Déclaration de M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe, sur les relations entre l'Union européenne et les États-Unis, à l'Assemblée nationale le 15 janvier 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le thème : " Après l'élection de Donald Trump, concrétiser la souveraineté européenne "

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " Après l'élection de Donald Trump, concrétiser la souveraineté européenne ".
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, pour une durée de cinq minutes chacun, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
Vous avez été nombreux à dire que l'élection de Donald Trump a constitué un électrochoc, qui suppose un réveil stratégique européen ; vous avez été nombreux à souligner que ce réveil est tardif. Les signaux d'alerte n'ont pas manqué mais, déjà en 2016, nombreux étaient ceux qui pensaient que son accession au pouvoir était un accident de l'histoire, une parenthèse désenchantée et que l'on reviendrait à la normalité des relations transatlantiques au bout de quatre ans.

Beaucoup avaient voulu ignorer les signaux précurseurs d'un changement durable de ces relations envoyés par l'administration Obama : mention d'un pivot vers l'Asie, refus d'intervenir en Syrie après l'utilisation des armes chimiques par Bachar el-Assad, affirmation de ce que l'Europe ne constituait plus une priorité. Et nombreux ont été ceux qui ont refusé de voir qu'il s'agissait de tendances de fond sous l'administration Biden : protectionnisme avec la loi de réduction de l'inflation (IRA), plan massif de soutien à l'industrie américaine, sans aucune coordination avec les alliés européens, maintien de certains tarifs douaniers instaurés par l'administration Trump ou encore alliance Aukus avec le Royaume-Uni et l'Australie.

Le réveil actuel doit pousser l'Europe à investir dans sa souveraineté, principe au cœur de la vision et de l'action de la France depuis le discours de la Sorbonne, en 2017. À l'heure où la guerre est de retour sur notre continent avec l'agression de la Russie contre l'Ukraine, les Européens doivent prendre en main leur propre destin, défendre – seuls au besoin – leur sécurité, être capables de protéger leurs valeurs, la démocratie libérale et leurs intérêts collectifs sur la scène internationale.

Alors que Donald Trump n'a pas encore investi le Bureau ovale, les ingérences de son proche conseiller Elon Musk, propriétaire du réseau social X – qui soutient des mouvements tels que l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) en amplifiant la portée de son message via l'algorithme de X, la dissémination de fake news et la désinformation – pourraient bien être les prémices de la future politique américaine.

Si le DSA impose aux plateformes de réseaux sociaux de prendre leurs responsabilités, de modérer les contenus, de lutter contre la dissémination de la désinformation ou des deep fakes, les agissements d'Elon Musk et la guerre de la Russie contre l'Ukraine, fondamentalement, révèlent les faiblesses et les dépendances de l'Europe. Un réveil collectif est nécessaire.

Dans son rapport remis à la Commission européenne, Mario Draghi souligne le risque de décrochage industriel et technologique face aux États-Unis et à la Chine. En trente ans, les Américains ont créé deux fois plus de PIB par habitant que toute l'Union européenne. Dans des secteurs critiques pour notre souveraineté, tels que celui de l'intelligence artificielle, 60% des investissements mondiaux se font aux États-Unis, près de 20% en Chine et seulement 6 à 7% dans l'Union. Dans les domaines quantique, spatial, numérique, comme dans les grandes industries de la décarbonation, l'Europe est à la peine ; elle n'investit ni n'innove suffisamment. Le potentiel d'investissements, privé et public, n'est pas exploité comme il l'est aux États-Unis.

L'élection de Donald Trump met ainsi en lumière la nécessité pour nous, Européens, d'investir en commun sur notre continent. Les rapports de Mario Draghi, d'Enrico Letta, les discours de la Sorbonne et de Versailles ont dessiné une feuille de route.

M. Nicolas Sansu
C'est pour ça qu'on diminue les investissements en France ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Nous devons parfaire notre marché unique, l'union des marchés de capitaux, notre union bancaire et donner les moyens aux entrepreneurs, aux innovateurs, aux start-up, à ceux qui veulent prendre des risques sur le continent européen de pouvoir le faire, de trouver des financements, de se développer, d'exporter.

Il nous faut soutenir et protéger nos industries, y compris face à la concurrence déloyale. L'Union européenne commence enfin à le faire. La France a soutenu l'enquête de la Commission puis la décision d'imposer des tarifs douaniers aux constructeurs de véhicules électriques chinois après qu'il fut constaté que la Chine le subventionnait massivement, au détriment de notre industrie. L'UE en aurait été incapable il y a quelques années…Nous entrevoyons le début de la sortie de la naïveté, en partie sous l'impulsion de la France, mais il reste beaucoup à faire !

Il est impératif d'investir et de mobiliser l'investissement public et privé pour soutenir les innovations de rupture, en s'inspirant de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). Il l'est tout autant de soutenir, comme vous avez été plusieurs à le dire, notre industrie de défense – la dernière loi de programmation militaire prévoit un doublement des budgets – mais également d'investir, au niveau européen, dans des coopérations militaires et des financements originaux.

Nous avons su le faire face à la menace existentielle du Covid, en créant, sous l'impulsion de la France, de l'Allemagne et d'autres pays, le plan NextGenerationEU, soit 750 milliards d'euros d'investissements publics et de dette commune pour relancer notre économie, investir dans l'innovation verte et les nouvelles technologies.

Face à un autre défi existentiel, sachons prendre des mesures aussi courageuses et soutenons notre industrie de défense ! Il s'agit, monsieur Saintoul, de soutenir l'industrie de défense européenne. C'est le combat de la France ! Vous avez mentionné le débat sur le programme Edip mais vous avez aussi entendu le ministre des armées lors de la conférence des ambassadeurs : si nous dégageons des ressources européennes, c'est bien sûr pour investir dans notre autonomie stratégique, soutenir notre industrie européenne de défense et non créer des usines au Kentucky.

Cette feuille de route demandera de la volonté politique. À ceux tentés par le repli et l'isolement, face au tumulte géopolitique, à la concurrence aggravée et à l'accélération du changement des règles du monde, je dis que la France doit avoir une ambition pour l'Europe. Depuis sept ans, elle porte auprès de ses partenaires la voix d'une Europe qui se réarme, assume des rapports de force, se dote d'instruments avec la volonté politique de les utiliser.

C'est vrai, le chemin est encore long. Alors que nous sommes à la veille de négociations commerciales sans doute ardues avec nos partenaires américains, ce n'est pas le moment de se diviser et de commencer à faire des concessions unilatérales, en disant par exemple qu'il faudrait augmenter les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis.

La volonté politique de s'affirmer, le fait d'assumer des rapports de force, de défendre nos intérêts, d'investir massivement dans notre compétitivité, dans l'innovation, dans notre industrie et notre défense : tel est le message que porte la France. C'est cette souveraineté européenne qui nous permettra de continuer à peser dans les grands équilibres mondiaux et de défendre les intérêts de notre pays dans un monde violent et compétitif. Une France forte, au sein d'une Europe forte et unie !

M. le président
Nous en venons aux questions.
La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani (LIOT)
Le président élu Donald Trump vient de s'illustrer à plusieurs reprises par des propos agressifs qui témoignent d'une vision du monde basée sur le rapport de force et nient tout esprit de coopération et toute notion de dialogue entre les nations.

Nous avons par ailleurs assisté à l'intrusion de certains magnats américains de la technologie dans les affaires publiques européennes. Les géants du numérique tentent visiblement de façonner l'opinion publique grâce à leurs plateformes et de s'immiscer dans les débats, souvent au mépris des pratiques électorales et des valeurs au fondement de la vie démocratique européenne. Tout cela contrevient au respect de notre État de droit et à l'indépendance de nos choix politiques.

Monsieur le ministre, sans renoncer à la coopération transatlantique, quelle politique comptez-vous mener pour répondre aux éventuelles tentatives de déstabilisation, défendre le modèle démocratique européen contre toute forme d'influence déguisée et promouvoir les entreprises technologiques européennes garantes de notre souveraineté numérique ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Votre question est parfaitement posée. Il faut nous défendre et protéger nos démocraties contre les tentatives d'ingérences, qu'elles s'expriment via Tik Tok, comme la Russie vient de le faire en Roumanie et en Moldavie ou via l'amplification de messages d'extrême droite sur X.

Nous avons développé des règles, comme celles que prévoit le DSA, appliquons-les ! J'ai demandé il y a quelques jours à la vice-présidente de la Commission européenne, Mme Henna Virkkunen, de poursuivre et d'amplifier les enquêtes de la Commission sur les violations de ces règles par les plateformes de réseaux sociaux. Je pense notamment à la lutte contre la désinformation, la haine en ligne ou l'utilisation de faux.

Mais face à ce type d'ingérences et de tentatives de déstabilisation, nous ne serons souverains que si nous sommes capables de faire émerger nos propres acteurs du numérique. D'où l'importance de soutenir l'innovation, de protéger notre industrie et de libérer les capacités d'investissement de nos banques et de nos start-up pour investir dans l'intelligence artificielle et le quantique, secteurs qui seront au cœur de la souveraineté de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR.)

M. le président
La parole est à M. Nicolas Sansu.

M. Nicolas Sansu (GDR)
L'Europe risque d'être l'une des premières victimes de l'administration américaine. Le président Trump a en effet déclaré vouloir lui faire payer son excédent commercial par une hausse des tarifs douaniers et du prix du GNL.

Alors que la menace d'une guerre commerciale est à l'ordre du jour, l'Europe se trouve dans un état de fragilité absolue : après le choc énergétique provoqué par l'invasion russe de l'Ukraine, nous voici au milieu d'une crise industrielle qui risque de laisser, en France, plus de 200 000 personnes sans emploi.

La politique de l'offre est morte ! Loin d'avoir réussi à freiner les destructions d'emplois, les subventions et crédits accordés aux entreprises ont rempli les poches de ceux qui impulsent les délocalisations.

Le temps du libre-échange est révolu ! Les marchés internationaux ne sont pas des vecteurs de paix entre les peuples mais, comme cela a toujours été le cas, le lieu où le mode de production capitaliste se développe et où les puissances impériales se confrontent.

Même l'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, reconnaît dans son rapport que l'Europe décroche et qu'il faudrait un investissement annuel commun de 800 milliards d'euros pour rattraper ce retard. Or vous vous apprêtez à diminuer l'investissement public en France !

L'affirmation d'une souveraineté industrielle des pays européens nécessite de rompre avec les dogmes économiques austéritaires des vingt dernières années. La France peut défendre cette voie avant-gardiste ! Cette rupture doit se traduire par des actes concrets : une réforme du pacte de stabilité et de croissance, une régulation des prix de l'énergie pour favoriser l'industrie, une protection des producteurs européens et la conquête de l'indépendance énergétique. Il faut aussi réorienter l'argent : les 100 milliards versés aux actionnaires du CAC40 en dividendes et en rachat d'actions doivent être redistribués.

Face aux offensives impérialistes sino-américaines, ne pensez-vous pas que l'Europe et la France doivent réinvestir massivement, instaurer des barrières douanières pour protéger leurs industries et leurs emplois ? Monsieur le ministre, sortez des chimères du libre-échange, protégez les Français et les Européens !

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je ne me souvenais pas que le rapport Draghi préconisait une sortie du capitalisme ! Il nous encourage au contraire à faire émerger des acteurs industriels et technologiques en leur laissant la possibilité de prendre des risques, d'innover, d'entreprendre et en les finançant afin de créer un écosystème favorable.

Cela signifie, tout d'abord, qu'il faut simplifier et réduire les normes et les régulations qui ont trop longtemps empêché certains acteurs de se développer. Mario Draghi propose ainsi un choc de simplification pour soutenir nos entreprises. Il faut ensuite renforcer les acteurs du capital-risque, les banques qui souhaitent financer et investir.

Par ailleurs, vous avez raison de le souligner, il faut aussi prévoir des investissements publics. Je mentionnais d'ailleurs à l'instant le plan d'endettement commun NextGenerationEU, ce grand emprunt européen lancé sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne pour sortir de la crise covid. L'ancien président de la BCE, Mario Draghi, estime, lui, qu'il faut mobiliser 800 milliards par an.

S'agissant du libre-échange, nous devons, comme les autres, être capables de défendre nos intérêts commerciaux. Le cas échéant, lorsque nous sommes sous la pression des États-Unis ou de la Chine, nous devons pouvoir répondre en imposant nos propres mesures tarifaires. Nous avons agi ainsi face aux véhicules électriques chinois et, à l'avenir, si nous sommes sous pression commerciale, nous devrons de nouveau assumer des rapports de force et des bras de fer avec les États-Unis. À cet égard, c'est bien en restant unis et forts, que nous pourrons, en Européens, assumer ce rapport de force. C'est bien sûr la voix que portera la France.

M. le président
La parole est à M. Maxime Michelet.

M. Maxime Michelet (UDR)
En 2023, les États-Unis étaient le premier partenaire commercial de l'Union européenne. Pour nombre de nos producteurs et entrepreneurs, la relation commerciale avec les États-Unis est donc précieuse et nous comprenons les inquiétudes que la politique offensive du président Trump peut leur inspirer. Ce dernier souhaite en effet inverser la balance de nos échanges en ciblant particulièrement trois secteurs : l'aéronautique, l'industrie pharmaceutique et le domaine des vins et spiritueux.

Cette politique entend défendre les intérêts des États-Unis. En tant que telle, elle est parfaitement légitime d'un point de vue américain. Car le problème, ce n'est pas la politique américaine, librement, souverainement choisie par le peuple américain mais l'incapacité de la France à défendre ses intérêts avec la même force, la même détermination et la même efficacité, notamment en Europe et à Bruxelles. Nous en avons pourtant le devoir.

Dans mon territoire d'élection, riche de son vignoble champenois, le marché américain n'est pas accessoire. Premier marché à l'export de l'AOC – appellation d'origine contrôlée – champagne, il représente 27 millions de bouteilles expédiées pour un montant total de 810 millions d'euros. Il est essentiel pour toute la viticulture française puisque les États-Unis sont le leader incontesté de la consommation mondiale de vin.

Face à cette situation, pouvez-vous nous garantir – ainsi qu'aux vignerons français – que la France défendra à Bruxelles les intérêts du commerce français ? Pouvez-vous nous assurer, loin des foucades passées du président Macron à l'égard du président Trump, et sans s'égarer dans une illusoire souveraineté européenne qui méconnaîtrait nos intérêts au profit de ceux d'autres pays européens, que la France agira pour construire des relations commerciales reposant sur le respect, l'équilibre et la confiance, avec notre partenaire d'outre-Atlantique ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je vous avoue que je suis un peu surpris par la tonalité de votre question, comme d'ailleurs par l'intervention de votre collègue Mme Mansouri.

Vous vous félicitez de l'élection de Donald Trump, que vous soutenez, tout en rappelant que sa politique commerciale ira peut-être à l'encontre des intérêts des employés et ouvriers de l'industrie aéronautique, des agriculteurs ou encore des viticulteurs. J'aimerais savoir comment vous expliquerez à ces derniers, qui pourraient être confrontés à des mesures douanières et commerciales, pourquoi vous avez jugé bon de soutenir, dans le cadre d'une élection à l'étranger, un candidat qui formule ce type de proposition. C'est une drôle de vision du souverainisme !

Notre seul objectif, notre seule boussole, c'est la défense des intérêts de la France et des Français. Ainsi, c'est pour défendre les intérêts des agriculteurs que nous refusons l'accord avec le Mercosur – en l'état, il ne respecte ni nos clauses ni nos exigences sur le plan commercial comme environnemental. De même, nous avons soutenu l'Europe lorsqu'elle a défendu ses intérêts commerciaux de façon offensive, sans naïveté, dans le dossier des véhicules électriques chinois. En matière de défense, nous prônons la préférence européenne pour qu'émerge une véritable autonomie stratégique européenne.

Il n'est pas question de se faire la voix de pays étrangers, de chercher à plaire aux uns en affichant son respect ou à déplaire aux autres en réagissant par foucades. Nous devons simplement défendre nos intérêts et assumer, le cas échéant, des rapports de force – non nous soumettre, monsieur le député.

M. le président
La parole est à Mme Manon Bouquin.

Mme Manon Bouquin (RN)
Une addition de faiblesses n'a jamais constitué une force. Cela vaut pour tous les domaines dans lesquels l'immixtion européenne a abouti à un affaiblissement général.

Je prendrai un seul exemple du sabotage de notre économie : le secteur de l'énergie. Oui, dans ce domaine, la France a bien accepté le sabotage opéré par une Union européenne acquise aux intérêts de l'Allemagne, pays certes partenaire mais aussi concurrent, qui cherche à réduire son déficit de compétitivité.

Ces deux influences étrangères ont non seulement saboté le nucléaire français mais aussi arrimé notre pays à une crise des prix énergétiques, consciemment provoquée par les mauvais choix de l'Allemagne sur l'éolien – des choix qui ont fait de ce pays le toxicomane gazier de l'Europe. Aujourd'hui, c'est peu ou prou toute l'économie européenne qui souffre du sevrage imposé par les sanctions à son fournisseur russe. Pire : ils ont conduit à créer de nouvelles dépendances, notamment envers les États-Unis ou l'Azerbaïdjan, un pays qui combat les intérêts de la France et encourage les troubles civils, comme en Nouvelle-Calédonie.

Donald Trump a esquissé des lignes claires pour sa politique de souveraineté économique, ce qui en fait un concurrent redoutable. Il ne s'enferme pas dans des carcans qui nuiraient à cette souveraineté et n'hésite pas à faire des mises au point, y compris au sein de l'espace de coopération économique nord-américain, notamment avec le Canada.

Serons-nous lucides sur nos propres faiblesses ? Comprendrons-nous que seul l'intérêt national peut servir de boussole pour naviguer dans les eaux nouvelles de la démondialisation ? C'est là que réside tout l'enjeu, pour l'Union européenne et la France, du deuxième mandat de Donald Trump.

Ma question est donc la suivante : le gouvernement poursuivra-t-il une politique de servitude européenne ou cherchera-t-il à réaffirmer la souveraineté française pour que, d'une part, les partenariats européens favorisent le renforcement et la réinstallation de la production en France, et que, d'autre part, l'Union européenne cesse de contraindre notre pays à accepter des accords ou des politiques qui nuisent à nos producteurs, notamment nos agriculteurs et nos viticulteurs ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
S'agissant de toutes les questions stratégiques que vous avez évoquées – l'énergie, la politique commerciale, la défense de nos intérêts face aux ingérences avec l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, les enjeux industriels ou la protection de nos agriculteurs –, sommes-nous plus forts quand nous sommes isolés et divisés face aux États-Unis et à la Chine ? La France ne tire-t-elle pas bénéfice de son union avec les autres pays pour défendre précisément les intérêts de ses agriculteurs, de ses ouvriers et de ses industries ? N'est-ce pas ainsi que les Européens pèsent davantage ? Si, pour y parvenir, nous devons exiger des transformations profondes de la part de l'Europe, nous nous y emploierons.

Vous avez évoqué la question de l'énergie. C'est la France, justement, qui a obtenu la reconnaissance du nucléaire comme énergie décarbonée dans la taxonomie européenne et qui l'a promu, parmi les énergies renouvelables, dans le mix énergétique de l'Union européenne. C'est la France, précisément, qui a permis la réforme du marché européen de l'énergie – le prix de l'électricité est enfin découplé de celui du gaz.

C'est en procédant ainsi que nous défendons nos intérêts et non en nous repliant, en nous affaiblissant, en perdant notre ambition européenne. Sans naïveté, de façon lucide – un mot que vous avez employé – nous devons emporter l'adhésion de nos partenaires pour assumer des rapports de force sur la scène internationale et défendre ainsi nos intérêts.

Pourquoi, selon vous, Elon Musk soutient-il des mouvements anti-européens en Europe alors qu'on ne l'entend pas s'exprimer sur la Russie ou sur la Chine ? Pourquoi, selon vous – qui êtes la première à souligner que les États-Unis défendront leurs intérêts de façon offensive, contre nous – Donald Trump soutient-il des mouvements politiques qui tiennent le même discours que vous en matière de souverainisme, qui évoquent la nécessité de sortir des mécanismes européens ? Imaginez-vous que c'est pour nous faire plaisir, pour nous faire une fleur, parce qu'il pense ainsi nous renforcer ? Ne veut-il pas, au contraire, alors que des négociations vont s'ouvrir, nous diviser et nous affaiblir ? Sans naïveté, je penche pour la deuxième hypothèse.

M. le président
La parole est à M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN)
À l'heure où l'on parle de l'Europe de la défense, on nous présente Edip comme une avancée décisive. Soyons lucides : ce programme ressemble davantage à une usine à gaz bureaucratique qu'à une réelle stratégie visant à renforcer la souveraineté des nations européennes – et vous le savez.

Les acteurs de la BITD, au cœur des capacités stratégiques, expriment eux-mêmes des inquiétudes légitimes. Ils refusent à juste titre l'instauration d'un marché unique de la défense qui, au nom d'une ouverture systématique, mettrait en péril nos fleurons industriels en les confrontant à la concurrence déloyale d'industries subventionnées par d'autres États européens ou par des acteurs extraeuropéens comme les États-Unis.

L'élection de Donald Trump l'a pourtant déjà mis en évidence : l'Europe ne peut plus se reposer sur le parapluie américain. Ce constat aurait dû nous inciter, dès son premier mandat, à bâtir une défense fondée sur nos propres intérêts en consolidant nos capacités industrielles et en renforçant la souveraineté française. Or nous persistons à lancer des projets européens mal conçus qui confondent souveraineté et logique mercantile et risquent de diluer notre puissance. Dois-je vraiment revenir sur le cas des coopérations industrielles franco-allemandes, comme le Scaf ou le char du futur, qui peinent à avancer en raison de divergences stratégiques profondes ?

Nos partenaires, notamment l'Allemagne, poursuivent avant tout leurs propres intérêts industriels et commerciaux, quitte à ralentir ou à affaiblir ces programmes. Comment leur en vouloir ? La Pologne, par exemple, qui a promis de consacrer 5 % de son PIB à la défense, montre déjà qu'elle utilise les fonds européens pour acheter des équipements européens.

Dès lors, pourquoi reproduire ces mêmes erreurs avec l'Edip et risquer un nouveau fiasco ? En cherchant à imposer des règles bureaucratiques et une ouverture systématique à des acteurs extérieurs, l'Europe sacrifie ses ambitions stratégiques sur l'autel du marché libre, au risque de diluer son rôle de puissance géopolitique.

Je vous pose donc la question : comment justifiez-vous la prise en considération de critères fondés uniquement sur la valeur monétaire des produits au détriment de leur qualité et de leur origine alors que certains produits européens – français par exemple – sont certes plus coûteux mais disposent de capacités supérieures ?

Enfin, comment garantir que les fonds du programme soutiendront bien des produits de défense conçus au sein de l'Union européenne sans tomber dans le piège des licences étrangères ? Il s'agit de préserver notre capacité d'adaptation rapide aux besoins nationaux.

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Avant de répondre précisément à votre question sur Edip, je tiens à souligner que notre défense nationale constitue bien sûr la base de notre politique de défense. C'est d'ailleurs pourquoi, au cours des deux mandats d'Emmanuel Macron, nous avons doublé le budget de la défense – je crois d'ailleurs que vos collègues du Rassemblement national ont soutenu cet effort. Nous disposons bien sûr d'une force de frappe nucléaire autonome, qui fait de la France une puissance dotée et garantit sa souveraineté.

Par ailleurs, nous avons soutenu le développement de certains programmes européens pour encourager les coopérations industrielles et faire émerger des financements européens. La première condition que nous avons posée est celle de la préférence européenne, en particulier s'agissant de l'autorité de conception, un point que vous avez mentionné et qui est au cœur des négociations liées au programme Edip. Le savoir-faire technologique doit rester en Europe.

Je précise que la majorité des financements prévus dans le cadre de ces négociations sont destinés à l'industrie européenne. Car, si chaque pays peut dépenser son budget de défense comme il le souhaite, il n'est pas question d'acheter américain ou coréen avec l'argent du contribuable européen. C'est la ligne que nous défendons, notamment s'agissant de la maîtrise technologique.

Face à l'urgence de la situation internationale, à la nécessité de réarmer, nous devons poursuivre les efforts nationaux, à l'image de nos voisins européens. Nous avons d'ailleurs reçu la semaine dernière Rados³aw Sikorski, le ministre des affaires étrangères de Pologne, un pays qui consacre 4,7% de son PIB au budget de la défense.

Cependant, il est de notre intérêt d'agir en Européens. Nous devons pouvoir dégager de nouveaux financements – je pense aux eurobonds, un système d'emprunt commun au niveau européen – si nous en avons besoin.  Cela suppose bien sûr que nous définissions certains critères – c'est ce que nous avons défendu au sein du Conseil de l'Europe pour le programme Edip.

M. le président
La parole est à Mme Eléonore Caroit.

Mme Eléonore Caroit (EPR)
La réélection de Donald Trump en novembre dernier ouvre un nouveau chapitre des relations transatlantiques. Le mandat que défendra le président Trump à partir de son investiture, le 20 janvier prochain, est sans ambiguïté : " Make America great again ! " ou encore " America first ! ". Ces slogans seront la base de tout échange et de toute négociation avec les États-Unis.

L'élection de Donald Trump souligne, si cela était encore nécessaire, l'urgence pour l'Union européenne de se concevoir et d'agir de manière autonome, dans un monde marqué par des tensions accrues.

Dès lors, il ne s'agit plus de nous livrer à un débat philosophique ou juridique. Nous devons concrétiser une véritable souveraineté européenne. La remise en question de l'aide à l'Ukraine, les revendications territoriales de Trump vis-à-vis du Groenland, du Canada, du canal de Panama ou encore la guerre toponymique dont le golfe du Mexique fait l'objet sont autant d'éléments qui soulignent l'importance d'une action européenne concertée.

Nous avons fait des pas importants dans cette direction mais il faut dorénavant faire preuve de davantage d'ambition et surtout de coordination entre les États membres. Nous avons bâti des politiques communes en matière de commerce, d'énergie, de défense. Il nous faut à présent nous appuyer sur ces fondations pour renforcer notre capacité à agir de manière autonome, protéger nos citoyens, défendre nos intérêts.

Cela passe par le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune, par l'application du pacte vert pour l'Europe pour sécuriser nos approvisionnements stratégiques et par une accélération de notre industrie numérique.

Concrétiser la souveraineté européenne, c'est construire une Europe capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Plus que jamais, l'Union européenne ne doit compter que sur elle-même pour défendre ses valeurs, ses intérêts, ses citoyens.

Dans cette perspective, pensez-vous que le recours à la préférence européenne, qui consiste à privilégier les acteurs, produits et technologies européens lorsque cela est possible, puisse devenir un levier clef de renforcement de notre souveraineté ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je ne peux que partager votre constat : les Européens doivent assumer la responsabilité de leur propre destin et investir dans leur défense, leur sécurité et leur souveraineté.

La préférence européenne est au cœur de notre vision de la défense comme de l'industrie. Il faut sortir de la naïveté commerciale et assumer de protéger et défendre nos intérêts, notamment quand les autres font œuvre de protectionnisme et s'affranchissent des règles internationales, des codes de l'OMC. Ne soyons pas les derniers dindons de la farce du commerce international et de la mondialisation des années 90. Sachons aussi montrer nos muscles et défendre nos propres intérêts industriels !

M. le président
La parole est à Mme Brigitte Klinkert.

Mme Brigitte Klinkert (EPR)
Dans cinq jours, Donald Trump deviendra le 47e président des États-Unis. Son élection constitue un facteur d'instabilité pour les Européens et la France, davantage encore, sans doute, que celle qui avait donné lieu à son précédent mandat. Les États-Unis sont un partenaire de l'Europe et de la France mais il est désormais difficile de considérer que ce partenaire soit fiable, constant et loyal.

Une ère d'incertitude s'ouvre quant aux ambitions de la future administration Trump à l'égard de l'Europe et de l'Otan, telles que les révèle déjà la diplomatie parallèle et réactionnaire menée par Elon Musk, qui se livre à une guerre d'influence affectant les élections démocratiques en Europe. L'ingérence dans nos processus démocratiques constitue une violation directe de la souveraineté européenne.

En Allemagne, Musk fait usage de ses capitaux privés et du pouvoir que lui confère le réseau social qu'il possède pour influencer les élections. Cela représente un danger et une ingérence contraire aux valeurs fondamentales de l'Union européenne. L'Allemagne, notre principal partenaire, avec lequel nous formons le pilier de l'Europe, renouvellera le Bundestag le 23 février. Le soutien de Musk à l'AfD, l'extrême droite allemande eurosceptique, est une forme d'interférence nouvelle de la part d'un allié.

En décembre, le bureau de l'Assemblée parlementaire franco-allemande a adopté une déclaration politique qui réaffirme, face à un monde instable et hostile, le besoin d'une autonomie stratégique européenne et le rôle moteur de la France et de l'Allemagne.

Monsieur le ministre, comment la France compte-t-elle faire entendre sa voix à Bruxelles pour que la Commission européenne assure notre souveraineté numérique et la sécurité de nos processus démocratiques ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Vous avez rappelé la nécessité de faire respecter nos règles applicables au domaine numérique. Nous nous sommes dotés d'instruments tels que le DSA et le DMA. Il appartient à la Commission d'en faire usage face à ces ingérences et à l'amplification de certains messages, en particulier du fait de la manipulation de l'algorithme du réseau social X. Je souligne aussi le rôle joué par TikTok dans les élections parlementaires roumaines, que la Russie a manipulées.

La Commission européenne doit faire respecter nos règles : voilà le message que Jean-Noël Barrot, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et moi-même lui avons adressé. Je me suis personnellement entretenu avec la vice-présidente Henna Virkkunen afin de lui rappeler la nécessité de poursuivre les enquêtes en cours pour faire respecter le droit.

Le deuxième pilier de notre action se fonde sur l'innovation et la capacité à faire émerger des acteurs dans le numérique, le quantique et l'intelligence artificielle, des secteurs stratégiques qui seront déterminants pour la souveraineté et la compétitivité de notre continent. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est précisément parce que nous n'avons pas su faire émerger de Musk, de grands acteurs industriels européens qui nous permettraient de protéger nos normes et nos valeurs.

L'application des préconisations du rapport Draghi a pour objet de traiter cet enjeu, auquel nous ferons face dans les prochaines années.

M. le président
La parole est à Mme Nadège Abomangoli.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP)
Souveraineté populaire et paix : voilà les deux principes qui devraient guider notre politique de défense. Or force est de constater que la promesse d'une défense européenne éloigne notre pays de ces idéaux. En cherchant à plaire aux plus atlantistes de nos voisins, la France s'est alignée depuis des années sur l'Otan. Nous n'avons récolté de cette manœuvre que de l'indifférence, voire du mépris. Il convient de renouer avec une politique non-alignée en matière de défense nationale.

On l'a maintes fois répété : la défense européenne est une chimère qui renforce notre dépendance à l'égard des États-Unis tout en promettant de nous y soustraire. Trump ou pas, la défense européenne annihile toute prétention à l'autonomie stratégique nationale.

Certains ont imaginé le concept d'autonomie stratégique européenne. Mais où est-elle en Ukraine, en Israël, en Palestine, dans le Pacifique ou encore s'agissant de la cyberdéfense et de l'espace ? L'autonomie stratégique européenne n'existe pas ; l'autonomie stratégique française n'existe plus.

Nous le savons tous : d'un point de vue démocratique, l'idée d'une défense européenne est une illusion. Il n'existe pas de peuple européen souverain susceptible de légitimer une politique militaire globale.

Les promoteurs de l'Europe de la défense rêvent d'une défense commune avec des pays qui ne partagent pas nos intérêts géopolitiques. Ainsi, alors que le monde court à la guerre, certains continuent de fantasmer le pacifisme d'une Europe de plus en plus belliqueuse, car de plus en plus alignée sur les États-Unis qu'incarne Donald Trump, avec ses velléités hégémoniques.

Comme vous, la perspective d'un effacement de la voix de la France à l'international m'inquiète. Comment envisagez-vous de rendre crédible cette voix, qui a si bien porté par le passé mais n'a guère compté dans le conflit israélo-palestinien ?

J'en profite pour me féliciter de l'accord de cessez-le-feu et de libération des otages conclu aujourd'hui entre Israël et le Hamas, après beaucoup trop de souffrances.

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Je me félicite aussi que cet accord ait été trouvé. J'aurais aimé vous entendre vous féliciter du rôle joué par la diplomatie française, Emmanuel Macron et Jean-Noël Barrot dans la signature récente d'un accord de cessez-le-feu au Liban. La France, avec ses partenaires américains, a fait porter sa voix au Moyen-Orient et a permis à nos amis et partenaires libanais de sortir de l'impasse politique dans laquelle ils se trouvaient.

N'opposons pas le fait d'avoir des alliés et celui de mener une politique étrangère indépendante et une politique de défense souveraine. Nous sommes membres de l'Otan, mais le budget que nous consacrons à la défense n'en a pas moins doublé au cours des deux mandats d'Emmanuel Macron et nous disposons d'une capacité de dissuasion nucléaire autonome.

Nous n'avons jamais été non-alignés. La France est un membre fondateur de l'Alliance atlantique. Elle s'est retirée de son commandement militaire intégré sous la présidence de Charles de Gaulle, à une époque où des bases militaires américaines se trouvaient sur notre territoire et où l'on débattait de l'indépendance de notre politique de dissuasion, mais elle n'a pas quitté l'Alliance. Lors des grandes crises, telle la crise des missiles de Cuba, elle s'est tenue aux côtés de ses partenaires sans jamais perdre l'indépendance de sa voix, qui s'est fait entendre au sujet de la guerre du Vietnam, de la guerre en Irak ou, plus récemment, du Moyen-Orient.

C'est avec ses alliés, ses amis, ses partenaires, grâce à son action et à son indépendance que la France fera porter sa voix et exercera son influence sur la scène internationale, non en suivant une politique isolationniste qui n'a jamais été la sienne.

M. le président
La parole est à M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP)
Lundi prochain, Donald Trump présidera à nouveau aux destinées de ce qui est encore la première puissance mondiale – du moins pour le moment car, s'il a clairement la volonté d'entraîner son pays dans une confrontation directe avec la Chine, rien ne dit qu'il en sortira victorieux. La France ne doit à aucun prix se laisser entraîner dans la logique infernale de la confrontation entre ces deux grandes puissances, sur lesquelles nous ne devons pas nous aligner.

La France est le pays qui résiste à tous les impérialismes. Or le retour de Donald Trump annonce un nouvel âge de l'impérialisme américain. Nous commettrions une grossière erreur en ne prenant pas au sérieux les menaces qu'il fait peser sur le Groenland, le canal du Panama ou même le Canada. Suivant sa nouvelle doctrine, toute forme d'autonomie et de souveraineté de ses alliés est vécue comme une marque d'hostilité. Cela vaudra pour les États européens.

La guerre de conquête redevient possible pour les États-Unis et la logique coloniale est relancée. L'absence de véritable réaction des grandes puissances européennes – non, il n'y a pas eu de réaction suffisamment forte de leur part au génocide qui se déroulait à Gaza, et je salue également le cessez-le-feu qui vient d'être signé – finira peut-être par se retourner contre elles. Trump a vu qu'Israël pouvait annexer une partie du territoire de ses voisins libanais ou syriens sans susciter de vraies résistances. Que ferons-nous si, demain, les Antilles françaises ou néerlandaises sont ciblées par un Trump qui veut rebaptiser « golfe d'Amérique » le golfe du Mexique ?

Le secrétaire général de l'Otan, Mark Rutte, devrait y songer avant de chercher à décourager nos pays de se dégager de la tutelle américaine, comme il l'a fait hier encore devant le Parlement européen.

Comment expliquez-vous le silence du président de la République française au sujet de ces menaces ? Plutôt que de nous fâcher avec toute l'Afrique, ne devrions-nous pas chercher à faire front avec ceux qui, comme nous, ont tout à craindre d'un nouvel expansionnisme américain ? La France se serait-elle déjà résignée à sa potentielle vassalisation ?

En Elon Musk, qui n'aurait jamais fait fortune sans les financements du département d'État des États-Unis, Trump a trouvé un allié de taille qui cherche à déstabiliser nos démocraties. Même si le fait de quitter son réseau social ne constitue pas une solution à ce problème, il faut le contraindre à respecter nos lois, comme l'ont fait nos amis brésiliens. Si vous êtes d'accord sur ce point avec votre collègue Jean-Noël Barrot, engagez dès à présent le bras de fer et n'attendez pas une hypothétique réaction de Bruxelles.

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué
Vous parlez du silence de la France mais elle est aux côtés de ses partenaires et de ses amis. Concernant les menaces proférées par Donald Trump au sujet du Groenland, que la France a jugées inacceptables, le président de la République s'est entretenu le jour même avec la première ministre danoise afin de lui exprimer notre solidarité.

C'est justement contre de telles menaces que la France soutient l'idée d'une Europe souveraine capable de défendre ses intérêts. Tout notre débat de ce soir révèle qu'il n'y a aucun silence. Au contraire, les Européens manifestent leur volonté de reprendre leur destin en main, d'investir dans leur souveraineté et leur autonomie stratégique, de sortir de la naïveté sur les plans commercial et géopolitique – c'est le sens des propos tenus par le président de la République lors de la conférence des ambassadeurs.

Nous partageons le sentiment que le monde est menaçant : la conquête territoriale redevient possible et les rapports de force s'expriment de façon débridée et exacerbée. Plutôt que de faire de la politique politicienne et de chercher des boucs émissaires et des responsables en politique intérieure, sachons faire preuve d'unité et avançons ensemble pour défendre collectivement nos intérêts.

M. le président
La parole est à M. Julien Gokel.

M. Julien Gokel (SOC)
L'élection de Donald Trump nous confronte à l'urgence de réduire nos dépendances. On peut la percevoir comme une menace mais elle doit surtout servir de signal d'alarme : il est impératif de renforcer l'autonomie stratégique de notre continent.

Si nous voyons le verre à moitié vide, cette élection n'est peut-être pas une bonne nouvelle pour notre continent, pour l'état de nos relations commerciales, pour l'avenir de l'Otan mais aussi pour la paix en Ukraine ou tout simplement pour la planète.

Mais si nous voulons bien voir le verre à moitié plein, cette élection nous oblige. L'Union européenne n'est jamais aussi efficace que lorsqu'elle est au pied du mur. Ces dernières années, nous en avons eu la preuve, lorsque nous avons su mettre de côté nos divisions pour faire bloc face à la pandémie du covid-19 ou pour soutenir l'Ukraine après l'invasion russe.

Que ce soit en matière commerciale, de défense ou de transition écologique, l'élection de Donald Trump doit nous pousser à renforcer notre indépendance – je pense que vous l'avez saisi, monsieur le ministre. Si nous n'allons pas dans ce sens, nous continuerons tous les quatre ans à observer les élections américaines comme si l'avenir du monde et plus particulièrement de notre continent se jouait à quelques milliers de voix dans l'un des swing states.

Par comparaison avec la première élection de Donald Trump en 2016, à laquelle personne n'a jamais voulu croire, nos dirigeants européens semblent aujourd'hui s'être mieux préparés à cette nouvelle élection. Avant d'entrer dans le détail des conséquences du retour de Trump sur notre économie, pouvez-vous nous dire comment la France, nos services et nos diplomates ont préparé notre pays à cette élection et anticipé les conséquences que nous pouvons imaginer ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
La France s'est préparée en n'entretenant aucune illusion sur la tendance de fond que l'on observe de la part des États-Unis. Déjà sous l'administration Obama, puis sous la première administration Trump et sous l'administration Biden, l'Europe, sous l'impulsion de la France, est sortie de sa naïveté sur le plan commercial, a investi dans des coopérations en matière de défense, a défendu ses valeurs et sa souveraineté sur le plan numérique. Je viens d'évoquer le DSA : c'est en donnant enfin à l'Europe les moyens de se défendre que nous nous prémunissons contre toute éventualité à l'étranger.

Les Américains ont fait leur choix, il est souverain et nous le respectons. Le président Trump défendra leurs intérêts. Notre ambition, c'est que les Européens puissent toujours défendre les leurs, conformément à la vision et au projet que nous défendons, avec des résultats, depuis 2017.

M. le président
La parole est à M. Julien Gokel, pour une seconde question.

M. Julien Gokel (SOC)
Sur le plan commercial, Donald Trump ne s'est jamais caché de vouloir réduire le déficit des États-Unis, voire de rendre leur balance commerciale excédentaire. Il souhaite favoriser les industries de son pays et nous, protéger bien évidemment les nôtres. Rien de plus normal. Mais force est de constater que nous n'avons pas les mêmes armes ni les mêmes contraintes, et que nous n'agissons pas forcément dans la même temporalité.

Il est probable que l'administration Trump impose rapidement une hausse de 10% à 20% des droits de douane, ce qui aura de lourdes conséquences pour nos industries, notamment sidérurgiques, chimiques et aéronautiques.

Quelle est la réponse que nous pouvons y apporter au niveau européen ? L'Union peut surtaxer des produits d'importation, prendre des mesures de sauvegarde ou des mesures antidumping, et nous attendons beaucoup du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le MACF, essentiel notamment pour protéger l'acier français. Mais les processus que je viens d'évoquer sont complexes et plus longs à mettre en œuvre qu'aux États-Unis. C'est une de nos contraintes. Nous devons agir plus vite et plus efficacement. Comment la France compte-t-elle donc dialoguer avec ses partenaires pour instaurer des mesures de réciprocité plus efficaces ?

S'agissant de la question cruciale de l'énergie, Trump devrait à nouveau s'affranchir de l'accord de Paris sur le climat – ce ne sera malheureusement pas une surprise –, misant sur le pétrole et le gaz pour renforcer la compétitivité des industries américaines. L'Europe, sur ce point, doit montrer l'exemple, mais comment concilier objectifs climatiques et compétitivité ? Voilà un vrai sujet.

Les défis de la décarbonation sont immenses, je le vois bien dans mon territoire, le Dunkerquois, où on a tout de même la chance de pouvoir s'appuyer sur deux nouveaux projets de réacteur de type EPR, donc sur une énergie sûre, décarbonée et abordable pour soutenir le renouveau et la transition industriels. Mais comment inciter davantage l'Europe à mener une politique énergétique commune plus ambitieuse et plus compétitive, incluant le nucléaire et le renouvelable en complémentarité ?

Je souligne que la question du prix de l'électricité est cruciale pour maintenir notre compétitivité, notre attractivité, nos emplois et notre souveraineté, c'est-à-dire pour produire nos propres richesses. Or nous, Européens, ne sommes pas attractifs à l'heure actuelle. Face à la concurrence agressive des États-Unis qui produisent une énergie à bas coût, l'Europe doit être au rendez-vous.

Monsieur le ministre, quels leviers comptez-vous activer pour que nous passions d'une ambition déclarative à une véritable stratégie commune, à la hauteur des défis du XXIe siècle, sachant que la nouvelle donne internationale exige que nous défendions nos intérêts européens avec plus d'ambition et de fermeté ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
Vous mettez en exergue deux sujets absolument fondamentaux et qui mériteraient beaucoup plus qu'un échange aussi bref.

S'agissant de la question commerciale, vous avez mentionné plusieurs des mesures possibles – clauses antidumping, principe de la réciprocité, compensations si nécessaire et soutien aux secteurs éventuellement touchés. Et c'est précisément les leviers que nous avons activés récemment, j'en ai parlé à propos des véhicules électriques chinois.

C'est un exemple intéressant car sur la question du photovoltaïque, il y a quelques années, nous n'avons pas été capables de prendre des mesures. Depuis, nous nous sommes dotés d'instruments et nous pouvons désormais d'agir plus vite, sans attendre le résultat de procédures interminables – notamment devant l'OMC –, pour imposer, après enquête rigoureuse de la Commission, de nouveaux tarifs. En l'espèce, il a été démontré que la Chine subventionnait massivement son secteur de production de véhicules électriques.

D'autres pays ont agi ainsi, d'autant plus rapidement qu'ils étaient le seul acteur décisionnaire – je pense aux États-Unis, qui ont imposé des tarifs douaniers de 100%. Nous avons réussi à dégager une majorité en Europe pour imposer une hausse des tarifs.

Je le répète, une guerre commerciale, ou le protectionnisme, n'est dans l'intérêt de personne : nous sommes les principaux partenaires commerciaux les uns des autres. Mais la meilleure façon d'empêcher un conflit est de montrer que nous disposons des instruments pour répondre de façon symétrique et que nous assumons le rapport de force. Cela avait été le cas lors des négociations commerciales entre les États-Unis et l'Union européenne, il y a quelques années, sous la présidence Juncker. C'est l'approche que préconise la France.

S'agissant de la question du mix énergétique, vous avez raison de souligner qu'il ne faut pas opposer décarbonation et compétitivité. La décarbonation est bien une source de réduction des coûts de l'énergie, de compétitivité, et ce qui nous met à l'avant-garde d'industries innovantes. Nous devons donc continuer cet effort de décarbonation dans la logique des objectifs ambitieux définis dans le pacte vert, tout en accompagnant la transition des autres secteurs industriels. C'est bien le mix énergies renouvelables et énergie nucléaire que nous défendons, à la fois par la réforme du marché de l'électricité, en faisant entrer de nouveau le nucléaire dans la taxonomie européenne, et par le développement de la décarbonation.

M. le président
La parole est à M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit (Dem)
Trump arrive… La seule chose rassurante, c'est qu'on ne sait pas trop ce qu'il va faire vraiment. Mais Trump est un transactionnel et il risque de mettre en péril le droit international. Ma question portera sur ce point, au regard de ce qui se passe en Ukraine. En transactionnel, Trump va dealer, et seul. Il y a fort à parier que nous ne serons pas invités à la table, ni nous Français ni nous Européens.

Or ce deal portera sur des éléments existentiels pour l'Europe. Je vais prendre des exemples très concrets, dont nous avons souvent parlé, monsieur le ministre. Le maintien de la Constitution russe fera-t-il partie du deal, sachant qu'un recul abracadabrantesque permet depuis un an d'intégrer à la Russie des territoires qui n'ont jamais vu un char russe et des citoyens d'autres nations qui, parce qu'ils sont russophones, sont considérés relevant du pouvoir du Kremlin ? La réparation des infrastructures civiles ukrainiennes, qui ont été détruites de façon gratuite et criminelle, fera-t-elle partie du deal ? Je n'en ai pas l'impression.

Ces questions existentielles pour l'Europe risquent fort de passer sous le tapis. Quand et comment la France et l'Europe feront-elles entendre leur voix dans cette séquence de négociations qui sera très fermée ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
Je vous remercie de rappeler l'importance existentielle que revêt cette guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine à nos portes car cela a été assez peu évoqué ce soir. Je voudrais rappeler plusieurs points principiels.

Premièrement, les Européens doivent être à la table des négociations. On ne peut pas négocier la sécurité et l'avenir de l'Ukraine sans les Ukrainiens, ni la sécurité et l'avenir de l'Europe sans les Européens. Ainsi, le président de la République, en marge de la cérémonie de Notre-Dame, a organisé la rencontre entre le président élu Trump et le président Zelensky.

Deuxièmement, la résolution de cette guerre doit reposer sur les principes très clairs que sont la sécurité et la stabilité de l'Europe, et sur des garanties de sécurité pérennes et crédibles pour l'Ukraine, auxquelles les Européens devront prendre toute leur part.

Mais je souligne que pour négocier en vue d'un accord, il faut être au moins deux. Or la Russie est dans une posture escalatoire. C'est elle qui envoie des troupes nord-coréennes sur le sol européen et qui utilise des missiles balistiques et des drones iraniens contre les infrastructures, les militaires et les civils ukrainiens. La seule façon de pouvoir l'entraîner dans une négociation, et c'est le message que nous avons transmis aussi à l'administration américaine, c'est de placer les Ukrainiens dans un rapport de force le plus favorable possible sur le terrain. Il s'agit de faire comprendre à la Russie que la victoire militaire est impossible. Certes, il n'y a pas de solution simple, facile et rapide permettant de mettre fin à la guerre en Ukraine, et cela demandera aussi un engagement de long terme des Européens auprès des Ukrainiens. Je peux vous assurer que c'est le message de la France auprès de ses partenaires.

M. le président
La parole est à M. Bertrand Bouyx.

M. Bertrand Bouyx (HOR)
L'élection de Donald Trump et son retour à la Maison-Blanche à l'issue du mandat de Joe Biden posent à l'Europe des questions existentielles. Pour autant, le sujet de la souveraineté européenne n'est pas nouveau et cette élection ne fait que nous rappeler l'urgence de mettre en œuvre le projet exprimé dans la déclaration commune visant, entre autres, à renforcer les capacités de défense européenne, adoptée par les chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen de Versailles les 10 et 11 mars 2022.

On connaît les positions et les promesses du président Trump : fin du conflit en Ukraine en vingt-quatre heures, baisse, voire suppression du soutien à l'Ukraine, désengagement des USA de l'Otan, etc. On connaît aussi ses méthodes de négociation musclées, qui imposent les enjeux et conflictualisent les échanges internationaux. Certes, on sait qu'il ne faut pas prendre ses déclarations au pied de la lettre, mais celles sur le Groenland, le Panama et le Canada sont inquiétantes. Il faut, à mon sens, les prendre au sérieux. Ne pas le faire serait une erreur grave, sans doute une erreur historique.

Dans un contexte international qui voit le retour des protectionnismes, illustré par la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, l'Europe apparaît comme à la traîne des affaires du monde dans les domaines stratégiques de l'énergie, des matières premières, des technologies de pointe. Vous l'avez dit, il y a un décrochage, au vu des investissements nécessaires, notamment dans le domaine de la défense.

Les pays européens n'ont pas tranché le débat stratégique suivant : Europe de la défense indépendante ou Europe pilier de l'Otan ? Cette difficulté stratégique apparaît dans les domaines de la mutualisation industrielle et dans les grands projets d'armement communs, et peut en partie s'expliquer par les disparités institutionnelles entre États européens dans la définition des politiques de défense, disparités entre pouvoirs discrétionnaires de certains exécutifs et contrôle parlementaire renforcé dans d'autres pays.

Face à cette nouvelle donne, quel est le choix stratégique de la France en ce qui concerne l'Europe de la défense et quels outils le gouvernement entend-il utiliser pour harmoniser le projet européen de défense et le rendre effectif rapidement ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe
La question que vous posez est celle de l'avenir des industries de défense européennes. Notre ambition est d'en accroître les capacités – nous l'avons fait au niveau national et les autres États membres s'y emploient – et d'encourager des coopérations au niveau européen. Il faut rappeler que beaucoup de nos partenaires – je pense à nos amis d'Europe centrale et orientale – sont très attachés à la relation transatlantique, à leur place dans l'Otan. La France joue tout son rôle au sein de cette organisation à travers des missions de réassurance en Roumanie, où nous sommes une nation-cadre, mais aussi dans les États baltes et en Pologne, pays placés en première ligne et menacés par l'agressivité et le révisionnisme de la Russie.

La France encourage le développement du pilier européen de l'Otan par une amélioration de la coordination et du dialogue entre l'Union européenne et cette organisation, tout en soutenant la préférence européenne pour faire émerger une industrie de défense européenne. Cela serait aussi dans l'intérêt de ceux qui, outre-Atlantique, nous demandent d'augmenter de façon durable nos efforts de défense. Il faut bien avoir conscience des résultats sur le plan industriel et sur le plan de l'emploi pour assurer mieux encore la pérennité de ces investissements.

Notre conviction, c'est qu'il ne faut pas opposer le rôle de l'Europe, comme pilier de défense robuste et autonome au sein de l'Alliance, et la défense européenne pour laquelle les efforts nationaux de réarmement et d'augmentation des budgets sont menés.

M. le président
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 17 janvier 2025