Déclaration de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur loi confortant le respect des principes de la République, à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le thème : L'évaluation de la loi confortant le respect des principes de la République "

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " L'évaluation de la loi confortant le respect des principes de la République ", demandé par le groupe Ensemble pour la République dans le cadre de sa séance thématique. Conformément à l'organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d'abord les rapporteurs – qui ont rédigé une note mise en ligne sur le site internet de l'Assemblée nationale –, puis les orateurs des groupes et, enfin, le gouvernement. Nous procéderons ensuite à une session de questions-réponses.

(…)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur
Évaluer la mise en œuvre de la loi est une mission essentielle du Parlement – nous y sommes. Lorsque cette évaluation porte sur un sujet aussi essentiel que le respect des principes de la République, dont la loi du 24 août 2021 entend conforter la défense, elle nous oblige encore davantage.

Comme je l'avais indiqué dans d'autres circonstances, en tant que président de la commission des lois du Sénat, lors des débats qui avaient précédé son adoption, si cette loi ne règle pas tout et n'aborde pas tous les sujets, elle établit de nouveaux remparts dans la défense de nos valeurs républicaines, dans le combat pour la laïcité et contre le séparatisme.

Car oui, la laïcité est un combat, qui se mène tout le temps et partout : aucun domaine de la vie collective n'échappe au fait religieux ; aucun service public n'est préservé des revendications identitaires. Les interventions qui ont précédé en ont apporté des témoignages : à l'hôpital, à l'université, dans les entreprises, les exigences se font de plus en plus pressantes. Et à l'école, elles se font de plus en plus violentes.

Ce combat, nous le mènerons par la force de nos lois. Depuis plusieurs années, nous avons renforcé notre arsenal législatif. En 2016, deux lois ont été adoptées qui contenaient chacune des dispositions relatives à la laïcité : l'une dans les services publics, l'autre dans les entreprises. Et à la suite du discours des Mureaux prononcé par le président de la République, la France a souhaité se doter d'une stratégie globale et offensive afin de combattre le séparatisme, ce faux nez du rejet de la laïcité. Grâce à la loi confortant le respect des principes de la République, nous disposons d'instruments efficaces pour répondre concrètement à ces atteintes.

Plusieurs des rapporteurs qui se sont exprimés ont mis en doute l'impact de la loi. Si elle n'a pas tout réglé, comme je l'ai souligné, certains de ses résultats peuvent être rappelés. Le premier d'entre eux a été de garder le courage de voir. Voir que les atteintes à la République et à la laïcité existent et qu'elles sont de plus en plus nombreuses. Voir aussi qu'elles ne sont pas toutes signalées, tant s'en faut. J'ai en mémoire ce chiffre inquiétant tiré d'une étude de l'Ifop : en décembre 2022, près de la moitié des enseignants admettaient ne pas avoir signalé à leur administration la dernière atteinte à la laïcité à laquelle ils avaient été confrontés. Je l'ai moi-même constaté dans le cadre d'un rapport que j'ai publié au Sénat avec le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, relatif au signalement et au traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes.

Garder le courage de voir, c'est aussi retrouver le courage de dire. Dire que la République est notre bien commun et qu'il n'est pas négociable. Non seulement pour l'État, bien sûr, qui doit veiller dans les services publics à une stricte neutralité et qui doit permettre à chacun de croire ou de ne pas croire et de pratiquer son culte, mais aussi et surtout pour les citoyens, qui doivent reconnaître qu'à chaque sphère correspond un principe régulateur propre : la liberté dans la sphère privée, la neutralité dans la sphère publique, la discrétion dans la sphère civile. L'histoire de la civilisation française, c'est celle de la querelle réglée entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux.

Cette querelle, que l'on croyait réglée, ressurgit aujourd'hui parce que la République est fragilisée : la nation est fracturée, les affirmations communautaires s'y développent comme autant d'archipels identitaires d'origines, de religions ou de croyances. Ces entorses à la promesse républicaine se manifestent par une remise en cause de plus en plus fréquente de la laïcité, souvent de façon insidieuse. Les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard nous rappellent que les attaques contre la République prennent également des formes ultraviolentes. Souvenons-nous, dans nos débats, que Samuel Paty et Dominique Bernard ont été assassinés précisément parce qu'ils enseignaient à nos enfants la laïcité contre les communautarismes.

M. Jérôme Guedj
Et la liberté !

M. François-Noël Buffet, ministre
Le meilleur antidote contre ce poison communautariste, c'est la nation. La nation protectrice des libertés des femmes, des droits de tous et des choix de chacun. La nation fédératrice, unie sous son drapeau, rassemblée autour de ses principes républicains, comme la laïcité qui dessine notre espace commun. La nation éducatrice aussi, car l'histoire nous l'a enseigné : c'est dans l'ignorance que, toujours, surgit le mal. Et la nation – notre nation à tous, par-delà nos différences –, ce n'est pas négociable.

C'est la promesse républicaine, celle que l'école enseigne, celle à laquelle Samuel Paty croyait, d'une communauté qui transcende toutes les autres, d'une fraternité civique qui ne repose ni sur la couleur de peau ni sur l'origine ou la religion mais bien sur un projet collectif qui puise sa sève dans les siècles d'histoire de notre grand pays et dans les idées que notre nation a offertes au monde. Ce sont d'ailleurs les mots d'Ernest Renan : " La nation, comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. "

La loi du 24 août 2021 réaffirme ces principes ; elle œuvre à les rappeler, à les partager et à refuser les accommodements qui deviennent des compromis, à rejeter les compromis qui conduisent aux compromissions.

Dans les services publics, ce texte a permis la constitution d'un réseau de référents laïcité dont le rôle est déterminant pour la diffusion d'une culture de celle-ci dans les administrations. À ce jour, près de 17 000 référents laïcité ont été désignés, alors qu'on n'en comptait que quelques centaines avant l'adoption de la loi. Et il ne s'agit là que des chiffres relatifs à la fonction publique d'État et à la fonction publique hospitalière, puisque nous ne disposons pas, à ce stade, de chiffres consolidés s'agissant de la fonction publique territoriale.

Ces référents laïcité ont permis de faire remonter 5 049 signalements pour la période de 2022 et 2023, dont 4 710 pour le seul ministère de l'éducation nationale. Ces signalements portent essentiellement sur le port de signes religieux, la pratique religieuse sur le lieu de travail, le prosélytisme ou des discriminations commises par des agents publics à l'égard d'usagers. Ils ont pu généralement être réglés par le dialogue et le rappel du cadre juridique, ce qui explique, en définitive, le faible nombre de sanctions prononcées.

Par ailleurs, 730 000 agents publics ont d'ores et déjà été formés au principe de laïcité – la loi a rendu cette formation obligatoire. Enfin, une journée nationale de la laïcité a été instituée le 9 décembre de chaque année pour rappeler le rôle cardinal de ce principe.

Mais le texte ne fait pas que sensibiliser ou prévenir. Il comporte aussi un volet important d'obligations, notamment de transparence, et de sanctions. Il s'agit, en premier lieu, du délit de séparatisme qui punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait d'user de menaces, de violences ou d'intimidation à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle, ou une application différenciée des règles régissant le fonctionnement de ce service. La République ne peut en aucun cas se segmenter.

Selon les chiffres de la direction des affaires criminelles et des grâces, cinq personnes ont été jugées et condamnées pour ce délit en 2022, et neuf en 2023, pour une durée moyenne de cinq mois d'emprisonnement avec sursis. Le déféré laïcité, également créé par le texte, a comblé un véritable vide juridique et a mis en échec à deux reprises des décisions de collectivités territoriales portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. Il a ainsi permis, pour ne citer qu'un exemple, d'obtenir la suspension par le juge administratif d'une délibération du conseil municipal de la ville de Grenoble visant à modifier le règlement intérieur des piscines municipales pour y introduire le port du maillot de bain intégral, dit burkini, dans un contexte de revendication de nature religieuse.

La loi a aussi créé les outils permettant de mettre fin au financement public d'associations qui s'inscrivent en rupture avec les valeurs de la République. C'est le sens du contrat d'engagement républicain qui oblige désormais les associations sollicitant des subventions de l'État ou des collectivités territoriales à s'engager à respecter ces valeurs et qui conduit également à leur retirer ces subventions s'il s'avère qu'elles ne les respectent pas.

Il s'agit d'un levier puissant puisque les subventions publiques représentent 20% du budget cumulé des associations et que 61% d'entre elles perçoivent au moins un financement public. Dans le même ordre d'idée, le texte a permis de porter des coups sévères aux canaux de financement du séparatisme grâce à un meilleur contrôle de ceux-ci. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, 220 suspensions administratives de fonds de dotation ont été prononcées – soit une multiplication par plus de dix par rapport aux trois années précédentes –, et un financement en provenance de l'étranger a fait l'objet d'une opposition du ministre.

La loi a enfin facilité les dissolutions d'associations ou de groupements de fait. Depuis son entrée en vigueur, vingt-huit entités ont pu être dissoutes grâce aux modifications qu'elle a introduites : seize appartenant à la mouvance d'ultradroite, deux à la mouvance d'ultragauche, deux à la mouvance complotiste, six à la mouvance islamiste et deux à la mouvance indigéniste raciste.

Ces chiffres apportent un démenti formel à celles et ceux qui, sur certains bancs, reprochent à la loi et aux pouvoirs de n'être focalisés que sur la menace islamiste. Celle-ci est réelle, certes, et nous la prenons en compte, mais nous faisons aussi barrage à toutes les autres formes de séparatisme et de remise en cause violente de la République. Je le répète car telle est ma conviction : la République, ce bien commun, est la même pour tous.

Au-delà de ces chiffres, je le souligne, ce texte a eu un effet dissuasif certain. En effet, avant même sa promulgation, plusieurs lieux de culte ont modifié leurs comportements, de crainte d'être concernés par les nouvelles dispositions légales. Nous avons observé une plus forte implication des instances gestionnaires dans la maîtrise des propos, théories ou idées diffusés directement ou en lien avec le lieu de culte. Ainsi, plusieurs procédures engagées par les services de l'État, comme la fermeture administrative de la mosquée de Brive-la-Gaillarde ou plus récemment de celle des Bleuets à Marseille, ont été abandonnées après la prise de mesures correctrices par les instances gestionnaires pour se mettre en conformité avec la loi, en particulier le licenciement ou la démission de l'imam tenant les propos litigieux. Le dispositif actuel a donc démontré son efficacité et son utilité dans de nombreux cas, d'autant qu'il s'inscrit dans une stratégie plus large de lutte contre le séparatisme, menée sur le terrain notamment dans le cadre des cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (Clir).

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, 8 686 opérations de contrôles ont été menées, 673 établissements ont été fermés de manière temporaire ou définitive, un peu plus de 15 millions d'euros ont été redressés ou recouvrés et 592 signalements ont été effectués à l'autorité judiciaire au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Toutes ces mesures n'ont pas été prises uniquement sur le fondement du texte, mais elles témoignent de la forte mobilisation des services de l'État pour lutter contre le séparatisme.

J'en viens à mon deuxième point. J'ai conscience que ce bilan n'est encore que parcellaire et je partage l'avis exprimé par plusieurs orateurs sur le travail important qui demeure pour réarmer la République. Je ne conteste évidemment pas les conclusions de la commission des lois du Sénat, vous vous en doutez bien. Je le sais d'autant plus que j'avais souligné ces insuffisances lors des débats qui avaient précédé l'adoption du texte et que, encore récemment, le Sénat, dans un rapport d'information du 6 mars, en a lui-même souligné les limites, notamment un cadre juridique et administratif inachevé, une mobilisation encore inégale des acteurs au sein des administrations de l'État et des collectivités locales, ainsi qu'un recours encore peu fréquent aux outils créés par la loi. Ces différents constats reflètent pour partie un manque d'acculturation interministérielle à la réalité de la menace, auquel il nous faut remédier.

Le séparatisme islamiste est un phénomène insidieux : il vise à faire prévaloir des règles particulières, principalement de nature religieuse, sur les principes et les valeurs de la République. Il est une menace pour la République et pour les Français de culture, de tradition ou de confession musulmane eux-mêmes car il tend à les enfermer dans une pratique rigoriste de leur religion, parfois sous la menace et l'intimidation. Bien sûr, le séparatisme n'est pas que religieux, il n'est pas seulement la conséquence de l'islam politique, même si c'est aujourd'hui la principale menace. Il est protéiforme, prend de multiples visages, y compris celui de certaines formes d'extrémisme politique, qu'il soit de droite ou de gauche – aucun de ces visages n'est acceptable. Les intégrismes n'ont pas leur place dans notre République car ils en sont la négation même.

Quelle que soit la forme qu'il prend, le séparatisme constitue une menace particulièrement grave pour notre société et notre cohésion nationale, qui est un bien supérieur, et appelle donc de notre part une vigilance absolue. Le gouvernement en est bien conscient puisqu'il a confié à l'Inspection générale de l'administration le 4 décembre – avant ma prise de fonction – une mission afin d'évaluer le niveau de connaissance et de compréhension du phénomène séparatiste par les services de l'État ainsi que la pertinence et l'efficacité des dispositifs pour y faire face, de dresser le bilan de la mise en œuvre des outils créés par le texte et, enfin, de formuler des propositions, dont je ne suis pas encore capable de vous dire si elles auront un caractère législatif ou réglementaire. Cette mission rendra ses conclusions au premier semestre. Elles seront évidemment communiquées à la représentation nationale.

J'en arrive à mon troisième et dernier point. Plus de trois ans après l'adoption du texte, force est de constater que le phénomène séparatiste n'a rien perdu de son actualité, bien au contraire. Dans les établissements scolaires, périscolaires et universitaires, dans les services publics de manière générale, les actes de mise en cause directe ou indirecte des principes républicains continuent d'augmenter. Dans les associations, les clubs de sport ou les entreprises, les revendications identitaires progressent également. L'économie communautaire continue, elle aussi, à se développer. Surtout, à ces formes de remise en cause des valeurs républicaines, s'ajoutent parfois des phénomènes plus diffus, plus discrets, plus insidieux. La rupture par l'État du contrat avec le lycée Averroès de Lille l'an dernier, ou l'expulsion de l'imam Iquioussen, toutes deux confirmées par la justice administrative, sont à cet égard deux exemples édifiants.

La France est une nation singulière dans l'histoire du monde. Pour nous, la République n'est pas qu'une organisation des pouvoirs, c'est d'abord la communauté qui transcende toutes les autres ; la fraternité n'est ni ethnique, ni religieuse, mais civique ; la laïcité ne se réduit ni à la liberté de conscience et de culte, ni à la séparation des Églises et de l'État, elle est " le pilier de l'identité collective française contemporaine, [qui] organise notre rapport à la liberté et à l'égalité, et […] contribue à définir notre citoyenneté, notre commun ", pour reprendre les mots de Laurent Bouvet.

C'est par la laïcité que la fraternité républicaine – inscrite au-dessus de vous, madame la présidente –, une fraternité civique, s'exprime, et c'est cette fraternité que nous devons protéger. Le combat pour la laïcité et pour la République est avant tout un combat culturel, civilisationnel : c'est un combat par les symboles, un combat fraternel pour le respect des croyances de chacun, mais aussi un combat républicain pour défendre la force et la vigueur de ce qui nous réunit, plutôt que ce qui nous sépare. C'est la raison pour laquelle le gouvernement souhaite insuffler une nouvelle dynamique à la politique de lutte contre le séparatisme.

Chacun, dans cet hémicycle, peut être fier de contribuer à la défense de la République, même s'il y a parfois des appréhensions différentes. Si la loi n'est pas parfaite, si elle encore insuffisamment évaluée – vous avez eu raison de le relever –, si elle peut être mieux appropriée, elle nous a permis, collectivement, malgré tout, un sursaut. Avec le ministre de l'intérieur, mon collègue Bruno Retailleau, j'aurai à cœur non seulement de vous présenter un bilan précis – j'en ai parlé tout à l'heure –, mais aussi exhaustif. Nous veillerons aussi à renforcer l'arsenal juridique utile à la préservation de nos principes et à leur respect. Je vous remercie pour votre aimable écoute. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)

Mme la présidente
Nous en venons maintenant aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique. Je ferai appliquer cette règle scrupuleusement.
La parole est à Mme Graziella Melchior.

Mme Graziella Melchior (EPR)
La loi que nous évaluons aujourd'hui est venue modifier dans son article 49 la procédure de mise en place de l'instruction en famille. Le régime de déclaration a été remplacé par une demande d'autorisation que doivent formuler les familles auprès des académies. Lors de l'examen du projet de loi, il nous avait été indiqué que certains enfants pourraient encourir le risque, lorsqu'ils étaient scolarisés à domicile, de se voir transmettre une instruction et des valeurs contraires à la République. Bien entendu, sur les 50 000 à 60 000 familles concernées, ceux-ci ne représentaient qu'une infime proportion. Aussi, après de longs débats, avons-nous voté en faveur de l'autorisation préalable de l'État.

M. Xavier Breton
C'est une erreur !

Mme Graziella Melchior
Toutefois, nous avions obtenu l'engagement du ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer que les éventuels refus ne concerneraient que des situations dans lesquelles l'enfant pourrait être séparé ou éloigné des principes républicains. Or il semble que l'esprit de la loi, telle qu'elle a été votée, n'est pas compris de la même manière selon les académies. La loi précise les quatre motifs fondant la demande d'autorisation des familles : la santé de l'enfant, la pratique intensive d'activités sportives ou artistiques, l'itinérance en France des personnes responsables et l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif.

C'est sur ce dernier point que les difficultés apparaissent. En effet, des familles ayant fait ce choix et qui respectent pleinement nos valeurs se voient opposer des refus injustifiés et au minimum des démarches administratives d'une grande complexité, ne tenant pas compte des besoins spécifiques de chaque enfant. Monsieur le ministre, afin que soient respectés le droit et l'esprit de la loi telle que nous l'avons votée, de quelle manière pourriez-vous travailler avec la ministre de l'éducation nationale pour que seuls les enfants sur lesquels pèse un risque de séparatisme soient ciblés et que le choix de l'instruction à domicile par les autres familles soit respecté ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
La question est pertinente. Elle avait été posée à l'occasion des débats sur le texte au Sénat. Je le rappelle, le passage d'un dispositif déclaratif à un dispositif d'autorisation avait suscité des interrogations sur le fond, en lien avec le respect de la liberté d'instruction à domicile – des familles le réclamaient, parfois légitimement. La question sur le fond était celle du contrôle, qui était insuffisant et, dans tous les cas, pas assez pertinent.

Le texte voté en 2021 a institué le principe d'autorisation préalable. Nous ne disposons pas encore suffisamment d'éléments d'analyse et d'expertise ; il revient à l'Inspection générale de l'administration de nous les fournir dans le cadre de la mission qui lui a été confiée. Je ne peux donc pas répondre précisément à votre question, mais nous suivons de très près ce sujet important avec les services du ministère de l'éducation nationale. Il convient de trouver le moyen juridique de circonscrire le régime d'autorisation préalable aux seuls cas problématiques, sans embêter – si je puis me permettre ce terme – les autres familles. Nous allons travailler dans ce sens.

Mme la présidente
La parole est à M. Charles Rodwell.

M. Charles Rodwell (EPR)
Depuis 2017, nous avons défendu de nombreuses mesures pour lutter contre le séparatisme, en particulier religieux, notamment à travers la loi confortant le respect des principes de la République dont nous débattons aujourd'hui. Nos collectivités et nos élus locaux sont au cœur des combats contre le séparatisme en général et l'islamisme en particulier. Une immense majorité d'entre eux mènent chaque jour courageusement le combat contre le séparatisme, en veillant à une application stricte du principe de laïcité dans leurs services publics et en refusant toute compromission avec l'islamisme. Néanmoins, ces élus sont parfois démunis et manquent souvent de moyens, notamment techniques, pour mener à bien ce combat. Je pense particulièrement au suivi de certains de leurs agents ou d'associations radicalisées, actives dans leur commune. C'est l'objet de ma première question : dans le prolongement de la loi de 2021 dont nous débattons, quelles mesures comptez-vous prendre pour renforcer la coopération entre l'État et les élus en matière de lutte contre le séparatisme, notamment au moyen de notre arsenal juridique et législatif ?

Par ailleurs, si l'immense majorité des maires et des élus mènent le combat pour la République et la laïcité, d'autres ont fait le choix du communautarisme et de la compromission avec le séparatisme, en fermant les yeux sur certaines pratiques ou pire, en soutenant des associations et des projets séparatistes. Les exemples sont malheureusement de plus en plus nombreux et particulièrement graves, car le communautarisme pratiqué tend à s'étendre à d'autres communes qui, elles, respectent les lois de la République. Il est temps, selon nous, de mettre un terme à ces pratiques qui placent des milliers de nos concitoyens en insécurité. À cet égard, quelles mesures comptez-vous prendre pour renforcer le pouvoir de contrôle ou de sanction de l'État envers ces élus ? Êtes-vous prêt à aller jusqu'à la mise sous tutelle d'une collectivité par le préfet pour les cas les plus graves ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Votre question pertinente illustre le fait qu'une grande partie des élus locaux ne s'est pas encore approprié la loi de 2021 et n'en a encore qu'une connaissance assez légère – le terme n'est pas péjoratif. Ils ne la connaissent pas très bien et surtout, ils ne savent pas comment l'utiliser. C'est le préfet qui constitue en réalité le point d'ancrage : il nomme ses délégués et dispose d'un outil juridique avec le déféré laïcité, qui lui permet de saisir la juridiction administrative lorsqu'il a connaissance d'un problème. Cependant, il convient de fluidifier le dialogue entre le préfet et les élus. La proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, adoptée par la Haute Assemblée et qui sera présentée dans cette assemblée dans les meilleurs délais, prévoit de donner au maire des moyens supplémentaires pour agir beaucoup plus efficacement dans certaines circonstances.

Tout le monde ne maîtrise donc pas encore tout à fait les différents leviers d'action, mais il faut saluer les efforts accomplis, notamment de la part des préfets qui essaient de sensibiliser les élus locaux avec l'aide des associations des maires des différents départements. Nous ne sommes donc pas démunis, mais si nous en avons la volonté, les moyens peuvent être renforcés : la discussion du texte sur le statut de l'élu en sera l'occasion. D'ores et déjà, nos élus locaux peuvent et doivent se tourner vers le système judiciaire et plus encore vers le préfet, qui demeure leur interlocuteur privilégié.

Mme la présidente
La parole est à Mme Ersilia Soudais.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP)
Ces dernières années, notamment sous la présidence Macron, la France a connu un grave recul des libertés individuelles et collectives. La loi censée conforter le respect des principes de la République s'inscrit, contrairement à ce que son nom suppose, dans une remise en question de nombre de ces principes. La notion de séparatisme qui est la pierre angulaire de ce texte est problématique. Elle est utilisée pour cibler des populations spécifiques, en particulier la population de confession musulmane. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que cette loi a été adoptée en 2021, quelques mois après la scandaleuse dissolution du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Cette nouvelle forme d'inquisition ne permet pas de lutter contre le séparatisme mais alimente au contraire une défiance de plus en plus grande.

Parmi les autres dispositifs introduits dans cette loi, le contrat d'engagement républicain oblige les associations qui demandent une subvention à s'engager à respecter les principes républicains. Là aussi, sous prétexte de lutte pour le respect des principes de la République, il s'agit d'une restriction des libertés. L'État remet en question l'autonomie du monde associatif. Pour vous donner un exemple concret, le préfet de la Vienne avait demandé en 2022 à la ville de Poitiers de retirer une partie de la subvention accordée à Alternatiba car cette association n'aurait pas respecté le fameux contrat d'engagement républicain. En plus d'être utilisée pour stigmatiser les personnes de confession musulmane, cette loi l'est donc aussi pour museler, en l'occurrence, le mouvement social et écologiste. Il faut abroger cette loi antirépublicaine. Que comptez-vous faire, en revanche, pour lutter contre les vrais ennemis de la République et par là même, contre le séparatisme de ceux qui promeuvent dans la presse « bolloréenne » la guerre de civilisation, ou encore contre le séparatisme des ultrariches qui n'ont de cesse de remettre en question les principes inscrits dans la devise de notre République – la liberté, l'égalité et la fraternité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Je ne veux pas rentrer dans des polémiques inutiles. La loi de 2021 a permis une clarification, singulièrement sur le plan du financement des différentes associations à caractère cultuel, dont un certain nombre, comme je l'ai dit il y a un instant, se sont mis en conformité avec la loi et ont rendu leur activité parfaitement transparente. Il ne faut pas non plus généraliser, en considérant que ce texte aurait vocation à lutter contre tous nos compatriotes musulmans. Notre sujet de préoccupation est l'islam radical, dont l'objectif est de combattre notre République et ses valeurs, et de tenter d'imposer les siennes. Notre seule volonté est de défendre nos propres principes. Contrairement à ce que laissent supposer vos propos un peu excessifs, nous voulons combattre toutes les sources du séparatisme et ne jamais varier s'agissant des valeurs que nous voulons protéger, car elles font nation. Le gouvernement et moi-même insistons beaucoup sur ce point : le vrai socle commun, celui qui doit être défendu, c'est celui-là ! Il ne peut y avoir de faiblesse à l'égard de ceux qui poursuivent l'objectif de bousculer, de renverser et de nuire à la République et à la nation, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent.

Mme Sabrina Sebaihi
Ce n'est pas ce que vous faites !

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Coulomme.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP)
Les six principes fondamentaux de la laïcité rappelés par le Conseil constitutionnel dans une décision de 2013 sont la non-reconnaissance des cultes, le respect de toutes les croyances et convictions, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes devant la loi sans distinction de religion, le libre exercice des cultes et le principe selon lequel l'État ne salarie aucun culte. Ainsi, votre loi « séparatisme » est d'une très grande hypocrisie au vu des actes et pratiques de ses propres promoteurs. Marseille, septembre 2023 : M. Macron, président de la République, assiste à l'office religieux du pape François. Élysée, décembre 2023 : M. Macron, toujours lui, fête Hanouka.

M. Jérôme Guedj
C'était une bêtise !

Mme Constance Le Grip
Mais non !

M. Jean-François Coulomme
Au sommet même de la République, la neutralité de l'État autant que la non-reconnaissance des cultes sont bafouées. Nice, tous les ans : M. Estrosi, maire de la ville, et M. Ciotti, député, adressent leurs vœux annuels à la Vierge Marie, avant une messe présidée par le vicaire en leur présence. Nice, décembre 2024 : M. Estrosi, toujours lui, en tant que maire et avec les moyens de la ville, célèbre la fête juive Hanouka, coiffé d'une kippa. À Chambéry, maires et préfets joignent à leur invitation pour la cérémonie du 8 mai 2024 la mention suivante : " Les cérémonies seront précédées d'un office religieux en la cathédrale de Chambéry. " Chambéry, le 11 novembre 2024 : même invitation à la cathédrale, même ignorance des dizaines de milliers de soldats, musulmans, juifs ou athées, qui furent sacrifiés sur le champ de bataille.

D'une main, vous stigmatisez par cette loi certains cultes ; de l'autre, les représentants du peuple comme leurs élus enfreignent allègrement l'un des principes les plus fondamentaux d'un État laïque, celui de la neutralité des agents de l'État. Avec cette loi, vous étendez les restrictions appliquées à la liberté d'expression religieuse, ce qui est l'exact inverse de ce que prévoit et garantit notre belle loi de 1905. Dans le même temps, existe une sorte d'immunité totale pour les autorités publiques qui ont pourtant une obligation de neutralité. Que comptez-vous faire quant à ce traitement de l'exécutif, différencié et factuellement séparatiste, à l'égard des religions, entre stigmatisation de l'islam… (Mme la présidente coupe le micro de l'orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Il ne faut pas tout confondre ni tout mélanger. (Exclamations et rires sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Vos propos entretiennent en effet, volontairement ou insidieusement, une sorte de salmigondis à propos de la laïcité. La République institue la liberté des cultes et la liberté de croire ou de ne pas croire. En aucun cas, elle n'interdit à un élu de la République, quel qu'il soit, de participer à toute cérémonie à laquelle il souhaiterait participer, dès lors qu'il respecte l'exercice et les devoirs de sa fonction. J'ai en tête un exemple : dans une grande ville de France, au début du mois de septembre, se déroule le Vœu des échevins. À l'occasion de cette cérémonie historique, les élus présents assistent à une célébration. Ils sont dans leur rôle et demeurent respectueux de la neutralité. Jusqu'à présent, tous les maires de la ville avaient participé à cette cérémonie. Ce n'est pas le cas du maire actuel, en vertu des principes que vous avez rappelés, mais ce même maire, à l'issue de la célébration, prononce un discours politique sur l'esplanade de la cathédrale et de la basilique. En l'espèce, où est le respect de la laïcité ? Il faut que tout le monde soit traité de la même manière.

Mme Sabrina Sebaihi
Là, on est bien d'accord !

M. François-Noël Buffet, ministre
Il n'est pas interdit – je l'ai fait moi-même quand j'étais en fonction dans ma commune – de partager un instant, y compris avec la communauté musulmane ou avec la communauté juive qui est d'ailleurs une des rares à élever une prière pour la République.

M. Jérôme Guedj
Ce n'était pas opportun !

M. François-Noël Buffet, ministre
Il faut simplement garder de la mesure en tout. En la circonstance, il ne faut pas stigmatiser les célébrations que vous avez évoquées. Notre histoire fait partie de notre patrimoine collectif mais elle oblige chacun des élus au respect de tous les cultes sans exception et à une forme de neutralité dans les propos tenus.

M. Jérôme Guedj
Mais c'est mieux de s'abstenir de s'exprimer dans un lieu de culte !

Mme la présidente
La parole est à M. Pierrick Courbon.

M. Pierrick Courbon (SOC)
Dans le cadre de ce débat, je souhaite revenir sur les mesures visant à conforter le contrôle des associations, notamment à travers le fameux contrat d'engagement républicain évoqué par divers orateurs. D'emblée, la Défenseure des droits avait appelé à s'assurer du caractère nécessaire et proportionné des mesures envisagées dans la loi, notamment au regard du risque réel d'atteinte aux libertés associatives. Aujourd'hui, le caractère disproportionné du CER ne fait plus aucun doute. Il jette en effet une suspicion généralisée sur le monde associatif, en présupposant que les associations ne respecteraient pas a priori les valeurs républicaines, alors que seule une poignée de cas de refus ou de retrait de subventions a été jusqu'à présent recensée et que chaque refus de subvention a débouché sur des recours juridiques qui ont systématiquement donné raison aux associations.

Le CER est en outre inadapté à l'objectif affiché de lutte contre les séparatismes, puisque dans les faits, il est surtout mobilisé contre des structures lanceuses d'alerte ou de désobéissance civile, mais aussi de défense de l'environnement, voire d'éducation populaire. Dans la note introductive à nos débats, les rapporteurs eux-mêmes ont relevé que " les contentieux connus liés au respect du CER ne concernaient pas des associations liées à des mouvements religieux ". Le CER vient ajouter de la complexité administrative et écorner un peu plus l'indispensable lien de confiance qui devrait pourtant exister entre les pouvoirs publics et les associations. En bref, tout à son obsession de vouloir lutter contre un séparatisme parfois réel mais plus souvent largement fantasmé, l'ex-majorité parlementaire a seulement réussi à mettre un peu plus en difficulté ce maillon indispensable de notre cohésion sociale qu'est le mouvement associatif, en introduisant un instrument de sa fragilisation. C'est pourquoi plusieurs pistes sérieuses ont été proposées ; je les fais miennes. Pour corriger le tir, il faut non seulement renoncer au terme de " contrat ", parfaitement inapproprié puisque seule une des deux parties est tenue à des engagements, et surtout envisager d'abroger le CER pour lui substituer une charte d'engagement réciproque construite entre l'État, les collectivités et le monde associatif, ainsi que le préconise le Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Permettez-moi de faire quelques observations sur ce point particulier. Si on fait le bilan, les difficultés ne sont pas si nombreuses. Les chiffres qui nous parviennent – puisqu'il s'agit d'un problème quantitatif, nous sommes bien d'accord – ne montrent pas que ce contrat, dont le Conseil constitutionnel a d'ailleurs validé le principe, poserait des difficultés. La question tient sans doute plutôt à la manière dont il est appliqué, qu'il faut peut-être harmoniser tout comme la manière d'appréhender les choses.

Je ne crois pas qu'il faille rejeter le CER, qui a permis des avancées et constitue un élément positif du texte. Encore faut-il que les élus et les associations bénéficiaires de subventions, qui ont à signer ce contrat, se l'approprient et le valorisent. En tout cas, nous ne disposons pas d'éléments montrant clairement qu'il poserait autant de problèmes que cela. À l'issue de l'inspection qui est menée, nous verrons si ce que vous dites est confirmé, mais nous n'avons pas de tels retours au moment où nous parlons. En revanche, soyons vigilants et harmonisons les manières de faire.

Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Guedj.

M. Jérôme Guedj (SOC)
Je ne peux m'empêcher de vous donner mon sentiment à propos de la prise de parole par des élus dans les lieux de culte : mieux vaut s'en abstenir. Beaucoup le font pour l'Aïd dans une mosquée ou pour Kippour dans une synagogue ; j'en connais très peu, voire aucun, qui prenne la parole dans une église ou une cathédrale à l'occasion du sermon de Noël ou de la messe de Pâques. Je pense donc que s'en abstenir – je ne sais s'il faut l'interdire par la loi, on pourrait d'ailleurs s'appuyer sur certains articles de la loi de 1905 – constituerait une bonne pratique de la part des élus.

Je vous demande ensuite de répondre à deux questions que j'avais soulevées lors de la discussion générale et auxquelles vous n'avez pas répondu. Depuis sa création en juillet 2021, le comité interministériel de la laïcité ne s'est réuni que deux fois, en juillet et le 9 décembre 2021. Ce comité, censé être un outil de coordination des politiques publiques en matière de laïcité, se réunira-t-il enfin ? Il ne l'a fait ni en 2022, ni en 2023, ni en 2024. Comment accroître le crédit de la parole publique du gouvernement sur ce sujet sans un tel lieu ? Nous le considérons comme pertinent et souhaitons voir son rôle renforcé. Nous proposons d'ailleurs d'aller plus loin en créant un Défenseur de la laïcité, inscrit dans la Constitution sur le modèle du Défenseur des droits, au service d'une politique publique de promotion de ce principe.

La deuxième question que je vous avais posée concerne les fameux articles 31 et 81 de la loi. Pourquoi n'y a-t-il eu aucune circulaire de la Chancellerie auprès des parquets pour rappeler la possibilité d'utiliser ces articles en vue de sanctionner les atteintes à la laïcité, pas plus que les policiers n'ont été formés pour recueillir ce type de plaintes ? On peut pourtant sanctionner de telles atteintes indépendamment des voies de fait, des violences ou des injures. Le simple fait de menacer une personne doit être sanctionné.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Ma réponse sera simple : je suis en tout point d'accord avec vous – je ne peux pas faire mieux. (Sourires.) Qu'un élu ne doive pas tenir un discours politique au sein d'un lieu de culte, je partage ce point de vue, sauf circonstance exceptionnelle. Ce n'est ni le lieu, ni le moment, il peut le faire bien ailleurs.

Le précédent gouvernement avait pris l'engagement de réunir le comité que vous évoquez en 2024 ; cela n'a pas été le cas ; il faut le faire. Nous le ferons dans le courant de l'année 2025. Les dates anniversaires y invitent et c'est souhaitable sur le fond.

Quant à l'article 31, je n'ai pas de réponse toute faite. Il faut nous poser la question : nous interrogerons le garde des sceaux dans le cadre de cette inspection générale afin de disposer d'éléments permettant de vous donner une réponse sérieuse, faute desquels je ne peux vous répondre précisément.

Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton (DR)
J'aimerais revenir sur l'instruction en famille. Si l'instruction est obligatoire depuis la loi Ferry de 1882, la liberté de choisir la méthode d'instruction est reconnue aux parents. La liberté de l'enseignement constitue même un principe fondamental reconnu par les lois de la République ainsi qu'en a décidé le Conseil constitutionnel en 1977.

Or la loi dont nous débattons aujourd'hui remet en cause cette liberté puisqu'on passe d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation. C'est une atteinte à la liberté, qui devient l'exception et non plus la règle.

Les motifs allégués à l'époque de cette modification tenaient au risque de communautarisme et de séparatisme. Or aucun élément fiable et documenté ne permet d'identifier des risques de telles dérives pour l'immense majorité des enfants qui suivent l'instruction en famille. Celle-ci leur permet au contraire d'obtenir des résultats scolaires supérieurs à ceux des élèves scolarisés en établissements, parce que, très majoritairement, les parents s'appliquent à instruire leurs enfants en construisant un projet éducatif, pédagogique et familial adapté à chacun d'eux, et cela dans le respect des exigences de la loi.

Ma question devrait s'adresser à la ministre de l'éducation nationale, mais comme cette disposition constitue une sorte de cavalier dans le texte initial, je vous la pose, monsieur le ministre auprès du ministre de l'intérieur, en vous demandant de bien vouloir la relayer, car nous attendons des éléments objectifs de la part de l'éducation nationale : quel est le nombre de cas répondant explicitement aux critères inscrits dans une loi visant à lutter contre l'islamisme radical ? Combien y a-t-il d'autorisations enregistrées, de refus, avant et après recours ? Quelle est la répartition de ces chiffres par académie – puisqu'un certain arbitraire existe parfois dans les décisions ? Quel est le nombre de contrôles effectués par les autorités académiques ? Nous demandons ces chiffres au ministère et nous comptons sur votre soutien.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Voici quelques éléments précis pour répondre à votre question. Pour les enfants inscrits dans les familles en 2021 et 2022, un régime dérogatoire a été prévu dans le texte : une autorisation leur a été accordée de plein droit, sans qu'ils aient à justifier d'un motif, pour les années scolaires 2023-2024 et 2024-2025, lorsque les résultats du contrôle pédagogique annuel au titre de l'année scolaire 2021-2022 ont été jugés suffisants. Sur les 47 802 autorisations délivrées en 2023-2024, 29 633 enfants faisaient l'objet d'une autorisation de plein droit.

Ce régime s'est éteint à la fin de l'année scolaire 2023-2024. Par conséquent, à partir de l'année scolaire 2024-2025, toutes les demandes d'autorisation d'instruction en famille sont fondées sur l'un des quatre motifs prévus par le code de l'éducation, en l'occurrence l'article 131-5. Le régime prévu commence à produire ses effets depuis la rentrée scolaire de 2024. D'après le tableau que j'ai sous les yeux, l'évolution du nombre d'enfants instruits dans les familles est la suivante : en 2021-2022, ils étaient 72 369, contre 47 802 en 2023-2024 et 30 644 d'après les chiffres de novembre 2024 – soit une baisse de 36%.

Voilà les chiffres dont je peux vous faire part ; le ministre de l'éducation nationale vous donnera beaucoup plus de détails que je ne peux le faire, mais ils indiquent déjà une orientation.

M. Xavier Breton
Oui, on voit bien l'atteinte à la liberté dans ces chiffres !

(À dix heures cinquante, Mme Naïma Moutchou remplace Mme Clémence Guetté au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Naïma Moutchou
Vice-Présidente

Mme la présidente
Bonjour à tous. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi (EcoS)
En matière de lutte contre l'islamisme radical, la peur n'a jamais été bonne conseillère. Trop souvent ce sont les libertés publiques et les droits fondamentaux qui en ont fait les frais. Nous l'avons constaté dès la déclaration de l'état d'urgence en 2015 et depuis lors. Aujourd'hui encore, le même réflexe sécuritaire frappe les forces vives de notre société, les associations, toutes les associations, qui ne sont pas des victimes collatérales, mais les cibles directes d'une obsession de contrôle.

Tous les témoignages que de nombreuses associations nous font parvenir font état de cette dérive. Or une démocratie fatiguée comme la nôtre a plus que jamais besoin des associations, qui contribuent à sa vitalité, en œuvrant chaque jour dans le domaine de la solidarité, de l'environnement, des luttes sociales ou de l'interculturalité. Je suis certain, en outre, que dans un contexte d'affaiblissement, voire d'affaissement du pays sous les coups de boutoir de la réaction, ce sont aussi les associations qui nous permettront de nous en tirer.

Le contrat d'engagement républicain illustre parfaitement cet emballement sécuritaire : outil flou, juridiquement bancal, il instaure un climat de défiance généralisée, sans même atteindre son objectif déclaré puisqu'il a conduit à mettre en cause le Planning familial, Alternatiba, la Maison de l'environnement et des solidarités, et même la Ligue des droits de l'homme. En réalité, ce dispositif n'a servi qu'à nourrir volontairement la psychose contre certains de nos compatriotes.

Le Sénat lui-même – dont vous êtes issu, monsieur le ministre – a souligné dans un rapport très récent que les associations concernées sont davantage militantes que réellement séparatistes. D'ailleurs, les faits parlent d'eux-mêmes : quatre cas de retrait ont été recensés pour 1,63 million d'associations, dont 60% sont subventionnées.

Or les conséquences sont graves : autocensure des associations et détérioration du lien entre les pouvoirs publics et le tissu associatif. J'appelle donc à l'abrogation du contrat d'engagement républicain et j'aimerais recevoir une réponse claire à ce sujet.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Quant à l'appel à l'abrogation que vous lancez, à ce stade, la réponse est négative, comme vous vous en doutez.

En revanche, la question de fond que vous posez atteste à l'évidence que les problèmes ne sont pas aussi nombreux que vous le dénoncez. Ce qui a été fait au Sénat est important, je n'en disconviens pas, et le travail réalisé ici n'est pas négligeable non plus, fût-ce dans les circonstances assez particulières évoquées par les rapporteurs, mais je compte sur l'inspection générale pour évaluer précisément ce qu'il en est. Ce n'est pas mon style de dire que tout est bien ou mauvais et d'appeler à tout garder ou tout jeter, par principe. Je crois au contraire que l'évaluation est absolument nécessaire et l'acculturation à ce contrat tout à fait fondamentale. L'usage qu'on en fait et la manière de le valoriser doivent sans doute évoluer, mais le contrat lui-même n'est pas inutile puisqu'il a déjà produit des effets positifs.

Procédons donc à cette évaluation, de façon objective, en nous gardant tant du " non, par principe " que du " oui, par discipline ".

Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS)
La loi dite séparatisme a contribué aux débats nauséabonds et à la multiplication des atteintes aux personnes du fait de leur religion, souvent au prétexte d'un dévoiement infect du principe de laïcité.
Sous couvert de cette notion floue, le séparatisme, tout est bon depuis plusieurs années pour taper sur une confession en particulier, l'islam. " Je propose d'interdire aux femmes musulmanes qui portent le voile de faire des études supérieures. " " Interdiction aux femmes voilées d'être accompagnatrices scolaires. " Ces propos n'ont pas été tenus par Pascal Praud, mais par le ministre de l'intérieur, perfusé aux déclarations choc sur les plateaux de télévision.

Heureusement que le ridicule ne tue pas : sous couvert de laïcité, la Fédération française de football a été jusqu'à interdire aux sportifs le port des collants, censés être un signe de l'islam. La Fédération de basket a, quant à elle, mis des sportives sur la touche au simple motif de port du foulard – c'est donc cela l'émancipation des femmes ! Nous avons enfin été le seul des trente-huit pays européens en compétition à interdire les couvre-chefs religieux lors des Jeux olympiques – triste exception française ! Le sport comme l'école sont ainsi devenus vos terrains de jeu favoris pour contrôler le corps des femmes et les habits qu'elles portent, quitte à jeter en pâture les musulmans de ce pays.

Inefficace dans son application et dangereuse dans son esprit, la loi " séparatisme " aura surtout servi de paravent à l'islamophobie la plus décomplexée ; elle avait d'ailleurs été dénoncée par l'ensemble de la gauche et des associations de défense des droits humains lors de son adoption en 2021. Elle a valu à la France de multiples condamnations pour atteinte aux droits des femmes, notamment musulmanes, le secrétaire général de l'ONU n'hésitant pas à renvoyer dos à dos les pays imposant aux femmes de se couvrir et ceux les sommant de se dévêtir.

La loi contre le séparatisme a malheureusement aussi fourni une occasion de jeter la suspicion sur les établissements d'enseignement musulmans et d'y procéder à des enquêtes, alors même que d'autres, à l'image du lycée Stanislas à Paris, dispensaient allègrement des cours de catéchisme obligatoires entre deux leçons d'homophobie, ce qui est interdit par la loi.

La laïcité, ce n'est pas choisir de ne pas croire, ce n'est pas une religion, pas plus que ce n'est la chasse aux musulmans ; c'est la protection offerte à toutes et tous, qu'ils croient ou ne croient pas, pour exercer leur foi, quelle qu'elle soit. Si l'État ne doit reconnaître aucune religion, il ne doit en méconnaître aucune. Quand respecterez-vous enfin le principe de laïcité ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Quand respecterons-nous le principe de laïcité ? Nous nous y consacrons totalement : le texte dont nous évaluons les effets en constitue l'un des objets législatifs les plus marquants. Nous sommes tous d'accord pour considérer qu'il n'est pas suffisant à tous égards et qu'il faut continuer d'y travailler. Il n'y a pas lieu de douter une seconde de notre attachement à la laïcité et à sa défense. Ce principe comporte une spécificité : s'il consacre la liberté de chacun de croire ou de ne pas croire – vous l'avez rappelé, à juste titre –, quelle que soit d'ailleurs la religion, une telle liberté ne doit pas mettre à mal les valeurs supérieures, laïques, que défend notre République, d'ailleurs construite sur le principe de laïcité. Produit d'une histoire complexe et déjà séculaire, souvent mal comprise dans d'autres pays du monde, notre laïcité est une spécificité française : la religion, quelle qu'elle soit, reste du domaine privé et n'entre pas dans le domaine public.

Chacun fait ce qu'il veut chez lui mais n'impose rien aux autres dans le domaine public ; c'est un principe absolument fondamental. Et qu'on le veuille ou non, il existe des religions qui, dans leur frange la plus radicale, la plus extrême, mènent des actions puissantes voire mortelles pour défendre une autre conception : elles en font un combat politique. Notre devoir, c'est donc de défendre fortement la laïcité tout en protégeant tous nos compatriotes et ce quels qu'ils soient, qu'ils croient ou qu'ils ne croient pas, quelle que soit leur religion. Nous continuerons de nous battre pour cela.

Sur le point particulier des milieux sportifs, la difficulté que vous pointez mérite en effet une harmonisation. Cela dit, le Conseil d'État s'est prononcé en faveur des règlements qui ont été décidés par les fédérations sportives, leur donnant raison ; il a donc donné tort à ceux qui ont essayé d'inverser le dispositif. C'est quelque chose qui me paraît essentiel : gardons ce cap pour que notre nation reste unie.

Mme la présidente
La parole est à Mme Delphine Lingemann.

Mme Delphine Lingemann (Dem)
J'aimerais revenir sur l'application de la loi confortant le respect des principes de la République dans les universités. Étant moi-même enseignante, je constate une montée des atteintes à ces principes. Or ladite loi instaure, entre autres, la nomination d'un référent laïcité, dont la mission est de coordonner, en concertation avec les autres référents des différentes UFR (unités de formation et de recherche), la mise en œuvre du principe de laïcité, dont le respect doit être garanti. Il doit également rédiger un rapport d'activité annuel qui doit être transmis au comité interministériel de la laïcité dont vous avez parlé tout à l'heure – on l'a dit, il ne s'est pas réuni depuis plusieurs années.
Je voudrais savoir si une synthèse de tous ces rapports d'activité est disponible ; elle pourrait nous éclairer sur l'état de l'application de la loi au sein des universités, et aussi nous donner – à nous, parlementaires – des pistes de travail, à partir de bonnes initiatives dont nous pourrions nous inspirer.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
La question que vous posez est essentielle. Les choses sont désormais claires s'agissant de l'enseignement secondaire – en milieu scolaire, il n'y a pas de difficultés particulières ; en milieu universitaire, en revanche, l'application de la loi est plus complexe, compte tenu de la liberté de choix dont disposent, par définition, les étudiants, en espérant qu'ils ne soient pas soumis à la contrainte, mais c'est un autre sujet.

Le rapport que vous évoquez est en cours de préparation et ce n'est pas une manière d'éluder votre question : c'est la réalité ! Dès qu'il sera prêt, il sera sans doute transmis au comité interministériel que nous évoquions tout à l'heure – M. Guedj est parti, dommage –, puis débattu. Il est probable que sur cette base, nous disposerons d'éléments qui nous permettront d'agir.

Je ne veux pas être trop long, mais quand on évoque la question du séparatisme, il ne faut pas se tromper : il vient de partout. La contestation des enseignements, notamment, est un élément identifié et documenté !

Mme Delphine Lingemann
Bien sûr !

M. François-Noël Buffet, ministre
Certains disent à leur professeur d'histoire ou de sciences qu'ils ne veulent pas aborder tel ou tel sujet,…

Mme Delphine Lingemann
Oui, il y a de l'autocensure !

M. François-Noël Buffet, ministre
…et le problème se pose même au cours de sorties culturelles, au théâtre ou ailleurs, où l'on entend des questions comme " qu'est-ce qu'on va voir ? " ou " qui y aura-t-il sur scène ? " C'est un sujet de préoccupation ! Vous avez donc raison : notre vigilance doit aussi se porter sur l'enseignement supérieur.

Mme la présidente
La parole est à M. Roger Chudeau.

M. Roger Chudeau (RN)
Ma question a spécifiquement trait à l'article 49 de la loi. Je vous disais précédemment qu'il n'y a en vérité aucun lien de causalité entre éducation dans la famille et séparatisme islamiste. En effet, les islamistes n'ont aucunement l'intention d'éduquer leurs enfants en vase clos ! Il leur suffit de continuer à installer leur emprise sur l'enseignement public. Le ministère constate d'ailleurs que les atteintes à la laïcité sont en constante augmentation.

Encore les chiffres officiels sont-ils sujets à caution : dans son ouvrage Les Profs ont peur, Jean-Pierre Obin démontre qu'il faudrait, pour approcher la réalité, affecter aux chiffres officiels un facteur 100. Alors pourquoi voulez-vous que les Frères musulmans ouvrent des écoles islamistes ou instruisent leurs enfants à la maison ? Il leur suffit d'aller dans un établissement public ; c'est tellement plus simple !

L'instruction en famille n'a donc rien à voir là-dedans. Mais regardons plus précisément le passage de la loi concernant le quatrième motif de dérogation permettant l'IEF : " L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ". La formulation est tellement léonine qu'elle est sujette à de nombreuses et divergentes interprétations. De nombreuses familles, très loin d'être séparatistes, éprouvent un profond sentiment d'injustice. Des centaines de citoyens et des dizaines d'associations ont saisi, qui les parlementaires, qui les tribunaux administratifs, pour mettre fin à cette absurdité. Une loi destinée à protéger la République s'en prend à ses citoyens les plus paisibles, les plus innocents, en leur imposant un parcours kafkaïen s'ils veulent obtenir, pour une seule année, l'autorisation d'instruire leur propre enfant.

Elle installe aussi, insidieusement, un climat de défiance vis-à-vis de la famille, institution centrale de toute société. Il faut donc mettre fin à cette absurdité, je l'ai dit, et je vous demande, monsieur le ministre, si vous pouvez vous engager à revenir sur cette atteinte à la liberté d'éduquer son enfant en annulant purement et simplement les articles 49 et suivants de la loi.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Votre question vient compléter celle qui a été posée tout à l'heure par un de vos collègues. Pour ma part, je suis fortement attaché à la liberté de l'enseignement, et le gouvernement aussi. La question de l'instruction à domicile est une question sensible et j'ai reçu, comme beaucoup d'entre vous, de nombreuses associations représentant des familles qui ont de vraies raisons de privilégier ce type d'enseignement, du fait des situations propres à leurs enfants. Le sujet de fond, c'est moins la liberté d'enseigner à domicile que la capacité de l'État à contrôler ce qui s'y passe.

Comme nous le disions tout à l'heure, il faut donc évaluer l'IEF, et la ministre de l'éducation nationale nous transmettra des éléments pour le faire. Surtout, il ne faut pas se priver de la possibilité d'empêcher ou d'interdire certains enseignements à domicile qui n'ont pour vocation que d'échapper à l'école de la République ! Le contrôle doit aussi permettre cela.

Si nous parvenons à nous mettre d'accord pour dire que le socle absolu, c'est la défense de la République et de ses valeurs, nous serons capables de respecter la liberté de chacun mais aussi de sanctionner fortement tout dévoiement de la règle que nous souhaitons voir s'appliquer. Nous regarderons dans le détail ce qu'il en est ; à ce stade, je ne peux vous dire que je vais tout arrêter, parce que ce serait vous mentir.

Mme la présidente
La parole est à M. Bruno Clavet.

M. Bruno Clavet (RN)
En 2021, Emmanuel Macron nous a présenté la loi confortant le respect des principes de la République comme la solution contre le séparatisme islamiste. Mais la réalité est tout autre et les Français le vivent chaque jour : cette loi n'a rien changé. Pour preuve, l'idéologie islamiste continue à se répandre et à gangrener nos quartiers, nos écoles et nos associations, tout cela sous le regard passif des pouvoirs publics.

Le texte n'a pas non plus donné à la France les moyens de se défendre sur la scène internationale. Votre gouvernement est par exemple incapable d'expulser l'influenceur algérien multicondamné Doualemn, qui a appelé au meurtre des Français sur les réseaux sociaux. La France est donc devenue un jouet pour ces nations qui profitent de sa faiblesse pour l'humilier, pour humilier tous les Français.

Ainsi, la loi confortant le respect des principes de la République n'a rien conforté, puisque nos valeurs n'ont jamais été autant fragilisées que depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée. Quand allez-vous écouter le Rassemblement national et appliquer ses propositions, soutenues par une majorité de Français, à savoir la dissolution immédiate des associations communautaristes et radicales qui menacent l'unité nationale, avec – il faut bien le dire – le soutien de La France insoumise, le contrôle strict des financements étrangers des lieux de culte, dont les fonds doivent être soumis à une traçabilité totale, l'expulsion immédiate de tous les étrangers prêchant la haine ou impliqués dans des actions séparatistes, la révocation de certains accords, comme celui passé en 1968 avec l'Algérie, qui empêche les expulsions, et enfin, bien sûr, la fin de l'immigration incontrôlée, car chacun sait qu'elle est un facteur direct de développement du séparatisme.

Un État qui recule face à ses ennemis n'est plus un État. Réveillez-vous ou laissez la place à ceux qui auront le courage de défendre les Français !

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre
Vous vous doutez bien que je ne partage pas vos vues. Mon désaccord porte moins sur certains constats de fond que sur la manière de les exprimer et sur la confusion que vous entretenez. Sur l'immigration et les politiques migratoires, je crois que les choses sont assez claires : il y a d'une part une immigration régulière contenue et choisie et d'autre part une immigration irrégulière qui doit être fermement combattue. Les laissez-passer consulaires constituent une difficulté que nous connaissons tous ; ils impliquent nécessairement de nouer un dialogue très fort, pour ne pas dire ferme, avec les pays d'origine, afin d'ouvrir des négociations en la matière. C'est un problème de fond qui relève certes du ministère de l'intérieur mais aussi de l'ensemble du gouvernement et, singulièrement, du ministère des affaires étrangères, et nous nous engageons à le traiter.

Quant au reste de vos propos, on ne peut pas considérer que ce texte, imparfait soit-il à certains égards, n'a pas apporté des progrès – les chiffres que j'ai évoqués tout à l'heure en témoignent. Les procédures qui devaient être engagées l'ont été et il y a eu d'incontestables succès. Peut-être y a-t-il eu parfois des échecs, mais la loi a aussi eu des effets que l'on mesure moins : les associations elles-mêmes se sont mises en ordre, ont vérifié leurs comptes et se sont conformées aux règles édictées.

Tout n'est donc pas négatif. La fermeté n'exclut pas la lucidité ; il faut donc que nous soyons très fermes, mais nous devons aussi rester lucides pour constater que ce texte a bel et bien un effet politique. Est-il suffisant ? Probablement pas, sur certains points dont il a été question comme l'éducation à domicile, mais nous sommes à la tâche. Quoi qu'il en soit, nous sommes tous ici, du moins ceux qui sont présents, vu le succès d'estime remporté par ce débat tout à fait remarquable – mais il y a du public et c'est déjà pas mal ! (Sourires.)

Mme la présidente
C'est la qualité qui compte, pas la quantité !

M. François-Noël Buffet, ministre
Nous sommes tous d'accord, donc, pour dire que nous voulons protéger notre système laïc, nos valeurs et notre République, et que notre nation doit faire corps à ce sujet, en utilisant tous les moyens à sa disposition.

Mme la présidente
Je vous remercie, monsieur le ministre. Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 17 janvier 2025