Texte intégral
AMANDINE BEGOT
Et tout de suite, l'invité de RTL matin. Thomas, vous recevez aujourd'hui le ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU.
THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Bruno RETAILLEAU.
BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Thomas SOTTO et bonne année à tous vos auditeurs et à l'équipe de RTL bien sûr aussi.
THOMAS SOTTO
Il y a dix ans, le 7 janvier 2015, la France découvrait dans le sang, l'effroi et les larmes, sa grande vulnérabilité face au terrorisme. C'était Charlie Hebdo, suivi de l'assassinat de la policière municipale Clarissa JEAN-PHILIPPE, puis du carnage de l'HYPER CACHER. Dix ans plus tard, est-ce que vous diriez, vous, Bruno RETAILLEAU, " je suis Charlie " ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, bien sûr. La liberté d'expression, l'esprit libre, critique français, c'est notre identité qui nous appartient, bien sûr. Rien n'a changé et les mêmes causes qui ont provoqué un sursaut français contre le terrorisme sont toujours là, je l'espère.
THOMAS SOTTO
Le sursaut français, il est parfois un peu loin quand on regarde l'explosion de l'antisémitisme. Des étoiles de David, des inscriptions juifs ont été taguées tout près de l'HYPER CACHER ces derniers jours, ainsi que sur la synagogue de Rouen qui a été prise pour cible. Que savez-vous de ces affaires-là ce matin ?
BRUNO RETAILLEAU
Peu de choses pour l'instant puisqu'elles sont très récentes, elles datent d'il y a quelques heures. Mais déjà, je peux vous dire que les forces de l'ordre sont sur quelques pistes. Et j'espère que la Justice se montrera intraitable. Simplement, ce que je veux vous dire ici sur RTL, c'est que nos compatriotes juifs représentent moins de 1% de la population. Et pour autant, les agressions anti-religieuses qui les concernent, c'est 57%. Vous vous rendez compte ? Moins de 1% d'un côté, 57% de l'autre.
THOMAS SOTTO
La France est-elle en train de devenir un pays antisémite ?
BRUNO RETAILLEAU
Je ne le crois pas dans ses traits fonds, mais je pense que l'antisémitisme a muté. Il y avait, il y a eu, il y a toujours mais de façon résiduelle, un antisémitisme d'extrême droite. Aujourd'hui, l'antisémitisme, il a deux visages : l'islamisme, l'islam politique, mais aussi le visage de celles et de ceux qui, pour des raisons électoralistes, utilisent la cause, le drame palestinien à des fins électorales pour draguer le vote musulman. C'est l'extrême gauche, ce sont les Insoumis ; très clairement, je le dis.
THOMAS SOTTO
Vous avez envoyé une note, un télégramme au préfet, au patron de la police et de la gendarmerie, pour demander un renforcement de la sécurité autour des grands rassemblements. Pour qu'on comprenne bien, Bruno RETAILLEAU, on est dans la précaution en cette période de commémoration des dix ans des attentats ? Ou cette demande vient-elle en réponse à une nouvelle menace, à une menace précise ?
BRUNO RETAILLEAU
On est dans la prévention, mais ce qui s'est passé en Allemagne, ce qui s'est passé à la Nouvelle-Orléans, montre qu'on doit toujours maintenir un très haut niveau, précisément, de prudence. Et j'ai tenu à rappeler au préfet de la République, mais aussi aux gendarmes, aux policiers, les mesures de prévention qu'on doit prendre dès lors qu'il y a des manifestations, des événements festifs ou non.
THOMAS SOTTO
Vous êtes très inquiet ou pas ce matin ? Parce que je vous écoute, je vous lis, vous dites que la menace terroriste est à un plus haut historique en France aujourd'hui. Ça veut dire que c'est pire qu'il y a dix ans ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, je vais vous dire. L'an dernier, on a déjoué, nos services ont déjoué neuf attentats. C'est plus que depuis 2017. Ça veut dire que nos services… Et la France est réarmée considérablement. Mais ça veut dire que la menace, elle est toujours là. Et il faut non seulement y faire face, mais aussi voir le terreau de cette menace, qui est l'islamisme. Je veux m'attaquer à ce que je considère comme un véritable danger pour les institutions, pour la cohésion nationale.
THOMAS SOTTO
Ce que vous appelez l'islam politique ?
BRUNO RETAILLEAU
L'islam politique… Cette matrice-là est portée aujourd'hui en France par les Frères musulmans. Dans cette grande mouvance djihadisme…
THOMAS SOTTO
C'est combien de personnes en France les frères musulmans ?
BRUNO RETAILLEAU
En réalité, dans ce mouvement, il est très pyramidal et il y a une petite confrérie de 400 à 1 000 individus. Mais ces 400 à 1 000 individus ont des leviers parce qu'ils pratiquent l'entrisme dans tous les domaines : cultuel, pour, comment dirais-je, contrôler des mosquées… culturel, sportif, associatif, social. C'est une stratégie qui n'est pas violente, avec un double discours. Le discours de respectabilité, un discours très, très lisse. Mais cet entrisme qui vise non pas à séparer la communauté des croyants du reste de la société civile, mais qui vise à terme à faire basculer nos institutions.
THOMAS SOTTO
Comment vous allez lutter contre ça ?
BRUNO RETAILLEAU
Je pense qu'il ne faut rien laisser passer. Lorsque je tape les influenceurs algériens, ça fait partie de l'outillage. Ça fait partie de la riposte.
THOMAS SOTTO
Il y en a trois qui ont été interpellés ces derniers jours pour apologie du terrorisme en quelque sorte.
BRUNO RETAILLEAU
Et il y en a trois autres qui m'ont été signalés par la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes récemment. Il y a, sur la plateforme Pharos, plusieurs centaines, plus de 300 signalements qui ont été faits ces derniers jours.
THOMAS SOTTO
Ça veut dire que pour vous, ces influenceurs, c'est de l'entrisme aussi ? C'est coordonné, c'est organisé ? Ce sont trois individus chacun dans leur camp ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, je ne pense pas que ce soit coordonné. Quand je vous disais que la menace est toujours présente, qu'elle a muté, c'est que jadis elle venait de l'extérieur. Elle peut toujours venir de l'extérieur, une menace exogène, mais elle est d'abord endogène. C'est la radicalisation d'individus de plus en plus jeunes qui se radicalisent sur les réseaux sociaux. Ce que je veux dire dans la riposte, c'est qu'il me semble que notamment vis-à-vis des frères musulmans qui ont une stratégie d'entrisme et de petits pas, il faut opposer la résilience de la République. Exemple, je pense qu'il faut étendre à de nouveaux champs de l'espace public le principe de neutralité. Par exemple, le sport. Vous vous souvenez des Hijabeuses qui ont opposé la Fédération Française de Foot, qui a gagné devant le Conseil d'État. J'avais fait voter, moi, au Sénat un texte qui n'a pas été repris par l'Assemblée nationale pour condamner justement le voilement lors des compétitions sportives, pour préserver le sport qu'on aime.
THOMAS SOTTO
C'est-à-dire qu'aujourd'hui vous voulez moins de voile, vous ne voulez plus... Vous avez une interview dans Le Parisien ce matin, vous dites que vous posez la question du voile pour les accompagnatrices scolaires et aussi à l'université. Vous voulez les interdire, pour dire les choses clairement ?
BRUNO RETAILLEAU
Moi, je le pense d'abord sur les accompagnatrices scolaires. Pour moi, c'est l'école hors les murs. Or, la loi de 2004 concerne l'école dans les murs. Mais l'extension hors les murs, ce sont justement les sorties scolaires.
THOMAS SOTTO
Quand vous dites " moi, je le pense ", c'est vous, Bruno RETAILLEAU, ou c'est le ministre ? Vous parlez au nom du Gouvernement ou pas ?
BRUNO RETAILLEAU
C'est Bruno RETAILLEAU, je n'ai pas de schizophrénie. C'est Bruno RETAILLEAU et le ministre de l'Intérieur ; je le pense.
THOMAS SOTTO
Donc vous souhaitez une loi pour ça qui dise " on interdit le port du voile pour les accompagnatrices scolaires et on interdit le voile à l'université " ?
BRUNO RETAILLEAU
Je vois bien qu'il y a une difficulté sur ce genre de choses puisque j'avais fait voter au Sénat, ça n'a jamais été repris à l'Assemblée nationale. Et aujourd'hui, on n'a pas - vous le savez parfaitement - de majorité à l'Assemblée nationale. Mais moi, je pense qu'il faut lutter pied à pied, notamment sur tout ce qui constitue notre identité culturelle républicaine, la laïcité. Il faut être absolument intransigeant.
THOMAS SOTTO
Et donc pas de mère de famille accompagnatrice voilée ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, puisque pour moi, encore une fois, c'est l'école hors les murs. Et ça, pour moi, c'est un principe qui est un principe fondamental.
THOMAS SOTTO
Vous parliez du hijab ; quand on va chez DECATHLON ou chez INTERSPORT, on en trouve en vente, des hijabs Nike pour pouvoir faire du sport. C'est un problème ça aujourd'hui ou pas ?
BRUNO RETAILLEAU
Les compétitions… Attendez, il y a l'espace public, je ne prétends pas réduire et je le sais parfaitement qu'il y aura des freins constitutionnels. On est dans un pays qui aime la liberté, évidemment. Mais dans des espaces, j'ai parlé d'espaces publics, je les ai restreints, par exemple à l'école, aux compétitions sportives. Pourquoi ? Parce qu'il y a une charte de l'olympisme. Il y a une charte d'un certain nombre et il y a des règlements sportifs. Et je pense que pour moi le sport doit être sanctuarisé pour qu'on puisse écarter de ces lieux festifs qui portent des valeurs universelles. Là encore, tout ce qui concerne l'intrusion par exemple de la politique, du syndicalisme, mais aussi de la religion, préserver cet espace.
THOMAS SOTTO
Ce n'est pas inflammable de souffler sur ces braises-là aujourd'hui dans l'état de division de la société française ?
BRUNO RETAILLEAU
Ce qui est inflammable précisément, c'est de laisser libre cours à toutes celles et ceux qui veulent instrumentaliser une religion. Et je voudrais dire simplement, je voudrais dire vraiment du fond du coeur à nos compatriotes musulmans qui nous entendent, que notre combat de la République n'est pas le combat contre la religion, mais contre une idéologie qui défigure une religion, qui l'instrumentalise.
THOMAS SOTTO
Et juste pour qu'on comprenne bien, sur les accompagnatrices ; il y a des sorties scolaires qui seront organisées aujourd'hui, demain, après-demain. Vous dites à l'Éducation Nationale, oui, et aux collèges, aux lycées, aux écoles, à partir de maintenant, vous dites non. Comment ça va se passer ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, mais tant qu'il n'y a pas de loi, ils ne le peuvent pas. Je ne peux pas exiger de ces agents, des fonctionnaires, notamment de l'Éducation Nationale, des règles que le Parlement, que le législateur n'a pas inscrites, gravées dans le texte. Simplement, on va commémorer, j'y serai en fin de journée avec le Président de la République, le Premier Ministre. On va commémorer un drame. Eh bien, ce drame, c'est le terrorisme. Mais il y a un terreau du terrorisme. Et le terreau du terrorisme, aujourd'hui, c'est justement cet islamisme politique, cet islamisme conquérant. Un certain nombre… Hugo MICHERON, d'ailleurs, à force d'entretiens…
THOMAS SOTTO
Chercheur…
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, qui est un chercheur, avec des prisonniers, des terroristes, avait très bien dit que ceux-ci… s'était dit : " voilà, la violence, ça n'a pas marché, il faut qu'on opère différemment. " Mais l'objectif est le même, c'est d'imposer, en France, sur le territoire national, la charia, l'infériorisation des femmes par rapport aux hommes. C'est ce que signifie, d'ailleurs, le voile.
THOMAS SOTTO
Un de vos combats, aussi, c'est la lutte contre l'immigration. Est-ce que vous souhaitez un référendum sur l'immigration, vous ?
BRUNO RETAILLEAU
Oui.
THOMAS SOTTO
Donc il faut modifier la Constitution ? Et comment vous faites ?
BRUNO RETAILLEAU
Oui.
THOMAS SOTTO
Comment vous faites ?
BRUNO RETAILLEAU
On ne peut pas le modifier aujourd'hui, évidemment, puisque pour modifier la Constitution…
THOMAS SOTTO
C'est pour après 2027 ?
BRUNO RETAILLEAU
…il faut 3/5è. Il y a des conditions que donne l'article 89 de notre Constitution. Mais je pense qu'un jour ou un autre, on devra dire aux Français, " c'est à vous de dire ce que... "
THOMAS SOTTO
Ce serait quoi la question que vous poseriez sur l'immigration ?
BRUNO RETAILLEAU
Ce n'est pas une seule question. L'article 11 est clair, c'est un projet. Vous vous souvenez, d'ailleurs, en 2005, malheureusement.
THOMAS SOTTO
Le traité constitutionnel européen.
BRUNO RETAILLEAU
Exactement, le traité constitutionnel qui avait été inversé par un vote parlementaire, au passage, le traité de Lisbonne. J'avais été le seul parlementaire de droite à dire non, pour ne pas trahir la voix du peuple de France. Mais ce que je pense, pour ce qui concerne l'immigration, ce serait un texte, avec sans doute une quinzaine, une vingtaine de dispositions, pour qu'enfin, on puisse reprendre le contrôle de l'immigration. Qu'on puisse dire aux Français : " ça vous a tellement concerné. Il n'y a pas un phénomène qui a le plus bouleversé la société française depuis un demi-siècle, eh bien maintenant, on vous écoute. " Et, deuxième chose, le résultat du référendum s'imposerait notamment au Conseil constitutionnel. Le général De GAULLE l'avait dit : " En France, la seule cour suprême, c'est le peuple. "
THOMAS SOTTO
C'est presque un programme de candidat, ça, que vous nous faites là, Bruno RETAILLEAU, non ?
BRUNO RETAILLEAU
De candidat… Vous voulez dire ?
THOMAS SOTTO
Je ne sais pas ; pour la suite, pour la présidence ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, mais moi, j'habite le présent. Et je sais que le temps qui m'est donné est court. Et j'essaie d'agir, d'abord, de parler vrai, sincèrement. On peut être pour, on peut être contre mes convictions. Mais, en tout cas, je les ai, je les affirme ; parler vrai et agir vite.
THOMAS SOTTO
J'ai une dernière question, rapidement, en ce 7 janvier, dix ans après les massacres de Charlie Hebdo. Il y a un grand sujet de colère chez les victimes de terrorisme et leur reproche, c'est l'abandon, pour des raisons budgétaires, du mémorial du terrorisme. Les familles de victimes, et tous ceux qui sont investis, depuis 5 ans, dans ce projet, sont ulcérés, se sentent méprisés. Faut-il revenir sur cette décision, Bruno RETAILLEAU ?
BRUNO RETAILLEAU
En tout cas, moi, je voudrais m'adresser, d'abord, à toutes ces victimes, puisque j'en ai rencontré, il y a quelques semaines, lorsque nous avions été, avec Michel BARNIER, nous recueillir auprès du Bataclan. Vous avez encore des hommes et des femmes qui souffrent dans leur chair, dans leur esprit. Et vous avez des familles dont la perte d'un être cher est parfaitement irréparable.
THOMAS SOTTO
Et là, ils le vivent comme une blessure supplémentaire l'abandon du projet…
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr. Donc, je suis favorable ; simplement, je pense que, pour ce qui est de ma responsabilité, de la responsabilité des législateurs, de ceux qui gouvernent, je pense que le plus beau monument, c'est de faire en sorte qu'on puisse lutter contre tous les germes qui peuvent, demain, entraîner de nouveaux actes terroristes. C'est ça, je pense, qu'on nous demande aujourd'hui. Bien sûr, il y a des gestes qui sont mémoriels, mais je pense qu'on est, nous, dans l'action. Et il faut que, chaque minute, on l'utilise à ne rien céder, à ne rien laisser passer.
THOMAS SOTTO
Et ne pas faire d'économie, donc, sur ce mémorial du terrorisme auquel vous êtes favorable. Merci beaucoup, Bruno RETAILLEAU, d'être venu, ce matin, sur RTL.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 janvier 2025