Texte intégral
Q - Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin le ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Vos questions : 01.45.24.70.00, et sur l'application de Radio France. Jean-Noël Barrot, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Bonjour.
Q - Et bienvenue sur Inter en ce début d'année 2025, pleine d'incertitudes internationales, de la Syrie à l'Ukraine, en passant par les Etats-Unis. Vous rencontrez aujourd'hui le secrétaire d'Etat Antony Blinken, à quelques jours de l'investiture de Donald Trump. On va parler des enjeux américains, de la guerre commerciale qui se profile, du cas Elon Musk. Mais commençons par le Proche-Orient. Il y a un mois, jour pour jour, le 8 décembre, le régime de Bachar al-Assad s'effondrait, après cinq décennies de règne Assad en Syrie. Vous vous êtes rendu récemment à Damas avec votre homologue Allemande, Annalena Baerbock, sous mandat de l'Union européenne. Vous y avez rencontré, le 3 janvier, le nouveau dirigeant du pays, l'islamiste Ahmad al-Charaa. Vous avez salué des échanges très constructifs, et on va revenir au fond de ces échanges. Mais un mot d'abord sur la réouverture symbolique de l'ambassade de France à Damas, fermée depuis 13 ans avec la rupture de nos relations diplomatiques. Qu'avez-vous éprouvé, ressenti, en voyant à nouveau le drapeau français y flotter ?
R - Beaucoup d'émotions, parce que lorsque nous avons quitté cette ambassade, en mars 2012, le régime criminel de Bachar al-Assad réprimait la révolution syrienne dans le sang. Et beaucoup d'émotions parce que nous avons retrouvé sur place des Syriennes et des Syriens, que malgré notre absence, nous n'avons jamais cessé de soutenir tout au long de ces années, et de lire dans leurs yeux, un nouvel espoir se lever. Un espoir qui, certes, est fragile, c'est clair, mais c'est un espoir réel.
Q - On a vu - et l'image a fait le tour du monde et des réseaux sociaux - le nouvel homme fort du régime, Ahmad al-Charaa, refuser de serrer la main à la cheffe de la diplomatie allemande. Ça vous a choqué ?
R - Ecoutez, est-ce que j'aurais préféré qu'il serre la main d'Annalena Baerbock ? Evidemment que oui, mais ça n'était pas l'objet de notre déplacement, non. L'objet de notre déplacement était clair : c'était de faire entendre les attentes des Français et des Européens, et notamment en matière de sécurité.
Q - Vous allez nous dire - et on va parler des sanctions - mais qu'est-ce que ça dit qu'il refuse de serrer la main de la cheffe de la diplomatie allemande ?
R - À nouveau, ça n'était pas l'objet de notre déplacement. D'ailleurs, Annalena Baerbock savait par avance qu'il resterait campé sur cette coutume. Ensuite, ce qui aurait été beaucoup plus problématique, si je puis dire, c'est que dans nos échanges, il ne fasse aucun cas de nos attentes très fermes et très claires sur la condition des femmes, ce qui n'a pas été le cas.
Q - Lundi, Emmanuel Macron a appelé à regarder sans naïveté le changement de régime. Vous le savez, Washington a annoncé un allègement temporaire des sanctions à l'égard de la Syrie pour ne pas entraver la fourniture de services essentiels à la population. Les nouveaux dirigeants de Damas vous demandent de lever les sanctions. Ils vous disent, "vous avez fait ces sanctions contre Bachar al-Assad, sa famille, ses proches. Aujourd'hui, ils sont partis, il faut lever les sanctions, sinon notre économie va crever. Elle ne pourra pas repartir, déjà, elle est à l'agonie." Qu'est-ce que vous lui avez répondu ?
R - Il y a différents types de sanctions. Il y a les sanctions qui visaient Bachar al-Assad et les bourreaux de son régime. Ces sanctions-là n'ont évidemment aucune vocation à être levées. Ensuite, il y en a d'autres, qui aujourd'hui entravent l'accès à l'aide humanitaire, qui entravent le redressement du pays, et celles-ci pourraient être levées rapidement. Il y en a d'autres, enfin - et nous en discutons avec nos partenaires européens - qui pourraient être levées, mais évidemment en fonction du rythme auquel sont prises en compte nos attentes pour la Syrie et nos attentes en matière de sécurité.
Q - Sur les femmes et sur la sécurité, vous leur avez demandé quoi, très clairement ?
R - Très clairement, ce que nous avons demandé, c'est deux choses. La première, c'est que la transition politique qui commence en Syrie soit bien représentative de toutes les composantes de la société syrienne, et en particulier des femmes. Et je constate qu'hier, a été annoncé que le comité qui est institué pour préparer le dialogue national qui va s'ouvrir prochainement, inclura des femmes. C'était une demande expresse de notre part, elle a été satisfaite. La deuxième chose, c'est que nous sommes allés pour défendre la sécurité des Françaises et des Français, la sécurité des Européens. Pour que la nouvelle Syrie ne laisse aucune place au terrorisme islamiste qui a fait tant de dégâts ces dix dernières années, que cette Syrie nouvelle ne laisse aucune place à la prolifération des armes chimiques. Et nous lui avons formulé une demande très claire, celle que dans les prochaines semaines, il puisse accueillir en Syrie une mission de l'Organisation internationale qui s'occupe de la destruction des armes chimiques. Et il a été annoncé hier qu'une telle mission viendrait prochainement en Syrie.
Q - Vous avez rencontré, Jean-Noël Barrot, lors de votre voyage, des patriarches chrétiens, des représentants de la société civile. La question des minorités est essentielle dans ce pays. Les chrétiens et les Kurdes craignent des actes de vengeance, de discrimination de la part du nouveau régime. Ont-ils raison d'être inquiets ? Quel est le message de la France aux chrétiens de Syrie et aux Kurdes ?
R - Je vous remercie de rappeler ce moment qui a été très fort lors de ce déplacement, la rencontre avec les patriarches chrétiens, mais aussi avec les représentants et les représentantes de la société civile qui sont inquiets, mais qui voient aussi la possibilité, l'espoir d'une Syrie souveraine, stable et apaisée. Et c'est ce que nous voulons, c'est ce que nous voulons pour eux, c'est ce que nous voulons pour nous. Parce que si la Syrie ne se redressait pas...
Q - Il y a déjà des actes de vengeance, il y a des actes pour l'instant sporadiques. Les minorités, aujourd'hui les minorités chrétiennes, les Kurdes, sont angoissées. Vous avez entendu cette inquiétude ? Parce qu'on vous entend retenir l'espoir. Sans doute c'est important, mais vous entendez aussi les inquiétudes ?
R - Si nous nous tenons aux côtés des Syriennes et des Syriens et de ces communautés au moment où la Syrie est appelée à se redresser, c'est non seulement parce que nous le leur devons, mais c'est aussi parce que nous le devons à nous-mêmes. Si la Syrie devait sombrer, devait comme la Libye après Kadhafi, ou l'Irak après Saddam Hussein, sombrer dans l'instabilité et l'islamisme, alors ce sont tous les maux dont nous avons été les victimes qui ressurgiraient. C'est le terrorisme, c'est l'insécurité, ce sont les vagues migratoires qui ont eu tant de conséquences en Europe.
Q - Donc vous espérez que ce régime réussisse, en fait ?
R - Ce que j'espère c'est que la Syrie réussisse, parce que l'avenir de la Syrie appartient aux Syriens. Et c'est tout l'enjeu de ce dialogue national qui va s'ouvrir, et auquel chacun doit participer, toutes les communautés, et notamment les Kurdes avec lesquelles nous avons combattu sans relâche le terrorisme de Daech en Syrie.
Q - Jean-Noël Barrot, pour que la page du régime Assad se tourne, il faut que justice soit faite. Vous avez estimé qu'il n'y a pas de réconciliation et d'apaisement possible en Syrie, pas de redressement moral en Syrie, sans que justice soit faite. Pensez-vous que Bachar al-Assad sera jugé un jour par un tribunal international, ou est-ce que ça relève de la science-fiction ?
R - C'est indispensable. Pour que la Syrie puisse se relever, sur le plan moral et même sur le plan spirituel, il faut que les crimes qui ont été commis - et je le dis après avoir vu les horreurs absolues de la prison de Saidnaya, véritable abattoir humain, véritable camp d'extermination en réalité, qui vient d'ouvrir ses portes. Tout cela, c'est une blessure très profonde dans l'âme syrienne, et il faudra que justice soit faite. Et nous serons là, une nouvelle fois, aux côtés des Syriens, et cette fois-ci, sans aucune condition. Nous avons été les fers de lance de la lutte contre l'impunité. Rappelez-vous, c'est la France qui a accueilli César, ce courageux Syrien qui a documenté, le premier, les crimes barbares du régime d'Assad. Aujourd'hui, nous voulons accompagner les Syriens pour que justice soit rendue.
Q - Francis vous demande, sur l'application de Radio France : que pensez-vous de la première action du gouvernement syrien de construire des mosquées dans des universités ?
R - Je le dis une nouvelle fois, nous ne faisons pas de chèque en blanche, on en parlait tout à l'heure sur les sanctions. Nous jugerons ces autorités de transition sur les actes. Aujourd'hui, nous les appelons instamment à respecter l'ensemble des communautés qui vont reconstruire ensemble l'avenir de la Syrie.
Q - Un mot sur le Liban. Jean-Yves Le Drian est attendu aujourd'hui au Liban. La France met tout son poids pour qu'il y ait un président élu demain, lors de la réunion du Parlement. Êtes-vous confiant, y aura-t-il enfin un président élu au Liban demain ?
R - Je le souhaite vivement. Ce sera la prolongation, si l'on peut dire, de ce que nous avons réussi - et c'était inespéré - à accomplir pour le Liban, avec ce cessez-le-feu que la France a porté, première interruption des hostilités dans la région depuis le 7 octobre 2023, et qui produit des effets puisque le sud du Liban, qui est contesté, qui a fait l'objet de violences entre le Hezbollah et Israël, commence à se stabiliser avec un désarmement progressif du Hezbollah et avec un retrait progressif des troupes israéliennes. Pour que tout cela continue, il faut que le Liban se dote d'un président.
Q - Vous êtes encore confiant ce matin ? C'est demain, la réunion.
R - Je l'espère vivement. Mais vous savez, au Liban, c'est comme dans les autres pays, c'est comme en France, tant que les urnes ne sont pas ouvertes, on ne peut pas connaître le résultat. Nous pensons que non seulement cette élection présidentielle est un préalable à la poursuite de cette dynamique de la paix et du cessez-le-feu que j'évoquais, que c'est aussi un préalable au redressement économique et social du pays. Le président de l'Assemblée nationale libanaise, du Parlement libanais, a pris ses responsabilités en convoquant cette session du Parlement. C'est désormais aux responsables politiques libanais de prendre la leur et de se doter d'un président.
Q - Jean-Noël Barrot, parlons de l'Iran. Dans son discours aux ambassadeurs français, Emmanuel Macron a expliqué que l'Iran était le principal défi stratégique et sécuritaire pour la France, les Européens, toute la région, et bien au-delà. "L'accélération de son programme nucléaire nous amène tout près du point de rupture", a poursuivi le Président avant de dénoncer l'implication de Téhéran dans la guerre de la Russie contre l'Ukraine et dans le soutien aux groupes dangereux au Moyen-Orient. Une intervention contre l'Iran est-elle souhaitable à vos yeux ? Si Israël ou les Etats-Unis décidaient dans les prochaines semaines d'attaquer l'Iran, la France soutiendrait-elle une opération de ce type ?
R - D'abord, c'est important de rappeler que les activités de déstabilisation de l'Iran, son programme nucléaire, son programme balistique, sont en effet non seulement des problèmes pour la région du Proche et du Moyen-Orient, mais aussi pour nous directement. Parce qu'avec son programme balistique, l'Iran a la capacité de porter atteinte à nos intérêts en France et en Europe. Et c'est pourquoi, depuis dix ans, puisque c'est il y a dix ans qu'on a conclu un accord de sécurité avec l'Iran, c'est pourquoi avec l'Allemagne et le Royaume-Uni notamment, nous avons choisi d'avoir une approche par la négociation ferme avec l'Iran qui consiste à dire : "si vous repliez votre programme nucléaire, si vous cessez vos actions de déstabilisation, alors progressivement, nous envisagerons de lever les sanctions que nous avons prises à votre encontre."
Q - Oui, sauf qu'aujourd'hui, les choses s'accélèrent et jamais la possibilité d'une opération militaire contre l'Iran n'a été aussi grande. Vous vous en convenez. La France soutiendrait-elle une telle opération ?
R - La France soutient une approche de négociation par la force, si je puis dire.
Q - Donc pas d'opération militaire ?
R - C'est-à-dire une négociation par laquelle nous obtiendrons des résultats très concrets sur le programme nucléaire, sur les activités balistiques.
Q - Jean-Noël Barrot, on en vient aux questions brûlantes, dans un instant, sur les Etats-Unis, sur Donald Trump et sur Elon Musk et ses dernières déclarations. On voulait évidemment vous entendre sur ça. Mais encore une question, parce qu'on a entendu à 7h50, au micro de Sonia Devillers, Narges Mohammadi, la prix Nobel de la paix qui était incarcérée à la prison d'Evin et qui donnait des nouvelles alarmantes de l'état de santé de l'otage français Cécile Kohler, qui est qui est détenue en Iran depuis mai 2022 avec Jacques Paris, avec son compagnon. Elle l'a dit enfermée à l'isolement et très affaiblie. Est-ce le cas ? Quelle est la situation de Cécile Kohler et où en sont les négociations ?
R - D'abord, permettez-moi de rendre hommage au courage de Narges Mohammadi, qui continue de résister alors même qu'elle est la cible permanente du régime iranien. Ensuite, s'agissant de nos otages, j'ai dit les choses très clairement hier devant les ambassadrices et les ambassadeurs qui nous représentent partout dans le monde, les conditions de détention par l'Iran de nos compatriotes sont inadmissibles et elles sont indignes. Elles peuvent être qualifiées en droit international comme de la torture. Et c'est la raison pour laquelle - on parlait à l'instant de négociations avec l'Iran - il n'y aura pas de négociation avec l'Iran tant que le sort de nos otages n'aura pas été traité. Et j'appelle d'ici là tous nos ressortissants, tous nos compatriotes, les Françaises et les Français, à ne pas se rendre en Iran tant que nous n'aurons pas avancé sur ce point.
Q - Donald Trump n'exclut pas d'envahir le Groenland. Ça vous a surpris ?
R - Ecoutez, je ne vais pas commenter les tweets de Donald Trump, je pense que sinon on risque d'y passer...
Q - C'est une conférence de presse où il a envoyé son fils au Groenland. C'est du bluff ? C'est sérieux ?
R - Est-ce que, si vous m'interrogez, je pense que les Etats-Unis envahiront le Groenland ? La réponse est non. Est-ce que nous sommes entrés dans une époque qui voit le retour de la loi du plus fort ? La réponse est oui. Alors faut-il se laisser intimider ? Faut-il se laisser gagner par l'inquiétude ? Evidemment que non. Il faut d'abord se réveiller, se renforcer, dans un monde gagné par la loi du plus fort, dans le domaine militaire, dans le domaine de la compétitivité. C'est tout l'objet...
Q - Vous êtes sûr qu'ils n'envahiront pas le Groenland ? Vous avez l'air sûr. Vous l'avez bien entendu, n'est-ce pas, Pierre ?
R - Vous avez entendu Pierre Haski tout à l'heure. La nature profonde des Etats-Unis d'Amérique, ça n'est pas d'être impérialiste.
Q - Est-ce qu'elle n'est pas en train de changer ?
R - Je ne le crois pas.
Q - Quand il dit le canal du Panama, le golfe du Mexique, le Canada 51e Etat, c'est quoi ? C'est une blague ? C'est quoi ?
R - Je vous le dis, je considère que cette nature profonde qui est celle des Etats-Unis est tout à fait orthogonale et tout à fait contradictoire avec un impérialisme qui serait très mal ressenti par le peuple américain. Ceci étant dit, ces déclarations, elles sont conformes à cette ère du temps qui est en train de s'installer...
Q - Qu'est-ce que la France dit au président américain bientôt investi qui dit "je n'exclus pas d'envahir le Groenland" ce matin ? Qu'est-ce qu'elle dit ? Elle dit "je ne commente pas les tweets de Donald Trump" ?
R - Mais d'abord, je crois qu'il faut d'abord se parler à nous-mêmes et se dire ce que nous sommes. Nous sommes un grand pays dans un continent qui constitue le premier marché du monde et qui doit affirmer ses principes et ses valeurs.
Q - D'accord, mais vous dites quoi aux Danois qui disent "'il veut envahir notre territoire" ?
R - Effectivement, c'est un territoire, vous avez raison de le rappeler, de l'Union Européenne. C'est un territoire européen.
Q - Et alors ? Et donc quoi ? Vous attendez de l'Union Européenne qu'elle réagisse fortement ?
R - Il n'est évidemment pas question que l'Union Européenne laisse d'autres nations du monde, quelles qu'elles soient - et je dirais même à commencer par la Russie - s'en prendre à ses frontières souveraines. Nous sommes un continent fort, nous devons encore nous renforcer. Nous devons d'ailleurs nous réveiller, parce que nous avons pris un certain nombre de mesures, mais nous devons aller plus loin. C'est tout l'enjeu, c'est tout l'objectif que le Président de la République a donné à la diplomatie française.
Q - Jean-Noël Barrot, Donald Trump, revient à la Maison-Blanche dans 12 jours, accompagné de son fidèle lieutenant Elon Musk. Musk, le patron du réseau X, qui multiplie, ces derniers jours, des interventions spectaculaires dans la vie politique européenne. Il attaque le Premier ministre britannique via une affaire vieille de 10 ans. Il appelle à sa démission, à son emprisonnement. Il a, par ailleurs, qualifié le chancelier allemand Olaf Scholz de fou et d'imbécile incompétent. Il affiche son soutien au parti d'extrême-droite AFD. Comment qualifiez-vous, ce matin, ses déclarations ? C'est tout simplement de l'ingérence ?
R - Ecoutez, on a le droit d'avoir ses opinions. Mais lorsque l'on participe à un gouvernement ou lorsqu'on aspire à y participer, ces opinions ont une valeur un peu particulière. C'est pourquoi, de deux choses l'une, soit Elon Musk, lorsqu'il intervient dans le débat public, dans certains débats électoraux européens, le fait pour faire le buzz ou pour faire de la com', et alors c'est extrêmement regrettable ; soit il le fait en assumant des alliances nouvelles avec des partis d'ultradroite comme l'AFD en Allemagne, et alors il faudra que le Parti républicain américain assume de lier son destin avec celui de tels partis, qui représentent tout ce que le Parti républicain a toujours combattu.
Q - Mais la France est la troisième sur la liste, à votre avis ? Après la Grande-Bretagne, après l'Allemagne, il va venir s'ingérer dans nos processus électoraux à nous ? Vous craignez cela ?
R - Je ne sais pas, mais je ne le crains pas. Pourquoi ? Parce que s'agissant des réseaux sociaux, où toutes ces manifestations se produisent, nous avons dit les choses clairement en 2022, lorsque la France présidait l'Union européenne. Nous avons dit stop. Il n'est pas question que le débat public soit délocalisé de manière totalement dérégulée sur des grandes plateformes de réseaux sociaux détenues par des milliardaires américains ou chinois.
Q - Mais il l'est pourtant, ils le font.
R - Tout à fait. Ces règles, elles sont entrées en vigueur il y a à peu près un an. Elles permettent à la Commission européenne, à Bruxelles, de dire : "Si je constate que le débat public a été perturbé, alors je peux infliger des sanctions très lourdes sur ces plateformes. Je peux même aller jusqu'au bannissement de Twitter ou de TikTok."
Q - C'est ce qu'a fait le Brésil. Est-ce qu'il faut bannir X ?
R - C'est prévu dans nos lois, dans nos lois européennes.
Q - Oui, mais est-ce qu'il faut le faire aujourd'hui ? Oui d'accord, mais quand vous voyez les tweets d'Elon Musk, c'est quand même toutes les 20 minutes, un nouveau tweet politique avec des menaces. Est-ce qu'il faut bannir X ?
R - J'ai appelé plusieurs fois la Commission européenne à se saisir de manière beaucoup plus vigoureuse de ces outils que, démocratiquement, nous lui avons donnés pour dissuader ces comportements.
Q - Vous trouvez l'Union Européenne trop molle ?
R - De deux choses l'une, soit la Commission européenne applique avec la plus grande fermeté les lois que nous sommes données pour protéger notre espace public ; soit elle ne le fait pas, et alors il faudra qu'elle consente à rendre aux Etats membres de l'Union Européenne, à rendre à la France, la capacité de le faire.
Q - L'autre grand danger...
Q - C'est clairement une menace, ce que vous dites, à l'endroit de l'Union européenne.
R - Non, ce n'est pas une menace, c'est le principe de subsidiarité.
Q - Vous leur dites clairement qu'ils sont trop mous vis-à-vis des attaques d'Elon Musk et d'autres.
R - Je leur dis que nous avons bâti l'Union européenne sur un principe - le mot est un peu jargonneux - c'est celui de la subsidiarité. Le pouvoir est exercé là où il est le plus efficace. Si la Commission européenne ne sait pas nous protéger contre ces ingérences ou ces menaces d'ingérence, alors il faut qu'elle rende aux Etats membres, il faut qu'elle rende à la France la capacité de se protéger elle-même.
Q - L'autre grande incertitude, c'est l'Ukraine et l'attitude de Trump, là encore, vis-à-vis de ce pays. Emmanuel Macron a eu cette phrase hier : "Les Ukrainiens ont à mener des discussions réalistes sur les questions territoriales et eux seuls peuvent les conduire." Alors, qu'est-ce que ça veut dire exactement ? Qu'Emmanuel Macron, que les Occidentaux appellent les Ukrainiens et Zelensky à renoncer au Donbass, à la Crimée ? À lâcher 20% de leur territoire aux Russes et à Poutine ? C'est ça ? Traduisez-le pour nous, s'il vous plaît.
R - Ce que nous disons et ce que le Président de la République a rappelé, c'est que si depuis bientôt trois ans, nous soutenons pleinement le combat des Ukrainiens contre l'envahisseur russe, c'est d'une part parce qu'une telle annexion par la Russie consacrerait définitivement la loi du plus fort dont on parlait à l'instant, mais d'autre part parce que c'est bien notre sécurité qui est en jeu. Le combat des Ukrainiens c'est aussi le nôtre. Ce sont les Ukrainiens qui, aujourd'hui, tiennent la première ligne de défense contre la poussée de la menace. Et c'est pourquoi nous avons tant fait, et c'est pourquoi nous allons continuer à le faire. Ensuite, et nous l'avons toujours dit, ce sera aux Ukrainiens de décider du moment et des conditions de l'ouverture des négociations de paix. Et dans ce moment-là aussi, nous aurons une responsabilité. Quelle sera cette responsabilité ?
Q - Les garanties de sécurité...
R - Les garanties de sécurité.
Q - Oui, mais faut-il préparer les Ukrainiens et les Européens qui soutiennent les Ukrainiens à les voir concéder 20% du territoire, à les voir concéder la Crimée et le Donbass ? C'est à ça qu'on prépare les esprits ?
R - C'est une question qui appartient intégralement aux Ukrainiens. Mais nous avons une question très difficile à nous poser. La menace russe a progressé vers l'ouest depuis un certain nombre d'années. Depuis trois ans, elle a muté. Elle s'est métamorphosée en menace d'invasion à grande échelle. Elle s'est internationalisée vers l'Asie. Elle a pris des formes hybrides qui ont touché des pays européens. Ne croyons pas, quelle que soit l'issue de négociations de paix, que c'est la fin de l'histoire.
Q - Jean-Noël Barrot, on ne vous laissera pas partir sans vous poser une question sur Boualem Sansal. Pourquoi il est toujours dans les geôles algériennes, à l'heure où nous parlons ?
R - Je suis tout à fait consterné, comme de très nombreux Français, par sa détention, par le rejet par la Cour d'appel d'Alger de sa demande de remise en liberté. Le Président de la République s'est exprimé clairement sur ce sujet. Nous sommes très préoccupés par les conditions de sa détention, très préoccupés par ses conditions de santé. Et nous regrettons l'attitude qui est celle des autorités algériennes qui expriment des messages d'hostilité vis-à-vis de la France, alors même qu'en 2022, les deux présidents, Français et Algériens, ont signé une feuille de route qui projetait notre relation vers l'avenir. Mais pour tenir une feuille de route, il faut être deux. Je suis évidemment à disposition des autorités algériennes pour avoir un dialogue franc sur le sujet, mais encore faut-il qu'elles le veuillent.
Q - Merci Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Merci d'avoir été à notre micro ce matin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2025