Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité, ce matin, Jean-Noël BARROT, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Je suis très heureux de vous recevoir, Jean-Noël BARROT, parce que j'ai beaucoup de questions, bonjour,
JEAN-NOËL BARROT
Bonjour,
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et je vais commencer avec le Proche-Orient. Vous allez me dire si c'est vrai ou pas, vous étiez au téléphone, hier soir, avec votre homologue israélien et votre homologue américain. C'est vrai ?
JEAN-NOËL BARROT
C'est vrai.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est vrai, bien. Alors, j'ai envie d'avoir des nouvelles des deux otages franco-israéliens, Ofer KALDERON et Ohad YAHALOMI, sont-ils vivants ?
JEAN-NOËL BARROT
Ofer KALDERON et Ohad YAHALOMI, ça fait, maintenant, 15 mois qu'ils sont retenus dans l'enfer de la captivité à Gaza. Ça fait 15 mois qu'on se mobilise sans relâche pour leur libération. Avec le cessez-le-feu, on a l'espoir de les retrouver rapidement, mais nous ne savons pas quand ils sortiront ni s'ils sont en bonne santé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne savez pas s'ils sont vivants ou morts ?
JEAN-NOËL BARROT
Non, car les autorités israéliennes, elles-mêmes, ne le savent pas. Elles ont reçu des informations plus précises, hier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une liste ?
JEAN-NOËL BARROT
Une liste, mais qui ne fait pas apparaître les noms des personnes retenues en otage. Ça fait apparaître leur âge, leur sexe, mais pas leur nom. Et donc, c'est évidemment la question que je lui ai posée. Je lui ai posé la même question que vous, Jean-Jacques Bourdin. Dans quel état de santé se trouvent nos deux otages ? Quand sortiront-ils ? Et il ne pouvait pas répondre à ma question, et je lui ai demandé, comme je l'ai fait depuis si longtemps maintenant, de tout mettre en oeuvre pour qu'ils sortent le plus rapidement possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, je vous dis ça parce qu'il y a une liste de 33 otages, et sur cette liste, il y a 8 otages qui sont décédés. C'est la liste que possèdent les Israéliens, aujourd'hui.
JEAN-NOËL BARROT
Sur cette première liste, 26 sont encore retenus et devraient être libérés dans la première phase du cessez-le-feu, dont 8 sont décédés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on ne sait pas si les deux otages français sont parmi ces 8 ?
JEAN-NOËL BARROT
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On ne sait pas. Vous n'avez aucune nouvelle sur leur état de santé. Est-ce qu'Israël va retirer ses forces présentes au Liban ? Encore présentes au Liban ?
JEAN-NOËL BARROT
Au Liban, le 27 novembre dernier, nous avons obtenu, la France et les États-Unis, de haute lutte, un cessez-le-feu qui a mis fin à cette guerre au Liban qui durait plus d'un an, qui avait fait près de 4 000 morts, qui avait précipité des centaines de milliers de Libanais hors de chez eux pour fuir les combats. Ça a permis de stabiliser la situation, de mettre fin à la crise humanitaire. Ça a permis aussi d'enclencher une dynamique politique qui a vu l'élection, enfin, après deux ans d'attente d'un Président de la République qui a pu nommer un Premier ministre. Et nous sommes arrivés, hier, au 60e jour de ce cessez-le-feu. On s'était donné 60 jours pour aboutir à l'issue à un retrait des troupes israéliennes et à un désarmement du Hezbollah dans le sud du pays. Nous avons progressé vers cet objectif, nous ne l'avons pas tout à fait atteint. C'est pourquoi nous avons prolongé avec l'accord des Israéliens et des Libanais ce cessez-le-feu jusqu'au 18 février, de manière à ce que chacun prenne ses responsabilités, que l'armée israélienne se retire et que l'armée libanaise puisse poursuivre le désarmement du Hezbollah.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'armée israélienne a jusqu'au 18 février pour se retirer, c'est ce que je comprends.
JEAN-NOËL BARROT
Absolument. Cependant que l'armée libanaise doit poursuivre le désarmement complet du Hezbollah au sud de la rivière du Litani qui marque le sud du pays.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Noël BARROT, Donald TRUMP souhaite déplacer les Gazaouis vers l'Egypte et la Jordanie. Est-ce que la France s'y oppose ?
JEAN-NOËL BARROT
D'abord, je crois que ce n'est pas une proposition qui est tout à fait formalisée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il l'a dit à haute voix.
JEAN-NOËL BARROT
Je crois qu'ensuite, les partenaires, ou en tout cas les pays voisins, l'Egypte et la Jordanie, ont dit, depuis toujours, qu'ils étaient fermement opposés à une solution comme celle-là. Nous, ce que nous pensons, c'est que pour amener la stabilité et la paix au Proche-Orient, il faut une solution à deux Etats, avec un Etat de Palestine vivant à côté d'un Etat d'Israël en paix et en sécurité. Et la déportation, si je puis dire, des Palestiniens dans les pays voisins, ça me paraît incompatible avec cette solution.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Incompatible ? C'est du nettoyage ethnique ?
JEAN-NOËL BARROT
C'est une…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce du nettoyage ethnique ?
JEAN-NOËL BARROT
Je ne vais pas qualifier une déclaration pas tout à fait formalisée du président américain lorsqu'il s'exprimait, je ne sais plus tout à fait dans quel contexte, sur la situation au Proche-Orient.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Groenland, puisqu'on parle de Donald TRUMP, je voulais en parler. Le Groenland, pensez-vous que Donald TRUMP a l'intention d'annexer le Groenland ? Est-ce que vous le croyez ?
JEAN-NOËL BARROT
Ce que je pense, c'est que les frontières de l'Europe sont souveraines, et que l'on parle du nord de l'Europe, du sud, de l'est ou de l'ouest, personne ne peut s'autoriser à venir badiner avec les frontières, et nous l'avons dit clairement, et nous le réaffirmerons constamment. Ensuite, quel est le sujet au fond ? Le sujet au fond, c'est que l'Arctique est devenu un champ de conflictualité nouveau, et que, cependant que la Russie cherchait à obtenir le soutien de la Chine dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine, la Russie a aussi ouvert, en contrepartie, des voies d'accès à l'Arctique à son partenaire chinois. C'est ce qui inquiète, aujourd'hui, les Etats-Unis d'Amérique, c'est ce qui explique, d'ailleurs, qu'hier, le Danemark a annoncé renforcer de 2 milliards d'euros son dispositif de sécurité, son dispositif militaire dans la zone. Donc, autrement dit, le Danemark estime, lui aussi, que nous devons faire plus pour défendre l'Arctique contre les influences ou les ingérences étrangères, mais ça n'est en aucun cas une raison ou une excuse pour s'en prendre aux frontières souveraines de l'Union Européenne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Hier, je recevais la députée européenne que vous connaissez bien, Nathalie LOISEAU, qui m'a dit, à votre place, qui demandait l'envoi au Groenland d'un contingent de troupes européennes. Est-ce que vous y êtes favorable ?
JEAN-NOËL BARROT
Pourquoi pas, puisque nous avons, effectivement, une question de sécurité qui pose…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous en avez parlé avec les partenaires européens ?
JEAN-NOËL BARROT
On a commencé à en parler avec le Danemark, à ce stade, le Danemark souhaite…
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Union Européenne pourrait envoyer un contingent de troupes au Groenland ?
JEAN-NOËL BARROT
Non, parce qu'à ce stade, ce n'est pas le souhait exprimé par le Danemark.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est une possibilité ?
JEAN-NOËL BARROT
Ce que j'ai entendu hier, puisque j'étais à Bruxelles, c'est une très forte, je dirais, solidarité des pays européens avec le Danemark, qui était prête à réfléchir si la question se posait, mais du point de vue du Danemark…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes prête à y réfléchir ?
JEAN-NOËL BARROT
Elle ne se pose pas à ce stade, à une sécurisation de l'Arctique en général. Pourquoi pas si, effectivement, nos intérêts de sécurité sont en jeu ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si les Américains envahissaient militairement le Groenland…
JEAN-NOËL BARROT
Mais ça n'arrivera pas. On n'envahit pas un territoire de l'Union Européenne…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous croyez que ça n'arrivera pas ?
JEAN-NOËL BARROT
Non, je ne crois pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes certain que ça n'arrivera pas ?
JEAN-NOËL BARROT
Personne n'a intérêt à entrer en conflit, quel qu'il soit avec l'Union Européenne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et si ça arrivait, on ne va pas faire la politique des " Si ", néanmoins, c'est une hypothèse que vous envisagez.
JEAN-NOËL BARROT
Je ne fais pas de politique fiction, je vous l'ai dit. Les frontières de l'Union Européenne ne sont pas négociables.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi pas la possibilité d'envoyer des troupes ? Si je comprends bien.
JEAN-NOËL BARROT
Si le Danemark sollicite la solidarité des États membres de l'Union Européenne, la France, comme…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Répondra.
JEAN-NOËL BARROT
En tout cas, répondra présent. D'ailleurs, la Première ministre du Danemark a entamé une tournée européenne. Laissons-la faire cette tournée et exprimer aux dirigeants européens ce que sont les attentes du Danemark.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Puisque nous parlons de Donald TRUMP, parlons-en. Il veut augmenter les tarifs douaniers sur les produits venus d'Europe. Que lui répondez-vous ce matin ? Il y aura une réplique européenne s'il le fait ?
JEAN-NOËL BARROT
Je ne l'ai pas entendu exprimer ouvertement, depuis sa prise de fonction, l'idée d'appliquer des droits de douane. Et je pense que c'est une bonne chose. Pourquoi ? Parce que les États-Unis ont tout à perdre à entrer en guerre commerciale avec l'Union Européenne. Nous sommes leur principal partenaire commercial. Et s'il est vrai que les Américains achètent plus de produits européens que l'inverse, les Américains investissent plus en Europe que nous investissons aux États-Unis. Qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie qu'il y a, en Europe, de très nombreuses, en réalité, des dizaines de milliers d'entreprises américaines qui produisent sur notre sol. Que se passerait-il si Donald TRUMP appliquait des droits de douane ? Ce sont des entreprises américaines qui seraient les premières victimes. Donc évidemment, ce travail de conviction, nous allons le faire. Mais si ça ne suffit pas, nous passerons, si je puis dire, à la dissuasion en expliquant très clairement que, comme par le passé, lorsque, entre 2016 et 2020, des droits de douane ont été appliqués sur des secteurs européens, l'Europe répliquera.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Europe répliquera, s'il le faut. Elon MUSK, il veut rebaptiser la Manche en canal George Washington. Vous avez vu ça ?
JEAN-NOËL BARROT
Oui, je l'ai vu. Je me suis dit, spontanément, j'ai pris ça sur le ton de la blague, et je me suis dit qu'il aurait peut-être pu la baptiser le canal Lafayette. Ça me semblait un tout petit peu plus approprié, mais je ne veux pas donner trop d'importance à ce qui n'est qu'une blague sur Twitter.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et aux déclarations d'Elon MUSK.
JEAN-NOËL BARROT
Qui n'est pas membre formellement du Gouvernement américain.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui va être membre du Gouvernement.
JEAN-NOËL BARROT
Non, il va être à la co-direction d'une agence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Membre associé.
JEAN-NOËL BARROT
Il ne va pas être validé par le Sénat.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, il soutient l'AFD. Appelle à voter pour l'extrême-droite en Allemagne. Le meilleur espoir pour l'Allemagne, dit-il, en parlant de l'AFD. Ingérence, dangereux pour la démocratie ?
JEAN-NOËL BARROT
Soit c'est un coup de com pour faire le buzz sur les réseaux sociaux, et en particulier le sien. Et alors, c'est extrêmement regrettable. Soit c'est une alliance délibérée, choisie par le Sénat.
(…)
JEAN-NOËL BARROT
Et le deuxième point, c'est que nous verrons les résultats de ses…
JEAN-JACQUES BOURDIN
La Colombie, elle n'a pas tenue sa guerre commerciale.
JEAN-NOËL BARROT
Si. Dès que Donald TRUMP ou que les Etats-Unis a affiché des droits de douane, la Colombie a répliqué immédiatement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais la Colombie accepte les migrants, aujourd'hui.
JEAN-NOËL BARROT
Ça, c'est ce que nous verrons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est ce que nous verrons ? Bon, d'accord. La question migratoire, doit-elle devenir un levier diplomatique ?
JEAN-NOËL BARROT
Je crois que nous avons, avec la question de la maîtrise de l'immigration irrégulière, une préoccupation des Français à laquelle, nous devons être à la hauteur. Pour maîtriser l'immigration irrégulière, il y a un certain nombre de choses que nous devons faire ici, en France, pour améliorer la situation. Et puis, il y a, effectivement, la relation avec les pays d'origine sur lesquels nous devons travailler. Et pour cela, il y a deux règles importantes, à mon avis. La première, c'est de travailler autant que nous pouvons le faire au niveau européen, puisqu'on l'a vu lorsque certains pays ont initié des démarches tout seuls. Cela n'a, en général, pas très bien marché, parce que les flux d'immigration illégale se sont portés sur d'autres routes. Et la deuxième règle, c'est qu'il n'y a pas de baguette magique, il n'y a pas de solution unique, il n'y a pas de recette miracle. C'est pourquoi, il faut activer tous les leviers dont nous disposons pour notre politique étrangère. Quels sont-ils ? Il y a la politique de l'aide au développement, il y a la politique des visas, il y a aussi la politique commerciale, vous m'en parliez, avec notre APC. En mettant en cohérence l'ensemble de nos instruments, et en travaillant autant que nous pouvons le faire avec nos pays européens, nous parviendrons à mieux maîtriser les flux d'immigration illégale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est ainsi que nous allons faire pression, c'est ce que disait, hier soir, le Premier ministre, sur l'Algérie. Les relations franco-algériennes. Bruno RETAILLEAU souhaite que l'accord franco-algérien de 1968 soit dénoncé. Vous aussi ?
JEAN-NOËL BARROT
L'accord franco-algérien de 1968 a été modifié à plusieurs reprises. Il est favorable pour certains ressortissants algériens, défavorable pour d'autres. Ce n'est, là encore, pas la recette magique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous n'êtes pas d'accord avec Bruno RETAILLEAU ?
JEAN-NOËL BARROT
Je dis qu'il faut regarder l'ensemble des leviers dont nous disposons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sera-t-il dénoncé, oui ou non ?
JEAN-NOËL BARROT
Je ne pense pas que ça résoudra le problème, et surtout pas, certainement pas, le problème de notre compatriote Boualem SANSAL.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'allais y venir. Il ne sera pas dénoncé, donc ?
JEAN-NOËL BARROT
Ah ça, je ne peux pas vous le promettre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour l'instant, il ne sera pas dénoncé. C'est ce que demande le ministre de l'Intérieur.
JEAN-NOËL BARROT
Ce que demande le ministre de l'Intérieur, c'est la libération de Boualem SANSAL, c'est la position de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais il demande aussi la dénonciation de ses accords.
JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, la coopération avec l'Algérie, sur le seul plan de la maîtrise de l'immigration irrégulière, s'est plutôt améliorée, ces dernières années. Dans les trois années qui viennent de s'écouler, nous avons atteint des chiffres de reconduite à la frontière, d'expulsion, que nous n'avions pas connus depuis bien longtemps. C'est donc dans les trois dernières années, qui viennent de s'écouler, qu'il faut chercher les bonnes méthodes pour aboutir à ces résultats.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faut organiser des pressions, disait, hier soir, François BAYROU, sur les OQTF, sur la reconduite.
JEAN-NOËL BARROT
Ce que disait François BAYROU, c'est que nous avons besoin, à la fois, de régler le problème de l'immigration irrégulière, et en particulier de la reconduite à la frontière, mais qu'il faut également améliorer la manière dont nous intégrons les étrangers qui entrent sur le territoire national pour y travailler, en les intégrant mieux, parce que nous en avons besoin dans un certain nombre de secteurs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous avez des nouvelles de Boualem SANSAL ?
JEAN-NOËL BARROT
Boualem SANSAL a quitté l'hôpital, il y a quelques jours et est rentré en détention dans la prison où il est détenu, dans les environs d'Alger. Ce que nous espérons, c'est qu'une décision puisse être rendue le plus rapidement possible par la justice algérienne, et nous restons extrêmement préoccupés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nous espérons qu'une décision sera rendue, vous vous êtes convenus mais est-ce que vous avez des nouvelles de sa santé ?
JEAN-NOËL BARROT
Il a été soigné à l'hôpital, il est malade, donc je suis très préoccupé par sa santé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que le Gouvernement algérien vous donne des nouvelles ? Comment ça se passe ?
JEAN-NOËL BARROT
Il est en contact avec son épouse, qui le voit une fois par semaine, épouse avec laquelle nous sommes en contact, ainsi qu'avec ses avocats, et c'est ainsi que nous avons ces nouvelles, parce que nous avons demandé à pouvoir exercer ce qu'on appelle la protection consulaire, puisque Boualem SANSAL est franco-algérien, c'est-à-dire que nos représentants sur place puissent lui rendre visite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous l'avez obtenu ?
JEAN-NOËL BARROT
Cette protection n'a pas été obtenue à ce stade.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Toujours pas ? L'Algérie n'a pas répondu à vos demandes ?
JEAN-NOËL BARROT
L'Algérie n'a pas répondu à la demande de protection consulaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez vous rendre en Algérie ?
JEAN-NOËL BARROT
J'ai dit que j'y étais prêt, le moment venu, pour reprendre l'ensemble des sujets et des dimensions de notre relation, que je souhaite voir s'apaiser, parce que c'est la seule manière de rendre service au peuple algérien et au peuple français.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Noël BARROT, je voudrais parler de l'Ukraine maintenant. Pourquoi l'Ukraine ? Parce que Donald TRUMP et Vladimir POUTINE disent vouloir engager un dialogue l'un à l'autre, mais enfin, pour l'instant, on ne voit rien du tout. Rien venir. J'ai entendu les Russes dire : " Non, on n'a aucun signe venu de Washington ", et puis Donald TRUMP qui, lui, laisse entendre qu'il y aurait négociation. Il n'y a aucune négociation. Pendant ce temps-là, Volodymyr ZELENSKY, lui, demande quoi ? Il demande une force internationale positionnée, pas très loin du front. Il demande 200 000 soldats. Est-ce que la France est favorable à cette installation de troupes internationales en Ukraine ?
JEAN-NOËL BARROT
Je vais qualifier légèrement les propos que vous avez tenus sur la description de la position de la Russie et des États-Unis. Qu'a dit Donald TRUMP cette semaine ? Il a été très clair, Donald TRUMP. Il a dit : " Soit Vladimir POUTINE cesse le combat, soit je vais appliquer, sur lui, une pression folle, des droits de douane, des sanctions, je vais asphyxier son économie ". Bon, ça me paraissait clair. Quant à POUTINE, effectivement, jusqu'à présent, après ses premières déclarations de Donald TRUMP, entrer dans le bureau ovale, il n'a donné aucun signe de sa volonté d'entrer dans des négociations de paix. Donc, voilà où nous en sommes. Je pense que les déclarations de Donald TRUMP, qu'il faut prendre quand même relativement au sérieux, vont possiblement faire bouger Vladimir POUTINE. Quant aux Ukrainiens et aux Européens, c'est leur avenir qui est en jeu, c'est leur sécurité qui est en jeu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous êtes favorable à l'installation d'une telle force en Ukraine ? Force d'interposition, en quelque sorte ?
JEAN-NOËL BARROT
Aujourd'hui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
200 000 hommes.
JEAN-NOËL BARROT
Aujourd'hui, notre priorité, c'est de permettre aux Ukrainiens, dans cette négociation qui pourrait s'ouvrir à un moment ou à un autre, d'y entrer dans les meilleures conditions possibles, en position de force. Comment est-ce qu'on fait ça ? Eh bien, on continue à les soutenir financièrement. Comment on fait ? Eh bien, on a prélevé les intérêts des actifs russes qui sont gelés en Europe, et on leur renvoie. Cette année, ça va être un milliard d'euros par mois qui vont arriver en Ukraine grâce à ce prélèvement sur les actifs russes gelés. On va continuer à leur envoyer du maternel. Les MIRAGE français voleront prochainement dans le ciel ukrainien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Prochainement, c'est-à-dire ?
JEAN-NOËL BARROT
À la fin du trimestre, c'est ce qui a été annoncé par le Président de la République, le ministre des Armées. Et puis, on va continuer à les sanctionner. Vous voyez, hier, j'étais à Bruxelles, et nous avons sanctionné trois russes, trois citoyens russes qui se sont rendus coupables de cyberattaques contre les Estoniens. Et nous travaillons sur un 16ème paquet de sanctions à l'encontre de l'Ukraine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'on peut imaginer une force d'interposition européenne installée en Ukraine ?
JEAN-NOËL BARROT
Ce que l'on doit se préparer à faire, c'est de participer pleinement, et je parle de la France, mais aussi de l'Europe, et d'une certaine manière des États-Unis, à la garantie de cette paix, une fois qu'elle sera trouvée. Ne pensons pas qu'une fois que la paix aura été trouvée, nous reviendrons dans le monde d'avant. Dans le monde d'avant, le 24 février 2022, avant la guerre d'agression russe. Pourquoi ? Parce que la menace a complètement changé de dimension.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, il est nécessaire d'installer une force d'interposition ?
JEAN-NOËL BARROT
Il sera nécessaire de faire plus pour assurer, dans un premier temps, cette paix. Puisque rappelez-vous, la paix, on l'a conclue plusieurs fois entre l'Ukraine et la Russie. Mais à chaque fois, la Russie allait plus loin. Donc, il y aura des garanties à apporter.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et la France pourrait envoyer des soldats en Ukraine pour garantir cette paix.
JEAN-NOËL BARROT
Et ensuite, à plus long terme, nous devrons faire beaucoup plus pour assurer notre propre défense. Puisque, je l'ai dit, cette menace, qui auparavant nous paraissait un peu lointaine et diffuse, désormais, est très proche de nous. La ligne de front s'est rapprochée de nous, et donc nous aurons à faire des choix très difficiles. Parce que si nous devons passer de 2% du PIB, nous avons doublé le budget des armées. Si nous devons aller plus loin, il faudra nous en donner les moyens. Ce seront ce type de choix difficiles que nous aurons à faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et donc, pourquoi pas une force européenne d'interposition, à laquelle participerait la France ?
JEAN-NOËL BARROT
Je vous l'ai dit, aujourd'hui, la question, c'est de renforcer la main de l'Ukraine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, nous verrons, mais c'est une possibilité. Le Congo, je voulais en parler. Est-ce que la ville de Goma est tombée ?
JEAN-NOËL BARROT
La ville de Goma est plongée dans une guerre de très haute intensité, qui est menée par le M23, un mouvement rebelle, qui est soutenu par les forces armées rwandaises, et que nous avons appelé à cesser le feu immédiatement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que la ville est tombée ?
JEAN-NOËL BARROT
La ville est en très grande difficulté, et si elle n'est pas tombée cette nuit, elle tombera, sans doute, dans les prochaines heures. Et c'est pourquoi, nous nous sommes mobilisés, le Président de la République, tout le week-end, s'est entretenu avec les dirigeants des deux pays, mais aussi avec un certain nombre de médiateurs dans la région. Nous avons au Conseil de Sécurité des Nations Unies, il faut le rappeler, la plume, qu'est-ce que ça veut dire ? C'est que sur ce conflit des grands lacs, qui est la région du Rwanda, c'est la France qui agit au Conseil de Sécurité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Congo, démocratique du Congo, c'est une région très riche, qui est convoitée, évidemment, par les rebelles et par les Rwandais.
JEAN-NOËL BARROT
Vous connaissez très bien votre géographie africaine, Jean-Jacques BOURDIN, mais c'est important de le rappeler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui, bien sûr.
JEAN-NOËL BARROT
Vous avez le lac Kivu, et de part et d'autre, le Rwanda, et la République démocratique du Congo, qui sont en conflit depuis un certain nombre d'années, qui étaient à deux doigts, il y a encore quelques semaines, de trouver une résolution, sous une médiation qui était menée par l'Angola, avec le désarmement des milices, et avec, je dirais, le retrait des forces armées rwandaises de la République démocratique du Congo. Mais nous assistons, là, à une escalade, qui non seulement a mis fin à cette médiation, qui était prometteuse, mais qui, en plus, menace d'entraîner cette région, une nouvelle fois, dans un conflit ouvert, dans une guerre ouverte entre ces deux pays. Et c'est pourquoi, il faut que le Rwanda, aujourd'hui, baisse les armes, et il faut que le calme revienne, et que le dialogue puisse reprendre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, j'ai une dernière question, à propos de trois otages français en Iran. Où est-ce qu'on en est ? Cécile KOHLER, Jacques PARIS, Olivier GRONDEAU.
JEAN-NOËL BARROT
Je vais vous dire, Jean-Jacques Bourdin, comme pour Boualem SANSAL, le sort de ces trois otages, Cécile KOHLER, Jacques PARIS, Olivier GRONDEAU, c'est, sans doute, ce qui, pour un ministre des Affaires étrangères, est le dossier qui vous empêche de dormir la nuit. Cécile KOHLER, on va atteindre dans quelques jours le millième jour de sa détention arbitraire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle est détenue dans une cellule de 9 mètres carrés.
JEAN-NOËL BARROT
Et depuis un an, elle n'a pas pu recevoir de visite de notre consulat sur place. C'est pourquoi, après avoir adressé, à de très nombreuses reprises, au niveau du Président de la République, à mon niveau, des messages aux autorités iraniennes, nous avons durci notre posture vis-à-vis de l'Iran. Nous avons qualifié les conditions de détention de nos otages comme étant assimilables à de la torture en droit international. Nous avons appelé nos ressortissants à ne plus se rendre sur place. Nous avons convoqué l'ambassadeur d'Iran en France et j'ai, hier, à Bruxelles, appelé l'Union Européenne à prendre des sanctions, gel d'avoir, interdiction de circulation, contre les responsables de cette détention arbitraire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Jean-Noël BARROT, d'être venu nous voir ce matin sur l'antenne de Sud Radio.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 janvier 2025