Interview de Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée, chargée de la mémoire et des anciens combattants, à France Info TV le 27 janvier 2025, sur le 80e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.

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Média : France Info TV

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Patricia MIRALLES.

PATRICIA MIRALLES
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous êtes l'invité politique de France Info ce matin, en ce jour du 80e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau. Ministre délégué, chargé de la Mémoire et des Anciens combattants de France, vous répondez aux questions d'Antoine COMTE. C'est parti.

ANTOINE COMTE
Patricia MIRALLES, bonjour.

PATRICIA MIRALLES
Bonjour.

ANTOINE COMTE
Il y a 80 ans, jour pour jour, l'Armée rouge libérait le camp d'Auschwitz-Birkenau. Une cérémonie est organisée, cet après-midi sur place en Pologne, en présence d'une trentaine de chefs d'État, dont Emmanuel MACRON, mais aucun d'entre eux ne prendra la parole. Les seuls qui s'exprimeront seront les historiens et les derniers rescapés. C'est ce qu'il fallait faire ?

PATRICIA MIRALLES
Oui, c'est ce qu'il faut faire. Il faut continuer à donner tant que l'on peut la parole aux rescapés. Je vois par exemple Ginette KOLINKA ou Esther SENOT qui encore, tous les jours, ont un agenda de ministre, se rendent dans les écoles pour témoigner inlassablement.

ANTOINE COMTE
Qui sont presque centenaires et qui témoignent toujours.

PATRICIA MIRALLES
Et c'est ce qu'il faut faire, parce qu'on ne peut pas entendre cette petite musique nous dire : " Ça suffit, ça fait 80 ans qu'on nous raconte la même chose ". Je crois qu'il faut continuer à raconter, à dire que ça a vraiment existé.

ANTOINE COMTE
C'est ce que vous entendez par exemple sur les réseaux sociaux, ça fait 80 ans ?

PATRICIA MIRALLES
Oui, on le voit. On voit sur les réseaux sociaux encore des personnes qui disent " est-ce que ça a vraiment existé ? ". Donc, je crois que quand des élèves vont à Auschwitz-Birkenau, on se rend compte encore plus de ce qu'il s'est passé. C'est la meilleure façon de témoigner et de se rendre compte. Quand ils voient les chaussures, quand ils voient les cheveux, ça les marque à vie. Et donc, il faut que l'on continue à pouvoir témoigner. Et qui mieux que les guides pour témoigner aujourd'hui ?

ANTOINE COMTE
Comment, justement, ça me permet une transition, il faudra continuer à entretenir cette mémoire, l'importance de ce devoir de mémoire, quand malheureusement tous ces rescapés ne seront plus là ? Vous avez cité Ginette KOLINKA par exemple. Vous parlez des guides. Ce sont eux maintenant qui vont pouvoir transmettre cette mémoire ? Ils connaissent tellement bien le sujet.

PATRICIA MIRALLES
Je dis oui, mais il faut aussi parler de la jeunesse. Et donc, moi, je me suis rendue, je donne un exemple, dans un lycée à Dijon, il y avait deux rescapés qui ont pu témoigner devant ses élèves. Et je me suis rendu compte qu'on a une jeunesse extraordinaire en France, mais on ne sait pas leur parler. Et donc, le travail que l'on doit mener demain avec la ministre de l'Éducation nationale, c'est comment on répond à cet appel de la jeunesse. Et donc ils attendent de nous que l'on continue à venir témoigner, à leur donner la possibilité de travailler sur ces sujets, de rechercher. On a des archives. Il faut continuer à porter cette jeunesse et à leur faire confiance.

ANTOINE COMTE
Patricia MIRALLES, concrètement, vous allez donc travailler main dans la main avec Élisabeth BORNE, la ministre de l'Éducation nationale, ce que vous dites ce matin, pour essayer de monter un programme pour intéresser la jeunesse à ce sujet ?

PATRICIA MIRALLES
Oui, ce sont des réflexions que j'avais eues avec l'ancienne ministre Nicole BELLOUBET sur l'intérêt de la jeunesse, parce qu'il nous pousse aussi à aller plus loin sur la façon dont on raconte l'histoire. Il ne vous a pas échappé que mon ministère, aujourd'hui, est chargé de la Mémoire en premier, des Anciens combattants, parce que les Anciens combattants, c'est quand même eux qui transmettent la mémoire.

ANTOINE COMTE
Et juste un dernier mot aussi, ça va se manifester dans de quelles formes en fait ? C'est-à-dire qu'il y aura des ennemis spécifiques, par exemple sur la Shoah ? Alors, on sait évidemment que cette période de l'histoire est étudiée, c'est présent dans les manuels scolaires. Les enseignants en parlent beaucoup. Mais est-ce que le but, c'est que ça évolue aussi, qu'on en parle plus ?

PATRICIA MIRALLES
Il faut faire confiance aussi aux enseignants. Moi, j'ai rencontré des enseignants d'éducation sportive qui ont réussi à prendre des jeunes d'une classe du 93 sur le sport en disant : " Les sportifs qui ont été déportés " et ça a intéressé les jeunes. On a des professeurs qui vont nous guider sur ce qu'ils souhaitent pour pouvoir arriver à intéresser tous les jeunes, même ceux qui sont très éloignés de l'histoire.

ANTOINE COMTE
Alors, vous parlez des enseignants. Certains nous disent que depuis le 7 octobre 2023 et les attaques terroristes du Hamas en Israël, c'est difficile d'en parler. En tout cas, il faut peut-être prendre certaines précautions. Vous confirmez ça ?

PATRICIA MIRALLES
Alors, moi, je me rends dans des classes parce que je trouve que c'est important. Mais ce que je dis aux jeunes, c'est : " L'histoire, la mémoire, vous devez la connaître. C'est la seule façon de ne pas la reproduire. Mais aujourd'hui, vous vivez au présent. Quel est l'avenir que vous souhaitez pour vous ? Quel est votre avenir ? Aidez-nous à nous dire ce que vous souhaitez. " Et quand ils sont les uns à côté des autres, je leur dit souvent : " Est-ce que vous savez qui est qui ? Est-ce que c'est un descendant ? Est-ce qu'il est juif ? Est-ce qu'il est musulman ? Est-ce qu'il est franco-marocain ? Est-ce qu'il est franco-algérien ? Est-ce qu'il est franco-allemand ? ". Parlez-vous et dites-vous : " Qu'est-ce que nous voulons pour demain ? "

ANTOINE COMTE
Alors ces commémorations, ces 80 ans de la libération du camp d'Auschwitz, elles interviennent alors que les actes antisémites en France n'ont jamais été aussi importants. Je vais vous donner un chiffre. Les juifs en France comptent moins de 1% de la population française. Les agressions antisémites représentent désormais 57% de l'ensemble des agressions racistes anti-religieuses. Ce sont les chiffres d'un récent rapport de la Direction nationale du renseignement territorial. On sent que ce devoir de mémoire, évidemment, est essentiel, mais que ce n'est pas suffisant quand on voit les actes antisémites qui se multiplient en France.

PATRICIA MIRALLES
Je crois qu'il ne faut jamais rien lâcher. Donc, on doit prendre encore plus notre part sur la mémoire, continuer à dire que ça a existé. Moi, je peux vous donner un témoignage. Je me suis rendue plusieurs fois à Auschwitz-Birkenau, avec Esther SENOT d'ailleurs, et une jeune fille à la fin d'un voyage, qui était d'une classe du 3, est venue voir Esther en lui disant, " Merci Madame, parce que plus jamais personne ne pourra me dire que ça n'a pas existé ". Et c'est ça en fait. Je pense qu'il y a aussi beaucoup de personnes qui font un peu n'importe quoi. Les réseaux sociaux n'aident pas, très clairement, et donc, on induit ces jeunes en erreur. C'est à nous de se saisir de ce problème et d'aller vers eux, vers la jeunesse, pour leur dire : " Attention, l'avenir, c'est le vôtre, qu'est-ce que vous souhaitez ? " Et donc ces actes antisémites doivent disparaissent.

ANTOINE COMTE
Patricia MIRALLES, sans transition, je voudrais qu'on parle du budget. Vous êtes membre aussi d'un Gouvernement qui ne tient peut-être qu'à un fil, en tout cas qui pourrait être censuré dans les prochaines semaines. Le texte qui est sorti du Sénat, le texte du budget 2025, qui a été voté la semaine dernière par les sénateurs, Amélie de MONTCHALIN, la ministre des Comptes publics, s'est exprimée sur le sujet. Elle dit que ce n'est pas un texte de compromis. Pourtant, le budget est compromis pour ne pas être censuré et que ce budget soit adopté.

PATRICIA MIRALLES
Écoutez, moi, je pense que c'est un texte de compromis. J'ai pris ma part puisque j'ai fait voter mon budget samedi dernier. J'ai cherché aussi à faire des économies qui ne généreraient pas des problématiques puisque je suis aussi un guichet payeur pour les anciens combattants.

ANTOINE COMTE
Des économies dans quel secteur, dans quel domaine ? Le budget 2025 sera impacté sur quoi ? Sur les anciens combattants, sur la mémoire ? A quel niveau ?

PATRICIA MIRALLES
Alors, je dirais, ni l'un, ni l'autre, mais sur des lignes budgétaires qui existaient et dont on ne se servait pas, puisque c'était pour les grands invalides de guerre. Et comme beaucoup sont déjà décédés, ça nous a permis de pouvoir être en solidarité au Gouvernement.

ANTOINE COMTE
Mais sur le reste, le budget est inchangé ?

PATRICIA MIRALLES
Le budget est inchangé et surtout celui des armées a été consolidé. Vous dire peut-être que moi, qui suis aussi une élue de terrain, ce que j'entends de la part des Français, c'est qu'ils sont las et donc, ils ont envie qu'on trouve une solution et que ce budget soit voté parce que c'est quand même douze milliards par mois que cela nous coûte.

ANTOINE COMTE
Juste un dernier petit mot rapide sur ce budget toujours. Le ministre de l'Économie, Monsieur LOMBARD, nous dit qu'il n'y aura pas de nouvelles taxes, de nouveaux impôts, notamment pour faire plaisir à la droite, mais les trente milliards d'économie, vous les trouvez où, du coup ?

PATRICIA MIRALLES
Regardez, chaque ministère a fait beaucoup d'efforts.

ANTOINE COMTE
Ce sera suffisant ?

PATRICIA MIRALLES
J'espère que ça va être suffisant.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci, Patricia MIRALLES. Merci d'avoir été avec nous.

PATRICIA MIRALLES
Merci.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci beaucoup Patricia MIRALLES.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 janvier 2025