Extraits d'un entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France Inter le 15 décembre 2024, sur les relations franco-américaines, le conflit en Ukraine, la question migratoire, la construction européenne, la situation en Syrie, l'accord avec le Mercosur et l'Algérie.

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Média : France Inter

Texte intégral

(...)

Q - Bonjour Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour Carine Bécard.

Q - Merci d'avoir accepté notre invitation.

R - Merci à vous.

(...)

Q - Allez, on avance. Votre image à vous, Jean-Noël Barrot, qu'est-ce que vous avez retenu dans l'actualité cette semaine ?

R - J'ai retenu une photo, le week-end dernier, celle qui rassemble Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, Donald Trump, le président élu des Etats-Unis d'Amérique, et puis Emmanuel Macron. Pourquoi ? Parce que c'est une image qui a marqué sur le plan international. Parce que malgré tout ce qu'on a pu entendre sur la relation de Donald Trump avec la France ou l'Europe, c'est bien à Paris que Donald Trump a fait son premier déplacement à l'étranger.

Q - Cocorico.

R - Et cette réunion que le Président de la République a voulue, entre le président des Etats-Unis et le président ukrainien, a été l'occasion de rappeler qu'aucune paix en Ukraine qui serait imposée aux Ukrainiens ne serait juste ni durable, et qu'aucun accord qui serait conclu au détriment des Ukrainiens ne pourrait être bénéfique pour la France, les Européens et les Américains. Et c'est une question qui nous importe parce que la guerre en Ukraine, elle, nous concerne toutes et tous. Ce qui se joue là-bas, c'est notre sécurité, bien sûr, mais ça va au-delà. C'est aussi, à terme, la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique de l'Europe qui est concernée. Et donc, cette réunion avait une valeur très importante dans ce moment.

Q - Mais pour être vraiment clair, ça veut dire quoi ? Cette réunion tripartite, c'était le début d'un cessez-le-feu, d'une négociation de cessez-le-feu qui ont commencé, en fait, d'ores et déjà ? On discute de ça, là, aujourd'hui, entre l'Ukraine, les Etats-Unis et la France ?

R - L'objectif que nous partageons avec les Etats-Unis et les alliés de l'Ukraine, c'est de permettre aux Ukrainiens d'entrer, dès que possible dans des négociations de paix en position de force. Et je crois que le président des Etats-Unis élu, Donald Trump, est convaincu de la nécessité de renforcer les Ukrainiens, mais aussi qu'il n'y a aucun intérêt à faire de cadeau à Vladimir Poutine.

Q - À terme, ce qui est un peu évoqué, c'est un possible déploiement des troupes européennes au cas où il y aura un cessez-le-feu, pour garantir au fonds une zone de protection, est-ce que vous pensez que la France est mûre pour ça ? Est-ce que l'Europe est mûre pour ça aussi ?

Q - Alors ça, c'est ce qui a été dit dans le Wall Street Journal notamment.

R - Ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, notre intérêt, l'intérêt des Français, c'est de soutenir les Ukrainiens autant que nous le pouvons, et nous le faisons aujourd'hui au niveau français et européen. Nous le faisons financièrement, nous le faisons militairement. Nous le faisons aussi avec de la coopération économique, notamment pour réparer les infrastructures énergétiques qui sont pilonnés constamment par Vladimir Poutine. Ensuite, et au moment où les Ukrainiens le jugeront opportun, lorsque s'ouvriront des négociations de paix et qu'elles seront conclues, eh bien, s'ouvrira une nouvelle période, une nouvelle ère dans laquelle les Européens auront effectivement un rôle à jouer pour que ces accords de paix soient effectivement mis en oeuvre, et pour assurer leur propre sécurité. Je vous rappelle que si nous sommes aujourd'hui dans cette situation...

Q - Quel rôle ? Parce que c'est le rôle parce que c'est ça que les Français veulent savoir, quel rôle il va falloir jouer ? La question de Françoise était précise : est-ce qu'effectivement, on va avoir des militaires qui seront là pour faire en sorte de...

R - Mais ma réponse est tout aussi précise. Si nous voulons que cette menace russe de Vladimir Poutine cesse de s'étendre, comme cela a été le cas depuis 2008 vers l'Ouest et de plus en plus proche de nous. Si nous voulons éviter qu'elle se propage à l'Est, puisque désormais, en entraînant la Corée du Nord dans cette guerre, c'est bien l'Asie que Vladimir Poutine a fait rentrer dans ce conflit. Si nous voulons éviter que cela s'amplifie dans les années à venir, il nous faudra relever nos défenses et faire des efforts que nous avons commencé à faire. Il nous faudra aller beaucoup plus loin. Il faudra que l'Europe élève sa capacité à se défendre et à dissuader des attaques comme celles que Vladimir Poutine a conduites en Ukraine.

Q - Est-ce que finalement, tout le monde ne fait pas comme si on croyait qu'on allait pouvoir se battre et puis reconquérir, pas nous, le Donbass, la Crimée ? Alors qu'en gros, on commence à parler de cessez-le-feu et de se dire qu'on va arrêter les choses et que l'entrée des Coréens dans la bataille fait que, de toute façon, on lâchera à terme, mais qu'il faudra bien lâcher et accompagner cette procédure.

R - Je crois que la question, Françoise Fressoz, c'était ce qui nous attend après la paix, et je pense que c'est une question qui est très importante.

Q - Oui, mais quelle paix ?

R - Ce qui nous attend après la paix, c'est que si nous voulons que cette paix soit durable et si nous voulons que la menace reste contenue, il nous faudra inévitablement faire beaucoup plus en matière de défense européenne.

Q - Est-ce que toutes les paix sont supportables ? C'est ça que je veux dire. Est-ce que... Au début, on a dit : Crimée, Donbass, on récupère... Est-ce qu'on en est encore là ? Ou simplement, on veut la paix ?

R - Une paix ne peut être juste et durable que si en l'occurrence, elle est consentie par le pays qui a été agressé. Et le pays qui a été agressé, c'est l'Ukraine ; c'est donc à l'Ukraine de choisir le moment et les conditions de ces négociations.

Q - Je voudrais poser une dernière question très concrète sur les missiles longue portée américains. On a Donald Trump qui a pris très clairement position cette semaine, qui s'est opposé vigoureusement à l'utilisation des missiles américains contre la Russie. C'est ce qu'il dit d'ailleurs dans une interview du Times. Vous dites quoi ? Il a raison ? Il n'a pas raison ? Vous êtes du côté du Président américain ? On le freine ou pas ?

R - Ce que nous avons toujours dit, en tout cas, ce que le Président de la République a exprimé avec beaucoup de clarté, avec beaucoup de force dès le mois de mai dernier, et c'est le premier à l'avoir dit, c'est que l'utilisation par les Ukrainiens de missiles longue portée qui toucheraient sur le territoire russe des cibles militaires à partir desquels les Russes harcèlent et agressent les Ukrainiens. C'est un principe de légitime défense qui est acceptable. C'est ce que nous avons dit et cela tient toujours.

Q - Il y a donc une réunion tripartite à Paris. Ça n'a pas été abordé. Donald Trump, aujourd'hui, peut dire ce qu'il a dit cette semaine dans le Times.

R - La réunion tripartite a permis d'affirmer qu'un accord qui serait au détriment des Ukrainiens ne pourrait, en aucun cas, être bénéfique, ni pour les Américains, ni pour les Européens.

Q - Non mais là on a quand même l'impression que la réunion tripartite n'a servi à rien du coup.

R - Mais bien sûr que si, elle a servi à quelque chose. La preuve est que jusqu'à présent, on nous disait : "vous allez voir, Donald Trump va régler cette affaire-là en lien direct avec Poutine" Et ce que l'on constate, c'est que la première visite à l'étranger de Donald Trump est à Paris, et que, au cours de cette visite, il a évidemment assisté à la cérémonie de réouverture de Notre Dame, mais il a aussi consenti à un échange avec la France et l'Ukraine. Et ça, c'est évidemment très positif pour la suite et c'est d'une certaine manière un succès diplomatique pour la France.

(...)

Q - Mais vous, vous pensez qu'il en faut une, de loi immigration, ou pas, par exemple ? Vous, Jean-Noël Barrot ? Il en faut une ?

R - Sur l'immigration, je pense que c'est un sujet de préoccupation majeure de nos compatriotes, de nos concitoyens...

Q - Donc il en faut une ?

R - ... et qu'ils ont raison, parce que nous ne savons pas suffisamment bien intégrer les étrangers qui arrivent. Nous ne savons pas suffisamment bien éloigner les étrangers qui n'ont pas vocation à rester en France. Et c'est pourquoi nous avons d'ailleurs, cette année, au mois de janvier, adopté un texte. C'est pourquoi, au niveau européen, après dix ans de travail, nous avons adopté un texte. Je crois qu'il faut aller jusqu'au bout.

Q - Dont on dit, ce texte, que sa transposition en droit français serait finalement une loi immigration déguisée qui pourrait faire qu'on n'en fait pas vraiment une, mais qu'on prend quand même des mesures. On n'a pas forcément besoin d'une loi immigration.

R - Le Pacte sur la migration et l'asile, ce pacte européen que nous avons, et je veux juste simplement vous dire à quel point ces affaires étrangères sont parfois si proches du quotidien de nos compatriotes. Si nous avons mis dix ans à conclure ce Pacte sur la migration et l'asile, qui est majeur, qui va progressivement changer nos politiques migratoires, c'est parce qu'en 2015, Bachar al-Assad, avec l'oppression féroce qu'il a imposée à son peuple, a poussé des millions de familles syriennes à l'exil et qui sont évidemment venus chercher refuge en Europe.

Q - On aimerait juste savoir : est-ce qu'en gros, on pourrait très bien faire avec cette transposition sans forcément faire une loi immigration ?

R - Je pense que c'est un texte majeur qui va nous permettre de reprendre le sujet de nos politiques migratoires.

Q - Et justement, vous qui êtes ministre de l'Europe également, est-ce que vous pensez qu'à l'échelon européen, avec les changements qu'il va y avoir en Allemagne... Il y a une phrase de François Bayrou qui a été reportée par nos confrères du Monde sur le fait qu'on demande peut-être beaucoup très vite en matière de déficit... Est-ce que vous pensez qu'il y a une tendance générale - et celui qui pourrait être le futur chancelier allemand l'a dit également - à espacer un peu plus ses repas ? En gros, mettre le couteau sous la gorge tout de suite et négocier à l'échelon européen, non pas un moratoire, mais que le fait que ce soit étalé, que ce ne soit pas 2029 mais 2030, je ne sais pas... Est-ce que vous sentez ça ?

R - Ce que je sens, c'est que vous avez raison. Dans beaucoup de pays européens, parce qu'on est engagé dans des investissements très importants pour la transition écologique, parce qu'on est engagé dans des investissements nouveaux pour assurer notre défense, la contrainte budgétaire se fait sentir. Cela interroge de plus en plus dans les capitales européennes sur la pertinence de notre pacte de stabilité, de croissance, de ses règles de déficit et de dette qui s'impose aux pays, mais ça interroge aussi sur la nécessité que l'Europe, comme elle a su le faire pendant la crise de la covid, soit en capacité, à son tour, de lever l'emprunt pour pouvoir financer certaines de ces dépenses qui pèsent sur notre budget mais qui sont indispensables. On ne va pas renoncer à nos ambitions climatiques et on ne va pas renoncer à assurer la sécurité des français.

Q - Le vice-président du MoDem, Jean-Noël Barrot, est notre invité dans "Questions politiques", ce dimanche jusqu'à 13h. Vous êtes aussi, Jean-Noël Barrot, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, on l'a bien compris ; ministre démissionnaire, bien sûr, compte tenu de la situation politique. Mais vous surveillez forcément et de très près tout ce qui se passe en Syrie, en particulier, je voudrais vous faire écouter le nouvel homme fort du pays, Abou Mohammed al-Joulani, le chef du groupe terroriste Hayat Tahrir Al-Cham.

(...)

R - Il y a une traduction quand même.

Q - Je le traduis : "je vais féliciter le peuple syrien pour la victoire de la Révolution et je les appelle à descendre dans la rue pour exprimer leur joie sans tirer de balles, ni effrayer les gens. Après, il faudra aller de l'avant, reconstruire ce pays et comme nous l'avons dit depuis le début, nous vaincrons, si Dieu le veut". Quelle est la position de la France, Jean-Noël Barrot, vis-à-vis de la Syrie, vis-à-vis du nouveau pouvoir en place ? Est-ce qu'il y a des échanges directs ou pas et est-ce que nous sommes en voie d'une reconnaissance entre guillemets ?

R - D'abord, comment ne pas se réjouir de la chute du régime criminel, tortionnaire de Bachar al-Assad qui a causé la mort de plus de 400.000 Syriens, qui a utilisé la torture à l'échelle concentrationnaire et qui a conçu des armes chimiques qu'il a retourné contre son propre peuple, qui a poussé - on le disait tout à l'heure - des millions de Syriens vers l'exil et pour certains d'entre eux qui sont arrivés en Europe, qui a aussi instrumentalisé le terrorisme, qui s'est beaucoup développé en Syrie sans que ce régime ne le combatte ?. Vis-à-vis des nouvelles autorités à Damas, nous n'avons aucune naïveté et nous sommes parfaitement lucides. Nous connaissons le passé, j'oserais dire, le passif de certains de ces groupes islamistes, et c'est pourquoi nous abordons cette période nouvelle qui s'ouvre pour la Syrie avec l'espoir que la Syrie puisse être restituée aux Syriens, mais avec beaucoup de vigilance. Et nous nous mobilisons. Nous mobilisons d'abord de manière inconditionnelle sur l'aide humanitaire qui doit continuer à parvenir aux Syriens qui en ont besoin et qui doit même s'amplifier puisque les hostilités militaires ont causé des déplacements de population. Et il est bien naturel.

Q - On a des contacts ou pas ?

R - Ensuite, nous nous mobilisons pour préparer l'avenir de la Syrie et notamment sur le plan de la sécurité. Les armes doivent se taire et la menace terroriste qui reste très présente doit être contenue. Puis, sur le plan politique puisque ce sont les autorités de fait, les autorités nouvelles à Damas doivent très vite céder la place à une autorité de transition qui soit représentative de l'ensemble des communautés, des confessions de la Syrie et qui puisse progressivement faire avancer la Syrie vers une nouvelle constitution et à terme, vers des élections. Comment est-ce qu'on se mobilise très concrètement ? J'étais, hier, en Jordanie avec les pays arabes de la région et avec certains des pays occidentaux qui entretiennent avec la Syrie des liens historiques pour que, pour la première fois, nous puissions établir les conditions dans lesquelles nous pouvons engager le dialogue avec les nouvelles autorités à Damas. C'était très important de le faire parce que vous savez que dans ce genre de situation, quand la confusion s'installe, chacun est tenté d'aller de son côté, commencer à discuter, parfois à négocier avec les nouvelles autorités.

Q - Mais là, pour le coup, les Etats-Unis, par exemple, ont déjà établi des contacts. C'est ce que dit Antony Blinken, le secrétaire d'Etat américain. On a l'impression quand même que la voie est un peu dégagée. Nous, on prend notre temps.

R - L'important, c'était d'abord que, si je puis dire, la communauté internationale, même si elle n'était pas toute entière représentée, j'y étais moi-même pour représenter la France, puisse établir de manière très claire les conditions : respect de toutes les minorités, respect des droits de l'homme, respect des droits des femmes, aucune exaction acceptable, lutte contre la résurgence de Daesh et du terrorisme, etc. Dès la semaine prochaine - mardi, pour être précis - une mission diplomatique française se rendra en Syrie pour la première fois depuis douze ans pour reprendre possession de nos emprises sur place, pour pouvoir établir de premiers contacts et pour pouvoir mesurer, si je puis dire, à la fois les besoins urgents de la population syrienne, notamment en matière humanitaire, mais aussi pour pouvoir vérifier si oui ou non les premières déclarations de cette nouvelle autorité, qui étaient plutôt encourageantes, qui appelaient au calme, qui apparemment ne s'est pas livrée à des exactions, sont bien suivies d'effets sur le terrain.

Q - Qui ira en particulier ?

R - C'est une équipe de quatre diplomates qui se rendra sur place.

Q - Si vous deviez résumer la position de la France vis-à-vis du nouveau pouvoir syrien, on a l'impression qu'au cours des jours, c'était de plus en plus inquiétant. C'est-à-dire qu'au début, tout le monde était enchanté, puis là, c'est quoi ? C'est vigilance inquiète ? Une vigilance confiante ? Ce n'est pas la première fois qu'un pouvoir islamiste arrive en se montrant à visage humain et tourne différemment après. On a été payé, pour le savoir, en Afghanistan.

R - Si je dois le résumer. Notre position, c'est une position d'une grande lucidité. Il y a des besoins d'urgence. Je parlais de l'humanitaire. Je voudrais ajouter à cela, puisque vous me relancer, l'expertise technique que nous pouvons apporter de manière inconditionnelle pour relever les preuves qui concernent les personnes disparues ou les victimes du régime de Bachar al-Assad, puisque à terme, il n'y aura pas de paix et d'apaisement en Syrie, s'il n'y a pas la Justice. Ensuite pour l'avenir, pour activer les leviers dont nous disposons pour accompagner la Syrie sur le chemin de son avenir, ce sont les leviers financiers pour l'aide à la reconstruction. Ce sont les décisions que nous serons un jour amenés à prendre, peut-être pour lever certaines sanctions que l'Union européenne a prises à l'encontre de la Syrie ; eh bien, nous entendons que certaines conditions soient respectées. Et parmi ces conditions, il y a la nécessité que ces nouvelles autorités comprennent qu'elles devront prochainement céder la place à une autorité plus représentative et plurielle dans laquelle elles auront toute leur place, mais dans laquelle les Druzes, les Chiites, les Alaouites, les Ismaéliens, les Kurdes, les Chrétiens, dans laquelle chacune des communautés qui forment la Syrie puissent être présentes.

Q - En tout cas, vous parlez beaucoup de la France. L'Union européenne dans cette affaire qui, à mon avis, pèserait beaucoup plus si elle parlait d'une même voix, si elle était en pole position. Est-ce que c'est elle qu'il faut mettre en avant maintenant ou est ce qu'on peut parler d'une façon commune sur les questions syriennes ?

Q - Les questions syriennes et notamment, les questions migratoires parce qu'en fait, c'est de ça dont on parle. Le fait qu'on ait tout de suite bloqué les portes et qu'on n'ait pas souhaité que les Syriens entrent.

R - Absolument, vous avez raison de rappeler le rôle très important de l'Union européenne depuis douze ans, depuis le début de la guerre civile, puisqu'une partie importante de l'aide humanitaire, c'est presque 10 milliards d'aide humanitaire qui ont été apportées à la Syrie par l'Union européenne en cette période. Et c'est aussi l'Union européenne qui a pris les sanctions à l'encontre de la Syrie.

Q - Voilà. Donc est-ce qu'elle est partie prenante dans le processus que vous décrivez ou pas ?

R - Elle est tout à fait partie prenante puisqu' hier en Jordanie, j'avais à mes côtés Kaja Kallas, la nouvelle haute représentante à la politique étrangère, et c'est important qu'elle soit là pour les sujets de sanctions, pour les sujets d'aide humanitaire, pour les sujets aussi qui touchent à la politique migratoire, puisque l'Europe a accueilli plusieurs millions, plus d'un million, en tout cas, de réfugiés syriens.

Q - Alors pourquoi on a tout de suite fermé les portes ? En quoi ça se justifie ? On a suspendu. L'OFPRA était en train d'analyser un certain nombre de demandes d'asile. Il y avait 700 dossiers en attente. Tout a été suspendu. D'ailleurs, est-ce que vous confirmez qu'on est effectivement dans une suspension des commandes des dossiers qui sont normalement traités ?

R - L'OFPRA, qui est l'office qui traite de la demande d'asile dans notre pays, lorsqu'une situation comme celle qu'on a connue en Syrie se manifeste, prend en général des mesures de suspension et de prudence qui sont des mesures temporaires. Ce qui se qui se produira, je le souhaite, c'est ce à quoi nous allons travailler, si effectivement la Syrie s'engage résolument sur le chemin d'un pouvoir respectueux des minorités, respectueux de toutes les confessions, etc. C'est sans doute que l'OFPRA révisera sa doctrine plus généralement qui concerne la Syrie.

Q - Mais là, on ne se cache pas derrière l'OFPRA, parce qu'on a, quand même, l'impression que toute l'Europe a fermé ses portes. On a un autre sentiment, c'est que ça fait monter l'extrême droite. Ça fait monter l'extrême droite ?

R - Non. Alors là, je pense qu'il faut rassurer tout le monde. Quels sont les flux ? Quels sont les déplacements que nous voyons aujourd'hui ? D'abord, nous en voyons très peu en direction de l'Europe, puisque, pardon de le redire, et même si je vous ai exprimé ma vigilance vis-à-vis des nouvelles autorités, cette chute du régime tortionnaire de Bachar al-Assad va permettre à des familles syriennes, à des enfants, des adolescents syriens qui n'ont jamais vu leur pays, d'y revenir. Et ce qu'on voit, c'est qu'effectivement, des réfugiés syriens en Turquie sont en train de rentrer en Syrie. Et on le voit aussi en provenance de la Jordanie. Et c'est plutôt un retour vers la Syrie que l'on va observer, et je le souhaite en tout cas, si nous parvenons à éviter que la situation ne se dégrade, et que la Syrie sombre dans l'instabilité, dans l'islamisme, ce qui a été son triste sort pendant de trop nombreuses années.

Q - Mais est-ce que vous déplorez ce qui s'est passé dans l'Union européenne ? C'est-à-dire ce premier réflexe d'essayer de découper les flux, comme s'il y avait...

Q - Et de soulager, en clair, genre les renvoyer ?

R - Non, je ne veux pas parler pour les autres pays européens. Ce que je veux dire, c'est que la mesure que l'OFPRA a prise est une mesure tout à fait habituelle lorsque vous avez des bouleversements politiques de cette ampleur.

Q - Jean-Noël Barrot, quelle est la relation, aujourd'hui, entre le président Macron et Ursula van der Leyen, la présidente de la Commission européenne ? Elle est allée en Amérique du Sud, il y a une dizaine de jours, pour signer la fin des négociations sur le traité du Mercosur. Est-ce que la communication entre ces deux dirigeants est restaurée ?

R - D'abord, sur le Mercosur, rien n'est signé.

Q - La fin des négociations ?

R - Rien n'est signé. Un accord a été trouvé entre des équipes de négociateurs. C'est maintenant que les choses commencent.

Q - Soyons vraiment clairs, elle est allée signer quoi, Ursula van der Leyen, quand elle est allée à Rio ?

R - Elle est allée acter l'accord entre les équipes de négociations sur une nouvelle version du Mercosur. Mais rien n'est signé, et c'est maintenant que les choses commencent. Nous avons pris connaissance de ce document, qui n'intègre toujours pas une clause qui est essentielle pour nous, ce qu'on appelle la clause de sauvegarde. Qu'est-ce que c'est que la clause de sauvegarde ? C'est un frein d'urgence. On en a parlé un peu, il y a quelques mois, au moment où certaines filières françaises étaient fragilisées par les importations de volailles notamment, en provenance d'Ukraine.

Q - Est-ce qu'elle ne se fiche pas de nous en clair ? En gros, elle ne profite pas de la pagaille institutionnelle, de la pagaille de l'exécutif ? Tout le monde dit "off", qu'elle se fiche éperdument de nous, et qu'elle nous a fait un bras d'honneur. Ce n'est pas pour être vulgaire dans cette émission, mais pour dire ce qui est la vérité. Est-ce que vous considérez que c'est rattrapable vraiment, à savoir ces quatre pays, 35% de la population, est-ce que c'est rattrapable sérieusement ?

R - Vous avez fait la réponse à votre propre question. Nous avons une exigence, c'est cette clause de sauvegarde. C'est une exigence qui est partagée par un certain nombre de grands pays européens, l'Italie, la Pologne, les Pays-Bas, la Lituanie, et c'est sur cette base-là que nous allons exprimer, avec force, notre réprobation à un accord qui n'intégrerait pas cette clause.

Q - Mais enfin, on pourrait prouver, ça ne devrait pas se passer.

R - Nous n'acceptons pas que, et c'est la France qui le dit, mais d'autres pays européens se sont joints à nous, nous n'acceptons pas que les agriculteurs soient la variable d'ajustement, tout convaincu que nous soyons de l'importance d'entretenir avec les pays du Mercosur les meilleures relations possibles.

Q - Toute dernière question ? Vous avez des nouvelles de cet écrivain franco-algérien, Boualem Sansal ? Vous avez des nouvelles de lui ? Vous savez où il est ? Vous savez où il est détenu ?

R - J'ai appris avec consternation le rejet par la Cour d'appel d'Alger de sa demande de mise en liberté, je suis très préoccupé par son emprisonnement. Je rappelle que Boualem Sansal a 80 ans...

Q - Et vous savez où il est retenu ?

R - Les services de l'Etat, sur place, sont pleinement mobilisés pour suivre sa situation et pour lui offrir la protection consulaire à laquelle il a droit en vertu de sa nationalité française.

Q - Et vous avez des discussions avec les autorités algériennes ou pas sur ce sujet ?

R - Nous utilisons tous les canaux à notre disposition pour faire passer ces messages.

Q - Merci Jean-Noël Barrot, l'émission continue bien sûr, vous restez aves nous. Il est grand temps d'accueillir notre second invité dans Question Politique.

(...)

Q - Mais est-ce que l'Europe - Jean-Noël Barrot, je me tourne vers vous, puisque vous êtes le ministre, un peu démissionnaire, mais des affaires européennes -, est-ce que l'Europe, finalement, enlève effectivement du pouvoir, de l'espace de jeu, pour les politiques d'aujourd'hui ?

R - Je pense que le Président de la République n'a pas perdu de pouvoir en soi, mais qu'il faut être lucide sur le fait que la France, l'Europe, et en réalité l'Occident, sur la scène internationale, à l'échelle planétaire, ont perdu du poids. On a été, si je puis dire, rattrapés par un certain nombre de grandes puissances émergentes. Et je crois qu'il faut être totalement lucide là-dessus. Et si nous défendons l'Europe, c'est précisément parce que, évidemment, à condition de pouvoir impulser, infuser, faire infuser en Europe les idées françaises, ça nous permet de conserver des marges de manoeuvre. Et si aujourd'hui, pardon de cette petite parenthèse internationale, si aujourd'hui la France défend ardemment une réforme du Conseil de sécurité de l'ONU pour permettre à des pays africains notamment d'y être représentés, c'est précisément parce que nous avons la conviction que si nous ne voulons pas perdre toute influence, il nous faut nous assurer que cet ordre international, au sein duquel la France a joué un rôle essentiel, conserve une forme de crédibilité.

(...)

Q - Une dernière question. C'est une dépêche qui vient de tomber. Jean-Noël Barrot, qui concerne l'Algérie. On en parlait tout à l'heure. On en parlait tout à l'heure, le ministère algérien des Affaires étrangères, donc, j'imagine que vous le connaissez bien. C'est votre homologue qui vient de convoquer l'ambassadeur de France, Stéphane Romatet, que vous devez connaître, évidemment, au sujet de la participation à des services de renseignement français, à des projets visant à déstabiliser l'Algérie. Qu'est-ce que vous répondez aux autorités ?

R - Que ce sont des accusations infondées et fantaisistes, que j'ai évidemment eu notre ambassadeur au téléphone pour lui assurer de notre soutien...

Q - Donc, vous étiez au courant ?

R - ..., et que s'agissant de notre relation avec l'Algérie, nous avons dit, nous avons même écrit en 2022, le président Tebboune, le Président Macron, une feuille de route qui projette la relation entre nos deux pays sur l'avenir...

Q - Et qu'ils ne tiennent pas.

R - ... et nous souhaitons que cette relation - c'est l'intérêt de la France et de l'Algérie - puisse se poursuivre.

Q - Mais vous confirmez cette convocation ? Vous en étiez informé ?

R - Je la confirme. Absolument.

Q - D'accord. Et vous la contestez ?

R - Je la regrette.

Q - Vous la regrettez. Merci (...) à Jean-Noël Barrot, sans oublier toute l'équipe de Question politique. Je vous souhaite, bien sur une très belle fin de week-end et je vous dis : à la semaine prochaine.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 décembre 2024