Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à BFM TV le 20 janvier 2025, sur la relation entre la France l'Union européenne et les États-Unis, les réseaux sociaux, le cessez-le-feu à Gaza, Boualem Sansal et les tensions avec l'Algérie.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Il est 8 h 32 et vous êtes bien sur RMC et BFM TV. Bonjour Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour, Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Et merci de répondre à mes questions ce matin. Vous êtes le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Très nombreuses questions sur l'international, évidemment aujourd'hui, Jean-Noël BARROT, je suis évidemment ravie que vous soyez à mon micro, mais je me demande un peu ce que vous faites là. Vous n'êtes pas à Washington ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, il n'est pas d'usage que les chefs de Gouvernement, que les chefs d'État ou que les ministres participent à l'investiture, mais la France sera évidemment représentée parce que l'amitié entre la France et les Etats-Unis a plus de deux siècles et qu'elle a vocation à perdurer.

APOLLINE DE MALHERBE
Représentée par qui, du coup ?

JEAN-NOËL BARROT
Sans doute par notre ambassadeur.

APOLLINE DE MALHERBE
Sans doute ? Il y a un doute encore ?

JEAN-NOËL BARROT
Non, c'est l'Ambassadeur qui, traditionnellement le fait, il n'y a pas de changement, vous savez.

APOLLINE DE MALHERBE
Non, parce qu'on a vu, évidemment, qu'il n'y avait par exemple, Giorgia MELONI qui est quand même chef de Gouvernement qui y était. Vous auriez aimé idéalement quand même, qu'il y a une invitation plus officielle ? Donald TRUMP, qui a invité Sarah KNAFO, Éric ZEMMOUR ou Marion MARECHAL, mais qui n'a invité aucun des membres du Gouvernement ou même le Président.

JEAN-NOËL BARROT
Non, le Président élu n'a pas formalisé des invitations. Ce sont des parlementaires et le parti républicain qui ont adressé à certains de leurs amis ou de leurs alliés des invitations. C'est pourquoi vous trouverez sur place quelques représentants européens. Je les appelle évidemment à défendre à l'occasion de leur visite la souveraineté européenne.

APOLLINE DE MALHERBE
À être plus solidaires de l'Europe que des États-Unis. C'est toute la question évidemment qui se pose ce matin. Vous avez eu cette phrase, vous avez déclaré : " Si nos intérêts sont atteints, nous réagirons ". Est-ce que ça veut dire que même si vous avez prononcé le mot d'amitié, vous êtes quand même dans une sorte d'attente vigilante ? Aujourd'hui, quel est l'état d'esprit de la France face à l'arrivée de Donald TRUMP, face au retour de Donald TRUMP ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, la relation entre la France et les Etats-Unis, entre l'Europe et les Etats-Unis est très particulière. Elle est très étroite, elle est très riche sur le plan commercial, sur le plan de la défense, sur le plan diplomatique. Et donc nous avons tout intérêt à continuer à cultiver les liens avec ce grand pays. Ceci étant dit, le monde a changé, on le voit partout, c'est le retour de la loi du plus fort. Et dans ce monde-là, l'Europe doit s'affirmer, elle doit défendre ses intérêts partout et tout le temps.

APOLLINE DE MALHERBE
Sur la question de la loi du plus fort, du rapport de force, est-ce que sincèrement, on fait le poids ?

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr, l'Europe est une puissance qui parfois s'ignore, mais qui doit, aujourd'hui, se révéler. C'est le premier marché économique du monde, c'est une puissance militaire, culturelle, géographique également. Aujourd'hui, elle doit se saisir de tous les attributs de sa puissance, non pas pour aller agresser les autres, mais simplement pour défendre ses intérêts.

APOLLINE DE MALHERBE
On est dans une logique défensive aujourd'hui ? On doit être dans une logique défensive ?

JEAN-NOËL BARROT
Non, on est dans une logique d'affirmation de ce que sont nos intérêts, de ce que sont nos valeurs, de ce qu'est notre modèle, mais dans cette époque où revient la loi du plus fort, pour être entendue, pour que ces valeurs soient défendues, pour que ces intérêts soient défendus, il faut être fort.

APOLLINE DE MALHERBE
Jean-Noël BARROT, il faut être fort, vous n'arrêtez pas de prononcer ce mot de force. Est-ce qu'on n'est pas déjà avec un temps de retard ? Quand on voit par exemple la Corée du Sud qui, avant même l'intronisation de Donald TRUMP, a décidé d'octroyer 240 milliards d'euros, une enveloppe de 240 milliards d'euros, pour aider ses entreprises dans leurs exportations. Le Canada a annoncé la mise en place sans doute d'une taxe TRUMP pour justement compenser, aider les entreprises face aux tarifs douaniers. Donald TRUMP qui a annoncé que dans les 24 heures, il allait prendre par décret l'augmentation des tarifs douaniers, il y en aura sans doute aussi vis-à-vis de nous les Européens. Est-ce qu'on ne s'est pas trompé de timing ?

JEAN-NOËL BARROT
Ça fait un moment qu'on se prépare à ce monde nouveau qui advient. En France, par exemple, on a doublé le budget de nos armées. Au niveau européen, on a pris, depuis le premier mandat de Donald TRUMP entre 2016 et 2020, des mesures nouvelles pour pouvoir nous défendre, y compris sur le plan commercial. Vous vous souvenez qu'il y a quelques mois, nous avons décidé d'appliquer des droits de douane sur les véhicules électriques chinois parce que nous considérions que la concurrence n'était pas équitable, que les subventions données par les Chinois étaient trop généreuses. Et donc, ces instruments ont commencé à se mettre en place et le cap est clair. Il a été donné par le président de la République dans son discours de la Sorbonne, ça tient en deux mots : autonomie stratégique. Le cap est clair. Passons aux actes. Accélérons sur cet agenda parce qu'on ne peut plus attendre.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites " accélérons sur cet agenda ", ça veut dire qu'effectivement, vous pourriez, comme la Corée du Sud, demander au niveau européen, j'imagine, d'aider davantage les entreprises européennes, d'aider davantage l'industrie européenne ?

JEAN-NOËL BARROT
Oui, puisque nous avons dit très clairement que nous voulions un doublement de la capacité d'investissement, un doublement du budget européen. Ce doublement du budget doit nous permettre de faire face à l'augmentation de nos dépenses en matière de défense et d'armement. Il doit nous permettre aussi d'investir dans des secteurs-clés, soit ceux dont la crise de la Covid a démontré à tout le monde que nous étions extrêmement dépendants, soit ceux pour lesquels des dépendances nouvelles pourraient être créées à l'avenir. L'intelligence artificielle, le quantique, les nouvelles énergies, pour catalyser l'investissement en Europe, il nous faut des financements et c'est pourquoi nous appelons cela de nos voeux.

APOLLINE DE MALHERBE
J'ai qu'une envie, Jean-Noël BARROT, c'est de vous croire et de vous suivre là-dessus. Mais c'est vrai que rien que l'actualité, on voit qu'aujourd'hui, on envisage de demander aux Français de travailler sept heures de plus gratos pour trouver deux milliards d'euros pour le trou de la Sécu. Et dans le même temps, on a la Corée du Sud qui débloque 240 milliards par anticipation pour aider ses entreprises. Est-ce qu'on a les moyens de faire face ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, quand l'Europe s'est trouvée face à la crise de la Covid, elle a réussi à débloquer 800 milliards d'euros en faisant un saut communautaire, comme on le dit, c'est-à-dire en se dotant d'une capacité d'emprunt, en empruntant au niveau européen. Bien sûr que pour être à la hauteur des défis en matière militaire, dans le domaine de l'environnement et de la transition écologique, dans le domaine de ces industries d'avenir qu'il faut que nous puissions maîtriser, il va nous falloir des moyens, des moyens publics, doublement du budget de l'Union européenne, des moyens privés avec ce qu'on appelle l'union de l'épargne et de l'investissement pour mettre fin à ce scandale qui veut que l'épargne des Français et des Européens aille justement aux Etats-Unis ou ailleurs plutôt que de rester en Europe.

APOLLINE DE MALHERBE
Et je précise d'ailleurs que votre titre, c'est intéressant, Jean-Noël BARROT, vous ne vous appelez pas juste ministre des Affaires étrangères et des Questions Européennes. Votre titre, c'est d'abord l'Europe, puis les Affaires étrangères. Vous êtes ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, c'est à dessein, j'imagine.

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr, parce que l'Europe est un amplificateur de puissance, c'est un amplificateur des messages français. Et nous avons réussi ces sept dernières années à faire une révolution culturelle en Europe. Il n'est aujourd'hui pas un pays qui ne considère pas que l'autonomie, l'indépendance de l'Europe est une priorité. Enfin, il y a les mots. Maintenant, il faut passer aux actes. Et donc il faut que l'Europe se réveille.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez vu que notre ancien commissaire européen, Thierry BRETON, voudrait qu'on soit beaucoup plus musclé. Vous avez dit : " Il faut être fort dans un monde où la force revient à l'oeuvre ". Thierry BRETON, il a des doutes assez sérieux sur la capacité de l'Europe à répondre vraiment. Il trouve notamment qu'Ursula von der LEYEN ne fait pas le poids face aux offensives, y compris d'un Elon MUSK, dans les politiques internes de l'Europe, dans la politique en Allemagne au moment de la campagne, où il favorise clairement l'extrême droite. Est-ce qu'il faut répondre là-dessus ? Est-ce qu'il faut être vigilant ? Et surtout, est-ce qu'il faut montrer les muscles davantage ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois qu'il faut considérer les États-Unis comme un allié, un partenaire. Mais comme avec tout allié ou tout partenaire, il faut fixer un certain nombre de lignes rouges ou en tout cas dire très clairement ce qui n'est pas négociable.

APOLLINE DE MALHERBE
Quelles lignes rouges ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce qui n'est pas négociable, ce sont les frontières européennes, tout simplement. Et ce qui n'est pas négociable non plus, c'est l'intégrité du débat public européen. Sur ces deux sujets, il n'y a pas de négociation possible. Nous serons intransigeants. Et pour revenir à ce que disait Thierry BRETON, et il a raison de le dire puisque c'est le message que la France a porté depuis des années, nous n'acceptons pas que le débat public soit délocalisé sur des plateformes de réseaux sociaux, dont les règles sont fixées par des milliardaires américains ou chinois. Et c'est pourquoi nous nous sommes donné des règles, il y a deux ans maintenant, au niveau européen, qui imposent à ces plateformes de réseaux sociaux de respecter la qualité du débat public sous peine de lourdes amendes qui peuvent aller jusqu'à la suspension, c'est-à-dire le bannissement du service.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous l'envisagez ?

JEAN-NOËL BARROT
Ces règles doivent être mises en oeuvre par la Commission européenne avec la plus grande fermeté.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais elle est où la limite ? C'est-à-dire que vous dites qu'il y a des lignes rouges, on va revenir aussi sur celle des frontières parce que je n'ai pas tout à fait compris, mais quand vous dites : " On a des règles, donc le débat ne doit pas être pollué ", en quelque sorte, vous parlez de l'intégrité du débat public en Europe, elle est où la limite ? C'est-à-dire que quand vous dites : " On peut aller, attention, jusqu'au bannissement " …

JEAN-NOËL BARROT
Mais elle est très simple, la limite.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand un personnage public comme Elon MUSK donne à ce point une visibilité à l'un des candidats en Allemagne, est-ce que vous ne considérez pas que cette limite a été franchie ?

JEAN-NOËL BARROT
Je considère que la limite a été franchie quand des élections présidentielles en Roumanie, un pays membre de l'Union européenne, ont dû être annulées parce que TikTok a été détourné au profit de l'un des candidats. Ça, c'est tout à fait inacceptable.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous considérez aujourd'hui que X est en train d'être détourné pour l'un des candidats, en l'occurrence l'une en Allemagne ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est la Commission européenne qui est chargée de mener les enquêtes, elle en a ouvert un certain nombre, elle vient d'en ouvrir de nouvelles, elle doit les mener à terme le plus rapidement possible et prononcer les sanctions s'il s'avère qu'il y a eu un manquement.

APOLLINE DE MALHERBE
Et pourquoi pas ? C'est-à-dire que vous dites que cette question, en tout cas, se pose.

JEAN-NOËL BARROT
Mais bien sûr, la démocratie, le débat public, c'est un trésor que nous devons défendre avec la plus grande ardeur.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ça veut dire, dans ces deux cas-là qu'il y a deux options pour répondre à ça, l'une, c'est effectivement de mettre des très lourdes amendes à X, l'autre, c'est même d'annuler, de considérer que l'élection n'est pas valable.

JEAN-NOËL BARROT
Il faut tout faire pour éviter d'en arriver là, il n'est pas acceptable que nos processus démocratiques, que nos élections puissent être perturbées par les réseaux sociaux.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais si on tire le fil, ça veut dire qu'on pourrait aller potentiellement jusqu'à l'idée que les élections en Allemagne soient invalidées ?

JEAN-NOËL BARROT
Dans ce cas précis, je ne pense pas, mais le risque existe puisqu'il s'est matérialisé en Roumanie, il y a quelques semaines. Il faut tout faire, et j'appelle la commission à tout faire pour éviter que cela ne se reproduise.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous restez sur X vous Jean-Noël Barraud ?

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr, ça n'est pas à moi de quitter X, c'est à X de quitter l'Europe, si X ne respecte pas nos règles, et ça vaut pour X, ça vaut pour TikTok, ça vaut pour Facebook, ça vaut pour tous les réseaux sociaux.

APOLLINE DE MALHERBE
X, c'est évidemment l'ancien Twitter Jean-Noël BARROT. Donald TRUMP, vous le qualifiez d'ami ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est un ami de la France, en tout cas, c'est comme ça qu'il se définit. Je relève que c'est à la France qu'il a réservé son premier déplacement à l'étranger, et je sais que lors de son premier mandat, il a entretenu des relations de travail de qualité avec le président de la République.

APOLLINE DE MALHERBE
Trois otages, trois femmes, ont été libérées hier. 90 prisonniers palestiniens ont été libérés cette nuit. Comment est-ce que vous voyez ce cessez-le-feu ? Est-ce que vous vous dites : " Il est encore très fragile " ? Est-ce que vous restez vigilant ? Est-ce que vous dites qu'il sera respecté ? Quel est le regard que la France porte sur la situation ?

JEAN-NOËL BARROT
D'abord, j'ai vu comme de très nombreux Français, avec beaucoup d'émotion, les trois otages israéliennes retrouver leurs proches et leurs familles, et j'ai une pensée ce matin pour les familles de nos deux otages, Ofer KALDERON et Ohad YAHALOMI, qui sont détenus depuis près de 500 jours dans l'enfer des tunnels du Hamas. Je pense à leurs familles que j'ai rencontrées le 7 octobre dernier, un an après l'attentat barbare du 7 octobre. Je pense à leurs enfants, dont certains ont, eux aussi, été pris en otage le 7 octobre, et qui tentent courageusement de se reconstruire, qui parfois ressentent la culpabilité d'être sortis alors que leur papa est encore retenu là-bas, et nous allons continuer à nous battre jusqu'à la dernière heure pour qu'ils soient libérés et nous reviennent en bonne santé.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous avez des nouvelles ?

JEAN-NOËL BARROT
Aucune nouvelle, et c'est bien le drame de ces prises d'otages massives du 7 octobre, c'est que nous n'avons aucune nouvelle sur leur état de santé, sur leurs conditions de détention, nous espérons qu'ils nous reviennent au plus vite, et nous restons en contact étroit avec les familles jusqu'à leur libération, mais au-delà, parce que nous serons à leur côté pour qu'ils puissent se reconstruire.

APOLLINE DE MALHERBE
Et on précise, effectivement, que les deux otages franco-israéliens font partie de la liste des 33 otages libérables dans les 40 jours qui viennent, est-ce que la France a pesé pour qu'ils fassent partie, justement, de cette première liste ?

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr, nous appelons depuis le premier jour pour la libération inconditionnelle de tous les otages, et nous nous sommes battus sans relâche pour la libération de ces deux derniers otages, puisqu'il faut le rappeler, huit de nos compatriotes ont été pris en otage ce tragique matin, deux d'entre eux sont décédés, malheureusement, quatre ont pu être libérés, il en reste deux, et nous serons mobilisés jusqu'à la dernière heure.

APOLLINE DE MALHERBE
33 otages, 737 prisonniers palestiniens, 90 la nuit dernière, c'est quoi, comment vous comprenez ce ratio ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est, d'abord, les conditions d'un accord qui a abouti après de longs mois de négociations, longs mois de négociations pendant lesquelles nous avons adressé des messages à toutes les parties prenantes, vous le disiez tout à l'heure, c'est un accord qui est fragile, et j'appelle le Hamas comme Israël à en respecter les termes, c'est la condition pour une cessation durable des hostilités, pour que s'ouvre un nouveau chemin à Gaza. D'abord un chemin humanitaire, pour que l'aide puisse venir soulager les souffrances des civils, un chemin de reconstruction, puisque l'enclave est très largement détruite et qu'il va falloir la rebâtir, un chemin politique aussi, puisqu'il faut, sans délai, que Gaza puisse disposer d'une administration civile, sous les auspices de l'autorité palestinienne.

APOLLINE DE MALHERBE
On va y revenir, effectivement, à la manière dont la France oeuvre aussi pour la suite à Gaza et la question de l'administration de Gaza, mais pour rester un instant sur ce ratio, je le disais, otage-prisonnier, est-ce que vous utiliseriez le mot de rançon ? Est-ce que la libération de ces prisonniers est une forme de rançon ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que l'important dans cet accord, c'est la cessation des hostilités à Gaza, la fin d'une guerre qui a beaucoup trop duré, qui a fait beaucoup trop de victimes, et puis la libération des otages. Le reste, ce sont les conditions qui ont été définies par les négociateurs, et je crois que, maintenant, il faut que chacun se tienne aux termes de l'accord.

APOLLINE DE MALHERBE
Je précise que parmi les prisonniers qui s'apprêtent à être libérés, il y aura les terroristes responsables de l'attaque, en 2002, dans la cafétéria de l'Université de Jérusalem, dans laquelle 7 étudiants avaient été tués, dont un étudiant français, David GRITZ. Vous vous dites que ça fait partie de leur négociation.

JEAN-NOËL BARROT
Si vous voulez me faire dire qu'il eut fallu repousser, ou que l'une des parties repousse cet accord parce que tel ou tel profil ne correspondait pas aux attentes, ou tel ou tel profil est condamnable et ne méritait pas d'être libéré, vous n'y parviendrez pas, parce que cette guerre à Gaza a fait plus de 45 000 morts, dont de très nombreux enfants. Et de l'autre côté, nous avons 1 200 personnes qui ont été sauvagement assassinées le 7 octobre, dont 48 de nos compatriotes. J'attends toujours la libération de nos deux otages, et c'est pour moi la priorité.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites plus de 45 000. Avez-vous un bilan un peu plus précis ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est très difficile d'établir ce bilan. Ce sont, là, des estimations. Ce n'est qu'après la réouverture de Gaza que ce bilan pourra être précisé. Mais ce que l'on pressent d'ores et déjà, c'est que parmi ces victimes civiles, on compte un nombre très important d'enfants et d'enfants très jeunes. C'est évidemment un drame.

APOLLINE DE MALHERBE
Dans la gravité du moment, il y aura, évidemment, la question de l'acheminement de l'aide humanitaire et la question de l'administration à Gaza. La France joue son rôle, Emmanuel MACRON a eu au téléphone le représentant de l'autorité palestinienne. Est-ce que vous estimez, aujourd'hui, que c'est à eux d'administrer Gaza ?

JEAN-NOËL BARROT
Si nous voulons éviter une résurgence du Hamas, éviter que le Hamas ne reprenne pied à Gaza, alors il faut une administration civile qui soit placée sous les auspices de l'autorité palestinienne. Autorité palestinienne qu'il faut renforcer, qu'il faut soutenir. C'est ce que fait la France, d'ailleurs, aux côtés de l'UE depuis de très longs mois, parce que c'est la première étape vers une solution à deux États, seul susceptible d'apporter la paix et la sécurité, non seulement, sur les territoires palestiniens et en Israël, mais dans toute la région.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous avez des nouvelles de Boualem SANSAL ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous sommes préoccupés par les conditions de sa détention. Nous sommes préoccupés par sa santé également. Et nous continuons à appeler les autorités algériennes à nous permettre de lui octroyer ce qu'on appelle la protection consulaire, c'est-à-dire des visites régulières de notre ambassadeur sur place.

APOLLINE DE MALHERBE
Qui n'ont toujours pas lieu, c'est-à-dire que ces visites normalement acceptées de manière tacite n'ont jamais pu avoir lieu pour l'instant ? Il n'y a pas eu de rencontre ?

JEAN-NOËL BARROT
En général, elles sont acceptées lorsque l'un de nos compatriotes est détenu à l'étranger. Boualem SANSAL a la double nationalité et jusqu'à présent, cette protection consulaire ne lui a pas été accordée.

APOLLINE DE MALHERBE
Le ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU, a dit, hier sur BFMTV, qu'il souhaitait la fin de l'accord franco-algérien de 1968 relatif aux conditions d'entrée en France des ressortissants algériens. Est-ce que vous estimez aussi qu'il faut la fin de cet accord ?

JEAN-NOËL BARROT
Chacun est libre d'exprimer ses opinions ou de formuler des propositions. Mais c'est bien au Quai d'Orsay et sous l'autorité du Président de la République que se forge la politique étrangère de la France.

APOLLINE DE MALHERBE
Ce que vous voulez dire, c'est que ce n'est pas au ministre de l'Intérieur de faire la politique étrangère ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous m'interrogez sur l'accord de 68.

APOLLINE DE MALHERBE
Je vous interroge sur les propos du ministre de l'Intérieur, pour être tout à fait précis.

JEAN-NOËL BARROT
Il n'y a pas de tabou. Vous savez, c'est un accord qui a déjà été modifié à plusieurs reprises, qui comporte des avantages pour certains ressortissants algériens, des désavantages pour d'autres. Ça n'est, en tout cas, pas une recette miracle que de le supprimer ou de l'abroger. Sinon, ça fait longtemps qu'on le saurait.

APOLLINE DE MALHERBE
Et le ministre de la Justice, d'ailleurs, Gérald DARMANIN, a posé la question de la remise en cause des visas des dignitaires algériens qui viennent en France, notamment, pour se faire soigner. Ça, ça n'est pas une remise en cause de l'accord en lui-même, mais d'un des points de cet accord. Est-ce que vous vous dites, tant qu'ils n'acceptent pas de reprendre, par exemple, leurs ressortissants, comme ça a été le cas avec l'influenceur algérien tout court, qu'ils ont renvoyé vers nous, est-ce que vous vous dites, tiens, ça, c'est une des solutions, c'est une des choses qu'il faut faire ?

JEAN-NOËL BARROT
Alors, d'abord, ça n'est pas tout à fait une remise en question de l'accord. C'est une autre disposition de nos relations avec l'Algérie. Là encore, il n'y a pas de tabou. Et c'est au tour du président de la République et du Premier ministre que nous déciderons des suites à donner, des mesures à prendre. Mais je le redis, lorsque nous avons pensé pouvoir obtenir des résultats sur la reconduite des étrangers en situation irrégulière, en limitant drastiquement nos visas, nous n'y sommes pas parvenus. Moi, mon job, ma mission, c'est de trouver des résultats, d'obtenir la coopération pleine et entière des autorités algériennes. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle j'ai dit que j'étais disposé à m'y rendre, pour aborder tous les sujets, et pas seulement ceux qui ont fait l'actualité ces dernières semaines.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites, je suis disposé à m'y rendre, ça veut dire quoi ? C'est-à-dire qu'il y a une date prise, ça veut dire que vous avez vraiment prévu d'y aller ?

JEAN-NOËL BARROT
On a adressé cette proposition aux autorités algériennes. J'attends leur retour.

APOLLINE DE MALHERBE
Ils ne vous ont pas répondu ?

JEAN-NOËL BARROT
Pas encore.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est fou, ça, quand même. Vous êtes le ministre des Affaires étrangères de la France, vous dites, " Je veux venir ", et il n'y a pas de réponse.

JEAN-NOËL BARROT
Mais ça, ça arrive régulièrement, vous savez…

APOLLINE DE MALHERBE
J'avais la naïveté de penser qu'effectivement, quand on est ministre des Affaires étrangères, et qu'on dit, " Ecoutez, je souhaiterais vous rencontrer, qu'on puisse discuter ", on trouverait une date dans l'agenda, quoi.

JEAN-NOËL BARROT
On le trouvera, rassurez-vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous la trouverez. C'est qui votre boss ? C'est-à-dire que vous êtes très proche de François BAYROU, vous êtes, évidemment, le ministre des Affaires étrangères, donc vous portez la voix de la France, qui est la voix aussi du président. Comment vous travaillez avec ces deux hommes ?

JEAN-NOËL BARROT
Écoutez, je suis membre du Gouvernement de François BAYROU, et quant au président de la République, chacun sait bien que comme chef de l'État, il fixe la politique étrangère de la France. Je crois qu'ils ont, en commun, d'attacher une attention toute particulière à ce que la voix de la France soit entendue partout dans le monde.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci, Jean-Noël BARROT, d'être venu répondre à mes questions, ce matin, d'une grande journée internationale. Vous qui êtes, qui est le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Un grand merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 janvier 2025