Texte intégral
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui Manuel Valls, ancien Premier ministre, ministre d'État, ministre des outre-mer, afin qu'il nous présente le projet de loi d'urgence pour Mayotte. Ce texte sera examiné en commission des affaires économiques mercredi 29 janvier, et discuté en séance publique lundi 3 février. Le rapporteur pour la commission des affaires économiques est Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Nous accueillons également notre collègue Isabelle Florennes, rapporteure pour avis de la commission des lois, puisque plusieurs articles du texte ont été délégués au fond à cette commission – Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteure pour avis pour la commission des affaires sociales, ne peut malheureusement pas être parmi nous. Je précise également que la commission des finances, qui pouvait se saisir pour avis, a souhaité que la commission des affaires économiques examine également les articles du texte qui ont trait aux enjeux financiers et fiscaux.
Je salue en outre la présence de Salama Ramia et de Saïd Omar Oili, les deux sénateurs de Mayotte que j'ai tenu, à titre exceptionnel, compte tenu du drame qui frappe l'île, à associer le plus étroitement possible – même s'ils ne sont pas membres de notre commission – aux auditions menées par Micheline Jacques.
Monsieur le ministre d'État, le 14 décembre dernier, le cyclone Chido a dévasté l'île de Mayotte, faisant, selon un bilan provisoire, 39 morts et plus de 4 000 blessés. Selon vos propres termes, il s'agit sans doute de "la plus grave crise de sécurité civile de notre pays depuis la Seconde Guerre mondiale".
Dès les premières heures après le passage du cyclone, l'état de catastrophe naturelle, puis de calamité exceptionnelle, a été déclaré. Un pont aérien a été mis en place entre Mayotte, La Réunion et la métropole, permettant l'arrivée de secouristes, ainsi que l'acheminement d'eau, de vivres et de matériel d'urgence. Un hôpital de campagne a également été installé, et le rétablissement des réseaux a été engagé. Malgré ces efforts réels, la situation est très loin d'être rétablie dans l'ensemble de l'île.
Un mois après le passage de Chido, Mayotte se trouve toujours dans un état cataclysmique. Les violentes rafales, qui ont parfois dépassé les 220 kilomètres par heure, ont causé de très importants dommages sur le bâti et les infrastructures : de très nombreuses habitations ont perdu leur toit ; les grands bidonvilles du nord de l'île ont été quasiment rasés. Les ports ont été dévastés, compliquant le déploiement de l'aide d'urgence. L'accès à l'eau, à l'électricité et aux réseaux téléphonique et internet a été – et demeure – profondément perturbé.
La population mahoraise se trouve aujourd'hui dans une profonde détresse, comme nos collègues Salama Ramia et Saïd Omar Oili pourront sans doute en témoigner.
Monsieur le ministre d'État, pouvez-vous nous exposer rapidement le dispositif d'urgence déjà déployé par le Gouvernement, et les mesures qui seront prises dans les jours à venir ? Comment recevez-vous le sentiment d'abandon exprimé par un certain nombre de Mahorais ces dernières semaines ? L'État a-t-il, selon vous, vraiment failli dans la gestion de crise ? Ce sentiment d'abandon et de défiance ne puise-t-il pas en fait plus profondément ses racines dans l'incapacité de l'État à gérer les difficultés structurelles du territoire mahorais, depuis de très nombreuses années ?
En complément des mesures d'urgence que j'ai évoquées, le précédent gouvernement a, dans les jours qui ont suivi le cyclone, rédigé un projet de loi d'urgence pour Mayotte, prévoyant des adaptations des règles de construction et d'urbanisme et des aménagements aux règles de la commande publique afin d'accélérer la reconstruction de l'île, ainsi que diverses mesures économiques et sociales visant à soutenir les populations et les acteurs économiques mahorais dans la crise.
À la suite de votre nomination au Gouvernement le 23 décembre dernier, et de votre déplacement à Mayotte avec le Premier ministre François Bayrou, vous avez annoncé votre intention de reprendre ce texte, tout en le faisant évoluer pour mieux répondre aux attentes des Mahorais après une concertation avec les élus locaux. Aucune modification n'a finalement été opérée avant sa présentation en Conseil des ministres et à l'Assemblée nationale, et aucun sujet vraiment nouveau n'a été introduit par le Gouvernement.
Pourriez-vous nous présenter la philosophie du projet de loi et ses principales mesures ? Prévoyez-vous d'autres mesures complémentaires pour l'enrichir ?
Enfin, vous avez annoncé, en complément de cette loi d'urgence, que vous présenteriez dans les trois mois un projet de loi de programmation pour Mayotte. Pourriez-vous en préciser le calendrier et nous indiquer les orientations que vous comptez lui donner ? Comment envisagez-vous l'articulation entre ces deux textes ? Comment envisagez-vous d'associer les acteurs locaux et le Parlement à la préparation de cette loi de programmation ?
Voilà quelques-unes des questions que je souhaitais vous soumettre. Je vous rappelle également que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est diffusée en direct sur le site du Sénat.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. - L'Assemblée nationale vient d'adopter à une écrasante majorité le projet de loi d'urgence pour Mayotte, qu'il vous revient désormais d'examiner. Je souhaite que vous puissiez le faire en parfaite connaissance de l'action du Gouvernement, de l'esprit du texte et de la temporalité dans laquelle il s'inscrit. Je suis donc très honoré de me retrouver devant vous cet après-midi.
Depuis que j'ai pris mes fonctions le 23 décembre, la situation à Mayotte s'est imposée à moi comme la première des priorités, bien que les dossiers ne manquent pas s'agissant des outre-mer. C'est également le cas pour le Premier ministre et pour l'ensemble du Gouvernement, engagés quotidiennement dans la réponse à cette crise et dans la mise en œuvre du plan "Mayotte debout" annoncé le 30 décembre dernier par François Bayrou lors de son déplacement sur place.
Vos exigeants collègues Salama Ramia et Saïd Omar Oili peuvent témoigner de l'écoute dont je fais preuve. Je me rendrai, comme je m'y étais engagé, de nouveau à Mayotte dès la semaine prochaine.
La situation reste évidemment très difficile : en frappant durement l'archipel le 14 décembre dernier, le cyclone Chido a laissé la population – déjà confrontée à de nombreuses et graves difficultés quotidiennes – dans un état de sidération. À la fois en raison de son ampleur inédite et du fait qu'il a touché un territoire éloigné de 8 000 kilomètres de l'Hexagone, situé à deux heures d'avion de La Réunion, cet événement a entraîné, en effet, la plus grave crise de sécurité civile que notre pays ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale.
Déjà dramatique, le bilan humain reste difficile à établir précisément, et je tiens à rappeler que le Gouvernement n'a absolument rien à cacher alors que certains ont pu évoquer le chiffre de 50 000 morts. À ce jour, nous comptons 39 morts, 124 blessés graves et 4 466 blessés légers : peut-être qu'il y a des disparus, et les inquiétudes sont légitimes sur ce point, mais nous n'avons observé aucun retour de corps par la mer, ni découvert quelque charnier que ce soit.
S'y ajoute un désastre écologique et économique, les trois quarts de la forêt mahoraise ayant été dévastés. Des filières telles que l'agriculture et la pêche sont, quant à elles, sinistrées, faisant courir le risque de désastres sociaux. Plus grave encore, les circuits d'eau sont rompus et des terrains peuvent s'effondrer, l'équilibre écologique même de l'archipel étant en danger et des menaces pesant sur le lagon, l'un des joyaux de la France.
Je tiens donc à avoir une pensée pour tous les Mahorais et leurs proches, pour les morts, les blessés physiques et psychologiques, les habitants particulièrement isolés après le cyclone – comme à Mtsamboro ou à Bouéni –, pour l'ensemble de ces vies meurtries et ces hommes et ces femmes sans toit, ainsi que pour tous les travailleurs inquiets.
Il a pu être reproché à ce texte de ne contenir aucune disposition en faveur du développement économique ou de la lutte contre l'immigration irrégulière, ce qui est exact, mais il s'agit de ne pas confondre les étapes. Nous devons en effet sauver, reconstruire et refonder Mayotte, en trois temps : premièrement, nous devons poursuivre la gestion de crise ; deuxièmement, ce projet de loi d'urgence doit permettre d'adopter les mesures législatives qui ne peuvent pas attendre ; troisièmement, des mesures plus structurelles seront portées par un autre projet de loi que vous aurez à connaître, je l'espère, d'ici au mois de mars.
Tout d'abord, la gestion de crise se poursuit sans répit. L'État n'a pas failli, même si les attentes déçues en matière de convergence sociale – dans le prolongement de la départementalisation – ont suscité une forme de déception et de colère qui s'est exprimée, et ce d'autant plus que ce territoire ultramarin a toujours choisi d'être français.
Je peux entendre toutes les critiques, mais je tiens à être précis concernant l'action de l'État. Je rappelle que l'état de calamité exceptionnelle a été décrété par le Premier ministre dès le 18 décembre, ce qui a notamment permis au préfet de procéder à des réquisitions. Le 19 décembre, un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle a également été pris, permettant ainsi d'accompagner les collectivités territoriales.
De plus, un décret a été également pris le 18 décembre pour encadrer les prix de vente à la production, les marges à l'importation et à tous les stades de la distribution de certains produits à Mayotte, et ce jusqu'au 18 juin 2025. Ce texte a notamment permis l'encadrement du prix de l'eau plate en bouteille.
Surtout, l'État a été et reste pleinement mobilisé pour faire face aux urgences vitales. Sans que ceci serve de consolation, j'observe les retards pris et les colères accumulées aux États-Unis et en Espagne face à des catastrophes de ce type – alors que ces pays ont un niveau de développement bien supérieur à celui de Mayotte – et je mesure non seulement l'attente des Mahorais, mais aussi ce que nous avons été capables d'accomplir dans les conditions géographiques que je viens de rappeler.
Je tiens d'ailleurs à saluer l'engagement exceptionnel de tous les agents des services publics, qui ne comptent pas leurs heures pour soigner, accompagner ou reloger ceux qui ont tout perdu. L'État et les collectivités locales se sont mobilisés, et je salue le travail du préfet François-Xavier Bieuville et de ses équipes, ainsi que celui de la préfecture de La Réunion, qui est intervenue en support. Je remercie aussi le monde associatif et caritatif pour son action déterminante, ainsi que les bénévoles et les élus, qui ont fait office de paratonnerre à la colère. Plus largement, nos compatriotes ont versé près de 40 millions d'euros par le biais de la Fondation de France, soit le double de la somme récoltée lors du passage de l'ouragan Irma, ce qui montre leur fort attachement à Mayotte.
À cet égard, je signerai dès la semaine prochaine une convention d'intention avec le président du conseil départemental de Mayotte afin d'acter nos priorités, car je souhaite travailler avec les élus, comme je l'avais fait en 2015 en tant que Premier ministre en annonçant le plan "Mayotte 2025", qui prévoyait la construction de 500 classes. Il me paraît difficile d'entendre dire que l'État a abandonné le territoire alors que des collèges, des lycées et un hôpital y ont été bâtis. N'oublions pas, dans le rappel de cette mobilisation de l'État, les déplacements du ministre de l'intérieur et du Président de la République, tandis que mon collègue Thani Mohamed Soilihi est mobilisé sur la question essentielle des relations avec les pays de la région.
Cette mobilisation exceptionnelle a produit des avancées concrètes, même s'il reste encore un long chemin à parcourir. La distribution des vivres et l'accès à l'eau courante progressent et nous serons particulièrement attentifs à ce que le mois de ramadan, qui débute le 1er mars et qui est très important pour les Mahorais, puisse se dérouler dans les meilleures conditions.
J'entends dire que les Mahorais ont faim et soif : certes, la situation a été très dure et elle le reste, mais elle serait d'une tout autre nature si de l'eau et des vivres n'avaient pas été distribués.
Plus de 90 % des clients sont à nouveau alimentés en électricité, l'enfouissement des lignes retenu pour limiter de futurs désagréments ayant nécessité des opérations plus longues pour les 200 agents d'EDF et d'Électricité de Mayotte (EDM) mobilisés. De plus, le taux de couverture en termes de télécommunication mobile dépasse désormais 90 %, tandis que celui des communications par téléphonie fixe oscille entre 20 % et 30 %, en fonction des opérateurs. Par exemple, la commune d'Acoua, enclavée, reste coupée du réseau.
Si ces statistiques sont en progression, je suis bien conscient qu'elles ne constituent que des moyennes et que ces questions nécessitent une attention constante, d'où l'intérêt de me déplacer sur place. Plus de 1 400 foyers restent ainsi dans une situation très difficile s'agissant de l'approvisionnement en électricité : il nous reste donc beaucoup de travail.
Pour ce qui concerne l'approvisionnement en eau, nous reviendrons au mieux à la situation très insatisfaisante qui prévalait avant le cyclone Chido. C'est pourquoi figurent enfin, parmi les priorités du plan "Mayotte debout", la construction d'une deuxième usine de dessalement et l'accélération de la création d'une troisième retenue collinaire. Les capacités d'assainissement dépendent, quant à elles, de la montée en puissance de l'alimentation électrique.
Je vous assure que je me bats pour obtenir ces avancées, le ministère des outre-mer n'ayant jamais été placé à ce niveau de la hiérarchie gouvernementale. Je suis très fier d'assumer la mission qui m'a été confiée, et qui m'oblige.
Nous pouvons d'ailleurs œuvrer à de nouvelles avancées : j'ai ainsi cosigné, le 14 janvier, un décret prévoyant une aide exceptionnelle aux entreprises de Mayotte pour les mois de décembre 2024 et de janvier 2025, dont le montant peut atteindre jusqu'à 20 000 euros. Les premiers versements sont disponibles dès cette semaine, cette première opération concernant plus de 2 400 entreprises, pour un montant de 16,6 millions d'euros.
En outre, il a été décidé d'harmoniser davantage l'attribution des aides d'urgence pour les agents publics afin de la fonder sur des critères objectifs et d'éviter tout sentiment d'injustice, entre catégories de fonctionnaires ou entre fonctionnaires métropolitains et mahorais.
S'y ajoute la mise en place d'un prêt à taux zéro (PTZ) afin d'accompagner les familles les plus fragiles dans la reconstruction de leurs maisons, dont les toits ont été souvent emportés. Les caractéristiques dudit taux seront favorables aux emprunteurs dans la mesure où il permettra d'emprunter jusqu'à 50 000 euros sur une durée maximale de trente ans, avec un différé d'amortissement de cinq ans.
Ce prêt sera ouvert à toutes les familles mahoraises, même lorsque leurs habitations n'étaient pas assurées – ce qui est souvent le cas. Nous faisons en sorte que ce prêt soit distribué le plus rapidement possible, les banques ayant besoin de temps pour s'organiser. Là encore, je m'assurerai du déploiement de ce prêt sur place, car il y va de la crédibilité de l'annonce.
Sur un autre point, une circulaire est en cours de finalisation afin de préciser les modalités de mise en œuvre du fonds de secours pour les outre-mer, qui permettra d'apporter un soutien financier aux particuliers non assurés pour prendre en charge la réparation ou le remplacement des biens mobiliers perdus jusqu'à 700 euros, et des biens immobiliers jusqu'à 1 800 euros. Il permettra également de soutenir les petites entreprises – elles constituent l'immense majorité du tissu économique – pour remplacer ou réparer les outils de production, ainsi que les exploitants agricoles, qui pourront bénéficier d'une compensation pour leurs pertes de récoltes.
Enfin, l'augmentation très nette des crédits de la mission "Outre-mer" – significative dans le contexte budgétaire actuel – bénéficiera notamment à Mayotte, puisque 100 millions d'euros seront consacrés à un fonds d'amorçage afin de financer les premières dépenses d'urgence qui ont été adoptées par le Sénat mercredi dernier – et je vous en remercie.
Ces montants ne suffiront pas à compenser les immenses dégâts causés par le cyclone Chido, et nous irons bien évidemment au-delà le moment venu. Nous avons cependant besoin, au préalable, que la mission interinspections chargée d'évaluer les dégâts achève ses travaux, mais nous serons ensuite au rendez-vous : il ne peut pas en être autrement. Il y aura d'ailleurs à mes côtés – j'y reviendrai – une mission dédiée à la reconstruction de Mayotte.
Par ailleurs, la préparation de la rentrée scolaire représente un défi urgent, la rentrée administrative ayant eu lieu lundi et celle des élèves étant prévue le 27 janvier, après avoir été décalée d'une semaine à cause de Chido, puis d'une semaine supplémentaire à la suite de la tempête tropicale Dikeledi. Progressive, cette rentrée sera à l'évidence difficile, 30 % des établissements restant inutilisables.
Nous accompagnerons aussi les enfants du second degré qui seraient contraints, du fait de l'état de leur école, de suivre leur scolarité dans l'Hexagone : leur billet d'avion sera pris en charge par la collectivité, sur la base des critères sociaux habituels. La ministre de l'éducation nationale suit cela attentivement et s'assurera d'une mobilisation des rectorats de l'Hexagone ; elle se rendra d'ailleurs également sur place dans quelques jours pour observer le déroulement de la rentrée.
Je vous rappelle qu'une partie des établissements fonctionnent déjà avec un système de rotation des élèves : la pression est indéniable et nous ne reviendrons pas à la normale avant plusieurs mois. Pour autant, le simple fait que la rentrée ait lieu est essentiel.
J'en viens à la gestion des déchets, en vous indiquant que nous avons conservé l'objectif d'une évacuation totale des déchets ménagers d'ici à la fin du mois de janvier, objectif qu'il sera difficile d'atteindre. Il s'agit de compresser des milliers de tonnes de tôles de voitures et d'électroménager, tandis que la question de l'utilisation des déchets issus de la forêt se posera.
Enfin, nous sommes mobilisés pour avancer au plus vite en matière de reboisement de l'île : un financement via le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) devra être recherché et il faudra garantir la disponibilité des plants, en s'assurant que les pépiniéristes locaux pourront répondre aux commandes. Il y a urgence dans ce domaine, car il s'agit de la bonne saison pour semer.
En ce qui concerne l'accès aux soins, le plus grand hôpital de campagne d'Europe, l'élément de sécurité civile rapide d'intervention médicalisée (Escrim), a été déployé sur place en complément de l'hôpital de Mamoudzou et tourne à plein régime puisque près de 4 600 personnes y ont été accueillies depuis son ouverture. Ce type d'hôpital, en général prévu pour être installé pendant une quinzaine de jours, sera probablement maintenu jusqu'en février, d'où le travail mené en lien avec le ministre de la santé afin d'accélérer l'ouverture de dispensaires, notamment dans le nord de Mayotte.
Toujours dans le domaine de la santé, les opérations d'"aller vers" se poursuivent et s'accélèrent : plus de 30 000 prises de contact entre les secouristes et la population ont déjà eu lieu, sans que cela se traduise par une hausse substantielle du nombre de blessés recensés, ce qui est une bonne nouvelle.
Le risque épidémiologique fait, quant à lui, l'objet d'une surveillance maximale à la suite de la découverte d'un cas de choléra importé dans le cadre d'un vol en provenance d'Afrique. Nous nous étions préparés à cette éventualité et l'individu a été immédiatement isolé, tandis que nous avons lancé une campagne de vaccination massive dans la zone impactée. Des cas de choléra avaient déjà été constatés en avril et avaient entraîné trois à cinq décès, un chiffre à comparer aux 500 morts enregistrés à Anjouan. Il convient de rester très attentif et d'informer la population sur les risques liés à la consommation d'eau sale.
Parallèlement, nous sommes très vigilants vis-à-vis des risques traumatologiques, d'où le déploiement d'un dispositif téléphonique de soutien médico-psychologique. Je vous rappelle d'ailleurs qu'il nous faut communiquer en plusieurs langues si nous voulons atteindre l'ensemble de la population.
Au-delà de cette action opérationnelle immédiate, la réponse de l'État entre dans une deuxième phase, à savoir celle du projet de loi d'urgence. Très concret et technique, ce texte a vocation à permettre la mise en œuvre très rapide de mesures urgentes afin de faciliter l'hébergement et l'accompagnement de la population, ainsi que la réparation et la reconstruction des infrastructures et des logements sinistrés.
Le texte comporte désormais plus de quarante-deux articles, alors qu'il n'en comptait que vingt-deux à l'origine. Le chapitre Ier porte deux mesures importantes, à commencer par l'article 1er, qui prévoit la création d'un opérateur public puissant dédié à la reconstruction de Mayotte. À la demande des élus, il a été précisé qu'il ne s'agira pas de l'établissement public foncier d'aménagement de Mayotte (Epfam) déjà existant, mais que les missions de ce dernier seront intégrées dans un nouvel établissement public. Nous préciserons dans le détail les rôles respectifs dudit établissement, des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales.
L'article 2 permet à l'État, jusqu'au 31 décembre 2027, d'assumer la compétence de reconstruction, de réhabilitation et de rénovation des écoles publiques communales. Cette substitution sera temporaire et soumise à l'avis des communes ; l'Assemblée nationale a souhaité que cet avis soit conforme et je laisserai le Sénat déterminer sa position sur cette question, en précisant qu'un avis conforme risque de rendre la construction de nouvelles écoles plus difficiles. J'ajoute que nombre d'élus mahorais ne souhaitent pas en construire davantage au motif qu'elles constitueraient une "pompe aspirante" pour l'immigration.
En outre, plusieurs autres amendements ont été adoptés et ne permettent pas, selon moi, d'adapter les projets à la réalité des contraintes du territoire, tout en étant susceptibles d'entraîner des surcoûts et un allongement des délais.
S'agissant du chapitre II, relatif à l'adaptation des règles d'urbanisme et de construction, l'article 3, qui visait à accélérer les constructions nécessaires au relogement d'urgence à destination des personnes sinistrées pendant la phase de la reconstruction, a été supprimé. Il me semble indispensable de le rétablir, afin que les Mahorais et les agents publics puissent accéder à ce type d'hébergement.
De la même manière, il faudra sans doute revenir à la rédaction initiale de l'article 4, sans quoi nous prendrons du retard par rapport à nos objectifs de reconstruction. Le chapitre II a aussi été complété par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale à l'initiative de la rapporteure Estelle Youssouffa, avec un nouvel article 4 bis visant à encadrer la vente de tôles aux particuliers, afin de mieux lutter contre le fléau de l'habitat illégal.
Dans le même ordre d'idées, le Gouvernement a fait adopter un amendement visant à nous permettre de prendre des mesures rapides contre la calamité que représentent les bidonvilles, en gardant à l'esprit le fait que des Mahorais et des migrants en situation régulière y résident également. Je fais confiance à la sagesse du Sénat pour examiner la complexité des situations, loin des passions de l'Assemblée nationale.
Le chapitre III, ensuite, porte des dispositions inspirées de celles prises à la suite des violences urbaines survenues dans l'Hexagone au cours de l'été 2023 et qui visent à adapter les procédures d'urbanisme et d'aménagement aux enjeux de la reconstruction à Mayotte. Ce chapitre a été complété par des dérogations temporaires pour accélérer la reconstruction des infrastructures de communications électroniques, ainsi que l'avait annoncé le Premier ministre en présentant le plan "Mayotte debout".
Alors que l'objectif des chapitres II et III était avant tout de simplifier les procédures, plusieurs alourdissements ont été votés par les députés. Tous souhaitent aller vite, mais en voulant dans le même temps que les élus contrôlent tout : nous sommes sur une ligne de crête et il vous appartiendra d'apprécier ces contradictions.
Le chapitre IV était constitué d'un seul article qui a fait grand bruit à l'Assemblée nationale, à savoir l'article 10 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter les règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique. Je crois que cet article a été mal compris : alors qu'il s'agissait d'adapter notre droit à la réalité du terrain à Mayotte, où il est malaisé d'identifier les propriétaires du foncier, les députés ont décidé, à une large majorité, de supprimer cet article au motif qu'il représentait une menace pour la propriété des Mahorais. Je le dis avec force : il n'a jamais été question d'exproprier à tour de bras, et encore moins d'exproprier sans indemnisation, car une telle disposition serait inconstitutionnelle.
S'il est question de reconstruire Mayotte, il importe de nous donner les outils nous permettant de maîtriser le foncier. Je laisse le Sénat y réfléchir, vos deux collègues mahorais étant à même de faire remonter les craintes qui s'expriment.
Le chapitre V du projet de loi prévoit, quant à lui, des adaptations et des dérogations temporaires aux règles de la commande publique, et a été complété – avec le soutien du Gouvernement – afin de garantir que les entreprises mahoraises participent effectivement à la reconstruction de leur territoire. Nous pouvons probablement perfectionner ces dispositions et, au regard des amendements adoptés en commission à l'Assemblée nationale, tenir compte de la nécessité de laisser de la souplesse aux acheteurs et d'éviter un encadrement trop strict de la sous-traitance, qui pourrait avoir des conséquences regrettables pour le tissu économique local.
De grandes attentes sont en effet placées dans ce dernier, mais force est de constater qu'il est en piteux état. Nous pourrions envisager de recourir davantage aux jeunes inscrits dans le cadre du service militaire adapté (SMA), qui ont accompli un travail remarquable. Le SMA devrait d'ailleurs être valorisé partout dans les outre-mer, car ces jeunes sont formés à des métiers qui correspondent aux besoins d'opérations de reconstruction.
Pour conclure sur ce cinquième chapitre, les articles 13 bis, 13 ter et 14 bis doivent selon nous être remis en cause, mais il vous appartiendra d'en décider.
Le chapitre VI, ensuite, comprend des mesures inspirées des dispositions mises en œuvre pour la reconstruction de Notre-Dame afin de faciliter les dons des collectivités territoriales ou des particuliers en faveur de Mayotte. À l'article 16, les députés ont souhaité porter à 3 000 euros au lieu de 1 000 euros le plafond de dons ouvrant droit à une réduction d'impôts au taux majoré de 75 %.
J'estime qu'il serait judicieux de revenir à la rédaction initiale de l'article et vous suggère, madame le rapporteur, d'aborder ce sujet avec Pierre Sellal, président de la Fondation de France. Pour ma part, et même si mon propos peut sembler brutal, je ne souhaite pas créer une niche fiscale pour Mayotte, car cela n'aurait aucun sens par rapport à la générosité des Français.
J'ajoute que Pierre Sellal m'a rappelé que la Fondation de France travaillait toujours avec des associations et que les élus ont exprimé la crainte de voir des associations venant en aide aux migrants en situation irrégulière jouer un rôle.
Enfin, le chapitre VII regroupe différentes mesures sociales temporaires en faveur de la population et des professionnels de Mayotte. Les mesures initiales ont été utilement enrichies par l'Assemblée nationale, avec par exemple la prolongation de plein droit des demandes de logement social arrivées à expiration ou l'extension de prestations telles que les allocations logement à d'autres catégories.
Néanmoins, le Sénat pourrait sans doute utilement resserrer le dispositif. L'article 17 bis instaurant un report d'un an du paiement des impôts et taxes dus par les entreprises, ainsi que le nouvel article visant à exonérer les employeurs et travailleurs indépendants de contributions et cotisations sociales pour le mois de décembre 2024 paraissent disproportionnés de mon point de vue, alors que nous agissons déjà puissamment pour accompagner les acteurs économiques. Si une situation d'urgence appelle bien sûr des mesures exceptionnelles, je sais que le Sénat sera attentif à l'impact de chacune d'entre elles sur les finances publiques.
Il vous revient désormais d'analyser ce projet de loi et de le compléter le cas échéant. Le Gouvernement est à votre écoute et se tient à votre disposition : nous avons besoin de vous.
J'ajoute qu'une équipe dédiée se déploie auprès de mon cabinet afin de suivre minute par minute la situation à Mayotte : elle sera composée de spécialistes des différents sujets, dans le cadre d'une approche interministérielle que je souhaite adopter et faire fonctionner, y compris au-delà de ce dossier. Parallèlement, les moyens humains et matériels de la préfecture seront encore renforcés, en tenant compte du fait qu'il existe une véritable problématique d'ingénierie dans toutes les collectivités ultramarines.
J'en termine avec le troisième temps de l'action publique, c'est-à-dire la refondation de Mayotte au moyen de mesures structurelles qui seront portées par un autre texte de loi. J'organiserai une vaste concertation dans les semaines à venir et j'espère pouvoir vous présenter ce texte à un horizon de deux mois. L'objectif de ce second projet de loi consistera à permettre le développement économique, éducatif et social du territoire sur de nouvelles bases. C'est ainsi que nous instituerons une zone franche globale et que nous reverrons l'application des critères de la politique de la ville sur ce territoire, en l'adaptant à ses spécificités.
Plus largement, ne nous mentons pas : si le cyclone Chido a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé des calamités déjà existantes. L'archipel ploie en effet depuis des années sous le poids des inégalités sociales et des deux fléaux que représentent l'habitat illégal et l'immigration clandestine.
Je l'ai redit hier à l'Assemblée nationale : nous ne pouvons pas laisser Mayotte redevenir une île-bidonville et les opérations régulières de "décasage" doivent se poursuivre. Nous devons aussi nous attaquer très sérieusement à l'immigration illégale, sachant qu'un consensus se dégage pour reconnaître que 50 % de la population de Mayotte est étrangère.
Cette immigration illégale pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes, nourrit l'ultraviolence et alimente des réseaux de trafiquants d'êtres humains, y compris sur place puisque les kwassa-kwassa sont construits non pas seulement aux Comores, mais aussi à Mayotte. Cette situation est indigne de la République et de nos valeurs universelles.
L'immigration clandestine nécrose Mayotte et alimente les passions dans le débat public, de nombreux Mahorais ayant le sentiment qu'elle est la cause de leurs problèmes : ils ont le sentiment d'être submergés par la pression du pays voisin, tout en étant "abandonnés" par la France. Lorsque nous avons évacué le lycée Younoussa Bamana, des migrants venant d'Afrique continentale, notamment de la région des Grands Lacs, mais aussi de la Somalie, étaient présents : ils ont rejoint un collège accueillant entre 600 et 700 migrants, ainsi que des personnes ayant perdu leur domicile.
Nous devrons traiter cette épineuse question, qui a déjà fait l'objet de nombreuses annonces, dont le déploiement d'un "rideau de fer" maritime. Cette lutte contre l'immigration clandestine constituera donc un volet primordial du second projet de loi, sur lequel je travaille de concert avec Bruno Retailleau.
Nous rétablissons d'ores et déjà nos moyens de détection des entrées illégales par voie aérienne et maritime – une partie des radars ayant été détruite par le cyclone – et continuerons à les faire monter en gamme.
Sur le plan juridique, nous devons prendre des mesures fermes, dont l'allongement de la durée de résidence régulière des parents nécessaire à l'obtention de la nationalité française par leurs enfants. Il faudra aussi nous doter de meilleurs outils pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, tandis que l'extension de l'aide au retour volontaire des ressortissants africains dans leur pays d'origine sera également nécessaire.
Du reste, nous devrons accroître le nombre d'éloignements de clandestins de 25 000 à 35 000, mais à la condition qu'ils ne reviennent pas, ce qui suppose un rapport très ferme avec les Comores, qui revendiquent une part de notre territoire national, ce qu'aucun État souverain ne peut accepter. J'ajoute que les populations de Mayotte et des Comores se connaissent bien et ont parfois étudié ensemble, cette histoire commune ne pouvant être ignorée.
Le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale a inscrit dans sa journée réservée du 6 février une proposition de loi du député Philippe Gosselin visant à restreindre davantage les critères du droit du sol à Mayotte, et le Gouvernement y sera favorable. Sans avancées sur ce point, nous ne pourrons pas résoudre une partie des difficultés de Mayotte.
D'autres questions se posent avec acuité dans les outre-mer, qu'il s'agisse de la situation de la Nouvelle-Calédonie, des problématiques de vie chère ou encore du narcotrafic, qui abîme violemment les Antilles et la Guyane. Un comité interministériel des outre-mer (Ciom) abordera ces sujets, auxquels s'ajoute la problématique des violences faites aux femmes, La Réunion étant particulièrement affectée par ce fléau.
En tout état de cause, nous ne pouvons pas abandonner Mayotte à un moment où certains rêvent de nous expulser de certaines régions du monde. Réussir la reconstruction de l'archipel représente un enjeu majeur, d'abord pour les Mahorais, mais aussi pour notre Nation.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Permettez-moi d'exprimer d'abord toute ma solidarité, dans cette épreuve, à la population mahoraise. J'ai vécu le passage de l'ouragan Hugo en 1989 à la Guadeloupe, puis celui de Luis en 1995 à Saint-Barthélemy et enfin celui d'Irma en 2017 sur le même territoire, et je crois pouvoir dire que je comprends parfaitement le sentiment de détresse que peuvent ressentir nos compatriotes mahorais, ainsi que les difficultés des maires, placés en première ligne pour leur répondre.
Je voudrais aborder plus particulièrement les dispositions relatives à la reconstruction "matérielle" de Mayotte. Le projet de loi prévoit, dans ses articles 3 à 9, diverses adaptations en matière de droit de l'urbanisme et de la construction, afin d'accélérer cette reconstruction.
Comme l'a dit Mme la présidente, le texte a été élaboré dans l'urgence. Un certain nombre de mesures ont été copiées sur les dispositions de l'ordonnance visant à faciliter le financement de la reconstruction des bâtiments détruits lors des émeutes de juillet 2023, mais nous n'avons pas pris le temps de les adapter à la réalité du territoire mahorais.
L'article 7 réduit par exemple les délais de délivrance des autorisations d'urbanisme pour les reconstructions et réfections à l'identique des bâtiments détruits par Chido. Cette disposition entrera en vigueur, au mieux, à la mi-février, lorsque le texte aura été adopté. Je me vois contrainte de vous demander, monsieur le ministre d'État, s'il vous semble raisonnable, et même décent, en pleine saison des pluies, de demander aux Mahorais d'attendre jusque-là pour réparer les toits arrachés par le cyclone.
Plus grave, toutes ces mesures d'accélération ne concernent que les bâtiments régulièrement édifiés. Or, sans même parler des bidonvilles, il a été porté à ma connaissance que moins d'un tiers des bâtiments en dur a fait l'objet d'un permis de construire. Que faire alors de ces bâtiments, qui peuvent être tout à fait décents, et sont parfois habités par les mêmes familles depuis vingt ou trente ans ?
La reconstruction à venir ne doit-elle pas être l'occasion d'apporter enfin des réponses structurelles aux désordres observés à Mayotte en matière de constructions ? À Saint-Barthélemy, nous avons par exemple considéré, après Irma, que tous les bâtiments en dur édifiés avant 1984 étaient réputés réguliers. Pourquoi ne pas étudier une solution similaire pour Mayotte ?
L'article 4 du projet de loi prévoit d'adapter, par voie d'ordonnance, les règles de construction aux caractéristiques et aux contraintes du territoire mahorais, afin de faciliter et d'accélérer la reconstruction. Ce chantier est bien avancé. S'agit-il de mesures d'urgence pour la reconstruction, par nature temporaires, ou plutôt de mesures pérennes d'adaptation des normes aux spécificités de Mayotte ? S'il s'agit de mesures d'urgence, je m'interroge sur leur effectivité puisqu'il nous faudra là aussi attendre plusieurs semaines avant la prise de l'ordonnance. S'il s'agit d'adaptations pérennes, le champ d'habilitation me semble très large : quelle serait l'articulation avec le projet de loi de programmation annoncé ?
Vous le comprenez, je m'inquiète que l'on mette aujourd'hui un pansement sur une jambe de bois, sans chercher à régler en profondeur les difficultés de Mayotte en matière de droit de l'urbanisme, et plus largement d'accès au logement.
En outre, déployer des mesures d'urgence sans réformer en profondeur risque de coûter cher. Je pense par exemple à l'article 3 du projet de loi, qui prévoit d'implanter des bâtiments modulaires démontables pour reloger temporairement les victimes de Chido. Combien cela va-t-il coûter, et qui paiera pour l'installation de ces constructions temporaires ? Qui y sera relogé ? N'y a-t-il pas un risque que ces personnes viennent in fine grossir les bidonvilles ?
Sur ce sujet d'ailleurs, quelles solutions comptez-vous déployer pour assister les maires dans la lutte contre ces taudis, en attendant d'éventuelles modifications législatives ? Les députés ont entendu lutter contre ce fléau en encadrant la vente de tôles, une mesure déjà mise en œuvre par le préfet. Mais peut-on vraiment lutter contre l'habitat informel en encadrant une économie qui l'est tout autant ?
Enfin, nous souhaiterions des précisions sur la gouvernance de l'établissement public qui sera chargé de coordonner la reconstruction de l'île. Je m'inquiète également de son financement : il ne doit pas peser sur les collectivités locales de Mayotte, déjà mises à rude épreuve.
Je vous remercie par avance de toutes les réponses que vous voudrez bien nous apporter. Avant de conclure, permettez-moi de vous assurer qu'au-delà des points que je viens d'évoquer, vous trouverez au Sénat – et à la commission des affaires économiques en particulier – un appui solide pour permettre aux Mahorais de reconstruire leur territoire de manière durable, dans le respect de leurs spécificités.
Mme Isabelle Florennes, rapporteure pour avis de la commission des lois. - Je vous remercie d'avoir saisi la commission des lois pour avis sur l'article 2 et les articles 10 à 15, sur lesquels j'ai déjà commencé à mener une série d'auditions.
Monsieur le ministre d'État, vous avez indiqué que vous souhaitiez améliorer la rédaction de l'article 10, supprimé par l'Assemblée nationale : pouvez-vous nous en dire plus sur ces modifications ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Pour ce qui est des toits, plusieurs dispositifs sont déployés dès avant l'adoption du projet de loi, à commencer par la livraison de 30 500 mètres carrés de bâches aux communes et l'installation par la sécurité civile de 250 000 mètres carrés de bâches sur les sites stratégiques – notamment les écoles et les hôpitaux. Cependant, l'essentiel consiste selon moi à aider directement les Mahorais à financer la reconstruction de leurs toits, notamment avec le PTZ.
Les opérations de reconstruction s'appuieront sur la simplification introduite par le projet de loi, qui doit permettre de reconstruire à l'identique les bâtiments construits régulièrement, sans nouvelle autorisation d'urbanisme ; il s'agit aussi de construire plus vite, à moindre coût, avec l'objectif de bâtir des habitations plus résilientes, d'où l'importance de l'article 4, mais surtout de l'article 10 qui doit favoriser, tout en garantissant les droits des propriétaires, la production de foncier utile à la reconstruction.
Je ne parviens guère à convaincre sur ce point et je souhaite lever les doutes et les interrogations à propos de cet article. Peut-être faudra-t-il préciser que le droit des propriétaires sera respecté tout au long de la procédure, ou inscrire expressément le principe de l'indemnisation. Ce débat renvoie au problème du cadastre, qui ne concerne d'ailleurs pas uniquement Mayotte.
Par ailleurs, le nouvel établissement public doit jouer un rôle important, mais sans empiéter sur les compétences des autres acteurs. J'ajoute qu'un groupe de travail sera mis en place, en lien avec la ministre du logement, afin de recueillir des propositions relatives à un habitat adapté au territoire et à ses contraintes.
Enfin, la lutte contre l'habitat informel figurera également dans le second texte : d'ici à sa présentation, il faudra en effet examiner toutes les possibilités, telles que les bâtiments modulaires.
Mme Salama Ramia. - Présente à Mayotte avant, pendant et après le cyclone, je peux confirmer que des dysfonctionnements sont à déplorer dans l'action de l'État. Parmi eux, la distribution de vivres et de bouteilles d'eau a pu bénéficier davantage aux clandestins qu'aux Mahorais. Le sentiment d'abandon s'explique par le fait que la population s'attendait à être protégée – par l'armée ou la sécurité civile – et la situation reste très difficile.
Certains habitants craignent de mourir de faim et demandent à ce que l'approvisionnement des magasins soit assuré, les vivres ne parvenant pas toujours à l'ensemble de la population. De plus, les associations qui connaissent bien le terrain n'ont pas été suffisamment sollicitées, ce que je regrette, car elles auraient pu aider à mieux répartir les denrées.
Comment expliquer, par ailleurs, que les bâches ne parviennent pas à la population en pleine saison des pluies ?
J'ajoute que certains villages restent privés d'électricité depuis le 14 décembre, tandis que l'approvisionnement en eau est limité à une durée de sept heures, non pas tous les jours, mais tous les trois jours !
Sur le terrain, des ONG sont présentes, notamment pour offrir des plats chauds, mais elles interviennent dans des quartiers où il n'y a que des clandestins. C'est comme si les petits Mahorais avaient le droit de mourir de faim... Pourquoi ne pas distribuer ces plats dans les écoles, sans distinction entre les enfants ? Des familles m'appellent : le petit budget dont elles disposent sera consacré à reconstruire leur maison. Alors que leur budget alimentaire a diminué, elles n'ont pas droit à ces repas, destinés aux habitants des quartiers en difficulté. Voilà le sentiment d'injustice que ressentent les Français !
En ce qui concerne l'article 10, je ne suis, moi aussi, pas convaincue. Pour information, une manifestation aura lieu dans deux jours à Mayotte contre cet article. Lorsque le cyclone a rasé les bidonvilles, nous nous sommes dit que c'était l'occasion de remettre les choses en ordre. Mais on a laissé faire la reconstruction des bidonvilles – des tôles de maisons en bon état ont même été pillées à cette fin. Le taux de reconstruction n'est pas de 100 % ; il est plutôt de 120 % ! Tout est redevenu comme avant.
La population pensait que le projet de loi allait permettre de trouver une solution pour interdire les bidonvilles. Or 40 articles ont été déclarés irrecevables à l'Assemblée nationale et, pour faire simple, le problème des bidonvilles relèvera d'un autre texte. En revanche, la possibilité d'exproprier pour reconstruire des écoles est prévue, ce qui fait que les gens s'estiment trahis. Cette loi s'est retournée contre nous, les Français. C'est la raison de la mobilisation qui aura lieu dans deux jours.
L'urgence aujourd'hui, ce sont les 90 % de maisons sans toiture. Les Mahorais attendent de l'aide pour reconstruire. Vous dites, monsieur le ministre d'État, qu'un prêt garanti par l'État (PGE) est prévu, mais n'oublions pas que les maisons à Mayotte n'étaient pas assurées en raison de l'absence de titre de propriété. Aucun banquier ne prêtera dans ces conditions.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Si !
Mme Salama Ramia. - Alors tant mieux.
Sur la question des écoles, des maires m'ont confirmé que certaines communes refusaient les nouvelles constructions scolaires. C'est le cas lorsqu'un maire constate que son école compte 90 % d'enfants de parents en situation irrégulière, ou que les enfants sont venus avec des "kwassas scolaires" – ces bateaux avec lesquels les enfants des Comores arrivent avant la rentrée à Mayotte, un territoire français soumis à l'obligation de scolarisation. Les maires ne veulent pas reconstruire des écoles, car ils pensent qu'elles créeront un appel d'air.
M. Saïd Omar Oili. - Monsieur le ministre d'État, vous avez devant vous une personne qui n'a plus de toit. Je suis heureusement hébergé par ma fille, mais en quelques minutes toute ma vie s'est envolée. Quelle réponse pouvez-vous nous apporter, à moi et aux autres, pour que nous gardions espoir ?
Nous avons perdu des biens matériels et nous essayons de reconstruire. Mais pour ce qui est de nos âmes, pour le traumatisme que nous avons subi, que faisons-nous ? On parle d'argent et de reconstruction, c'est bien, mais que faisons-nous pour les êtres humains ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, vous avez certainement perçu, au travers de son intervention liminaire, combien M. le ministre d'État était engagé sur ce dossier et conscient de la nécessité de refonder Mayotte. Je lui laisse la parole pour répondre aux deux témoignages poignants que nous venons d'entendre.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Madame la sénatrice Ramia, face à une telle catastrophe, la réaction d'un État peut être plus ou moins efficace, mais elle ne peut répondre que de manière imparfaite à des questions très intimes, comme celles que M. le sénateur Omar Oili a évoquées.
La population a été sidérée par la violence du cyclone. Il y a eu des morts ; les gens se sont cachés, se sont regroupés en famille, alors que tout s'envolait. Beaucoup ont cru que la fin était arrivée. Ensuite, ce fut la désolation totale : leur foyer, leurs meubles, leurs effets personnels avaient disparu. La reconstruction sera forcément difficile et très longue.
Les déclarations d'un préfet, d'un ministre, d'un Premier ministre, d'un ministre d'État ne répondent pas à cette urgence, à cette temporalité. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, les uns et les autres, dans vos territoires, connu des inondations et des incendies. Certains d'entre vous ont connu des cyclones, des ouragans ou des tremblements de terre. On n'est jamais à la hauteur de la situation, même si le Président de la République est allé à Mayotte pour dire : "Je suis avec vous".
J'ai vu la situation sur place, et je veux vous répondre avec des éléments précis. Je tiens d'abord à rappeler le caractère très complexe de la chaîne logistique qui s'est mise en place : le pont aérien et le pont maritime depuis La Réunion, avec deux points d'entrée, l'aéroport et le pont de Longoni, ce qui limitait de facto la capacité à faire entrer le fret. Les avions arrivent à Petite-Terre, et il faut ensuite transporter le matériel par des barges. Heureusement, les infrastructures ont parfaitement tenu. L'aéroport a accueilli très vite les avions du pont aérien, dès le dimanche suivant Chido. Il y a eu certains retards, notamment dans l'approvisionnement, mais les stocks sont arrivés, et la préfecture a fait le maximum pour accélérer la chaîne logistique.
Il faut évidemment être à la hauteur du désespoir et des attentes des Mahorais. Mais l'État ne peut pas être responsable de tout. Les maires n'ont parfois pas assumé leurs responsabilités, même s'il y a eu aussi des dysfonctionnements du côté de l'État. L'action n'est jamais parfaite malgré l'engagement.
Dès la levée de l'alerte violette, un travail a été mené, et, quelques jours après, la vie reprenait : les cafés étaient de nouveau ouverts, de même que des magasins. J'ai même vu, depuis la résidence de la préfecture, quelques feux d'artifice le 31 décembre ! C'est la preuve de la résilience incroyable de l'être humain face aux catastrophes. Le préfet a reçu des ordres très clairs pour que les supermarchés, les marchés et les magasins puissent être approvisionnés. Mais la nourriture n'est pas allée jusqu'au dernier kilomètre : c'est la responsabilité des maires. Je ne rentrerai pas dans les polémiques, mais ce n'est pas le préfet – et encore moins le ministre – qui organise la distribution au pied des maisons... On peut analyser ce qui n'a pas marché, car il est important d'avoir des retours d'expérience – l'État n'a rien à craindre de ce point de vue, au contraire.
Si je retourne là-bas, madame la sénatrice, c'est parce que je veux, moi aussi, des réponses sur les points que vous avez soulevés. Je veux bien qu'on manifeste à propos d'un article du projet de loi qui a été supprimé. Le sujet compliqué du foncier a été étudié en profondeur par plusieurs missions sénatoriales, notamment sous l'impulsion du sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi. Ainsi, le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la sécurisation des droits fonciers de juin 2016 décrit un gel ou une stérilisation du foncier avec des situations successorales devenues inextricables : "L'activité économique, tout comme la politique d'équipement des collectivités [...] sont entravées puisque la carence des titres fait obstacle à toute expropriation". Voilà le cadre ! Sans maîtrise du foncier, nous n'arriverons pas à reconstruire dans de bonnes conditions.
Néanmoins, puisque nous avons alimenté la peur sur ce sujet, je n'imposerai pas une solution qui pourrait être prématurée. Mais alors qu'on ne vienne pas me dire après qu'on ne peut pas reconstruire les équipements ou les aménagements nécessaires ! Je m'en remets sur cette question à la sagesse du Sénat.
En ce qui concerne les écoles, c'est à l'État de les prendre en charge. Lors de mon voyage sur place en 2015, nous avions, avec la ministre de l'éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, proposé un plan pour construire 500 classes. Seules 350 classes l'ont été, non pas parce que l'État n'était pas au rendez-vous, mais parce que les élus n'en voulaient, à l'époque, déjà pas.
Monsieur le sénateur Omar Oili, nous nous connaissons depuis longtemps. Vous êtes un homme d'expérience. Par vos mots qui nous ont touchés, vous exprimez ce que ressentent de nombreux Mahorais. Je retournerai sur place car je veux qu'on avance vite sur la question des bâches. Je veux aussi revenir sur la question de la responsabilité des communes.
Par ailleurs, je confirme que les banques prêteront, même sans titre de propriété, conformément au dispositif que nous avons mis en place. Nous devons réussir à informer les personnes concernées, car Mayotte est un département particulier : nombreux sont ceux qui ne lisent pas le français et ne s'expriment pas dans notre langue – et je parle aussi de nos compatriotes. La population doit garder espoir. En tant que sénateur, élu de la République, vous savez qu'il est possible de faire certaines choses. Nous devons répondre à la situation, même si cela sera long et difficile. Nous gagnons du temps avec le dispositif des bâches. Je prends l'engagement de tout faire pour avancer.
M. Saïd Omar Oili. - Le foncier à Mayotte appartient en grande majorité à l'État et au conseil départemental. On s'attaque d'abord au foncier des particuliers, mais, puisque 56 % du foncier est public, pourquoi ne commencerait-on pas par là pour reconstruire ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Une précision : 43 % du foncier appartient au département.
Mme Isabelle Florennes, rapporteure pour avis de la commission des lois. - Et 13 % à l'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Certes, il y a des problèmes de cadastre, et une part de ce foncier est déjà occupée. Ainsi, nous avons évacué, sur ma demande, lundi matin, le lycée Bamana. Nous avons souhaité utiliser un terrain de l'État à Mamoudzou, mais le maire s'y est opposé.
Les choses ne sont pas faciles pour le représentant de l'État. La peur de l'expropriation existe, et nous devons essayer de comprendre les peurs irrationnelles. Je le redis, je n'imposerai rien. Nous essaierons de trouver une solution ; sinon, nous chercherons comment agir autrement. Mais, je le répète, nous devons réussir collectivement à maîtriser le foncier.
Par ailleurs, nous souhaitons accompagner les Mahorais à se doter de tous les outils pour accélérer le titrement.
Mme Salama Ramia. - J'ai suivi le dossier de l'évacuation des migrants du lycée Bamana. La première proposition du préfet était de les installer dans un camp près du lycée. Il est donc normal que le maire s'y soit opposé. La deuxième solution proposée ne convenait pas non plus. Le maire n'a pas simplement refusé : il avait ses raisons.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Faites-nous des propositions de terrain !
Mme Salama Ramia. - C'est ce qu'il a fait : il a installé les migrants à Kwalé.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Absolument. Je ne remets pas en cause les maires ; je dis que nous sommes face à un faisceau de contradictions.
Nous allons sortir les gens des bidonvilles, qu'ils soient en situation irrégulière, régulière ou qu'il s'agisse de nos compatriotes. On parle d'un tiers d'irréguliers, mais le taux est plus important. Je le redis, il faudra tout de suite maîtriser le foncier, empêcher la reconstruction immédiate ou la réoccupation. Quand les colonnes de gendarmes sont arrivées, il y avait seulement des femmes et des enfants ; les hommes n'étaient pas là.
Comment faire pour maîtriser le foncier, y compris dans les zones inconstructibles parce que dangereuses ou situées au bord du littoral ? Nous sommes dans l'urgence. Nous ne pourrons pas, je le reconnais, apporter immédiatement toutes les réponses. Je suis conscient, encore une fois, des craintes, et du climat parfois hostile, y compris des risques d'affrontement entre populations. Nous devons être prudents.
M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le ministre d'État, je tiens à présenter toute ma solidarité à l'égard de nos collègues de Mayotte et de l'ensemble des Mahorais. Ma question peut paraître fade à côté de leurs témoignages, mais elle est importante et porte sur la problématique agricole. Nous aurons l'occasion d'en débattre de nouveau pendant l'examen du projet de loi, et je déposerai des amendements à ce sujet.
Les agriculteurs mahorais ont subi de très lourds dommages, puisque la terre elle-même a disparu et des infrastructures ont été complètement dévastées. Le besoin de reconstruire et de relancer la production locale est particulièrement fort, dans la mesure où Mayotte est un département dont l'agriculture demeure très largement vivrière.
Au début du mois de janvier, la ministre de l'agriculture a évoqué une aide de 1 000 euros par ferme : ce montant m'apparaît très faible et insuffisant au regard de l'étendue du désastre subi par les paysans mahorais. Je lui ai récemment écrit pour lui formuler des demandes davantage en adéquation avec les besoins. Il me semble qu'il faudrait prévoir une aide de 1 000 euros par ferme et par mois jusqu'à la fin de l'année, ainsi qu'une prise en charge par l'État à 100 % de la reconstruction et de la remise en état des fermes locales. Ces mesures permettraient la relance agricole du territoire et seraient à la hauteur de ce que l'État doit faire pour l'un de ses départements.
Ma question est simple : comment le Gouvernement compte-t-il concrètement aider l'agriculture mahoraise dans la situation d'urgence que nous connaissons ? À plus long terme, comment comptez-vous accompagner Mayotte et ses agriculteurs dans le travail de reconstruction ?
Mme Viviane Artigalas. - Merci, monsieur le ministre d'État, pour cette audition enrichissante. J'associe à ma question la sénatrice de La Réunion, Audrey Bélim, ainsi que Serge Mérillou.
Je tiens à témoigner tout mon soutien aux Mahoraises et aux Mahorais touchés par le pire cyclone depuis 90 ans. Je constate sur mon territoire que nos concitoyens expriment et organisent une réelle solidarité pour les habitants de Mayotte. Le cent unième département doit maintenant être reconstruit.
Le général Pascal Facon a été choisi pour diriger l'établissement public chargé de la reconstruction. Pouvez-vous nous préciser les contours de sa mission ?
Vous avez cité le cas de choléra qui sévit actuellement à Mayotte. Si un décès devait malheureusement être déploré, l'hôpital ne dispose dans sa chambre mortuaire d'aucun casier étanche pouvant conserver un corps sous température négative. Les douze casiers ne permettent pas de conserver des corps présentant un risque biologique avéré. Rappelons que le corps d'un patient atteint du choléra conservé dans des conditions inadéquates peut devenir dangereux d'un point de vue bactériologique. L'État peut-il apporter son soutien au centre hospitalier pour éviter tout risque bactériologique dans un territoire déjà éprouvé ?
Je voudrais compléter la question de Jean-Claude Tissot. La population est déjà en état de malnutrition ; il faudrait prendre des mesures pour replanter rapidement des produits de base de l'alimentation mahoraise, notamment le manioc et la banane. Comme vous l'avez rappelé, c'est la bonne saison pour semer. Il nous faut cependant une opération planifiée et collective pour être rapide et efficace.
M. Gérard Lahellec. - Je vous demande de faire preuve d'indulgence si mon intervention paraît décalée, car nous sommes en présence d'une situation dramatique de désolation. Malgré la distance, nous le voyons depuis la Bretagne, et il y a entre nous des communautés d'intérêts.
Personne n'était préparé à cette désolation et au contexte dans lequel doit se faire la reconstruction. Il faut, me semble-t-il, appeler à la grande dignité humaine et au respect du sacré. Il y a des morts, qui ne sont pas tous identifiés. Nous sommes ici à la confluence du sensible et du sensé : il y aurait peut-être lieu d'associer les populations, dans la diversité de leurs sensibilités religieuses, au processus de reconstruction. Cela permettrait d'honorer les morts et de leur assurer une sépulture. Cette façon de procéder ne pourrait, me semble-t-il, qu'être appréciée par les populations.
Autre point que je souhaitais évoquer : au moment de la reconstruction, il faudra veiller à la fiabilité de la garantie décennale.
M. Philippe Grosvalet. - Merci pour votre témoignage, monsieur le ministre d'État. Vous avez parfaitement raison d'aller sur place, car on constate parfois des écarts entre ce que l'on nous dit quand on est en situation de responsabilité et la réalité. Toutes proportions gardées, j'ai le souvenir, en Loire-Atlantique, de la distribution des masques et du bras de fer que j'avais dû mener avec le préfet pour qu'ils parviennent au bon endroit au bon moment.
Si je dis cela, c'est parce que les informations dont je dispose semblent indiquer que, sur les 210 tonnes de nourriture parvenues à Mayotte, seul un quart – je fais référence à ce que disait notre collègue Salama Ramia – serait arrivé dans de bonnes conditions, notamment sans doute en raison de freins administratifs.
Je vous suggère de vous appuyer sur les corps intermédiaires et les associations qui sont capables de se rassembler et de s'organiser quand il s'agit de solidarité. Je vous invite à les prendre réellement en compte, car nous savons comment nos propres administrations sont parfois réticentes, dans les périodes de crise, à s'appuyer sur des acteurs non institutionnels, lesquels sont pourtant tout à fait efficaces, et connaissent parfaitement le terrain et les populations. Lorsque vous serez sur place, portez un regard attentif à leurs représentants !
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Monsieur le ministre d'État, en matière de foncier, avez-vous identifié des projets ? La délégation sénatoriale aux outre-mer a beaucoup travaillé sur ce sujet, et vous pouvez vous appuyer sur ses travaux. Elle a rédigé deux rapports sur les risques naturels majeurs à la suite de l'ouragan Irma. À l'époque, Thani Mohamed Soilihi avait dit, et sa formule m'avait frappée, qu'on ne compterait pas les morts si un ouragan de ce type passait à Mayotte.
M. Fabien Gay. - Monsieur le ministre d'État, comme mes collègues, je fais preuve d'humilité face à la situation. Les propos des deux sénateurs mahorais nous invitent à une grande prudence dans les mots et dans les actes. Nous ne résoudrons pas le problème avec des "y'a qu'à, faut qu'on" ou des déclarations ; il faut s'inscrire dans le très long terme.
Bien sûr, nous devons traiter l'urgence et regarder comment nous pouvons "monter en gamme" pour aller plus vite et plus fort. Il nous faut aussi nous pencher sur des choses qui peuvent paraître anodines : je pense au fait de privilégier Starlink – particulièrement en ce moment avec la "grande Internationale des réactionnaires" – à Orange. D'après le directeur général d'Orange, avec quatre groupes électriques, 85 % à 90 % du réseau auraient été assurés. Et on favorise une entreprise dont on peut penser qu'elle va contribuer à la grande déstabilisation des démocraties...
Je ne connais pas Mayotte. Moi qui suis un élu de Seine-Saint-Denis, je me suis dit, après m'être rendu en Guyane, que si je représentais ce territoire, je hurlerais en arrivant à Paris pour faire entendre la voix des Guyanais et Guyanaises en matière d'égalité territoriale.
En effet, comment assurer l'égalité territoriale et l'égalité républicaine ? Ce n'est pas si simple, car les besoins ne sont pas uniquement financiers. On peut aussi parler des formations, des métiers, des matériaux... Parfois, on débloque des budgets ici et sur place rien n'avance par manque de savoir-faire.
Il faut répondre à l'urgence. C'est votre priorité, et nous allons adopter un projet de loi en ce sens. Nous devons aussi engager un programme d'État, pour nous donner véritablement les moyens de réaliser l'égalité républicaine, quels que soient les gouvernements successifs. Les slogans ne résoudront pas la situation ; il faudra une grande intelligence collective pour y arriver. Nous essaierons, humblement, d'y participer.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Nous allons nous retrouver en séance pour débattre du projet de loi, et je prendrai tout le temps pour répondre à vos interpellations et à vos questions.
Monsieur le sénateur Gay, vous avez raison, il faut beaucoup d'humilité face à la souffrance des Mahorais et à la tâche qui est devant nous.
Les départements, les régions, les territoires ultramarins attendent beaucoup de cette exigence d'égalité. Des progrès sont faits, et nous prêtons une très grande attention à Mayotte, même si je reconnais qu'entre les mots et la réalité il y a toujours une différence. La France est un grand État – j'aime mon pays et je le défends –, car il n'y a pas beaucoup de pays dont le Président de la République, le Premier ministre et plusieurs ministres se rendent dans un territoire situé à 8 000 kilomètres. Je dis cela non pas pour qu'on nous dise merci, mais pour montrer l'attachement et l'attention qui sont portés à Mayotte. Il suffit de regarder ce qui se passe dans des États lointains face à d'autres catastrophes qui sont survenues récemment...
J'ai beaucoup aimé l'expression : "confluence entre le sensible et le sensé". C'est cela la politique ! La religion musulmane, avec un islam très attentif, est très largement majoritaire à Mayotte. Ainsi, au moment de la deuxième tempête, 15 000 personnes étaient réfugiées dans les écoles et les établissements publics, et 5 000 dans les mosquées : à l'heure de la prière du vendredi, celles-ci ont appelé les gens à venir s'y mettre à l'abri, sans aucune distinction. Un travail doit être fait pour intégrer les cadis – les représentants de l'islam – au sein de l'établissement public, par exemple dans le conseil de surveillance.
En ce qui concerne les corps intermédiaires, nous sollicitons largement les élus ; le tissu associatif bouge beaucoup, avec les collectifs et les associations. Je veux aussi souligner le rôle des médias, notamment de La Première, la télévision des outre-mer.
Un mot sur Starlink : cette société était la seule qui pouvait apporter une réponse immédiate, en mobilisant le réseau satellitaire ; 25 antennes ont été déployées – 14 pour les communes, et le reste pour la préfecture et les services de secours – et 100 kits ont été offerts pour les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Orange a également beaucoup travaillé sur les réseaux fixe et mobile. Les liaisons télécoms sur la zone de Mamoudzou-Petite-Terre sont rapidement revenues. L'avenir, c'est la 5G et la fibre, et non Starlink, même si, je le redis, ce fournisseur a apporté une réponse immédiate que d'autres ne pouvaient fournir. Dès qu'une antenne Starlink était installée dans une mairie, les habitants venaient pour appeler leurs proches et les jeunes pour se connecter aux réseaux sociaux.
Madame la sénatrice Artigalas, sur l'hôpital, je n'ai pas de réponse à votre question ; mes collaborateurs vous la communiqueront. Les urgences ont de nouveau été endommagées par des pluies. Beaucoup est fait : l'hôpital de campagne a énormément soulagé le centre hospitalier.
Un mot, de nouveau, sur les victimes. Je n'ai rien à cacher. Je veux bien qu'on dise que les gens ont disparu, mais où sont-ils ? Nous suivons la question de près.
La question de l'agriculture est tout à fait essentielle. Ainsi, 15 000 poules pondeuses ont été perdues ; pour les volailles de chair, 1 500 animaux ont survécu sur 120 000 et 26 bâtiments sur 28 ont été détruits. Le fonds de secours pour les outre-mer a été déclenché, et, s'agissant de la compensation des pertes de récolte, le taux d'indemnisation est de 30 %. Quelques dizaines d'exploitations peuvent en bénéficier. Le dispositif national de calamité agricole exceptionnelle, avec un forfait par hectare et production, n'est d'ordinaire pas cumulable avec le fonds de secours, mais il l'est avec l'aide de Bercy. Le décret du 14 janvier 2025 prévoit aussi une aide financière exceptionnelle aux entreprises, qui peut bénéficier à 1 600 exploitants.
Nous sommes en train de travailler avec les organisateurs du Salon de l'agriculture pour mettre en place un moment de solidarité de l'ensemble du monde agricole avec les agriculteurs mahorais. Car il ne s'agit pas uniquement de donner de l'argent ; se posent le problème des semences, celui de la reconstitution de la force de travail... Tout en prêtant attention aux normes sanitaires, nous pouvons travailler avec l'île Maurice, le Mozambique, le Kenya et Madagascar, sans oublier La Réunion bien évidemment, des territoires situés sous les mêmes tropiques, avec les mêmes températures et les mêmes cultures.
Enfin, je vous indique que le général Facon est chargé de la préfiguration de l'établissement public. Nous devons aussi nous occuper de l'absorption de l'Epfam, du rôle et de la gouvernance des élus – une condition pour que le dispositif fonctionne bien –, des objectifs de cet outil d'aménagement – reforestation, foncier, reconstruction de Mayotte et de ses établissements publics, gestion des réserves foncières – et de sa place entre l'État déconcentré et le département. Je veux que les choses soient claires pour que les différents intervenants ne se marchent pas sur les pieds. Et je n'oublie pas la mission interministérielle, qui est à nos côtés, au ministère des outre-mer.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre d'État, nous vous souhaitons un bon déplacement la semaine prochaine à Mayotte, où vous retournez une nouvelle fois.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Je m'y rends avec Élisabeth Borne, et j'y retournerai si c'est nécessaire. Je dois cependant faire attention, sans quoi les autres Ultramarins vont commencer à me reprocher d'être devenu Mahorais !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous nous retrouverons dans l'hémicycle le lundi 3 février pour débattre du projet de loi d'urgence pour Mayotte.
Source https://www.senat.fr, le 27 janvier 2025