangères. Cette situation en Syrie, cette chute de Bachar Al-Assad et le voisin, le Liban. Est-ce que, selon vous, le Liban peut faire les frais de ce basculement ?
R - Je ne le souhaite pas. Nous avons, pour le Liban, obtenu un cessez-le-feu. C'est un succès diplomatique pour la France - et je m'en réjouis - qui met fin à un conflit qui a fait plus de 4.000 victimes civiles, et qui doit permettre d'assurer la sécurité des Israéliens et des Libanais, qui doit permettre le retour des déplacés chez eux, qui doit permettre de garantir la souveraineté du Liban.
Q - Mais là, il y a une rupture d'équilibre. La Syrie jouait un rôle clé au Liban, notamment dans l'approvisionnement du Hezbollah.
R - C'est un affaiblissement supplémentaire du Hezbollah, des noeuds logistiques par lesquels le Hezbollah pouvait s'approvisionner. Ça ne doit pas détourner le Liban de la voie sur laquelle il s'est engagé, c'est-à-dire le redressement de l'Etat avec, à l'horizon, une élection présidentielle.
Q - Mais c'est un facteur d'apaisement ou de déstabilisation pour le Liban, ce qu'on vit là ?
R - La question n'est pas de jouer aux devinettes, la question est de faire de cette situation un facteur d'apaisement pour le Liban, et c'est ce à quoi nous nous employons. C'est pourquoi nous avons envoyé la semaine dernière une dizaine de personnes sur place, sous le commandement du général de brigade Ponchin, qui aux côtés de l'équipe américaine, comme nous nous y étions engagés, veillent au suivi du cessez-le-feu et veillent au renforcement des forces armées libanaises.
Q - Cessez-le-feu fragile ? Vous voyez bien Monsieur le Ministre, cessez-le-feu fragile, où les tirs abondent des deux côtés.
R - Cessez-le-feu fragile, mais cessez-le-feu tout de même. Demandez aux Libanais, et vous verrez que depuis le cessez-le-feu, ils ont recommencé à respirer et à retrouver un semblant de normalité dans leur vie quotidienne. C'est ce à quoi nous allons nous employer : veiller à ce que ce cessez-le-feu soit respecté, et veiller surtout à engager la phase suivante, c'est-à-dire le retrait des forces israéliennes, le déploiement massif des forces armées libanaises dans le sud du pays.
Q - Est-ce que c'est possible d'aller jusque-là, quand on sait que ce cessez-le-feu est fragile, notamment parce que le Hezbollah dit se battre pour la cause palestinienne ? Il va y avoir un nouveau président aux Etats-Unis. Le 20 janvier, c'est Donald Trump qui prend le pouvoir. Et lui, il a posé un ultimatum ; il a dit que "les conséquences seraient terribles si tous les otages n'étaient pas libérés d'ici le 20 janvier". Il parle de quoi ? C'est quoi, les "conséquences terribles" ?
R - Il parle de Gaza. Et, s'agissant de Gaza, la voix de la France n'a jamais varié : cessez-le-feu immédiat, libération de tous les otages, acheminement massif de l'aide humanitaire dans l'enclave, et engagement des discussions menant à une solution politique reposant sur deux Etats, un Etat d'Israël et de Palestine vivant côte à côte en paix et en sécurité.
Q - Un dernier pays dont il faut parler ce matin, c'est l'Iran. Cette chute de Bachar al-Assad, elle a des conséquences pour le régime iranien allié. Est-ce que la France, là aussi, a des contacts avec l'Iran pour que les choses en Syrie s'apaisent dans les prochains jours ?
R - Oui, nous avons des contacts avec l'Iran. Mais la situation que nous voyons se dérouler devant nos yeux, c'est le résultat d'un pari raté de l'Iran qui, il y a un peu plus d'un an et demi, s'est engagé dans une vaste manoeuvre de déstabilisation de la région. Et nous appelons l'Iran à cesser ses actions de déstabilisation, à cesser de menacer les intérêts de sécurité d'Israël et les intérêts de sécurité européens. C'est dans ce sens que travaille la diplomatie française.
Q - Trump, Zelensky, Macron, c'était la photo du weekend en France. Les trois hommes d'Etat se sont réunis à l'occasion de la réouverture de Notre-Dame [de Paris], l'occasion aussi pour Donald Trump de s'entretenir avec Volodymyr Zelensky, l'Ukrainien. Vous n'avez pas assisté, il me semble, à cet entretien. Mais il y a eu des prises de parole après, notamment celle de Donald Trump, qui appelle à un cessez-le-feu immédiat en Ukraine. Du point de vue de la France, est-ce que les conditions d'un cessez-le-feu sont réunies ?
R - D'abord, permettez-moi de relever que cette rencontre, premier déplacement à l'étranger du président élu Donald Trump, témoigne de la considération de Donald Trump pour la France et pour le Président de la République. Cet entretien était effectivement l'occasion d'aborder la question de l'Ukraine, l'idée selon laquelle les Ukrainiens doivent pouvoir entrer dans des négociations de paix en position de force, et l'idée selon laquelle les Européens doivent être associés à ces discussions, qui les concernent directement.
Q - Mais vous ne répondez pas à la question. Est-ce que les conditions d'un cessez-le-feu aujourd'hui sont, pour la France, réunies ?
R - Nous avons toujours dit qu'il appartient aux Ukrainiens seuls de décider du moment d'entrer dans des négociations de paix, et qu'il appartient aux alliés de l'Ukraine, au premier rang desquels la France, de permettre aux Ukrainiens de le faire en position de force.
Q - Le Kremlin se dit ouvert à des pourparlers de paix. Si Vladimir Poutine est ok, c'est qu'il a un avantage ?
R - Ce qui est clair, c'est que les Etats-Unis n'ont aucun intérêt à une victoire de Vladimir Poutine. Et cette rencontre, quelques minutes avant la réouverture de Notre-Dame [de Paris], est un nouveau succès diplomatique français, parce qu'une telle rencontre n'aurait pas pu se tenir sous d'autres auspices.
Q - Vous parliez de la considération de Donald Trump à l'égard de la France. Avant de venir en France, mais diffusée après, il y a eu cette interview diffusée par nos confrères américains de "NBC". Les Etats-Unis, dit Donald Trump, "quitteront l'OTAN, à moins que les Alliés ne contribuent davantage financièrement", dans une interview. C'était des propos qu'il tenait pendant sa campagne, mais là, il les tient comme président élu. Vous le prenez comme un chantage ?
R - Je maintiens que la visite de Donald Trump à Paris est une marque de considération pour la France et le Président de la République. Et je dis ensuite qu'il est effectivement de l'ordre de la nécessité vitale pour la France et les Européens d'élever leur niveau de défense, puisque ce que nous voyons depuis 2008, c'est que la menace russe se déplace d'année en année, de plus en plus, vers l'Ouest. Et qu'en Ukraine, chaque fois que la Russie gagne un kilomètre carré, la menace se rapproche tout autant de notre pays.
Q - Mais l'OTAN sans les Etats-Unis, c'est envisageable ?
R - Je ne crois pas que les Etats-Unis souhaiteront quitter l'OTAN. Ce que je dis...
Q - Il l'envisage, en tout cas, Donald Trump.
R - Ce que je dis et ce que la France a toujours dit, c'est que l'Europe doit prendre une part plus grande de sa propre sécurité, doit développer sa capacité à s'armer et à se défendre. La menace est aujourd'hui trop grande.
Q - Une question rapide, Jean-Noël Barrot. Pourquoi Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, n'était pas là samedi, alors qu'elle était invitée ?
R - Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question, peut-être à l'archevêque de Paris. Je pense que votre question avait un sous-entendu, Salhia Brakhlia.
Q - Oui, vous comprenez le sous-entendu, j'imagine bien.
R - Un petit sous-entendu.
Q - Est-ce que ça a un rapport avec sa décision de signer l'accord sur le Mercosur, alors que la France [y] est opposée ?
R - Les négociateurs ont acté de la fin d'une discussion, mais c'est une bataille - si je puis dire - mais ce n'est pas la guerre, puisque c'est un accord qui doit être endossé, qui doit être approuvé par les Etats membres de l'Union européenne, et la France a posé, a présenté ses exigences. La France n'est pas le seul pays à l'avoir fait ; la Pologne, l'Italie, les Pays-Bas également. Et donc c'est maintenant, si je puis dire, que la discussion va commencer.
Q - Pardon, mais pour reprendre le mot que vous utilisiez tout à l'heure à propos de Donald Trump, est-ce qu'elle n'a pas manqué de considération à l'égard de la France, compte tenu de la position de la très large majorité de la classe politique française sur le Mercosur ?
R - C'est un jugement qui vous appartient, Jérôme Chapuis.
Q - Non, c'est une question qu'on vous pose.
R - C'est un jugement qui vous appartient.
(...)
Q - Merci beaucoup, Jean-Noël Barrot, ministre démissionnaire de l'Europe et des affaires étrangères.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2024