Déclaration de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, sur les négociations en cours relatives à l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur, au Sénat le 27 novembre 2024.

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  • Annie Genevard - Ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt

Circonstance : Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement au Sénat

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, portant sur les négociations en cours relatives à l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Herzog et M. Franck Menonville applaudissent également.)

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, en application de l'article 50-1 de notre Constitution, le Premier ministre a souhaité que soit organisé au Parlement un débat sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays membres du Marché commun du Sud, communément appelé Mercosur.

Le Président de la République l'a dit, le Premier ministre l'a dit, je le dis : nous nous opposons à cet accord, tel que la Commission européenne l'envisage.

MM. Jacques Grosperrin et Jean-Baptiste Lemoyne. Bravo !

Mme Annie Genevard, ministre. Ce que nous souhaitons, au travers de ce débat, c'est entériner solennellement la position de la France et lui offrir une assise transpartisane forte, pour que la voix de notre pays puisse résonner dans toute l'Europe.

Je profite de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous pour rassurer nos partenaires d'Amérique latine : nous ne souhaitons pas remettre en cause la relation qui, par sa profondeur historique, unit nos deux continents.

Ce que nous souhaitons, en revanche, c'est donner à cette relation l'ambition nécessaire pour qu'elle s'inscrive durablement dans le temps, autrement dit, pour qu'elle se renforce de manière déterminée.

Ce constat, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voudrions que nos partenaires européens l'entendent également : la France, les Français ne souhaitent ni la fin des accords commerciaux ni la fin des échanges agricoles.

Ces accords ont en effet justement permis à notre pays d'occuper le rang qu'il tient aujourd'hui, celui de sixième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, et de dégager, en 2023, un chiffre d'affaires à l'export de 85 milliards d'euros, ainsi qu'un excédent commercial de 6,5 milliards d'euros.

Aussi la France se tient-elle pleinement mobilisée pour discuter de nouveaux accords, à la condition toutefois qu'ils s'avèrent favorables aux intérêts français et européens, que les débouchés soient au rendez-vous, que nos intérêts essentiels soient pris en compte et que notre modèle agricole et alimentaire soit respecté.

C'est malheureusement le résultat que n'a pas su atteindre l'accord négocié avec le Mercosur au cours des vingt-cinq dernières années. S'il avait été si bon, sans doute aurait-il été conclu depuis longtemps !

Cet accord fait en effet peser un risque économique et sanitaire sur l'agriculture européenne. Il s'inscrit, hélas ! comme me le disent les agriculteurs sur le terrain, dans un schéma dans lequel l'Union européenne s'impose des normes rigoureuses sans parvenir à assurer suffisamment leur respect par ses partenaires commerciaux.

Cette dichotomie, nous le savons, conduit pourtant à compromettre la souveraineté alimentaire des Français et des Européens, au détriment de la qualité de leur alimentation.

Aussi, et parce que l'agriculture et l'alimentation sont au cœur de l'identité de notre pays et de notre continent, nous devons signifier aujourd'hui, par notre vote, que nous veillons scrupuleusement à ce que l'agriculture soit traitée à l'international non pas seulement comme un secteur défensif, mais aussi comme un secteur stratégique à promouvoir.

Cette ambition, la France la défendra au travers de la promotion des clauses miroirs, qui plus est assorties de contrôles sérieux. En effet, il n'y a pas de raison qu'une norme nécessaire chez nous devienne moins nécessaire quand elle s'applique à un produit importé.

Dans le cas contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous en viendrions à renier les efforts que nous avons consentis, depuis près de soixante-dix ans, pour protéger notre modèle agricole européen et la sécurité sanitaire des denrées alimentaires.

Car c'est bien là tout l'enjeu. Les audits menés depuis 2017 par la Commission européenne le démontrent, les dispositifs d'inspection et de contrôle des pays du Mercosur ne sont pas suffisamment fiables et à même de garantir la traçabilité des produits, et certains d'entre eux présentent des failles qualifiées de systémiques.

Dans ces conditions, nous ne pourrions pas garantir à nos concitoyens que la qualité des denrées importées, telle que nous la recherchons en Europe, sera respectée. Nous ne pourrions pas plus assurer à nos agriculteurs que les conditions d'une concurrence loyale seront mises en place.

Pour illustrer mon propos, les exemples ne manquent pas.

En ratifiant l'accord, nous entérinerions le fait que, dans les 180 000 tonnes de sucre auxquelles le marché européen ouvrirait ses portes, nous pourrions retrouver jusqu'à 145 pesticides, dont nous interdisons pourtant l'emploi en Europe.

En ratifiant l'accord, nous accepterions que des aliments qui se retrouveraient dans l'assiette des Européens dépassent jusqu'à six fois les limites maximales de résidus que nous avons adoptées en Europe.

En ratifiant l'accord, nous accepterions de retrouver, dans les 180 000 tonnes de volailles supplémentaires qui accéderaient au marché européen, des molécules déclarées toxiques, mutagènes et cancérogènes, dont nous interdisons légitimement l'usage en Europe.

En ratifiant l'accord, nous accepterions donc que les normes de production européennes ne soient pas respectées et que nos agriculteurs se retrouvent confrontés à une concurrence insupportable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ne nous voilons pas la face, ces circonstances font peser un risque sérieux sur notre souveraineté alimentaire. Il en résulterait en effet, dans de nombreux secteurs, des ajustements de marché substantiels.

Nous ne pourrions pas expliquer aux producteurs de viande bovine, de volaille, de sucre, d'éthanol, de maïs pourquoi les prix baissent, alors que la rentabilité des exploitations est déjà fragile.

Comme je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale, avec cet accord, nous signerions le contrat de délocalisation d'une partie de notre production agricole, car nous importerions, demain, davantage de produits, le respect des normes en moins.

Il serait pourtant inacceptable que l'objectif de reconquête de notre souveraineté, que l'Union s'est fixé dans le sillage de la pandémie de covid-19, soit remis en cause pour un secteur aussi vital que l'agriculture.

À cet égard, les risques sont grands pour l'avenir de la relation entre l'Union européenne et nos agriculteurs. Il est urgent d'agir pour répondre au désarroi de ces derniers. C'est ce que vous disent, j'en suis sûre, ceux que vous rencontrez dans vos départements.

Les ambitions légitimes que la France et l'Europe nourrissent en matière d'environnement, de santé et de bien-être animal ont nécessité de leur part des efforts importants, parfois considérables. Aussi, ne laissons pas cet accord, par sa conclusion, rallumer des braises encore mal éteintes, car c'est le lien de confiance qui unit l'Europe et ses citoyens qui s'en trouverait endommagé.

La France a donc de sérieuses raisons, concrètes, pragmatiques, de s'opposer à l'accord tel que la Commission l'envisage.

L'absence de garanties solides pour nos agriculteurs, notre sécurité sanitaire, notre environnement et notre souveraineté alimentaire préoccupe ailleurs en Europe. Mes déplacements diplomatiques m'ont permis d'en acquérir la conviction. La Pologne – j'ai rencontré son ministre de l'agriculture la semaine dernière – vient d'ailleurs d'annoncer qu'elle s'opposait à cet accord. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Bernard Pillefer applaudissent également.)

Dès lors, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous en êtes d'accord, le Parlement, le Gouvernement et les Français s'uniront avec détermination, côte à côte, pour convaincre la Commission et les autres États membres que l'Union ne doit pas s'engager dans un tel accord. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI et RDSE. – M. Yannick Jadot applaudit également.)

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Mme Florence Lassarade applaudit.)

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je note avec une très grande satisfaction l'unanimité qui se dégage en faveur de la déclaration du Gouvernement posant le principe d'une opposition à ce projet d'accord avec le Mercosur.

En dépit de nos différences, je vous en remercie sincèrement : cette unanimité a beaucoup de sens.

Le président Darnaud a rappelé que, au-delà de cette assemblée, une large majorité de Français, 67, s'opposaient également à cet accord.

À cela, nous pourrions ajouter l'incompréhension totale du monde agricole face à un projet qui placerait l'Union européenne en contradiction avec toutes les politiques de verdissement qu'elle conduit et qui – nous savons à quel point – posent des difficultés d'adaptation au monde agricole.

Monsieur le sénateur Didier Marie, vous avez rappelé que céder, c'était renoncer à la capacité de régulation.

Je crois personnellement à la capacité de régulation de l'Union européenne. Elle a d'ailleurs évolué positivement, me semble-t-il, vers le concept de souveraineté alimentaire qui limite et encadre objectivement la libre concurrence, qui a longtemps été sa seule religion.

Monsieur le sénateur Franck Menonville, dans un avis mesuré, vous avez souligné à juste titre l'obsolescence de cet accord, tout en faisant la distinction utile entre protection et protectionnisme.

Nombre d'entre vous ont par ailleurs dénoncé l'absence de transparence dans les négociations et l'utilité qu'il y aurait à avoir sur la table le détail de cet accord. Or nous ne l'avons pas. Nous en connaissons naturellement les grandes lignes, mais nous n'avons pas le détail de cet accord. C'est, d'une certaine façon, un déni de démocratie, de même que serait un déni de démocratie l'absence de vote des parlements sur cet accord, ou encore une scission de sa partie commerciale et de son cadre général.

Cette opacité a également été dénoncée par le sénateur Fabien Gay.

Monsieur le sénateur Jadot, j'aime votre optimisme.

M. Yannick Jadot. On va gagner !

Mme Annie Genevard, ministre. Je pense moi aussi qu'il n'est pas trop tard et que la France a éveillé les consciences.

L'unanimité ou la quasi-unanimité du Parlement français revêt un poids politique important. Je l'ai constaté à l'occasion de mon déplacement en Pologne vendredi dernier. La position de la France, largement relayée par le ministre de l'agriculture et par le ministre du commerce, ont pesé dans la décision du Conseil des ministres. Elle est une force.

Monsieur Jadot, puisque vous avez raccroché de façon quelque peu artificielle la question de l'OFB à celle du Mercosur, permettez-moi de vous livrer mon sentiment sur ce sujet.

À la suite des attaques qui ont été menées contre les locaux de l'OFB, j'ai clairement annoncé une « tolérance zéro » en cas de violences faites aux personnes et aux biens. J'ai d'ailleurs été quelque peu « bousculée » à ce sujet par les organisations syndicales, qui y ont vu, à tort, une mise en cause de la légitimité de leur manifestation.

Nous devons rétablir la confiance entre l'OFB et les agriculteurs, car aujourd'hui il y a beaucoup d'incompréhensions. Retrouver le chemin de la confiance est d'ailleurs l'objectif de la mission qu'Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons confiée aux inspections de nos ministères. Je m'appuierai aussi sur les recommandations du Sénat, notamment celles qui sont contenues dans le rapport d'information que Jean Bacci a présenté à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable présidée par Jean-François Longeot.

J'en reviens au Mercosur et à la question de la souveraineté alimentaire qui a été largement évoquée.

Monsieur le président Darnaud, vous avez eu raison de nous appeler à sortir de la naïveté. Dans cette affaire, il faut toujours rappeler que l'agriculture est un secteur essentiel et qu'elle occupe, à tous égards, une place centrale dans notre pays, que ce soit sur le plan économique, environnemental ou encore patrimonial.

Monsieur Marie, je suis d'accord avec vous : l'agriculture ne peut pas être l'objet d'un marchandage.

Monsieur Menonville, vous avez eu raison de contester le principe de la compensation. On ne peut pas en effet compenser la perte d'une production ou d'une exploitation agricole. Cela ne peut pas fonctionner ainsi !

Monsieur le sénateur Patriat, vous avez eu raison de dire à quel point notre agriculture était notre fierté. Vous avez aussi fait la démonstration éclairante de l'effet de l'importation de certaines productions, par exemple en viande bovine, lorsqu'elle est concentrée sur certains morceaux ; cette donnée nous montre qu'on ne peut pas réfléchir à partir de pourcentages globaux.

De même, j'attire votre attention sur le caractère cumulatif des accords de libre-échange, car c'est toujours sur les filières de la viande qu'ils pèsent ! Nous finirons bien par le payer en termes de souveraineté.

Monsieur le sénateur Jadot, vous avez eu raison de mettre en balance – je l'ai dit dans mon discours à l'Assemblée nationale – le fait que l'accord, tel qu'il est présenté par la Commission européenne, entraînerait à la fois la disparition de fermes chez nous et la déforestation là-bas. Comme l'a dit le sénateur Cabanel, il aura également pour conséquence la disparition de petites exploitations, tant dans le Mercosur que dans l'Union européenne, alors même que l'agriculture familiale appartient à notre patrimoine.

Vous avez évidemment beaucoup insisté sur les risques sanitaires et sur les dispositions qui contreviennent de fait à la politique européenne.

Monsieur le sénateur Menonville, vous avez à juste titre rappelé à quel point les garanties environnementales avaient été rehaussées dans l'Union européenne. Elles ont été imposées, parfois à marche forcée et dans la douleur, à nos agriculteurs. De ce point de vue, nous avons besoin de plus de contrôles ; plusieurs d'entre vous l'ont dit et c'est extrêmement important.

Enfin, je terminerai en répondant aux interrogations sur le sens de ce débat. Monsieur le sénateur Marie, ce n'est pas du tout un soutien au Gouvernement que nous vous demandons – pas du tout ! Le sujet n'est pas là.

M. Didier Marie. Nous en prenons acte !

Mme Annie Genevard, ministre. Nous connaissons fort bien la diversité des opinions qui s'expriment dans cet hémicycle.

Nous vous demandons non pas de soutenir le Gouvernement, je le redis, mais de soutenir nos agriculteurs, nos systèmes de production, nos fermes, notre agriculture en général. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.) Voilà ce qui est demandé au Sénat aujourd'hui ! De ce point de vue, comme l'a dit le sénateur Cabanel et d'autres orateurs, l'unanimité est une force.

Contrairement à vous, monsieur le sénateur Christopher Szczurek, je ne pense pas que ce débat soit inutile. Je dirais même qu'il est fondamentalement utile.

Vous dites que la pression populaire aurait dicté notre décision d'organiser ce débat, mais ce qui nous a guidés, c'est la conviction profonde que l'avenir de notre agriculture ne passe pas par l'accord qui nous est proposé aujourd'hui. Pour que l'avenir de notre agriculture soit aussi magnifique que son passé, nous ne devons pas approuver cet accord.

Cela ne signifie en rien le rejet par principe des accords de libre-échange, mais de tels accords ne doivent pas être conclus à n'importe quel prix et en tout cas pas au prix du sacrifice de nos agriculteurs et de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)


source https://www.senat.fr, le 12 décembre 2024