Interview de M. Manuel Valls, ministre des outre-mer, à RTL le 9 janvier 2025, sur le bilan humain du cyclone Chido et le projet de loi d'urgence pour Mayotte.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
Et tout de suite, l'invité de RTL Matin. Thomas, vous recevez aujourd'hui, le ministre des Outre-Mer, ministre d’État et ancien Premier ministre, Manuel VALLS.

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Manuel VALLS.

MANUEL VALLS
Bonjour Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
On est heureux de vous avoir avec nous ce matin, mais qu'est-ce que vous faites là, Manuel VALLS ?

MANUEL VALLS
J'assume une mission passionnante, exaltante, s'occuper, être attentif à nos compatriotes ultramarins.

THOMAS SOTTO
Mais justement, vu la gravité de la situation à Mayotte, est-ce que votre place ne serait pas là-bas ? Est-ce que vous ne devriez pas y installer votre bureau, pendant un mois ou deux, au plus près des habitants et des problèmes qui sont innombrables ?

MANUEL VALLS
Il faut laisser travailler évidemment les services de l’État, les associations, les ONG, les élus et leur administration et tous les bénévoles qui sont sur le terrain. J'y ai passé trois jours, d'abord avec le Premier ministre et ensuite seul. Et puis, je vais y revenir dans quelques semaines, à la fin du mois de janvier, pour refaire un point. Je dois donner aussi une impulsion d'ici Paris, avec une mission Mayotte qui est auprès de moi…

THOMAS SOTTO
C'est plus facile d'aider Mayotte depuis Paris qu'en aidant là-bas ?

MANUEL VALLS
Il faut faire les deux, parce qu'il faut d'abord mobiliser tous les ministères, toute l'administration. Si le ministère des Outre-mer a été placé par le Premier ministre à ce niveau-là, c'est précisément pour répondre aux urgences qu'il y a dans les Outre-mer et d'abord, bien sûr, à Mayotte. Une mission auprès de moi pour mobiliser toute l'administration, en lien évidemment avec ceux qui sont sur le terrain. Et puis, si je suis là aussi, c'est parce que lundi prochain, à l'Assemblée nationale, devant la Commission des affaires économiques, je présente le projet de loi Urgence.

THOMAS SOTTO
On va y venir. Ça fera un mois dans quelques jours que Mayotte a été dévastée par ce cyclone Chido. Et un mois après, on n'est toujours pas capable de donner un bilan humain sûr, fiable, de cette catastrophe. Est-ce que vous pouvez nous dire, ce matin, combien de victimes a fait ce cyclone ?

MANUEL VALLS
Rappelez-vous, on a parlé d'abord de 50 000 morts.

THOMAS SOTTO
Oui, le préfet, une voix de la République.

MANUEL VALLS
Pas seulement. Oui, parce qu'il y avait – je ne sais pas si vous l'avez remarqué vous-même – il y avait une espèce de silence, de sidération avec la destruction de tous les bidonvilles. Et il y avait une interrogation. Aujourd'hui, officiellement, il y a 39 morts, 124 blessés graves et un peu moins de 5 000…

THOMAS SOTTO
C'est un bilan qui s'approche du bilan définitif ou on ne le sait toujours pas ?

MANUEL VALLS
5 000 blessés légers, pour être précis. Je suis prudent. On peut découvrir encore, peut-être, quelques dizaines de morts supplémentaires. On verra aussi, au moment de la rentrée scolaire. Vous savez que l'INSEE va faire, avec les élus, un travail de recensement à la demande du Premier ministre. Vous savez qu'il y a aussi des questionnements sur le nombre d'habitants. Il y a 50 % de la population qui est étrangère à Mayotte, dont une grande partie sont des irréguliers. Donc, il y a besoin d'avoir un recensement. Mais on est très loin, fort heureusement, même si chaque victime est une victime de trop, des chiffres alarmants qui avaient été donnés.

THOMAS SOTTO
On est, en gros, à 320 000 habitants recensés et 100 000 étrangers dont on estime qu'ils seraient là en situation irrégulière. Hier, le Conseil des ministres a adopté, vous l'évoquiez, le projet de loi d'urgence pour la reconstruction de l'archipel. Il faudra combien de temps pour reconstruire Mayotte, les écoles, les logements ?

MANUEL VALLS
Plusieurs mois, bien évidemment. Et pour changer le visage de Mayotte, il faut évidemment du temps.

THOMAS SOTTO
Parce que la reconstruction, on parle d'Algeco ou on parle de vraies reconstructions ? On parle de provisoire ou du retour des bidonvilles ?

MANUEL VALLS
Essayons d'ordonner les choses, en tout cas pour ce qui concerne le Gouvernement, pour ce qui concerne l'État. Il y a l'urgence immédiate qui se poursuit. C'est-à-dire faire en sorte que tous les habitants aient accès à l'eau courante, à l'eau potable, et qu'ils soient, par exemple, aussi réalimentés.

THOMAS SOTTO
Ça sera chose faite fin janvier, disait le Premier ministre ?

MANUEL VALLS
Fin janvier, mais je me méfie des pourcentages. C'est pour ça qu'autour du préfet, il y a des sous-préfets, il y a des fonctionnaires qui sont chargés. Ce sont des missions pour aller jusqu'au dernier kilomètre, parce qu'on peut avoir des pourcentages. Et puis après, on s'aperçoit qu'il y a un village, il y a une commune, il y a des habitants, il y a des citoyens qui ne sont pas alimentés, ni en eau courante, ni en électricité. Et puis, faire en sorte que les aliments arrivent partout. Ça, c'est l'urgence. Ensuite, il faut préparer la rentrée scolaire administrative à partir du 13 janvier, et pour les enfants, pour les jeunes, à partir du 20.

THOMAS SOTTO
Ça, ça se fera ? C'est confirmé ou ce n'est pas sûr ?

MANUEL VALLS
30% des établissements scolaires sont impraticables. Donc il faut organiser cette rentrée. C'est très important.

THOMAS SOTTO
Donc ce n'est pas garanti pour le 20 janvier pour les élèves ?

MANUEL VALLS
Si, c'est garanti dans 70 % des écoles, des collèges et des lycées. Mais ça s'organise. Il y avait déjà une surpopulation scolaire. Donc il faut l'organiser. C'est la tâche, évidemment, d’Élisabeth BORNE. Mais il faut surtout que – je n'ose pas dire une vie normale, parce que ça mettra du temps – mais que les enfants mahorais puissent, évidemment, revenir à l'école.

THOMAS SOTTO
Il y a encore des sinistrés qui occupent les écoles aujourd'hui ?

MANUEL VALLS
Il y en avait, il y a quelques jours, il y en avait un peu plus de 10–000. Aujourd'hui, on doit être autour de 2 000. Et là, tous les travaux de réfection, l'arrivée de matériel scolaire, de mobilier, arrivent dans les écoles. Et évidemment, il n'y aura plus aucune occupation des écoles, des collèges et des lycées. Il y a le problème, j'insiste, de la santé. Il y a toujours des risques d'épidémie.

THOMAS SOTTO
Le choléra ?

MANUEL VALLS
Il y a déjà eu du choléra il y a quelques mois à Mayotte. Par exemple, il faut dégager, d'ici au 15 janvier, tous les déchets ménagers. Le problème de l'eau, plus les déchets, vous voyez ce que cela peut représenter. Il y a un travail formidable de l'hôpital, de l'hôpital de campagne, des médecins sur place pour éviter cela. Ça, c'est l'urgence. Et ensuite, il y a la question de la reconstruction. Le texte de loi auquel vous faisiez allusion est là pour écraser les procédures.

THOMAS SOTTO
Mais il n'y a rien dans ce texte de loi sur les bidonvilles ?

MANUEL VALLS
Il va y avoir quelque chose dans les bidonvilles.

THOMAS SOTTO
Mais quand ?

MANUEL VALLS
Là, dès lundi, par voie d'amendement gouvernemental ou parlementaire.

THOMAS SOTTO
Ils seront interdits ? Ça sera au programme ?

MANUEL VALLS
Vous savez, interdire l'interdiction… interdire quelque chose qui est interdit, c'est évidemment toujours un peu compliqué.

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous ferez respecter cette interdiction ? Est-ce que l'État fera en sorte que ces bidonvilles ne se reconstituent pas ?

MANUEL VALLS
Exactement, c'est bien ça. D'abord, par les moyens qu'on donne aux forces de l'ordre pour empêcher ces reconstitutions. Mais moi, je veux être franc, ils se sont reconstitués très vite après le cyclone. Et puis, on va allonger les délais de flagrance. On va élargir le travail des agents qui peuvent constater ces édifications illégales. On va faciliter juridiquement le travail des officiers de police judiciaire afin de traverser les bidonvilles, ce qu'on appelle les bangas, pour contrôler les activités illégales.

THOMAS SOTTO
Il n'empêche, Manuel Valls, que tout ça, ça crée des tensions, à tel point que le préfet de la République a appelé à la paix civile. Elle est menacée aujourd'hui, la paix civile, à Mayotte ?

MANUEL VALLS
Il y a une très grande tension, parce qu'au fond…

THOMAS SOTTO
Donc oui, elle est menacée ?

MANUEL VALLS
D'une certaine manière, une forme de vivre ensemble est menacée. Pourquoi ? Parce que Mayotte crève de deux fléaux qui sont liés : l'immigration irrégulière et l'habitat illégal. Donc, ces deux questions doivent être traitées avec la plus grande fermeté ; lutter contre l'immigration régulière, reconduire à la frontière, c'est-à-dire des moyens qui ont été en partie détruits – je pense, au radar, par le cyclone – un travail aussi très ferme avec les Comores. Et puis, nous créons un établissement public pour la reconstruction de Mayotte.

THOMAS SOTTO
Sur le mode de Notre-Dame, en fait, en gros.

MANUEL VALLS
Oui. Il y a d'ailleurs le général FACON qui a été désigné, hier, comme préfigurateur. Il s'agit, là aussi, de maîtriser le sol. Vous savez que la grande majorité des Mahorais n'ont pas de droit de propriété et n'ont pas non plus d'assurance. Donc, ce sont tous ces sujets-là pour reconstruire. Moi, je suis volontariste et je sais, de l'autre côté, qu'il y a encore beaucoup de problèmes à résoudre et à surmonter. Mais nous le ferons parce que le monde nous regarde – c'est essentiel – les Outre-mer, mais aussi toute la région autour, ce que la France peut faire dans une région. Les Mahorais sont particulièrement attachés à la France.

THOMAS SOTTO
Et des problèmes en Outre-mer, il y en a d'autres en Guadeloupe, en Martinique, la Vichères. On aura l'occasion d'en reparler.

MANUEL VALLS
C'est pour ça que je ne peux pas être qu'à Mayotte. Il y a évidemment la question de la Nouvelle-Calédonie ou de la Vichères.

THOMAS SOTTO
Il nous reste un peu plus d'une minute. Question politique : est-ce que, comme Bruno RETAILLEAU, vous êtes favorable à l'interdiction du port du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires et à l'université ?

MANUEL VALLS
Thomas SOTTO, avec un peu d'expérience qui est la mienne, moi, je ne veux pas participer à des débats qui ne sont pas directement de mon département ministériel. Il y a une ministre de l'Éducation ; elle traite ces questions.

THOMAS SOTTO
Ça s'appelle botter en touche quand même.

MANUEL VALLS
Oui, exactement. Parce que moi, je me consacre à 100 %... Vous ne pouvez pas me demander d'être présent tout le temps à Mayotte alors qu'il y a les urgences…

THOMAS SOTTO
Puisque vous êtes là, j'en profite. Est-ce que c'est une erreur de mettre ce sujet sur le tapis ? Est-ce que la porte-parole du Gouvernement, Sophie PRIMAS, a eu raison de fermer la porte sur le sujet hier ?

MANUEL VALLS
Les convictions républicaines et laïques, qui sont les miennes et d'autres membres du Gouvernement, chacun peut les connaître. Mais je crois que nous devons nous consacrer chacun à sa tâche et à ses priorités. Moi, je suis ministre d'État en charge des Outre-mer. C'est un changement majeur. Nos compatriotes, près de 3 millions, qui vivent dans ces Outre-mer, ont depuis longtemps le sentiment d'une forme d'abandon, de mépris. Donc moi, je me consacre à eux d'abord. Et je ne participe pas, évidemment, à tous les débats, à toutes les polémiques qui peuvent exister aujourd'hui sur l'espace médiatique.

THOMAS SOTTO
J'ai une toute dernière question. Vous avez une jolie cravate rose aujourd'hui. Est-ce que vous êtes toujours un homme de gauche, un socialiste, Manuel VALLS ?

MANUEL VALLS
Je suis toujours un républicain de gauche.

THOMAS SOTTO
Socialiste ?

MANUEL VALLS
Ce n'est plus ma famille politique. Je ne suis plus au Parti Socialiste. Et il y a très longtemps, j'avais pu dire que le socialisme était un mot qui était dépassé. Mais j'ai les convictions de gauche républicaine. Je suis surtout membre du Gouvernement de la France. Et je dois m'occuper de tous les Français qui vivent en Outre-mer ou tous les ultramarins, près d'un million, qui vivent dans l'Hexagone.

THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Manuel VALLS d'être venu sur RTL ce matin. Philippe CAVERIVIÈRE arrive. Vous restez avec nous ?

MANUEL VALLS
Évidemment, oui. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu…


source : Service d'information du Gouvernement, le 10 janvier 2025