Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du premier ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à RTL le 24 décembre 2024, sur la composition du Gouvernement, le procès de Mazan et l'éducation sexuelle à l'école.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Olivier Boy - Journaliste

Média : RTL

Texte intégral

OLIVIER BOY
Et avec nous en studio, Aurore BERGÉ. Bonjour madame.

AURORE BERGÉ
Bonjour.

OLIVIER BOY
Vous avez été nommée ministre hier ; ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, chargée de la Lutte également contre les discriminations. Vous étiez en studio avec nous, vous avez entendu François LENGLET. Le tableau qu'il a dessiné sur les marges de manœuvre du ministre sur le budget sont inquiétantes. Est-ce que vous partagez le constat qui vient d'être fait et comment vous pouvez rassurer les Français ?

AURORE BERGÉ
J'essaie d'être un peu plus optimiste que François LENGLET, sinon je n'aurais pas accepté de revenir au Gouvernement. Après, je suis réaliste aussi ; réaliste par rapport au Parlement qu'on a. Le Parlement n'a pas changé cette nuit. La question c'est, est-ce qu'on va tous accepter d'être un peu plus raisonnable ? Parce que de toute façon, on n'a pas d'autre choix vis-à-vis des Français. Les Français s'inquiètent, ils s'inquiètent sur la question de la hausse d'impôts, ils s'inquiètent sur la dépense publique. Ils s'inquiètent pour savoir en fait qui va à la fin payer les déficits et la dette. Et donc ça veut dire qu'on ne peut pas, demain, faire un budget dont la seule ligne, ce serait des taxes et des impôts supplémentaires et des dépenses supplémentaires. Et donc oui, il va falloir tenir cette ligne-là qui est exigeante et difficile.

OLIVIER BOY
Il y a une question qu'on se pose depuis hier soir, depuis l'annonce du casting gouvernemental. Est-ce qu'il est vraiment plus solide que le précédent, que celui de Michel BARNIER ? Je relis juste la phrase de François BAYROU hier chez nos confrères de BFMTV : "Je suis persuadé que l'action que j'ai définie devant vous et l'équipe gouvernementale feront que nous ne serons pas censurés." Franchement, qu'est-ce qui peut lui faire dire cela ce matin ? On ne voit aucun signal positif de la part, en tout cas, de vos oppositions.

AURORE BERGÉ
Vous savez, je pense que ce n'était pas une évidence pour aucun d'entre nous d'accepter d'être membre du Gouvernement, ni pour François BAYROU lui-même, en vérité, parce que c'est extrêmement difficile. On est dans un contexte budgétaire, économique, politique, où tout le monde nous dit que c'est impossible. Donc il faut être peut-être fou pour accepter, ou il faut peut-être avoir conscience qu'à un moment, c'est notre responsabilité d'essayer. Parce que si on joue à la roulette russe en permanence, si on se dit que tous les mois, tous les trois mois, on a un Gouvernement qui est censuré, à la fin, il se passe quoi pour le pays ? Il se passe quoi pour nos agriculteurs qui attendent tout simplement qu'il y ait une loi d'orientation agricole ? Il se passe quoi pour les Français ? Il se passe quoi pour nos services publics ? Il se passe quoi sur les sujets, moi, que je porte, où on attend depuis longtemps que des réformes puissent être portées ? J'avais commencé à les engager, c'est pour ça que j'ai accepté de revenir aussi. Le fait que le consentement soit intégré, par exemple, dans la définition du viol, ce n'est pas des petits sujets.

OLIVIER BOY
Quelques réactions, justement, des partis qui vont être chargés demain de répondre à la question de vous censurer ou pas. Laurent WAUQUIEZ, le patron du groupe de la Droite républicaine, qui ne s'interdit pas de retirer son soutien. Olivier FAURE, qui dit que ça n'est pas un Gouvernement, c'est une provocation. La coalition de l'échec, ça c'est Jordan BARDELLA du Rassemblement National. Et on a même eu tout à l'heure Arthur DELAPORTE du PS, qui a eu cette expression – vous allez nous dire ce que vous en pensez – "Manuel VALLS, le roi de la loose, de retour au Gouvernement." Quand on entend tous ces mots, encore une fois, on ne voit pas votre chemin qui vous fait face.

AURORE BERGÉ
Quand on entend tous ces mots, encore une fois, on peut se dire qu'on a été fou d'accepter, ou alors on peut se dire que c'est peut-être légèrement excessif de leur part. Et derrière, ça génère quoi ? En fait, ils proposent quoi ? Ils promettent quoi aux Français ? Ils disent quoi, à un moment, sur la stabilité politique, institutionnelle, économique, dont on a besoin dans notre pays ? Je crois que les Français attendent de l'apaisement. Ils n'étaient pas hyper impatients de savoir qui occuperait quelle place. Je pense que ce n'est pas leur préoccupation première, surtout un 23, un 24 décembre. Ils veulent juste qu'on bosse, qu'on soit au rendez-vous, qu'on ait des résultats, encore une fois, sur les services publics, sur l'école, sur la lutte contre les violences, sur le rétablissement de l'autorité. C'est ça qu'ils attendent.

OLIVIER BOY
Les oppositions sont irresponsables ? C'est ce que vous nous dites ce matin ?

AURORE BERGÉ
Ce que je dis, c'est que ne même pas attendre qu'un Premier ministre puisse s'exprimer devant le Parlement pour dire "voilà le projet que je présente, voilà la feuille de route qui est celle qui sera donnée à mes ministres." Pour, par principe, dire que de toute façon nous serons censurés, voire même que nous sommes donc évidemment des incapables, oui, je pense que c'est excessif. Je pense que c'est surtout profondément inutile. Évidemment qu'on aura besoin de faire des compromis. Et donc si on veut faire des compromis, ça veut dire qu'il faut qu'on ait des gens un peu raisonnables des deux côtés. Sinon, en effet, on sera collectivement voués à l'échec. Et à la fin, je pense, les Français ne feront pas trop la différence pour savoir qui est responsable de l'échec. On sera tous pris dans la nasse. Que ce soit la majorité actuelle, le socle commun que nous avons aujourd'hui, ou que ce soient les oppositions.

OLIVIER BOY
L'autre chose dont on parle beaucoup depuis hier, c'est d'un absent, en l'occurrence, du Gouvernement ; Xavier BERTRAND, qui a fait lui-même un communiqué de presse pour dire qu'il ne rentrait pas parce que son nom avait été barré par le Rassemblement National. François BAYROU a contesté cette accusation. Mais est-ce que vous êtes un Gouvernement sous l'influence du RN ? Puisqu'on a quand même entendu, ces derniers jours, le RN qui ne voulait pas précisément de Xavier BERTRAND au Gouvernement. Et la décision, finalement, est allée dans leur sens.

AURORE BERGÉ
Déjà, moi, je regrette sincèrement que Xavier BERTRAND ne soit pas au Gouvernement parce que c'est quelqu'un pour lequel j'ai beaucoup d'estime et qui, je crois, a été un grand ministre et qui est, aujourd'hui, un président…

OLIVIER BOY
Vous le regrettez donc que François BAYROU ait cédé au Rassemblement National ?

AURORE BERGÉ
Non, je crois que le Premier ministre a dit très clairement qu'il n'avait cédé à aucune pression de qui que ce soit. À un moment, il fait des choix. Gérald DARMANIN, aujourd'hui ministre de la Justice, garde des Sceaux. Donc, il y a des choix qui sont faits. Vous savez, un Gouvernement… J'ai vécu plusieurs remaniements, heureux ou moins heureux. À un moment, jusqu'au bout, les choses peuvent bouger, évoluer, changer ; c'est la vie politique. La question, c'est pourquoi faire ? On n'est pas sous la surveillance, encore une fois, du Rassemblement National. On est sur la surveillance des Français, de l'ensemble des Français et de l'ensemble des forces politiques. Parce qu'on sait qu'on peut être, évidemment, demain, censurés. Mais, encore une fois, ça veut dire quoi une censure où on a et l'extrême droite et toute la gauche qui se mettent d'accord ensemble ? Ils ne vont pas gouverner ensemble demain ou alors, je n'ai pas bien compris quels étaient leurs projets. Donc, le sujet, c'est : est-ce qu'il y a un projet alternatif, plus solide, plus stable, avec une majorité plus large à l'Assemblée nationale ? Non, mais ça veut dire que, nous, on va devoir travailler pour convaincre, tout simplement.

OLIVIER BOY
Vous répondez non à cette question. Donc, ça veut dire que, là, pour le coup, c'est un fait. Vous êtes sous la menace du Rassemblement National. C'est eux qui vont décider. Comme ça s'est passé avec Michel BARNIER, s'ils votent l'Assemblée, c'est terminé.

AURORE BERGÉ
Attendez : le Rassemblement National seul, ça ne suffit pas. Comme la gauche toute seule, ça ne suffit pas. Donc, ça veut dire qu'il faut…

OLIVIER BOY
Rassemblement plus NFP, ça suffit…

AURORE BERGÉ
Ça suffit mais ça fait beaucoup de monde, en effet. Mais c'est l'alliance de tous les contraires, quand même. Est-ce que les électeurs qui ont voté pour le Rassemblement National sont heureux de les avoir alliés à la gauche ? Est-ce que les électeurs qui ont voté pour le Parti socialiste veulent les avoir alliés à l'extrême droite ? Et est-ce qu'ils n'en ont pas ras-le-bol de les voir alliés et soumis à La France insoumise ? Parce qu'à la fin, c'est aussi ça qui se joue. Moi, j'espère qu'enfin, le Parti socialiste non pas nous soutiendra – parce que j'entends qu'on a des différences, évidemment, voire des divergences – mais se dira qu'à un moment, ils valent mieux, ils valent mieux que La France insoumise et que cette soumission systématique.

OLIVIER BOY
Mais – une dernière question là-dessus – c'était la responsabilité de François BAYROU d'élargir le socle. Et là, il a une réponse pour la gauche, en l'occurrence, avec un Gouvernement dont on parle avec le couple et le binôme Bruno RETAILLEAU - Gérald DARMANIN à l'Intérieur et à la Justice, donc avec deux hommes qui ont une volonté d'avoir une politique très ferme et, j'allais dire, très de droite sur ces questions-là. Et on entend que le RN a une influence déterminante. Comment vous voulez convaincre la gauche d'être bienveillante à votre encontre avec cela ?

AURORE BERGÉ
Ce n'est pas parce que le Rassemblement National revendique avoir une influence qu'ils en ont une. Moi, après, je suis lucide. On a un bloc, aujourd'hui, d'extrême droite, de Marine Le PEN et de ses amis, qui fait 140 députés. Donc, moi, je ne suis pas là pour mépriser des parlementaires qui représentent des Français. Moi, quand j'étais ministre, et je le redeviens, j'ai en fait toujours travaillé avec les parlementaires qui avaient été choisis par les Français. Je n'ai pas voté pour l'extrême droite comme je n'ai pas voté pour La France insoumise.

OLIVIER BOY
Est-ce que c'est un Gouvernement qui penche à droite ?

AURORE BERGÉ
C'est un Gouvernement qui a travaillé avec ceux qui avaient envie de travailler avec le Premier ministre, encore une fois. Donc, à la fin – vous me parlez de Bruno RETAILLEAU et Gérald DARMANIN – est-ce qu'il y a une attente d'ordre et d'autorité dans le pays ou une attente de laxisme ? Je crois qu'on a la réponse de manière assez évidente à cette question-là. Moi, je sais, encore une fois, que sur mes sujets, dans ces cas-là, on va dire quoi ? La lutte contre les violences sexuelles, c'est par principe quelque chose de gauche. Non, c'est de l'intérêt national. Enfin, c'est une nécessité. Regardez, on sort quand même d'un procès historique, historique, avec, justement, le délibéré sur le procès MAZAN, le courage, la dignité de Gisèle PELICOT. Ça redevient un ministère ; c'était un secrétaire d'État… Ça redevient un ministère. C'était une volonté très forte du Président de la République.

OLIVIER BOY
Justement, qu'est-ce que vous avez comme projet par rapport à ce procès ? Qu'est-ce qu'il vous a appris ? Qu'est-ce qu'il faut traduire dans la loi ou dans l'évolution du code pénal éventuellement ?

AURORE BERGÉ
Je crois que c'est ce que ça a appris à l'ensemble des Français et bien au-delà, d'ailleurs, c'est que les violences sexuelles se nichent au cœur de notre intimité. Et c'est ça qui est le plus violent à appréhender. C'est que celui qui viole, celui qui agresse, ce n'est pas la mauvaise rencontre en fin de soirée dans un parking. Ça peut être ça, mais c'est malheureusement extrêmement minoritaire. C'est d'abord dans nos familles que ça se joue. C'est la question de la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. C'est la lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes. Et donc, c'est ça qu'on doit réussir à porter. C'est démontrer ce que veut dire le consentement et donc, l'expression de ce consentement. C'est pour ça qu'il faut changer notre code pénal et intégrer la question du consentement dans la définition du viol. C'est pour ça qu'il faut revoir les règles de prescription. Moi, j'avais déposé une proposition de loi qui devait être étudiée en janvier. Je pense qu'elle le sera. Et donc, j'imagine qu'évidemment, nous la soutiendrons puisqu'encore une fois, c'est une nécessité absolue que de revoir nos règles.

OLIVIER BOY
Vous êtes également ministre déléguée à la Lutte contre les discriminations. J'avais envie de vous parler de cette phrase de Donald TRUMP hier. Je vous la cite. Il veut mettre la fin au délire transgenre. Ce sont des questions qui agitent également dans notre pays. Par exemple, sur cette question-là, sur la question de l'éducation des enfants, l'éducation sexuelle, mais également sur ces questions-là, vous êtes favorable à ce que ce soit abordé à l'école, à partir de quel niveau scolaire ?

AURORE BERGÉ
Alors, moi, j'ai toujours dit… parce que vous savez qu'il y a eu des polémiques avec le précédent Gouvernement, qu'on avait une nécessité absolue d'avoir une éducation à la vie affective et à la sexualité dès le plus jeune âge. Après, évidemment, en fonction de la maturité des enfants – je suis moi-même mère de famille – on n'aborde pas les mêmes choses à la maternelle et au lycée, pour des raisons évidentes. Par contre, dès la maternelle, on peut expliquer à nos tout-petits enfants que personne n'a le droit de toucher leur corps, que personne n'a le droit de leur faire du mal. Ce que veut dire "dire oui", ce que veut dire "dire non". Ça, c'est une nécessité absolue quand on parle du consentement. Ça veut dire apprendre le respect, ça veut dire apprendre l'égalité, l'égalité entre les filles et les garçons, le respect vis-à-vis de toutes les familles qui existent dans notre pays, tout simplement, qu'elles soient hétérosexuelles, qu'elles soient homoparentales. Et ça, c'est une nécessité, encore une fois…

OLIVIER BOY
Ce n'est pas encore le cas à l'école. Est-ce que vous dites que ça se traduise par un programme clair obligatoire ?

AURORE BERGÉ
Il est temps que ce soit le cas. Pour tout vous dire, j'en ai parlé dès hier soir avec Élisabeth BORNE, puisqu'on va le porter ensemble, conjointement, Éducation nationale et Égalité femmes-hommes, et ce sera évidemment une priorité.

OLIVIER BOY
Merci beaucoup Aurore BERGE d'avoir été avec nous, ce matin, sur RTL.

AURORE BERGÉ
Merci à vous.

OLIVIER BOY
Je rappelle que vous êtes entrée au Gouvernement, vous êtes de retour en l'occurrence, vous, au poste que vous aviez occupé sous le Gouvernement Gabriel ATTAL, pour l'Égalité femmes-hommes et la Lutte contre les discriminations.

AURORE BERGÉ
Exactement.

OLIVIER BOY
Bonne journée à vous. À bientôt sur RTL.

AURORE BERGÉ
À bientôt. Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 31 décembre 2024