Entretien de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec Sud Radio le 9 janvier 2025, sur Donald Trump, l'Union européenne face aux États-Unis et à la Chine, le Groenland, Elon Musk, l'accord avec le Mercosur, le déficit commercial de la France et Boualem Sansal.

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Média : Sud Radio

Texte intégral

Q - Merci d'être avec nous, Laurent Saint-Martin. Je vais commencer avec Donald Trump. Pourquoi ? Parce que ce sera l'événement de ce mois de janvier. Le 20 janvier, Donald Trump est intronisé Président des Etats-Unis. Et il a dit qu'il augmenterait fortement les droits de douane sur les produits européens - et donc notamment français - exportés aux Etats-Unis. Alors que ferez-vous ? Que répondrez-vous ? Que direz-vous à M. Trump ?

R - D'abord, Donald Trump, la France a déjà travaillé avec lui sous son premier mandat. Le Président de la République, Emmanuel Macron, le connaît. On peut travailler ensemble. Et Donald Trump sait que la France est un pays allié, est un pays ami, avec qui on peut effectivement avoir des négociations. Parce que Donald Trump, c'est quelqu'un qui transige, c'est un transactionnel permanent et absolu. Et donc il faut être lucide sur nos désaccords avec l'administration Trump, mais vous savez, l'administration Biden était également protectionniste et les politiques tarifaires étaient aussi difficiles vis-à-vis de l'Europe. Donc il faut être lucides sur nos désaccords, et aussi se réveiller en Europe, comprendre que ce monde qui bouge extrêmement fortement - pas que d'un point de vue commercial mais, puisque c'est mon sujet, aussi d'un point de vue commercial - doit nous appeler à nous renforcer. C'est vrai sur le plan militaire, mais c'est vrai aussi, évidemment, en termes de politique commerciale.

Q - Oui, mais l'Europe est désunie, Laurent Saint-Martin.

R - Et je ne vous fais pas dire que nous avons besoin de nous renforcer en Européens, dans une guerre commerciale qui, évidemment, ne commence pas avec l'investiture de M. Trump, mais a déjà commencé, évidemment, de continent à continent - l'Amérique du Nord, les Etats-Unis, la Chine. L'Europe ne doit pas regarder les trains passer dans la compétition économique mondiale. Elle a des atouts, l'Europe, et la France en particulier. Je rappelle que la France, c'est le pays le plus attractif d'Europe depuis maintenant cinq ans. Le premier pays investisseur en France, vous savez qui c'est, Jean-Jacques Bourdin ? Ce sont les Etats-Unis. Donc les Etats-Unis, ils ont aussi besoin d'Europe. Donc on va négocier, on va travailler. Ça s'appelle du rapport de force, et c'est sain en économie et en politique commerciale.

Q - Donald Trump est un impérialiste ?

R - Je ne sais pas si la vocation première des Etats-Unis est d'être un pays impérialiste, je ne le crois pas. Je vois bien à quoi vous faites référence, sur sa dernière déclaration, notamment sur le Groenland et d'autres...

Q - Et le Panama, et le Canada.

R - Mais à nouveau, Donald Trump est un négociateur, un transactionnel permanent. Et donc nous avons besoin de jouer ce rapport de force. Et ce que je voudrais surtout dire ce matin...

Q - Mais là, il ne négocie pas.

R - ...c'est que... Mais on peut...

Q - Dans cette déclaration, d'ores et déjà, avant même qu'il soit Président des Etats-Unis...

R - Donald Trump, quelles sont ses priorités ? D'abord, les Etats-Unis, c'est l' "America First". Ensuite, la Chine et la guerre commerciale.

Q - Ensuite, les Etats-Unis, et ensuite encore les Etats-Unis...

R - Et ensuite l'Europe.

Q - ...Et puis peut-être un jour la Chine ou l'Europe.

R - Il faut être lucides par rapport à tout ça. Mais il faut d'abord aussi nous regarder nous-mêmes et nous renforcer. Jean-Jacques Bourdin, l'Europe a été en capacité de se renforcer et de prendre des initiatives exceptionnelles, notamment pendant la crise Covid et au lendemain de la crise Covid. On a fait un endettement commun, vous vous souvenez, pour un fonds et pour une relance de 750 milliards d'euros, qui nous a permis justement d'être au niveau, à ce moment-là. Pourquoi on ne le ferait pas dans cette nouvelle guerre commerciale où on a besoin d'investissements en Europe ? Donc on peut commenter les velléités, les provocations de tel ou tel chef d'Etat, et notamment Donald Trump, mais je crois que la priorité, c'est d'abord de se mettre en ordre de marche nous-mêmes, face aux Etats-Unis, face à la Chine...

Q - Ça, j'ai compris.

R - C'est extrêmement important, parce que tant qu'on sera dans le commentaire de l'autre, nous ne nous regarderons pas nous, et nous ne ferons pas en sorte d'être plus forts, Européens.

Q - On ne peut pas ne pas réagir aux propos de Donald Trump sur le Groenland, par exemple.

R - Bien sûr. Et la réponse est très claire, c'est que le Groenland est un territoire européen, et que donc il ne peut y avoir effectivement de telles provocations là-dessus.

Q - Quels moyens avons-nous de répondre à Donald Trump ?

R - Je ne crois pas que Donald Trump fera une pénétration armée au Groenland, si c'est votre question. Je n'y crois pas une seule seconde.

Q - L'annexion du Groenland par les Etats-Unis, est-ce acceptable ?

R - C'est un territoire sous tutelle danoise ; c'est d'abord aux Danois de s'exprimer là-dessus. Et évidemment que c'est un territoire européen, et que donc il ne saurait y avoir non seulement d'ingérences mais, au-delà, de fantasmes sur la pénétration américaine sur ce territoire.

Q - Oui... Annexion. Je dis bien annexion, parce que le mot est employé. Annexion, comme pour le Panama, d'ailleurs, comme pour le canal du Panama.

R - Donald Trump est investi dans quelques jours. Nous verrons bien, à l'aune des discussions qui seront les nôtres entre Européens... Je crois qu'il est d'ailleurs nécessaire que nous soyons le plus unis aussi dans les discussions avec les Etats-Unis, et que ce ne soit pas que la France et Donald Trump.

Q - Mais cet impérialisme... Ce n'est pas de l'impérialisme cela, de vouloir annexer le Groenland, le Panama, de vouloir transformer le Canada en 51ème état des Etats-Unis ? N'est-ce pas de l'impérialisme ? Est-ce de l'impérialisme ?

R - Je répète que je ne crois pas que les Etats-Unis aient comme priorité première ce niveau d'impérialisme-là. Je crois que nous sommes davantage dans la déclaration que dans l'intention concrète. Après, ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le prendre au sérieux, et ça ne veut pas dire que Donald Trump II sera effectivement...

Q - Le même que Donald Trump I ?

R - Exactement. Donc oui, il va falloir être lucides sur le fait que nous entrons dans une nouvelle ère. Parce qu'il n'y a pas que ça, Jean-Jacques Bourdin. Le monde a changé aussi entre Donald Trump I et Donald Trump II.

Q - Je vais venir sur le monde qui change, dérégulé, sur cette volonté de redessiner les cartes du monde...

R - Les rapports de l'Europe... Beaucoup de choses ont changé.

Q - Oui, beaucoup de choses ont changé. Mais on reproche tant à Poutine son impérialisme - à juste raison - en Ukraine. Si Trump fait la même chose...

R - Vous comparez une agression illégale de Vladimir Poutine en Ukraine avec des déclarations aujourd'hui du Président américain.

Q - Oui. Et s'il va au bout de ses déclarations, est-ce légal ou pas ?

R - Avec des "si", Jean-Jacques Bourdin, on peut faire beaucoup de choses. Je ne crois pas, et je le répète, que l'objectif de Donald Trump et des Etats-Unis soit l'annexion, et encore moins par la force, de territoires qui ne sont pas des territoires américains.

Q - Bien. Puisqu'on parle d'ingérences, d'annexions, parlons d'Elon Musk, de l'ingérence Elon Musk, de l'ingérence dans les affaires politiques européennes. Alors, je vous pose une question toute simple : est-ce qu'Elon Musk est un danger pour nos démocraties européennes ?

R - D'abord, qui est Elon Musk ? Est-ce qu'on parle de l'entrepreneur qui a fait, je crois, des choses assez géniales, que ce soit sur SpaceX, sur Tesla, et qui est d'ailleurs un industriel et un investisseur que nous souhaitons avoir en Europe, sur ce plan-là ?

Q - Mais aussi un libertarien, ne l'oublions pas.

R - Ou alors parle-t-on d'Elon Musk d'abord comme acquéreur d'un réseau social, un des plus importants au monde ? Donc ce n'est pas rien ; ça confère une responsabilité nouvelle dans le débat public. Ou alors encore, parle-t-on d'Elon Musk, futur membre de l'administration Trump ? Et là ce n'est plus la même chose, parce qu'on voit bien effectivement qu'Elon Musk devient un homme politique, de fait. Et donc là aussi, soyons prudents, mais vigilants et lucides. Est-ce que les propos d'Elon Musk sur l'AfD en Allemagne, sur le Premier ministre britannique, engagent le Président élu américain, oui ou non ? Ça, ce sont des questions qui sont importantes. Est-ce que c'est aujourd'hui le porte-parole de Donald Trump ? Je ne le crois pas. Je suis même sûr que non. Mais nous avons là aussi besoin d'être fermes sur les relations que nous devons avoir...

Q - Je vous repose la question : est-il, aujourd'hui, devenu un danger pour nos démocraties européennes ?

R - Je crois que s'il s'agit d'ingérences répétées sur des choix souverains, que sont notamment les élections en Allemagne, mais qui peuvent aussi être...

Q - Il fait la promotion de son débat avec Alice Weidel, la chef de l'AfD.

R - Je suis d'accord, oui. Le Président de la République a utilisé une expression que je trouve assez juste, c'est qu'il s'est mis lui-même, avec la puissance de frappe de son réseau social, et membre de l'administration Trump, à la tête "d'une internationale réactionnaire". Je trouve que c'est assez juste. Ce ne sont pas nos idées, et en Europe on doit, notamment les démocraties libérales que nous défendons, défendre ces idées-là et nos valeurs.

Q - Est-il devenu un danger pour nos démocraties européennes ?

R - C'est un adversaire sur l'idéologie. Ce n'est pas aujourd'hui un danger à proprement parler. Vous êtes sur X, je suis sur X. Si on veut que ce soit considéré comme tel, il va falloir bannir ces réseaux sociaux. Aujourd'hui, on n'en est pas là.

Q - C'est la menace brandie par Jean-Noël Barrot.

R - Ce n'est pas une menace ; c'est rappeler que nous avons des outils législatifs qui existent, et qui évidemment doivent ne rien interdire [de faire]...

Q - La France peut interdire X ?

R - Dans l'absolu, oui. Je ne suis pas sûr qu'il faille aller jusque-là, mais c'est quelque chose de possible. Et à un moment, encore une fois, il va falloir arrêter d'être naïfs. Vous l'avez très bien dit : le monde se dérégule. Le monde bouge à une vitesse folle. On ne peut pas être les derniers herbivores du monde à regarder ces rapports de force et cette nouvelle loi du plus fort s'opérer sans nous. Donc il va falloir répondre. Et s'il faut répondre par le bannissement d'un réseau social, honnêtement, on le fera. Ce n'est pas ça la question. Mais aujourd'hui, on est le 9 janvier 2025, il n'y a pas ce sujet-là à l'ordre du jour. Par contre, il y a la question que je pose, à quelques jours de l'investiture de Donald Trump :de quel Elon Musk parlons-nous ?

Q - Laurent Saint-Martin, dérégulation commerciale, dérégulation sociale, dérégulation dans l'information, des règles environnementales, dérégulation financière et monétaire, aussi : aujourd'hui, c'est ce que nous vivons, Laurent Saint-Martin. Le Mercosur, c'est une forme de dérégulation, c'est du libre-échangisme. La France est complètement opposée à cet accord ? Vous le confirmez ?

R - En l'état, oui.

Q - Même s'il peut être favorable à l'industrie française ? On est bien d'accord ?

R - En l'état, l'accord du Mercosur n'est pas acceptable pour la France. Tant qu'il n'y aura pas, au minimum, le travail sur les clauses miroirs, sur les normes environnementales et sanitaires - concernant les importations de bovins notamment - il ne peut y avoir d'accord français. Et la bataille n'est pas finie sur le Mercosur.

Q - Où en est-on de cette bataille ? Parce que l'accord a été signé par l'Union européenne.

R - Oui, mais l'Histoire, même récente, nous a démontré que quand on en est à ce stade, il y a encore beaucoup de rapports de force et beaucoup de travail à mener. Ce sera notamment mon job d'aller mener cette bataille-là. Je vais recevoir d'ailleurs l'ensemble des filières agricoles concernées. C'est très important de les écouter, de les entendre avec la ministre de l'Agriculture. Et nous avons besoin de continuer à mener cette bataille. La messe n'est pas dite.

Q - Mais comment la menons-nous, cette bataille ? Où ? À Bruxelles ?

R - On va évidemment la mener à l'échelle communautaire, parler à nos partenaires européens, parler aussi à nos partenaires sud-américains. Il y a, je crois, matière à défendre... La question de la minorité de blocage n'est pas arrêtée. La question du contenu de cet accord n'est pas définitive. Et donc oui, je maintiens : la messe n'est pas dite concernant le Mercosur. Et nous nous battrons pour nos agriculteurs et pour nos éleveurs bovins en particulier.

Q - Le déficit commercial de la France est encore haut, même s'il baisse. On est à 7,3 milliards, je crois, pour le mois de novembre. 7,3 milliards de déficit. Vous avez le chiffre sur l'année 2024 ?

R - Pas encore. Il sortira au mois de février. Mais pourquoi est-ce qu'on est en déficit chronique ?

Q - Mais il sera inférieur à celui de 2023 ?

R - Je le souhaite. Je souhaite qu'il y ait une résorption du déficit commercial.

Q - Vous le souhaitez, mais vous le savez ?

R - Non, je n'ai pas encore les chiffres sur 2024, parce qu'ils sont en train d'être consolidés. Ils arriveront au mois de février. Ce sont les douanes qui le consolident au début du mois de février, donc ce sera dans quelques semaines. Ce que je peux vous dire, c'est que si on a un déficit chronique sur notre balance commerciale, c'est d'abord parce qu'on ne produit pas assez chez nous. Ce que vous ne produisez pas, vous ne l'exportez pas, vous ne le vendez pas ailleurs. Vous êtes d'accord avec ça ? Donc vous importez plus. Aujourd'hui, nous avons besoin d'abord et prioritairement de continuer cet effort de réindustrialisation. Quand vous ouvrez des usines dans votre pays, vous vous donnez les capacités d'abord d'être plus souverains sur votre production, et puis de la vendre à l'export, à l'international, et donc de réduire votre déficit commercial.

C'est une vraie question de souveraineté, le déficit commercial. Ce n'est pas qu'une question monétaire et de chiffres comptables. C'est une vraie question de souveraineté. Et donc la prospérité d'un pays ne dépend pas tant de son solde commercial... Par contre, sa question de souveraineté et de réindustrialisation, oui. Donc on a besoin de poursuivre ce qui a été fait ces sept dernières années. On a besoin de continuer à attirer des investissements du monde entier pour se dire que sur l'économie décarbonée, sur l'industrie, sur les véhicules électriques, sur l'hydrogène, sur toutes ces filières prioritaires, la France doit devenir leader non seulement européen, mais l'un des leaders mondiaux là-dessus. Et c'est comme ça qu'au fur et à mesure, par notre innovation, par notre recherche et développement, et par la production retrouvée dans notre pays, nous arriverons à résorber ce déficit commercial. Pas autrement. Il ne faut pas raconter d'histoires. Ce n'est pas par quelques contrats qu'on arrivera à résorber le déficit commercial. Reproduisons chez nous. Faisons de la réindustrialisation une priorité. Et là, on pourra effectivement être excédentaires sur notre balance commerciale.

(...)

Q - Une dernière question : est-ce que les Français d'Algérie se sentent en danger ?

R - Je ne le crois pas.

Q - Les Français qui vivent en Algérie aujourd'hui, vu les tensions qu'il y a entre la France et l'Algérie ? Est-ce que les relations commerciales ont changé, aussi ?

R - Ce sont surtout les relations diplomatiques, d'abord, qui se sont évidemment dégradées. Vous faites évidemment référence au sort de Boualem Sansal, à travers...

Q - Oui, Boualem Sansal, et puis aux échanges entre les gouvernements algérien et français.

R - Bien sûr. On ne peut pas dire que l'ensemble de nos ressortissants français en Algérie soient en danger, sinon, évidemment, des mesures seraient prises en fonction. En revanche, vous évoquez évidemment et vous sous-entendez la question de Boualem Sansal là-dessous. Et je crois qu'il faut être très clairs là-dessus : son emprisonnement est scandaleux, ne doit pas avoir lieu. La France réclame évidemment sa libération, surtout au vu de son état de santé. C'est aujourd'hui la priorité, puisque c'est le cas d'espèce qui trouble beaucoup de nos concitoyens - et a raison. Nous continuons à appeler à sa libération.

Q - Merci à vous, Laurent Saint-Martin.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2025