Texte intégral
Q - Bonjour à tous, bienvenue dans ce premier Grand Jury de l'année. Je vous souhaite une excellente année 2025. Ce Grand Jury est en direct comme tous les dimanches sur RTL et sur Public Sénat. Bonjour Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour Olivier Bost.
Q - Vous êtes ministre de l'Europe et des affaires étrangères et également vice-président du Modem. Nous allons donc parler des défis du monde pour cette année 2025 et des défis du gouvernement Bayrou pour les semaines qui viennent pour ne pas tomber à la première censure. Jean-Noël Barrot, vous revenez de Syrie, dont on ne sait pas encore si elle plongera dans l'islamisme le plus radical. Va-t-on en finir cette année avec les guerres en Ukraine et au Proche-Orient ? Et puis les Etats-Unis, avec le retour de Donald Trump, seront-ils source de paix ou de désordre économique ? Bienvenue dans ce Grand Jury, Jean-Noël Barrot.
R - Merci beaucoup.
Q - À mes côtés pour vous interroger aujourd'hui, Perrine Tarneaud de Public Sénat, Carl Meeus du Figaro, et Pauline Buisson, qui nous rejoindra, de M6. Dans ce Grand Jury, Jean-Noël Barrot, nous aurons une séquence "Questions express", avec des réponses par oui ou par non. Nous aurons notre séquence "Ça se passe au Parlement", le lieu de tous les dangers pour le Gouvernement. Et puis il y aura un "Moment 2027" en fin d'émission car la question se pose déjà aujourd'hui : après le macronisme, il y aura quoi ?
Moins d'un mois après la chute et la fuite en Russie de Bachar al-Assad, vous revenez de Syrie, Jean-Noël Barrot, où vous étiez avec votre homologue allemande des affaires étrangères. Première visite de ce niveau diplomatique au nouveau pouvoir syrien. Vous avez rencontré son dirigeant, Ahmad al-Charaa. Que retenez-vous de cette rencontre ?
R - C'est la première visite en réalité d'un ministre des affaires étrangères depuis 15 ans. Parce que nous avons quitté Damas, quitté l'ambassade de France à Damas, il y a 13 ans, au moment où les conditions de sécurité se dégradaient, quand Bachar al-Assad et son régime ont réprimé dans le sang la révolution de 2001.
Q - Ça c'est pour le côté symbolique.
R - Et c'est il y a quelques semaines, effectivement, que grâce à l'extraordinaire mobilisation du peuple syrien, un nouvel espoir est né. Un espoir fragile, mais un espoir réel. Et comme nous l'avons fait depuis 13 ans, la France se tient aux côtés et du peuple syrien au moment de concrétiser cet espoir. Et c'est la raison pour laquelle, il y a quelques semaines, j'ai envoyé une première mission à Damas pour reprendre possession de nos emprises diplomatiques. Et c'est pourquoi je me suis rendu avec ma collègue allemande, Annalena Baerbock, hier, à Damas, pour rencontrer les représentants de la société civile, les communautés, en particulier les communautés chrétiennes que nous soutenons depuis si longtemps, et puis les autorités de transition.
Q - Et parlez-nous de ce nouveau dirigeant islamiste radical, ça veut dire quoi ? Vous avez parlé avec qui ?
R - Nous parlons avec les autorités de transition pour leur passer des messages très clairs et très fermes sur nos attentes en matière de transition politique. Pour que la Syrie se redresse, il convient que toutes les communautés, toutes les composantes de la population, de la société syrienne soient représentées et prennent toute leur part. Et puis pour parler de nos intérêts français, de nos intérêts de sécurité, pour défendre les intérêts des français. Et en particulier, s'agissant de la Syrie, la lutte contre le terrorisme de Daech et la lutte contre la prolifération des armes chimiques. Voilà les messages que nous avons passés, en engageant l'autorité de transition à se montrer rassembleuse dans son approche du redressement politique de la Syrie et à prêter une attention toute particulière aux intérêts de sécurité des français et des européens.
Q - Une séquence a marqué les esprits. Le nouvel homme fort de la Syrie a refusé de serrer la main de votre homologue allemande. Vous avez donc échangé avec un homme qui a refusé de serrer la main d'une femme.
R - Est-ce que j'aurais préféré qu'Ahmad al-Charaa serre la main de ma collègue allemande ? La réponse est oui. Est-ce que c'était là l'objet de ce déplacement ? La réponse est non. Et je veux rappeler qu'il y a en Syrie, aujourd'hui, des dizaines de milliers de combattants terroristes de Daech qui sont détenus dans des prisons dans le nord-est du pays. Je veux rappeler que suite à l'action du régime de Bachar al-Assad, il y a partout en Syrie des armes chimiques qui ont été conçues par ce régime, retournées par ce régime contre son peuple, qui sont disséminées et qui pourraient tomber entre de mauvaises mains. Si je ne me rends pas en Syrie, qui protégera les Français contre ces menaces, contre leur sécurité ?
Q - Vous parlez d'un espoir fragile. Pourquoi fragile ?
R - Parce qu'on a connu, par le passé, en Libye, en Irak, des révolutions, des transitions qui se sont soldées par l'instabilité et par l'islamisme. Et c'est pourquoi nous sommes très attentifs, et nous le resterons dans les semaines qui viennent, pour que les premières déclarations des autorités de transition, qui sont plutôt encourageantes, se traduisent dans des faits, dans des actes, et nous les jugerons dans la durée.
Q - Est-ce que Ahmad al-Charaa, qui est donc le dirigeant actuel de la Syrie, le nouveau dirigeant, est un islamiste ou pas ?
R - Je suis lucide sur le passé d'Ahmad al-Charaa, des groupes qui ont conduit au renversement du régime tortionnaire de Bachar al-Assad. Je sais aussi que certains de ces groupes ont combattu Al-Qaïda, et que certains de ces groupes ont combattu Daech. Mais dans la Syrie nouvelle, qui est en train de se lever, il ne doit y avoir aucune place, aucune place pour le terrorisme islamiste. Nous l'avons combattu en Syrie depuis 10 ans. Nous avons encore, le 31 décembre frappé, bombardé une position de Daech en mobilisant les moyens militaires français. Nous serons intraitables.
Q - Est-ce que vous avez eu des réponses rassurantes du nouveau régime au pouvoir sur ces points ?
R - Bien sûr. Nous avons obtenu, à l'issue de cette discussion que nous avons menée à Damas, des assurances de l'autorité de transition qu'elle accueillerait prochainement une mission de l'Organisation d'interdiction des armes chimiques, pour procéder à la destruction des stocks d'armes chimiques - je le rappelle, le chlore, le gaz sarin - du régime de Bachar al-Assad.
Q - Donc on pourrait avoir un régime islamiste, mais pas terroriste. Ça c'est possible.
R - Nous voulons un avenir pour la Syrie qui permette à toutes les composantes de la société syrienne d'être représentées. C'est un gage de stabilité pour la Syrie, c'est donc l'intérêt de la Syrie. C'est l'intérêt de la région, puisque vous le savez, la Syrie était devenue un foyer d'instabilité majeur pour tout le Proche-Orient. Et c'est l'intérêt des Françaises et des Français, parce que nous avons subi les conséquences de cette instabilité, qui a provoqué l'une des plus grandes vagues migratoires vers l'Europe, qui a provoqué aussi l'essor du terrorisme, qui a été instrumentalisé par le régime de Bachar al-Assad. Si nous voulons prévenir l'ensemble de ces dangers et de ces menaces, nous avons besoin d'une Syrie souveraine, stable et apaisée.
Q - Vous dites que vous avez obtenu des gages. Est-ce que vous avez obtenu des gages sur l'organisation d'élections ? Est-ce que vous pouvez nous dire quand pourront être organisées des élections libres ? Est-ce que, vraiment, on peut faire confiance dans ce nouveau dirigeant ?
R - Nous avons obtenu des gages sur la représentativité dans le processus qui va conduire à terme à réécrire la Constitution et à procéder à des élections. Quels sont ces gages ? Nous avons beaucoup insisté dans notre échange avec lui sur la place des femmes, sur laquelle vous m'interrogiez tout à l'heure. Et il s'est engagé auprès de nous pour que le comité préparatoire au dialogue national qui va s'enclencher dans les semaines qui viennent, inclut en son sein des femmes. Ça n'était pas gagné à l'avance et c'est, je dirais, l'une des satisfactions que nous avons obtenues en nous rendant sur place.
Q - Aujourd'hui, la Syrie est toujours sous le coup de sanctions des Occidentaux. Est-ce que ces sanctions, selon vous, doivent être levées rapidement ou rester en vigueur ? Quelle est votre position ?
R - Il y a des sanctions qui n'ont pas vocation à être levées. Celles qui, en particulier, touchent au régime de Bachar al-Assad et à ses dirigeants. Il y en a d'autres qui pourraient être levées assez rapidement, et notamment celles qui entravent l'accès de l'aide humanitaire aux populations syriennes. Pour le reste, c'est une discussion que nous avons initiée avec nos partenaires européens et qui dépendra du rythme, par les autorités syriennes de transition, de la prise en compte de nos intérêts, et en particulier de nos intérêts de sécurité.
Q - Les monarchies arabes proposent d'aider la Syrie. Est-ce une chance ou un risque pour la stabilité du pays ?
R - L'avenir de la Syrie appartient aux Syriens. Et de ce point de vue-là, l'objectif de souveraineté affiché à la fois par l'autorité de transition, mais aussi par les représentants de la société civile et des communautés que nous avons rencontrées, est sain.
Q - Pour comprendre : c'est un pays dans quel état ? Il a besoin d'aide ?
R - C'est un pays qui a souffert dans sa chair des atrocités du régime de Bachar al-Assad. Et je l'ai vu de mes yeux, en me rendant dans la prison de Saidnaya , véritable camp d'extermination, véritable abattoir humain du régime de Bachar al-Assad. Il faudra que justice soit rendue. Mais c'est un pays qui a aussi besoin d'un redressement économique. Il faut se représenter que le PIB, la richesse produite par la Syrie, a été divisé par cinq en 10 ans. Il faut se représenter que 50% des infrastructures ont été détruites sous l'empire de Bachar al-Assad. Et donc, pour se relever, la Syrie aura évidemment besoin d'aide, mais il est essentiel qu'aucune puissance étrangère ne vienne, comme l'ont fait trop longtemps la Russie et l'Iran, sous prétexte de soutenir des autorités ou de soutenir la Syrie, piller ce pays pour l'affaiblir encore.
Q - Vous nous dites que le nouveau gouvernement, ce qu'il représente, ne représente pas a priori de menace. Vous dites donc aux réfugiés syriens, qui étaient venus depuis quelques années en France, "vous pouvez repartir" ? "Ça sera en toute sécurité chez vous" ?
R - Ce que j'ai dit de ce nouveau gouvernement, c'est que nous le jugerons sur les actes et dans la durée. Ce que nous souhaitons, c'est qu'effectivement, cette Syrie souveraine, stable et apaisée, permette aux Syriennes et aux Syriens qui ont fui par millions, 6 millions de Syriens ont fui le pays et fui la répression de Bachar al-Assad, qu'ils puissent s'ils le souhaitent rentrer dans leur pays.
Q - Il y a certains réfugiés aujourd'hui qui vous demandent de pouvoir aller visiter leur pays sans perdre leur titre de séjour en France. Qu'est-ce que vous leur dites ? Ils n'ont pas encore obtenu de réponse.
R - C'est une situation à laquelle nous réfléchissons. Il y a des dérogations qui sont possibles dans certaines circonstances. Elles ont été accordées dans certains cas. L'objectif, à plus long terme, évidemment, c'est qu'il soit tout à fait possible, pour un Syrien qui le souhaite, de rentrer en Syrie, quitte à renoncer à son statut de réfugié, puisque d'une certaine manière, il ne sera plus en danger...
Q - Mais pour l'instant, ils ne peuvent pas aller visiter leur pays et revenir en France pour poursuivre leur métier, alors qu'ils sont installés ici depuis de nombreuses années ?
R - Lorsque vous êtes réfugié, c'est-à-dire lorsque vous avez obtenu la protection internationale de la France, vous êtes réputé ne pas vous rendre dans votre pays d'origine. Sinon, cela signifie qu'au fond, vous n'y étiez pas en danger. Dans une situation aussi particulière que celle que nous vivons, où nous avons un changement très rapide, il est légitime que certains Syriens, qui ont le statut de réfugié, souhaitent rapidement retrouver leur famille, retrouver leurs biens, leur maison, sans pour autant, parce qu'ils n'ont pas encore toutes les assurances, renoncer définitivement à la protection. Je vous le disais, il y a des dérogations, nous les examinons pour pouvoir les accorder lorsqu'elles sont légitimes.
Q - Et où en est le gel de l'examen des nouvelles demandes d'asile ?
R - Là encore, c'est une décision de l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui attribue le statut de réfugié et qui, lorsqu'un grand bouleversement politique affecte un pays, suspend ses décisions le temps d'y voir plus clair. Donc il y a aujourd'hui 700 demandes d'asile syriennes qui sont à l'instruction par l'OFPRA et qui sont suspendues en attendant d'en savoir plus. Mais là encore, je veux le redire, nous avons en quelque sorte, avec les autorités de transition, eu un discours très ferme et très franc. C'est dans l'intérêt de l'autorité de transition de rassembler avec elle et à ses côtés toutes les composantes de la société syrienne, et notamment les Kurdes, qui ont si courageusement combattu le terrorisme de Daech ; et c'est dans l'intérêt des Européens d'avoir cette Syrie stable et apaisée pour que les Syriennes et les Syriens qui sont venus s'installer en Europe puissent, s'ils le souhaitent, rentrer dans leur pays.
Q - Les Kurdes, qui sont toujours menacés par la Turquie, un des alliés de ce nouveau gouvernement provisoire de la Syrie, est-ce que vous avez discuté de leur situation ? Est-ce que vous avez obtenu là aussi des garanties pour la protection des Kurdes en Syrie ?
R - Ce que nous souhaitons, c'est que les Kurdes, qui ont été pour nous des alliés majeurs dans la lutte contre le terrorisme que nous avons livré sans relâche contre Daech en Syrie, voient leur droit respecté dans la nouvelle Syrie qui est en train de se lever. Cela suppose effectivement un dialogue, tout d'abord entre les Kurdes et l'autorité de transition. C'est acté, puisque depuis quelques jours, les chefs Kurdes sont en dialogue avec l'autorité de transition, et c'est une étape importante que nous avons facilitée. Pour la suite, nous serons très attentifs à ce que les intérêts, les droits des Kurdes à participer pleinement dans cette transition soient respectés, parce que ce sont des alliés pour nous et parce qu'aujourd'hui, ce sont les Kurdes qui protègent, qui défendent, si je puis dire, les prisons dans lesquelles se trouvent des dizaines de milliers de combattants terroristes.
Q - Vous avez évoqué justement le risque terroriste. En Syrie et en Irak, l'Etat islamique n'a pas disparu. Je crois qu'on peut dire ça. La France a frappé des positions d'ailleurs de Daech cette semaine en Syrie. Quelles sont exactement les forces de Daech aujourd'hui ?
R - Les forces de Daech ont jusqu'à présent été repoussées par la combinaison du courage des Kurdes dans le nord-est de la Syrie et l'action de la France et des Etats-Unis qui, par des moyens militaires, ont repoussé ou...
Q - Est-ce que vous redoutez une résurgence, un retour de Califat, par exemple ? Quelque chose qui serait organisé ?
R - Bien sûr ! Si je me suis rendu en Syrie, c'est précisément parce que ce risque existe. Nous avons une Syrie qui était opprimée, qui était sous la coupe d'un régime tortionnaire et barbare. Nous avons, depuis quelques semaines, une transition politique qui crée évidemment une période d'instabilité et qui fait ressurgir le risque d'une réapparition de Daech. C'est pourquoi nous avons frappé le 31 décembre, et c'est pourquoi je me suis rendu sur place pour réaffirmer la priorité absolue que nous attribuons à cette question-là.
Q - Est-ce que nous sommes en train de revenir à une situation dix ans en arrière ? Dix ans, c'était les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. Est-ce que vous craignez un retour des attentats en France ?
R - D'abord, puisque vous citez Charlie Hebdo, je veux avoir un mot empreint d'émotion, dix ans après ce tragique attentat qui continue d'émouvoir les Français, dix ans après. Parce que cet attentat, au-delà de sa barbarie, a touché à ce que nous avons de plus précieux : la liberté d'opinion, la liberté d'expression et l'héritage des Lumières. Et je veux d'ailleurs dire qu'en hommage à la mémoire de ceux qui ont été assassinés ce matin-là, nous accueillerons cette semaine au Quai d'Orsay, Jul, un dessinateur de Charlie, pour croquer les ambassadrices et les ambassadeurs qui sont réunis toute la semaine, comme une forme d'hommage. Et je veux dire que dix ans après, nous continuons...
Q - L'esprit "Je suis Charlie" est encore très fort, vous avez l'impression, en France ? Quand on regarde par exemple les enquêtes, on voit que notre jeunesse est beaucoup moins attachée aux valeurs de liberté d'expression, de laïcité...
R - Je crois que la société française dans son ensemble a été traumatisée par cet attentat et qu'elle est encore très émue. Et c'est pourquoi tant de manifestations vont apparaître cette semaine, en mémoire de ceux qui sont tombés ce jour-là et en reconnaissance de ce que représente Charlie. Quant à nous, nous continuons à lutter inlassablement contre le terrorisme de Daech. Vous l'avez dit, je l'ai dit tout à l'heure, nous avons frappé le 31 décembre dernier, nous avons bombardé des positions de Daech en Syrie. Je me suis rendu sur place avec comme priorité de réaffirmer que nous serons absolument intransigeants, s'agissant de la lutte contre Daech, et nous ne relâcherons pas nos efforts.
Q - On va parler à présent de la situation d'Israël. En 14 mois, Israël a mené une guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza, contre le Hezbollah au Liban, contre la puissance militaire de la Syrie, et puis surtout une guerre contre l'influence générale de l'Iran dans la région. Dites-vous qu'Israël est en train de gagner toutes ces guerres déclenchées en réponse au massacre du 7 octobre ?
R - Ce que je veux dire, c'est que la position de la France est constante à ce sujet. Israël a le droit de se défendre et dans le respect du droit international. Et c'est pourquoi nous avons systématiquement condamné toutes les violations par Israël du droit international. Les privations d'accès à l'aide humanitaire, le ciblage des civils, le ciblage des casques bleus de la FINUL.
Q - Ce qui veut dire que ce que vous retenez de ces un an et quelques mois de guerre menée par Israël... Ce sont ces écarts.
R - Non, ce que je retiens, c'est évidemment le cessez-le-feu au Liban, qui a fait la démonstration que dans cette région, le dialogue et la négociation peuvent primer sur la force.
Q - Ce n'est pas (inaudible) encore, visiblement...
R - Oui, mais pardonnez-moi. Ce cessez-le-feu que la France a porté, que la France en réalité a initié, est le premier moment depuis le 7 octobre, depuis le pogrom du 7 octobre, où les armes se taisent. Et cela montre que la stabilité de la région ne passera pas par la force et la brutalité, mais par le dialogue et la diplomatie.
Q - Où en sont les négociations pour la libération des otages détenus par le Hamas à Gaza, parmi lesquels il y a des Français ? Est-ce que vous avez de leurs nouvelles ?
R - Je vous remercie de rappeler le sort de nos deux compatriotes, Ofer Calderon et Ohad Yahalomi, qui sont détenus depuis plus d'un an maintenant dans l'enfer des tunnels de Gaza. Nous appelons au cessez-le-feu immédiat à Gaza, à la libération inconditionnelle de tous les otages, à l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire. C'est la position constante de la France que nous réitérons à tous les niveaux aux autorités israéliennes. Sur ce sujet, nous avons des espoirs, ils sont minces, qu'un accord puisse être trouvé entre Israël et le Hamas, pour qu'une telle libération puisse avoir lieu. Nous continuons à exercer les pressions nécessaires pour que cela puisse advenir. Malheureusement, ça ne dépend pas que de nous.
Q - Israël avance aussi ses troupes en Syrie, sur le plateau du Golan. Est-ce que vous dénoncez, vous, cette occupation illégale au-delà de la zone tampon démilitarisée qui a été fixée en 1974 ? Et selon vous, quelles sont aussi les intentions d'Israël ?
R - Face au bouleversement en Syrie, nous comprenons qu'Israël s'inquiète de ses intérêts de sécurité. Intérêts de sécurité qui sont d'ailleurs, comme les nôtres, menacés notamment par la prolifération des armes chimiques. En revanche, la souveraineté, l'intégrité territoriale de la Syrie doit être préservée. C'est une condition de la stabilité de la Syrie et donc de la région.
Q - Donc vous demandez à Israël de reculer ?
R - Oui, c'est la raison pour laquelle nous demandons à Israël de se replier derrière la ligne qui a été fixée en 1974 pour mettre fin à cette violation du droit international. Parce que les violations du droit international, comme nous avons pu le constater depuis un an et demi bientôt, ne conduisent en aucun cas à la stabilité dans la région.
Q - Est-ce que vous pensez que Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, cherchera un jour la paix ? Vous voyez ce que je veux dire ?
Q - Il est politiquement porté par la guerre...
Q - Voilà. Est-ce que politiquement, son intérêt, c'est d'aller vers la paix ou de continuer la guerre ?
R - Je crois que personne n'a intérêt à un embrasement du Proche-Orient. Ni Israël, ni le Liban, ni la Syrie, ni les partenaires arabes de ces pays, et ni évidemment la France et l'Europe. C'est pourquoi nous déployons tous nos efforts, au Liban depuis bientôt maintenant un an, et en Syrie désormais, pour faire en sorte que la situation se stabilise, toujours avec à l'esprit les intérêts des Français, leurs préoccupations en matière d'immigration, en matière de sécurité.
Q - Il y a un soutien très fort, américain, qui a été annoncé ce matin avec la vente de 8 milliards de dollars d'armes à Israël. Qu'est-ce que vous pensez de ce soutien américain ?
R - Ce que je pense, c'est que les armes doivent désormais se taire au Proche-Orient et qu'elles doivent céder la place à la diplomatie et au dialogue. Je le redis, regardez ce qui s'est passé au Liban. Il y a un mois, nous avons obtenu après des semaines et des semaines d'efforts qu'un cessez-le-feu puisse advenir. Ce cessez-le-feu, il est fragile mais il tient. Il a permis un désarmement progressif du Hezbollah dans le sud du Liban. Il a permis un retrait progressif d'Israël du sud du Liban. Il faut encore aller beaucoup plus loin. Mais voilà un exemple de la manière dont nous pouvons, par des négociations et par la diplomatie, notamment la diplomatie française, faire avancer la région dans la bonne direction.
Q - Pour parler des Etats-Unis, Donald Trump demande à l'Europe d'acheter de grandes quantités de gaz et de pétrole. Sinon, il engagera une guerre commerciale avec des droits de douane. Que répondez-vous à Donald Trump, qui revient à la Maison-Blanche le 20 janvier ?
R - Je crois que personne n'a intérêt à une guerre commerciale entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Et surtout pas les Etats-Unis. Ce serait même une lourde erreur. Pourquoi ? Parce qu'une telle guerre pénaliserait gravement les très nombreuses entreprises américaines qui sont aujourd'hui installées en Europe et qui devraient donc payer des droits de douane lorsqu'elles réexportent leur production vers les Etats-Unis. Et ça nuirait gravement au pouvoir d'achat des classes moyennes américaines qui devraient payer, y compris des biens de première nécessité, beaucoup plus cher qu'aujourd'hui. Donc ça n'a pas de sens.
Q - Vous connaissez le raisonnement de Donald Trump, c'est de dire que l'Europe doit rattraper quelque part son déficit. C'est-à-dire qu'il y a 150 milliards d'euros de déficit commercial pour les Etats-Unis.
R - Vous avez raison, mais il y a un excédent dans l'autre sens. Donc il y a un déficit, c'est-à-dire qu'il y a plus d'exportation de l'Europe vers les Etats-Unis que des Etats-Unis vers l'Europe, mais il y a plus d'investissement des Etats-Unis vers l'Europe que réciproquement. Et qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a plus d'investissement parce qu'il y a beaucoup d'entreprises américaines qui sont en Europe. Si nous entrons dans une guerre commerciale, qui seront les premières victimes ? Eh bien ce seront les entreprises américaines aujourd'hui installées en Europe.
Q - Notre vin, notre luxe, il y a les voitures allemandes par exemple aussi qui pourraient faire les frais de cette guerre commerciale.
R - Je comprends bien, mais vous voyez que les intérêts américains seraient les premiers concernés, y compris ceux qui sont en Europe. Donc je pense que ce serait une lourde erreur et ça porterait une grave atteinte aux intérêts américains.
Q - Qui ira à l'investiture de Donald Trump dans 15 jours ? Vous ?
R - Ce n'est pas une décision qui est aujourd'hui actée, et vous me réinviterez, et je vous le dirai.
Q - Emmanuel Macron ?
R - Tout est possible.
Q - Mais c'est important d'être à l'investiture de Donald Trump ? Il faut engager avec lui des relations diplomatiques ?
R - Bien sûr. Vous savez, ça fait plus de deux siècles que nous avons des relations, les meilleures, avec les Etats-Unis d'Amérique. Rappelez-vous, rappelons-nous que c'est à 19 ans que le jeune Lafayette est monté sur le navire La Victoire pour aller libérer les Américains du joug britannique. Et rappelons-nous, en sens inverse...
Q - Sans remonter jusque-là, Donald Trump exerce son pouvoir de manière assez particulière...
R - Je comprends bien, Olivier Bost, qu'on a en France assez peu d'estime, ou trop peu d'estime pour le général Lafayette. Mais sachez que le général Lafayette aux Etats-Unis est une véritable star. Et c'est à 19 ans que les combattants américains sont venus libérer notre pays. On s'en est rappelé une nouvelle fois, 80 ans après, sur les plages du débarquement. Et nous avons survécu à 59 élections américaines. Je crois que nous survivrons à la 60e, surtout que nous avons connu Donald Trump président des Etats-Unis, que le Président de la République a déjà travaillé avec lui et qu'il le refera à nouveau.
Q - Celui qui traverse facilement l'Atlantique, mais dans l'autre sens, c'est le premier soutien de Donald Trump, Elon Musk. Il s'immisce toujours plus dans la politique européenne. Notamment, il appelle en Allemagne à voter pour l'AFD, le parti d'extrême droite, lors des prochaines législatives. Il soutient aussi l'extrême droite en Angleterre, en Italie. Que pensez-vous de ses positions politiques, d'Elon Musk ?
R - Chacun a le droit d'avoir les positions qu'il souhaite. Evidemment, lorsqu'on participe à un gouvernement ou on aspire à y participer, ces prises de position prennent une dimension un peu particulière.
Q - C'est de l'ingérence ou pas ?
R - Alors, soit c'est un exercice de communication qui vient un peu perturber, notamment en Allemagne, un processus électoral et c'est très regrettable. Soit c'est un choix assumé, notamment vis-à-vis de l'AFD, qui est un parti d'ultradroite, qui flirte avec les idées néo-nazies. Et alors, il faudra que le Parti républicain, aujourd'hui au pouvoir aux Etats-Unis, assume de lier son destin avec celui d'un parti qui représente tout ce que le Parti républicain a toujours combattu.
Q - Vous n'avez pas tranché cette question ? Franchement, quand vous regardez Elon Musk agir aujourd'hui, ce n'est pas de l'ingérence pure et dure qu'il est en train de faire en Europe ? Avec quand même des moyens comme par exemple son réseau social X ?
R - Voilà. Merci de le rappeler. Je crois que c'est là que se situe la préoccupation qui doit être la nôtre. La démocratie est un trésor fragile. Le débat public est un trésor fragile. Nous ne pouvons pas accepter que le débat public, que le débat électoral, se délocalise sur des plateformes de réseaux sociaux dont les règles sont fixées par des milliardaires américains ou chinois et qui sont instrumentalisées par les ennemis de la démocratie pour nous fragiliser.
Q - Donc en période électorale, est-ce qu'il faudrait fermer ce type de plateforme ?
R - Ecoutez, nous avons déjà...
Q - Est-ce que la question se pose aujourd'hui ?
R - Non, la question ne se pose pas. Et je vais vous dire pourquoi.
Q - Mais est-ce qu'elle ne devrait pas se poser ?
R - Sous l'impulsion de la France, nous avons édicté pour l'Europe les règles les plus strictes du monde en matière de contrôle des réseaux sociaux. Ce sont des règles nouvelles qui commencent à être mises en oeuvre. Nous les avons fait adopter en 2022, lorsque la France présidait l'Union européenne. Que disent-elles ? Elles disent que les plateformes de réseaux sociaux doivent lutter activement contre la désinformation et doivent prévenir toute atteinte au débat public, sous peine de lourdes amendes, qui peuvent aller jusqu'à 6% du chiffre d'affaires des entreprises concernées, sous peine, le cas échéant, de bannissement de l'Union Européenne.
Q - Mais est-ce que la puissance, aujourd'hui, économique, technologique, d'un Elon Musk vous inquiète ?
R - Ce que je souhaite, puisqu'on parle des réseaux sociaux, et on a vu ce qui s'est passé en Roumanie avec la manipulation de TikTok par des puissances étrangères, c'est que les règles que nous avons choisies, que nous nous sommes données démocratiquement, soient appliquées. Donc j'en appelle, mais très solennellement, à la Commission européenne, pour que sa main ne tremble pas et pour qu'elle fasse appliquer de manière très ferme les règles que nous nous sommes données.
Q - C'est-à-dire que ce n'est pas le cas aujourd'hui et que par exemple pour X, avec tout ce qu'on a vu, tout ce qui s'est passé, ou pour TikTok, la réponse européenne est insuffisante ?
R - Il y a des enquêtes qui ont été ouvertes sur X et sur TikTok. Elles doivent maintenant aboutir et elles doivent conduire, si, je dirais, il est avéré que ces plateformes ont conduit à manipuler le débat public, il faut que les sanctions soient prises et qu'elles soient appliquées fermement.
Q - Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, est notre invité. Il est également vice-président du Modem. Nous allons donc parler de politique et du gouvernement. Comment faire pour passer le printemps ? À tout de suite.
(...)
Q - Jean-Noël Barrot, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et également vice-président du Modem, est notre invité, à mes côtés pour vous interroger, Perrine Tarneaud de Public Sénat et Pauline Buisson de M6. Le Grand Jury, "Ça se passe au Parlement". Parce que c'est au Parlement que se jouera l'avenir du gouvernement de François Bayrou. Qu'est-ce qui change par rapport au gouvernement de Michel Barnier auquel vous appartenez aussi ? C'est toujours le Rassemblement National qui a droit de vie ou de mort sur l'équipe gouvernementale ?
R - D'abord, vous avez raison de rappeler que c'est au Parlement que tout va se jouer. Parce que c'est désormais le Parlement qui, d'une certaine manière, détient les pleins pouvoirs. Le gouvernement est là pour initier, impulser et puis ensuite mettre en oeuvre. Mais c'est au Parlement de prendre ses responsabilités et de trancher au service des Français, pour donner à la France un budget, pour avancer sur la question de l'agriculture et sur les questions de sécurité, notamment sur lesquelles les attentes des Français sont très importantes.
Q - Mais dans ce pouvoir qui est au Parlement, est-ce que le Rassemblement national garde un pouvoir supplémentaire qui est celui de pouvoir faire tomber aujourd'hui le gouvernement ?
R - Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui une majorité pour bloquer le pays. Je crois au contraire que la censure a montré, parce qu'elle a provoqué une inquiétude profonde et une inquiétude légitime dans le pays, qu'il fallait désormais que chacun prenne ses responsabilités. Je crois qu'il y a une majorité pour éviter le blocage, que c'est une majorité qui s'ignore et que le rôle du gouvernement aujourd'hui, c'est de la révéler.
Q - Donc vous ne pensez pas qu'une motion de censure arrivera dans les dix jours qui viennent, après la déclaration de politique générale ?
R - Je crois que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe du blocage du pays. Je rappelle que la guerre est à nos portes, nous en avons parlé ; que la planète est en ébullition ; que la Chine et les Etats-Unis nous prennent de vitesse ; que notre démocratie est prise d'assaut ; et que dans ce contexte, la division nous fragilise et l'instabilité nous affaiblit.
Q - Malgré tout, il y a un sondage qui indique que près d'un Français sur deux est favorable à une motion de censure à l'issue de la déclaration de politique générale. Vous ne pouvez pas l'ignorer. Qu'est-ce que vous faites pour l'éviter ?
R - Je crois qu'il faut rappeler, très simplement, que la censure a des conséquences très lourdes. Elle décale, elle reporte un certain nombre de décisions et un certain nombre d'investissements au service des Français.
Q - C'était déjà votre position avant la première censure, ça n'a pas empêché cette censure d'être votée.
R - Sauf que la conséquence de la censure, c'est qu'on s'aperçoit que la censure a des conséquences. Et notamment le fait que les collectivités locales, en l'absence d'un nouveau budget, d'un budget pour la France, ne peuvent pas investir, que le réarmement de notre police, de notre armée et de notre justice doit attendre, que le prêt à taux zéro qui devait être étendu ne l'est toujours pas, et qu'on ne peut pas recruter dans les EHPAD. Voilà quelques exemples de ce que la censure produit dans le pays. C'est pourquoi nous ne pouvons pas attendre. C'est d'ailleurs la même raison qui a poussé le Premier ministre, François Bayrou, à choisir de repartir pour la discussion budgétaire de la copie où nous nous en étions arrêtés, parce que nous ne pouvons plus attendre pour donner à la France un budget.
Q - Vous dites "on ne peut pas attendre", donc il va falloir élargir votre majorité. Quelle concession aujourd'hui vous êtes prêts à faire pour notamment demander aux socialistes de voter une partie du budget ou en tout cas de ne pas voter une motion de censure ?
R - Dès demain, Eric Lombard recevra tous les groupes politiques qui le souhaitent s'agissant du budget de l'Etat. Et puis Catherine Vautrin pour le budget de la sécurité sociale, c'est tout l'enjeu de ces discussions. Faire en sorte de révéler, si je puis dire, cette majorité qui s'oppose à un blocage du pays.
Q - Mais justement, la porte-parole du gouvernement a dit : "l'objectif de déficit public sera fixé après ces discussions avec les groupes politiques" Est-ce que ça veut dire que la limite qui était de 5,4% de déficit, qui était à peu près fixée, pourrait être outrepassée ? Est-ce que ça veut dire qu'on revoit un peu les objectifs en matière budgétaire ?
R - Mais je souscris tout à fait à ce qu'a dit la porte-parole du gouvernement. Et je le redis, c'est au gouvernement d'initier, d'impulser, et c'est aux parlementaires, et je le dis devant les parlementaires qui sont présents dans votre studio ce matin, de trancher et de décider en responsabilité.
Q - Mais ça veut dire que le déficit n'est pas établi. Vous ne partez pas avec un chiffre à obtenir. C'est-à-dire que Michel Barnier avait dit, lui, il faut faire 60 milliards d'euros d'économie. Là, la logique est inverse. C'est-à-dire qu'on voit à quel chiffre on peut arriver globalement, en se mettant d'accord avec les groupes politiques. C'est bien ça le principe ?
R - François Bayrou, le Premier ministre, a fixé la méthode. C'est le respect, c'est l'écoute et c'est le dialogue. On ne va pas préempter les décisions qui doivent être concertées avec les forces politiques. C'est tout l'enjeu de ces consultations qui vont commencer cette semaine.
Q - Mais est-ce qu'il ne faut pas quand même donner des gages aux oppositions ? Et sur quels points exactement ? Vous n'avez pas, vous, de propositions à faire aux oppositions ? Par exemple, on parle beaucoup de la réforme des retraites. Est-ce qu'il faut geler cette réforme des retraites telle qu'elle a été adoptée en 2023 ?
R - C'est aux parlementaires et à leurs représentants, à leurs chefs, qui vont se présenter devant les ministres que je viens de citer, de faire leur proposition, dans un esprit, je l'espère, constructif. Pas en venant aligner les lignes rouges, mais en venant faire des propositions. Je le redis, j'entends ce que vous me dites sur les sondages, sur la censure, etc. D'abord, je voudrais redire qu'on ne gouverne pas avec des sondages, on gouverne avec du courage. Et c'est vrai pour le gouvernement, mais d'une certaine manière, c'est vrai au Parlement. Et donc, il faut aborder cette phase de consultation dans un esprit de responsabilité. Imaginez si nous privions pour la deuxième fois consécutive la France d'un budget. Quelles seraient les conséquences pour les Français très directement ? Pour l'image de la France dans le monde ? Pour notre capacité à défendre nos intérêts ? Ce serait tout simplement tragique.
Q - Jean-Noël Barrot, vous, ministre des affaires étrangères, vous aviez concédé un milliard d'euros d'économie sur votre ministère, dans la version du budget de Michel Barnier que reprend François Bayrou. Est-ce que vous êtes prêt à aller au-delà pour participer à l'effort ?
R - Vous savez, le ministère des affaires étrangères a été, comme vous le dites, fortement mis à contribution.
Q - Trop ou pas ?
R - Nous avons veillé à sauvegarder les moyens qui nous permettent de transformer ce ministère, notamment les moyens en termes humains, les ETP, comme on dit dans le jargon budgétaire, les postes qu'on nous avait promis, et qui sont essentiels pour réarmer notre diplomatie et défendre les intérêts des Français partout dans le monde. Ensuite, je crois que notre responsabilité, et je vous remercie de me donner l'occasion de le faire ce matin dans votre studio, c'est de rappeler que le ministère des affaires étrangères ne traite pas que de questions lointaines, mais traite de questions qui touchent très directement aux préoccupations des Françaises et des Français, telles que mesurées par les sondages, notamment. Je parle de l'immigration, je parle de la sécurité, je parle du pouvoir d'achat et de la sécurité des approvisionnements, je parle de la lutte contre la désinformation.
Q - Mais à propos d'immigration justement, est-ce que ce n'est pas contradictoire de baisser l'aide au développement, parce que c'est principalement l'économie qui est réalisée sur votre ministère, alors que vous voulez justement en faire un levier pour lutter contre l'immigration clandestine, pour que les pays reprennent leur ressortissant ?
R - Vous avez raison, c'est un des leviers à partir desquels nous pouvons obtenir des pays d'origine un certain nombre d'avancées.
Q - Donc vous désarmez l'un de vos leviers ?
R - Je veux d'abord rappeler qu'après plusieurs décennies de désarmement, le Président de la République a décidé, et les gouvernements précédents, de réarmer ce ministère, et les budgets de l'aide publique au développement ont augmenté très considérablement ces dernières années. Mais nous voilà face à un exercice budgétaire qui nous impose un certain nombre d'efforts. Et comme François Bayrou l'a toujours dit, si je puis dire, ça n'est pas qu'une question comptable, ça n'est pas qu'une question financière, c'est une question morale. C'est d'ailleurs la question qui se pose dans les familles françaises quand les fins de mois sont difficiles, on fait un peu d'efforts à la dépense. Eh bien tous les ministères doivent faire cet effort à la dépense, et je crois que les fonctionnaires de ces ministères, leurs directeurs, sont eux aussi conscients qu'on ne peut pas laisser dériver les finances publiques comme ça.
Q - Alors, lors de ses voeux, Emmanuel Macron a dit qu'il demanderait aux Français de trancher des sujets déterminants. Donc on imagine un recours à un ou des référendums. Sur quels sujets souhaitez-vous que le président consulte les Français ?
R - C'est une prérogative du Président, du Premier ministre, que de définir les sujets. Je considère que ça n'est jamais une mauvaise idée que de consulter les Français. Il y a plusieurs possibilités. Il y a le référendum, les référendums, puisqu'il y en a plusieurs types. Il y en a d'autres. Et je ne fais pas partie de ceux qui minimisent l'intérêt et l'impact qu'ont eu certaines initiatives prises ces dernières années - le Grand Débat National, les consultations citoyennes. Je crois que nous avons besoin de mieux articuler...
Q - Qui n'ont donné aucun résultat.
R - Je ne fais pas partie de ceux qui partagent cet avis.
Q - Puisque les conclusions n'ont jamais été vraiment reprises.
R - Les conclusions du Grand Débat National, je suis heureux de pouvoir ouvrir ce débat, j'en donnerai trois. La première, vous vous souvenez des revendications des Gilets jaunes répercutées dans les cahiers de doléances, c'était les impôts. À l'automne suivant, nous avons baissé l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros. La deuxième revendication, c'était l'énergie, l'environnement, etc. Nous avons créé la Convention citoyenne pour le climat.
Q - Avec beaucoup de déception pour ceux qui y ont participé.
R - La troisième revendication qui était parfaitement légitime, c'était l'abandon des zones périphériques et des zones rurales. Et c'est la création des maisons France Service qui est venue répondre à ça. Nous n'avons pas tout résolu avec le Grand Débat National. Je parle de méthode. Et j'ai salué, nous avons salué, chaque fois que des initiatives ont été prises, cet effort qui consiste à associer les Françaises et les Français aux décisions qui sont prises en leur nom.
Q - Les Français ont besoin de débattre de quoi en 2025 ?
R - Sur tout sujet, il est toujours utile...
Q - De l'immigration, par exemple ?
R - Parlons des affaires étrangères.
Q - Bruno Retailleau souhaiterait un référendum sur l'immigration. Est-ce que vous, vous y êtes favorable ?
R - Parlons des affaires étrangères. Je crois que nous avons besoin, plus que jamais, d'associer les Françaises et les Français aux décisions que nous prenons, aux positions qui sont celles de la France dans un certain nombre de régions du monde, qui peuvent paraître éloignées, mais où se conditionne la réponse à leur préoccupation.
Q - Donc vous souhaiteriez une convention citoyenne sur la question des relations internationales ?
R - Je souhaite qu'effectivement, l'année 2025 permette plus que jamais d'associer les Français, y compris à certaines décisions qu'ils peuvent considérer comme étant éloignées de leur quotidien.
Q - Vous pensez à quelle décision, par exemple ? Je ne vous suis pas.
R - Vous me parlez de méthode. Je vous réponds sur la méthode. Je suis un démocrate, je considère que pour que vive la démocratie, il faut que les citoyens soient pleinement conscients des enjeux et qu'ils puissent à leur tour exercer la responsabilité. Je crois d'ailleurs qu'il faut que la démocratie qu'on appelle participative, c'est-à-dire que l'opinion des citoyens soit mieux articulée avec le travail des parlementaires, avec le travail des ministres et du gouvernement. Et que tout cela peut être utile et une bonne résolution.
(...)
Q - Puisqu'on en parlait dans la première partie, d'Elon Musk, l'ami de Donald Trump, est-ce que c'était une bonne idée de faire appel à son système de satellite pour Mayotte ?
R - Je crois que l'important, c'était que le plus rapidement possible, les familles mahoraises puissent entrer en contact avec leurs proches. J'ai été très touché par les échanges que nous avons eus avec le Président de la République à Djibouti, avec des soldats mahorais postés sur place qui n'avaient toujours pas, lorsque nous nous y sommes rendus fin décembre, de contact avec leurs familles. Il fallait trouver des solutions d'urgence et c'est celle qui a été identifiée.
Q - Quelle réponse il faut donner aux agriculteurs qui ont repris leurs manifestations et potentiellement des blocages ? Ça fait un an qu'ils protestent.
R - Je comprends parfaitement pourquoi. Ils n'en peuvent plus des lourdeurs administratives qui pèsent sur leurs épaules, ils n'en peuvent plus de la concurrence déloyale des producteurs étrangers. Et c'est pourquoi tous les gouvernements, depuis que la révolte a explosé, si je puis dire, l'année dernière, se sont mobilisés pour obtenir, d'abord de la Commission européenne des mesures d'urgence et de simplification, et ensuite pour mettre sur pied une loi d'orientation agricole qui, si je puis dire, aurait déjà été votée si nous n'avions pas eu la censure.
Q - François Bayrou ne les recevra que dans huit jours, est-ce que ce n'est pas un peu trop tard ?
R - François Bayrou connaît bien le monde agricole. Et il a insisté pour pouvoir les recevoir, entendre leurs attentes, et faire en sorte que cette loi d'orientation agricole, qui sera prochainement à l'ordre du jour du Parlement...
Q - Prochainement, vous pouvez être plus précis ? Parce que c'est une attente forte de la part des agriculteurs.
R - Je ne veux pas me substituer au ministre des relations avec le Parlement, mais je vous l'ai dit, le texte est prêt depuis bien longtemps. Et si le gouvernement précédent n'avait pas été censuré, il est possible que ce texte aurait été déjà adopté.
Q - Le Grand Jury, "Questions express". Vous connaissez le principe, c'est une série de questions avec des réponses par oui ou par non, pour ou contre.
(...)
Q - Pour ou contre la fermeture du Marineland d'Antibes ?
R - Alors là, il faudra me donner un tout petit peu plus d'éléments.
Q - Vous savez, c'est les orques dans les piscines qui sont dans le Marineland. Et donc, le centre va fermer. Grand débat en France, mais vous étiez en Syrie.
R - Oui, en Syrie, on en a un petit peu moins parlé. Mais ceci étant dit, vous savez que nous serons très mobilisés cette année au sujet des océans. Puisque nous accueillerons à Nice la troisième Conférence des Nations unies pour l'Océan, qui a vocation à être, pour la sauvegarde des océans, l'équivalent de ce que l'Accord de Paris a été pour le climat.
Q - De l'ancien ministre de l'éducation, Claude Allègre, qui est mort ce week-end, vous retenez le grand scientifique ou le climato-sceptique ?
R - Je retiens le grand scientifique, la médaille d'or du CNRS, l'engagement résolu au service de l'école.
(...)
Q - Un petit mot peut-être pour finir cette émission de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal qui est emprisonné en Algérie depuis 50 jours. Son nom n'a pas été évoqué par Emmanuel Macron lors de ses voeux de la nouvelle année. Est-ce que vous le regrettez ?
R - Je suis, comme le Président de la République, très préoccupé par le fait que la demande de libération adressée par Boualem Sansal et ses avocats a été rejetée. Je suis préoccupé par son état de santé. Et comme vous le savez, la France est très attachée à la liberté d'expression, la liberté d'opinion, et considère que les raisons qui ont pu conduire les autorités algériennes à l'incarcérer ne sont pas valables.
Q - Quelles sont les initiatives diplomatiques que vous avez pu prendre jusque-là pour sa libération ?
R - Ce sont des initiatives que nous prenons à tous les niveaux, et depuis qu'il a été inquiété, pour obtenir sa libération.
Q - Mais est-ce que nos rapports aujourd'hui avec le pouvoir algérien rendent difficiles, y compris les moyens de pression ?
R - Vous savez, vous m'interrogez sur le rapport que nous avons avec l'Algérie. Nous souhaitons entretenir les meilleures relations avec l'Algérie. C'est l'intérêt de l'Algérie et c'est l'intérêt de la France et des Français.
Q - Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Les rapports ne sont pas bons.
R - Nous avons, en 2022, il y a deux ans, presque trois, rédigé une feuille de route. Président de la République, président Tebboune. Nous tenons à ce que cette feuille de route puisse être suivi. Mais nous observons des postures, des décisions de la part des autorités algériennes qui nous permettent de douter de l'intention des Algériens à se tenir à cette feuille de route. Parce que pour tenir la feuille de route, il faut être deux.
Q - Merci beaucoup Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères et vice-président du Modem, était notre invité ce dimanche dans le Grand Jury. Bonne semaine à tous et à la semaine prochaine.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2025