Déclaration de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, sur le projet de loi d'urgence pour Mayotte, à l'Assemblée nationale le 20 janvier 2025.

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Circonstance : Présentation du projet de loi, en séance publique, à l'Assemblée nationale

Texte intégral

Madame la présidente,
Madame la présidente de la commission des affaires économiques, 
Madame la rapporteure,
Mesdames et Messieurs les députés,


À mi-chemin entre Madagascar et l'Afrique continentale se trouve un petit archipel volcanique à qui l'on a donné bien des noms : l'île hippocampe, pour sa forme vue du ciel et ses côtes très découpées ; l'île aux parfums, pour sa culture historique de plantes odoriférantes ; l'île au lagon, parce qu'elle en possède l'un des plus grands du monde, sublimé par une longue barrière de corail.

Ce territoire splendide, qui a systématiquement, à de multiples reprises et quasi unanimement choisi notre pays, parfois contre vents et marées, est l'un des plus magnifiques recoins de France.

La forêt, le lagon, l'agriculture, la faune ou la flore, les mahorais eux-mêmes, leur humanité, leur culture accueillante et attachante sont autant d'atouts qui forment son potentiel.

Mayotte est française depuis 1841. 170 ans plus tard, l'île est devenue le 101e département français en 2011. Depuis, beaucoup a été fait pour rattraper le retard, mais c'est très largement insuffisant, nous le savons, la réalité est implacable : 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 73 % des jeunes rencontrent des difficultés de lecture.

Dans un département français...

Ce n'est pas normal que d'envoyer ses enfants à l'école seulement un jour sur deux.

Ce n'est pas normal que d'avoir de l'eau à peine potable au robinet seulement quelques jours par semaine et quelques heures par jour.

Ce n'est pas normal que de ne pas pouvoir pénétrer dans certains lieux, à côté de chez vous, parce qu'ils sont aux mains des bandes.

Ce n'est pas normal de, chaque jour, raser les murs ou de voir son enfant revenir de l'école en ayant vu son bus caillassé par des voyous.

Ce n'est pas normal que de ne plus se sentir du tout chez soi, revendiqué par un État étranger voisin et dévisagé par des arrivées clandestines infinies.

Je vous parle d'une partie de la Nation. Je vous parle d'une partie de nous. Je vous parle d'un département français. Je vous parle d'une situation qui n'a pas attendu Chido.

Maintenant imaginez-vous qu'au détour d'un événement climatique dévastateur, s'ajoutant à ce que vous considérez déjà être une situation difficile, vous vous mettiez à avoir le sentiment d'avoir perdu aussi tout ce qui était utile, beau et bon.

Telle est la vie de nos compatriotes mahorais, mesdames et messieurs les députés. Je ne pouvais pas vous présenter ce projet de loi d'urgence sans commencer par vous amener un peu là-bas, sans vous pousser à ressentir ce que vos deux collègues, Mesdames Youssoupha et Bamana, vivent au quotidien, ce que j'ai modestement ressenti quelques jours au début du mois et que je ressentirai de nouveau la semaine prochaine, en y retournant.

Nous devons à tous les Mahorais de trouver ensemble des solutions fortes, concrètes, pragmatiques et dénuées de toute idéologie.

Depuis que j'ai pris mes fonctions de ministre d'État, ministre des outre-mer le 23 décembre dernier, la situation à Mayotte s'est imposée à moi comme une urgence immédiate, comme la priorité numéro 1 de mon action. Ça l'est également pour le Premier ministre et pour l'ensemble du Gouvernement, engagé quotidiennement dans la réponse à la crise et dans la déclinaison, progressive mais rapide, du plan "Mayotte debout" annoncé le 30 décembre dernier par François Bayrou.

Nous devons refonder Mayotte, de Mtsamboro à Kani Keli, du lagon à la forêt, de la Petite-Terre à la Grande-Terre.

Nous devons refonder Mayotte des logements à l'accès aux soins, de l'agriculture à la pêche, de l'école aux infrastructures d'eau et d'assainissement.

Nous devons refonder Mayotte en faisant ressortir le meilleur d'elle-même et en la débarrassant des fléaux qui la dévisagent et la dénaturent : l'habitat illégal et l'immigration clandestine.

j'ai entendu, lors des débats en commission, que ce texte ne comprend rien sur la lutte contre l'immigration ou sur les urgences vitales. C'est vrai. Ne confondons pas les temps.

Nous devons sauver Mayotte ; reconstruire Mayotte ; puis refonder Mayotte.

Le 1er temps, sauver Mayotte, c'est la gestion de crise. Elle ne nécessite bien heureusement pas de texte législatif. Elle mobilise nuit et jour tout le Gouvernement et les services de la préfecture sous l'autorité du préfet Bieuville à qui je veux rendre hommage devant vous.

Pour ce qui concerne les opérations de secours aux personnes, la distribution d'eau et de vivres, encore imparfaite et inégale sur le territoire, le rétablissement des infrastructures stratégiques notamment l'électricité, lui aussi améliorable, j'y suis longuement revenu en commission et je pourrai y revenir le cas échéant au fil de la discussion.

Un mot néanmoins sur le risque épidémiologique car, vous le savez, un cas de choléra a été identifié. Nous nous étions préparés à cette éventualité. L'individu a été immédiatement isolé. Nous avons engagé une campagne de vaccination massive dans la zone impactée et nous avons informé de nouveau les populations sur les risques de consommation d'eau sale.

Plus généralement, si la mobilisation de l'État a permis des avancées concrètes, le chemin est encore long. Elle doit se poursuivre sans relâche et dans la durée, avec une présence constante sur le terrain.

Je me bats chaque jour pour aller chercher de nouvelles avancées pour Mayotte. Depuis l'audition de la semaine dernière, nous en avons obtenu plusieurs :
- 1. J'ai cosigné, le 15 janvier, un décret prévoyant une aide exceptionnelle aux entreprises de Mayotte pour les mois de décembre 2024 et janvier 2025. Elle pourra atteindre jusqu'à 20 000 euros. 
Les premiers versements seront disponibles dès cette semaine pour les bénéficiaires. Cette première opération concerne 2 402 entreprises pour un montant de 16,66 millions d'euros ;
- 2. Il a été décidé d'harmoniser davantage l'attribution des aides d'urgence pour les agents publics pour la fonder sur des critères objectifs pour éviter le sentiment d'injustice ;
- 3. Nous avons avancé sur la mise en place d'un prêt à taux zéro qui permettra d'accompagner les familles les plus fragiles dans la reconstruction de leur maison. Ses caractéristiques seront favorables aux emprunteurs : il permettra d'emprunter jusqu'à 50 000 euros, pour une durée maximale totale de 30 ans, avec un taux d'intérêt bonifié puisqu'à taux zéro sur toute la durée du prêt et avec un différé d'amortissement de cinq ans. Ce prêt sera ouvert à toutes les familles mahoraises, même lorsque leur habitation n'était pas assurée. Nous faisons en sorte que ce prêt soit distribué le plus rapidement possible, les banques ayant besoin de temps pour ensuite le distribuer effectivement ;
- 4. Une circulaire est en cours de finalisation pour préciser les principes d'intervention et modalités de mise en œuvre du fonds de secours pour les outre-mer (FSOM) qui permettra d'apporter un soutien financier aux particuliers non assurés, pour prendre en charge la réparation ou le remplacement des biens mobiliers perdus, jusqu'à 700 euros, et des biens immobiliers jusqu'à 1 800 euros. Il permettra également de soutenir les petites entreprises à caractère artisanal ou familial pour remplacer ou réparer les outils de production, ainsi que les exploitants agricoles pour compenser les pertes de récoltes et d'outils de production ;
- 5. Enfin, l'augmentation très nette, et très significative dans un tel contexte, des crédits de la mission outre-mer bénéficiera notamment à Mayotte. 100 millions d'euros pour un fonds d'amorçage afin de financer les premières dépenses d'urgence ont notamment été adoptés mercredi dernier au Sénat. Nous irons beaucoup plus loin, bien entendu, le moment venu, mais nous avons besoin que la mission inter inspections chargée d'évaluer les dégâts achève ses travaux.

Nous sommes aussi particulièrement mobilisés sur les défis qui restent devant nous :
- premièrement, la préparation de la rentrée scolaire. La rentrée administrative a lieu aujourd'hui même. Celle des élèves se déroulera le 27 janvier, après avoir été décalée à la suite de la tempête tropicale Dikeleni. Elle sera progressive, avec des modalités adaptées. Elle reste un défi, d'autant que 30 % des établissements restent inutilisables ou à évacuer ;
À cet égard, je confirme que le lycée Younoussa-Bamana de Mamoudzou a été évacué ce matin. La phase de secours et d'hébergement d'urgence prend fin au profit d'une phase de redémarrage des services essentiels avec, au premier rang, l'école. Le lycée doit être disponible lundi pour permettre aux élèves mahorais d'y apprendre et d'y réussir ;
- deuxièmement, la gestion des déchets. La situation est très difficile. Nous devons évacuer plus de 6 000 tonnes. Nous devons garder l'objectif d'une évacuation totale des déchets ménagers de la voie publique à la fin du mois de janvier même si ce sera difficile ;
- troisièmement, nous sommes mobilisés pour permettre au plus vite d'avancer sur le reboisement de l'île. Un financement via le fonds européen agricole pour le développement rural devra être recherché. Il faudra garantir la disponibilité des plants et s'assurer que les pépiniéristes locaux pourront répondre aux commandes. Il y a urgence. C'est la saison pour semer.

Le 2e temps, reconstruire Mayotte, s'incarne donc dans ce projet de loi d'urgence.

Sa philosophie générale est simple : permettre la mise en œuvre très rapide de mesures urgentes pour faciliter l'hébergement et l'accompagnement de la population, ainsi que la reconstruction ou réparation des infrastructures et logements sinistrés.

Pour ce faire, ce texte comprend désormais 33 articles, contre 22 au départ.

Le chapitre Ier porte 2 mesures importantes :
L'article 1er prévoit la mise en place d'un opérateur public puissant et dédié à la reconstruction de Mayotte. À la demande des élus, il a été bien précisé en commission qu'il ne s'agira pas de l'établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte, l'EPFAM, mais que les missions de ce dernier seront intégrées dans un nouvel établissement public. Le général Pascal Facon en a été nommé préfigurateur. Il se rend sur place afin de discuter avec tous les acteurs de l'organisation envisageable.
L'article 2 permet à l'État, jusqu'au 31 décembre 2027, d'assumer la compétence de construction, reconstruction, réhabilitation, rénovation et réparation des écoles publiques communales à Mayotte. Cette substitution sera temporaire et soumise à l'avis conforme des communes.

Le chapitre II adapte les règles d'urbanisme et de construction. Il a notamment été complété en commission, à l'initiative de la rapporteure et avec le soutien du Gouvernement, par un nouvel article 4 bis visant à encadrer la vente de tôle aux particuliers dans le but de lutter contre le fléau de l'habitat illégal. Le Gouvernement proposera d'ailleurs, en ce sens, un autre amendement visant à élargir l'ordonnance prévue par l'article 4 à la lutte contre les bidonvilles, nous permettant de prendre des mesures rapides.

Le chapitre III porte, quant à lui, 6 articles qui s'inspirent des dispositions prises à la suite des violences urbaines de l'été 2023 et qui visent à adapter les procédures d'urbanisme et d'aménagement aux enjeux de la reconstruction à Mayotte. Il a été complété, en commission, à l'initiative du Gouvernement, par des dérogations temporaires pour accélérer la reconstruction des infrastructures de communication électroniques, comme annoncé par le Premier ministre dans le plan "Mayotte debout". Le Gouvernement proposera tout à l'heure, par amendement, de revenir sur certaines complexités trop importantes introduites en commission.

Le chapitre IV est constitué d'un seul article, l'article 10, habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter les règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Le chapitre V prévoit des adaptations et dérogations temporaires aux règles de la commande publique. Un amendement a été adopté en commission pour garantir que les entreprises mahoraises participent effectivement à la reconstruction de leur territoire. Nous proposerons de le préciser.

Le chapitre VI comprend des mesures déjà annoncées, inspirées des dispositions mises en œuvre pour la reconstruction de Notre-Dame, afin de faciliter les dons en faveur de Mayotte pour les collectivités territoriales ou pour les particuliers.

Le chapitre VII, enfin, regroupe différentes mesures sociales temporaires en faveur de la population et des professionnels à Mayotte. Les mesures initiales ont été utilement élargies par la prolongation de plein droit des demandes de logement social arrivées à expiration, par l'extension à certaines autres catégories de prestations comme les allocations logement, ou par l'élargissement au régime agricole.

Donnez-nous tous ces moyens et j'en suivrai matin, midi et soir l'application. Une équipe dédiée se met en place auprès de mon cabinet, pour suivre minute par minute la situation à Mayotte. Elle sera composée de spécialistes sur tous les sujets dans une approche interministérielle et sera en lien très étroit avec la préfecture sur place, dont les moyens humains et matériels ont été renforcés et le seront encore davantage.

Ce projet de loi est donc une réponse incontournable, mais il n'est qu'une première réponse.

Viendra donc le 3e temps, refonder Mayotte avec des mesures structurelles portées par un autre texte de loi.

Le Premier ministre l'a annoncé, nous allons concerter très largement dans les prochaines semaines pour avancer sur d'autres mesures législatives, plus structurelles. Nous vous présenterons donc, dans les deux mois, un second projet de loi, un projet de loi programme de refondation de Mayotte.

Ce texte visera ainsi à permettre le développement économique, éducatif et social du territoire sur de nouvelles bases. C'est ainsi, par exemple, que nous instituerons une zone franche globale ou que nous agirons sur la politique de la ville.

Mais ne nous mentons pas: si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé des calamités qui existaient déjà. Car Mayotte plie déjà depuis des années sous le poids des deux fléaux qui la rongent : l'habitat illégal et l'immigration clandestine.

Y-a-t-il ici quelqu'un pour défendre l'habitat illégal ? Ces constructions de fortune, tenant à peine debout, excédant les Mahorais.

Je le dis avec clarté : nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville. Les opérations régulières de décasage doivent se poursuivre.

Vient alors la grande question: mais où les mettrez-vous ?

À cette question, il n'y a qu'une seule réponse possible. Elle nous gêne mais elle est têtue. Pour ce qui concerne les mahorais et les étrangers légaux qui vivent dans ces habitats insalubres, et ils existent, nous leur devons de construire les conditions économiques et sociales pour qu'ils puissent en sortir.

Pour les autres, les illégaux... il faudra les renvoyer chez eux. 50 % de la population est étrangère. L'immigration illégale pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes, nourrit l'ultraviolence et alimente des réseaux de trafiquants d'êtres humains. C'est indigne de la République et de nos valeurs universelles. L'immigration clandestine nécrose Mayotte. les Mahorais n'en peuvent plus. Ils ont le sentiment d'être submergés, sous la pression du pays voisin, abandonné par la France. La société craque. Le pire est possible.

La lutte contre l'immigration clandestine constituera donc un volet primordial du second projet de loi sur lequel nous travaillons déjà avec Bruno Retailleau.

Dès à présent, nous rétablissons nos moyens de détection des entrées illégales, par voie aérienne et maritime. Ces derniers vont d'ailleurs monter en gamme, comme annoncé dans le plan "Mayotte debout".

Mais nous devrons aussi prendre des mesures fermes pour renforcer juridiquement nos moyens de lutte : allongement de la durée de résidence régulière des parents sur l'accès des enfants à la nationalité française, meilleurs outils juridiques pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, extension de l'aide au retour volontaire des ressortissants africains dans leur pays d'origine.

Nous devons augmenter les éloignements de clandestins, de 25 000 aujourd'hui, à 35 000 demain. Cela suppose un rapport très ferme avec les Comores, cet État qui revendique dans sa norme suprême une part de notre territoire national. Aucun État souverain ne peut l'accepter.

Je sais que le groupe LR de l'Assemblée nationale inscrira dans sa journée réservée du 6 février une proposition de loi du député Gosselin pour rendre encore plus restrictifs les critères du droit du sol à Mayotte. J'y serai favorable.

Madame la présidente, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, il y a le jeu politique, il y a les actualités qui vont et qui viennent mais il y a une impérieuse exigence : ne pas laisser tomber Mayotte.

Le monde nous regarde.

Nous ne lâcherons rien pour l'aider à se relever.

Nous ne transigerons avec rien pour reconstruire l'île sur des bases plus saines, pour changer son visage et, à travers elle, la vie des mahorais.

D'abord, bien sûr, lutter, jour et nuit, contre les conséquences du cyclone.

Ensuite, reconstruire vite, comme le propose ce projet de loi.

Mais aussi, très vite, débarrasser les Mahorais des bidonvilles, des clandestins, de l'ultraviolence, du sous-développement économique et social.

Notre responsabilité est immense, pour que, demain, Mayotte ce ne soit plus seulement la tôle, les machettes et les kwassa-kwassa.

Je veux que, demain, l'image de Mayotte ce soit les jeunes du régiment du service militaire adapté ; la beauté du lagon ; le voulé, ce barbecue traditionnel, une véritable fête ; la ferveur des manzarakas, ces mariages traditionnels ; la fête du Ramadan, tellement importante sur l'île, ou encore la culture de l'ylang dans les jardins mahorais.

Je veux qu'enfin nous voyons tous Mayotte comme elle est. Ni île hippocampe, ni seulement île au lagon, ni même île aux parfums mais bien île de beauté.

Je vous remercie.


Source https://www.outre-mer.gouv.fr, le 22 janvier 2025