Texte intégral
SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Benjamin HADDAD,
BENJAMIN HADDAD
Bonjour,
JEROME CHAPUIS
Bonjour,
SALHIA BRAKHLIA
Il parlait de Mayotte. C'est ainsi que François BAYROU s'est justifié devant les députés après avoir parlé de submersion migratoire en France lors d'une interview, le Parti Socialiste, pas convaincu par les explications du Premier ministre, a donc, décidé de suspendre toutes les réunions prévues avec le Gouvernement sur le budget. Vous les comprenez ?
BENJAMIN HADDAD
Le Premier ministre, François BAYROU, il a eu des termes forts pour parler du sentiment des Français vis-à-vis de l'immigration, mais qui peut lui donner tort ? Fondamentalement, quand vous parlez à des Français, mais de toutes les sensibilités politiques, les sondages le montrent de gauche comme de droite, aujourd'hui, il y a une demande très claire de maîtrise des flux migratoires. Et c'est ce que nous avons porté, nous d'ailleurs, avec la loi, à l'époque, avec Gérald DARMANIN, qui était de dire, " Si vous venez en France pour travailler, que vous respectez les règles, que vous parlez la langue et que vous intégrez, vous êtes le bienvenu dans notre pays, mais si vous êtes débouté d'asile, si vous ne vous intégrez pas, si vous ne respectez pas les règles, ou qu'à fortiori vous êtes un délinquant, vous avez vocation à partir ".
SALHIA BRAKHLIA
Mais le choix des mots est important, Benjamin HADDAD. Parler de submersion migratoire. La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël BRAUN-PIVET, elle-même a indiqué qu'elle n'aurait jamais tenu ses propos. " Et ses propos me gêne ", dit-elle. Clairement, est-ce qu'il a commis une faute, François BAYROU.
BENJAMIN HADDAD
Non, le Premier ministre, il a parlé clairement, il a dit les choses franchement.
SALHIA BRAKHLIA
Submersion migratoire, ça vient de l'extrême-droite.
BENJAMIN HADDAD
Il a parlé d'un sentiment, il a parlé, effectivement, du ressenti et de l'exigence qui est formulée par les Français de maîtriser l'immigration. Et c'est effectivement, au coeur de l'action du Gouvernement, c'est au coeur de l'action que nous menons aussi au niveau européen. J'ai rencontré, hier, le commissaire européen BRUNNER à Bruxelles, qui travaille sur ces questions migratoires, avec le ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU, pour mettre en oeuvre, le plus rapidement possible, le pacte d'asile-migration que nous avions voté récemment, qui permettra une première sélection des demandeurs d'asile aux frontières de l'Union européenne, la révision de la directive retour, qui permettra d'expulser plus rapidement, plus facilement, et de renforcer les outils externes de la politique étrangère européenne, les visas, l'aide au développement, les accords commerciaux, pour pouvoir maîtriser l'immigration. C'est une exigence qui est partagée, d'ailleurs, non seulement au-delà de la France, mais je le vois partout en Europe, de la Lituanie à l'Italie, en passant par l'Allemagne, il y a cette exigence, parce que sinon, fondamentalement, si on n'est pas capable de dire les choses clairement, et surtout d'obtenir des résultats, les gens se tourneront vers des mouvements populistes.
JEROME CHAPUIS
Au-delà du fond, Salhia le rappelait, le PS a suspendu les discussions qui sont très importantes pour l'avenir du Gouvernement auquel vous appartenez. Est-ce qu'il est imaginable, selon vous, que le Gouvernement tombe par la faute de ce mot " Submersion " utilisé par le Premier ministre ?
BENJAMIN HADDAD
Notre pays, aujourd'hui, a besoin d'unité, il a besoin de stabilité, il a besoin d'un budget, on a besoin d'une trajectoire économique pour réduire les déficits, pour payer nos services publics, et pardon, je sais qu'on va parler de sujets européens, internationaux, après, quand vous voyez autour de nous la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, les menaces de Donald TRUMP, les turbulences géopolitiques, sur tous ces sujets, est-ce que vous croyez vraiment qu'on peut se permettre plus de divisions, qu'on peut se permettre de passer plus de temps sur le budget ? Donc, chacun doit faire preuve de responsabilité. Je constate, je voudrais quand même le dire, que les socialistes, depuis le début, ont été dans une logique constructive. Le Gouvernement, aussi, a fait des concessions, des compromis dans cette logique de dialogue avec le ministre de l'économie, et bien, restons dans cette logique de compromis, avançons ensemble avec les socialistes, avec tous ceux qui veulent faire preuve de responsabilité pour donner un budget à ce pays et donner de la stabilité.
SALHIA BRAKHLIA
Juste pour terminer sur ce sujet, parce que le mot de submersion migratoire n'est pas anodin. Vous savez qu'il a une origine d'extrême droite, c'est l'extrême droite, Jean-Marie LE PEN, en particulier, qu'il utilisait souvent, qu'il a une connotation xénophobe, et que les chiffres, eux-mêmes, ne parlent pas de submersion. 5,6 millions d'étrangers en France, c'est un raz-de-marée pour vous ?
BENJAMIN HADDAD
Vous savez, moi…
SALHIA BRAKHLIA
C'est une submersion, sur 66 millions d'habitants ?
BENJAMIN HADDAD
Fondamentalement, les gens n'en peuvent plus qu'on disqualifie toute forme de débat sur l'immigration en disant que c'est l'extrême-droite, parce que ça, la seule conséquence de ça, c'est de faire monter l'extrême droite. C'est que les gens disent qu'à ce moment-là, il n'y a qu'un seul parti qui va parler d'immigration. Donc, moi, je vous le dis, on a des valeurs très claires, on a un cadre européen, on a des valeurs qui sont, si vous venez pour vous intégrer, vous êtes le bienvenu. Ce n'est pas la fermeture des frontières, ce n'est pas l'immigration, c'est encore moins la xénophobie. Si vous n'avez pas vocation à rester, on se donne les moyens de vous faire partir, on fait respecter nos règles de façon démocratique, mais on ne refuse pas le débat, et surtout, on ne refuse pas de respecter et d'écouter les Français qui nous demandent de minimiser l'immigration.
JEROME CHAPUIS
Benjamin HADDAD, vous partez, tout à l'heure, aux Etats-Unis, dans ce contexte particulier de la prise de fonction de Donald TRUMP, qui a confirmé aux autorités danoises qu'il voulait annexer le Groenland. Il se trouve que la Première ministre danoise était, hier, à Paris. Le Financial Times parle d'une conversation téléphonique très tendue entre la cheffe du Gouvernement danois et Donald TRUMP au sujet du Groenland, territoire sur lequel le Danemark exerce sa souveraineté. Est-ce que vous avez confirmation, vous d'abord, de ces discussions tendues entre le Danemark et les Etats-Unis sur ce sujet ?
BENJAMIN HADDAD
Ce que je peux vous dire, c'est que vous l'avez rappelé, la première ministre danoise, Mette FREDERIKSEN, était, hier à Paris. Elle se rendra aussi, aujourd'hui, à Berlin. Elle a rencontré le président de la République, avec qui, elle a beaucoup échangé, ces derniers jours, et la France a rappelé, de façon très claire, sa solidarité et son soutien…
JEROME CHAPUIS
Sa solidarité, ça peut aller jusqu'où ?
BENJAMIN HADDAD
Je voudrais, quand même, rappeler, déjà, les principes. Nous sommes en Europe, nous avons des frontières intangibles, et personne ne peut venir remettre en question les frontières d'un État souverain de l'Union Européenne. Si, d'aventure, le Danemark se retrouvait sous pression économique, on a déjà vécu un des épisodes comme cela, par exemple, lorsque la Lituanie avait été mise sous pression économique par la Chine, il y a quelques années, l'Union Européenne a des instruments aussi de rétorsion commerciale. Nous parlerons, sans doute, de la question des tarifs et des relations commerciales, plus généralement, entre les Etats-Unis et l'Europe. Tout à l'heure, l'Europe est capable d'assumer…
JEROME CHAPUIS
Donc le levier face à Donald TRUMP sur le Groenland, c'est d'abord un levier économique.
BENJAMIN HADDAD
Et après, ce que nous avons dit aux Danois, c'est à eux de nous dire aussi ce qu'ils souhaitent, la façon dont ils veulent travailler avec nous. L'Arctique, aujourd'hui, dans lequel se trouve le Groenland, est devenu une zone de conflictualité géopolitique, est devenu une zone de rivalité. On y voit des ingérences de la Russie, de la Chine, c'est ce que soulignent les Etats-Unis, même, d'ailleurs, avant l'arrivée de Donald TRUMP. Donc les Danois ont aussi proposé de renforcer leur présence militaire, vous avez vu que là…
JEROME CHAPUIS
Mais l'Europe en a les moyens, les Danois en ont les moyens, pas tout seuls ?
BENJAMIN HADDAD
De renforcer sa présence militaire, précisément, pour lutter contre les ingérences de la Russie et la Chine, parce que nous sommes dans une zone…
JEROME CHAPUIS
Mais vous savez bien que Danemark n'a pas les moyens militaires de défendre ce territoire. Ça implique donc la question que je vous posais, la solidarité française, elle va jusqu'où ? Est-ce qu'elle va jusqu'à un éventuel engagement militaire ?
BENJAMIN HADDAD
Alors moi, je ne vais pas commencer à spéculer sur des scénarios, alors que pour l'instant, il ne s'est rien passé. Ce que je vous dis simplement, c'est que la Première ministre est venue et après, c'est aux Danois, aussi, de dire ce qu'ils attendent, la façon dont ils veulent travailler avec les Européens aussi, pour sécuriser cette région face à ces ingérences de la Russie et de la Chine, sur cet échange qu'ils ont avec les Américains. Mais une fois de plus, remettre en question les frontières d'un État souverain européen au XXIème siècle, c'est inacceptable, quelle que soit la source de cette remise en question. Et là-dessus, nous sommes extrêmement clairs sur ces principes.
SALHIA BRAKHLIA
Sauf que Benjamin HADDAD, pour être précis, le Groenland était une colonie administrée par le Danemark depuis trois siècles. Aujourd'hui, c'est un territoire d'outre-mer du Danemark. Mais en théorie, les Groenlandais peuvent demander leur indépendance à tout moment. Donc là, TRUMP, en fait, il n'est pas en train de faire juste de la politique, essayer de convaincre les Groenlandais de rejoindre les États-Unis.
BENJAMIN HADDAD
Mais les affaires internes du Danemark, c'est un autre sujet. Mais, fondamentalement, quand vous avez un dirigeant étranger qui commence à parler de menaces économiques, de sanctions, voire plus, effectivement, là, on n'est pas dans un dialogue politique entre alliés. On est dans ce qui relève de l'intimidation, de la pression et de la remise en cause, encore une fois, de la souveraineté de l'Europe. Et c'est pour ça que nous devons être extrêmement clairs sur ces principes et que nous affichons cette solidarité avec le Danemark. J'ai moi-même, d'ailleurs, rencontré hier, à Bruxelles, mon homologue danois pour lui rappeler en des termes très clairs.
JEROME CHAPUIS
Donald TRUMP a l'intention de mettre fin à la guerre en Ukraine. Vladimir POUTINE dit, hier soir, que les négociations sont possibles, mais pas avec le président ukrainien Volodymyr ZELENSKY. Est-ce que cette condition, du point de vue de la France, est acceptable ?
BENJAMIN HADDAD
Non, mais tout simplement parce que quand on négocie, on doit négocier avec les Ukrainiens autour de la table, puisque c'est de la sécurité de l'Ukraine dont on parle, et avec les Européens autour de la table, puisque c'est de la sécurité de l'Europe dont on parle. Et j'ai entendu cette déclaration, mais ce que je vois surtout sur le terrain, c'est que le seul pays, aujourd'hui, qui a une attitude escalatoire, c'est la Russie. C'est la Russie qui a amené des troupes nord-coréennes sur le continent européen. Il faut voir, quand même, le changement de paradigme que ça représente. C'est la Russie qui continue à utiliser des missiles balistiques, des missiles et des drones iraniens sur le continent européen contre les infrastructures, contre les militaires ou les civils ukrainiens.
SALHIA BRAKHLIA
On est d'accord, mais quand POUTINE dit " Moi je veux bien négocier, mais sans ZELENSKY, et que TRUMP dit moi je veux rencontrer POUTINE, les Européens ils sont out.
BENJAMIN HADDAD
Alors non, au contraire déjà, je voudrais quand même rappeler que c'est, par exemple, le Président de la République qui a organisé la rencontre entre le Président TRUMP et le Président ZELENSKY à Paris, en marge de la cérémonie de Notre-Dame. Et ce qu'a dit là le Président TRUMP est intéressant, parce qu'il a dit : " Je vais mettre une pression maximale sur la Russie, y compris par des sanctions et la suite des livraisons d'armes à l'Ukraine ". Et donc, on voit bien, aujourd'hui, que la seule façon d'aboutir à une négociation que nous souhaitons, que les Ukrainiens souhaitent, la seule façon d'aboutir à une négociation, c'est d'assumer un rapport de force, de mettre les Ukrainiens dans la meilleure situation de négociation possible sur le terrain, pour créer les conditions de cette négociation.
SALHIA BRAKHLIA
Donc nous on n'est pas hors-jeu, on a notre mot à dire, vous pensez qu'on a notre mot à dire ?
BENJAMIN HADDAD
Non seulement on a notre mot à dire parce qu'en plus on soutient l'Ukraine, là, on vient, par exemple, de finaliser un accord avec le G7 qui est financé sur les intérêts générés par les avoirs gelés de la Russie pour continuer les livraisons d'armes, pour continuer le soutien militaire et économique à l'Ukraine, et parce que c'est la sécurité de l'Europe, donc, les Européens seront, en plus, impliqués à long terme dans les garanties de sécurité, dans la dissuasion de la Russie, parce qu'il faudra aussi se poser la question de la façon d'empêcher une nouvelle agression, d'empêcher une guerre future. Mais je voudrais souligner, encore une fois, le rôle particulier qu'a joué le président de la République et la France dans le dialogue entre les États-Unis et l'Ukraine, et ce que nous disons depuis le début, c'est si vous voulez des négociations, il faut mettre les Ukrainiens dans la meilleure position possible sur le terrain, il faut renforcer leurs mains. C'est exactement ce qu'a dit le président TRUMP, donc on n'est pas aujourd'hui…
JEROME CHAPUIS
C'est ce qu'il a dit, mais pour le moment on l'a plus entendu et on l'a plus vu agir contre le Mexique, contre l'Europe, contre la Chine, notamment sur les droits de douane que sur la Russie.
BENJAMIN HADDAD
Initialement, pendant la campagne, on a beaucoup entendu dire qu'il pouvait y avoir des solutions simples et rapides à la guerre en Ukraine, que ça pouvait s'arrêter en 24 heures. Ce qu'on voit, c'est qu'encore une fois, il n'y a pas de solution simple et rapide, que ça demande de continuer de soutenir l'Ukraine pour les mettre dans une position de négociation, de continuer la pression. Lundi, au Conseil européen, de nouvelles sanctions contre la Russie par les Européens ont été adoptées. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons créer les conditions d'une négociation équitable qui prendra en considération les intérêts de sécurité légitime, bien sûr, de l'Ukraine.
JEROME CHAPUIS
Benjamin HADDAD, ministre délégué en charge de l'Europe, est avec nous jusqu'à 9h sur France Info. On laisse passer le Fil Info à 8h44.
(…)
SALHIA BRAKHLIA
Toujours avec le ministre chargé de l'Europe, Benjamin HADDAD, le français, le plus riche du monde, Bernard ARNAULT, a pris la parole, hier, lors de la présentation des résultats de LVMH. Celui qui était invité à la cérémonie d'investiture de Donald TRUMP a émis des critiques sur la France et le potentiel budget à venir. Écoutez.
BERNARD ARNAULT, PDG DE LVMH
Quand on vient en France et qu'on voit qu'on s'apprête à augmenter les impôts de 40% sur les entreprises qui fabriquent en France, c'est quand même à peine croyable. Donc, on va taxer le Made in France, c'est pour refroidir les énergies, on fait difficilement mieux. Pour pousser à la délocalisation, c'est idéal. Alors, je ne sais pas si c'est vraiment l'objectif du Gouvernement, mais en tout cas, il va l'atteindre. C'est ce que je dis, s'il arrive au bout de ses plans.
SALHIA BRAKHLIA
Dans le même discours, il oppose le modèle américain, beaucoup plus efficace selon lui. Comment vous réagissez ?
BENJAMIN HADDAD
La réponse simpliste et démago, ce serait de critiquer. Mais quand vous avez un grand entrepreneur qui exprime ce genre d'inquiétude, il faut respecter et écouter. Alors, on a besoin de faire passer un budget, on a besoin de réduire nos déficits, on a besoin de réduire la dépense publique et de donner cette trajectoire à la France.
JÉRÔME CHAPUIS
Pardon, mais c'est une inquiétude ou c'est une menace ou une manière de chercher à peser sur le budget qui est en discussion ?
BENJAMIN HADDAD
Mais vous savez, ce que dit Bernard ARNAULT, on l'entend de beaucoup de patrons de PME, on l'entend de beaucoup de chefs d'entreprise. Je porte avec plusieurs collègues du Gouvernement la simplification des textes réglementaires européens aussi. On en parlera peut-être tout à l'heure, parce qu'on s'est donné des objectifs environnementaux ambitieux qu'il faut tenir, mais avec énormément de contraintes réglementaires et normatives au niveau européen, non mais sur tous ces sujets…
SALHIA BRAKHLIA
Bernard ARNAULT parle de délocalisation, vous entendez quand même ça ?
BENJAMIN HADDAD
Bien sûr, mais c'est pour ça que ces sept dernières années en France, nous avons donné une trajectoire fiscale lisible avec des baisses d'impôts, avec le retour de l'attractivité. La France est, pour la cinquième année consécutive, le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements étrangers. Nous devons réduire nos déficits, mais continuons sur cette dynamique de réforme, continuons sur cette dynamique de stabilité fiscale pour continuer à faire venir des entreprises.
SALHIA BRAKHLIA
Donc ça veut dire ne pas davantage taxer les entreprises ?
BENJAMIN HADDAD
Mais nous devons aussi…
SALHIA BRAKHLIA
Ce n'est pas ce que dit François BAYROU.
BENJAMIN HADDAD
Non, mais François BAYROU a raison, parce qu'encore une fois, il tient un discours de vérité qui est de dire que nous devons réduire les dépenses et réduire les déficits. Et donc ça passera par cet équilibre. Donc, il faut trouver cet équilibre parce que la meilleure façon, aussi, de conserver notre souveraineté, de rassurer les entreprises sur le long terme, c'est d'avoir cette trajectoire lisible sur la réduction des déficits et la réduction de la dette. Donc, c'est cet équilibre que nous allons trouver, mais il faut le faire, effectivement, en écoutant la parole de ceux qui investissent, en écoutant ceux qui créent des emplois et ceux qui créent de la valeur ajoutée dans notre pays. Et c'est ce que nous faisons aussi au niveau européen.
JÉRÔME CHAPUIS
Précisément, en Europe, ceux qui créent des emplois, notamment dans l'industrie, ils sont inquiets. Aujourd'hui, la présidente de la Commission, Ursula von der LEYEN, doit présenter sa feuille de route notamment pour l'industrie aujourd'hui. Et on marche parfois un peu sur la tête, disent les industriels, notamment pour éviter des amendes dans le cadre du Green Deal. STELLANTIS, qui est notamment un constructeur français, puisque c'est PSA PEUGEOT CITROËN, mais aussi TOYOTA et FORD ont préféré acheter des quotas d'émissions à leurs concurrents américains, TESLA, pour un montant d'un milliard d'euros. Et pour eux, ça veut dire que quand l'Amérique de TRUMP et la Chine subventionnent leurs industries, eux, ils sont forcés par la législation européenne à subventionner en quelque sorte leurs principales concurrents. Qu'est-ce qu'on fait ?
BENJAMIN HADDAD
Alors, ça, c'est le sujet que vous venez de mentionner. Le fait qu'on a des constructeurs automobiles français, européens, qui, pour ne pas avoir à payer d'amende pour la trajectoire de décarbonation, vont devoir acheter des bons d'émissions à BYD en Chine ou à TESLA aux États-Unis. On se retrouve dans une situation où nos constructeurs automobiles subventionnent nos concurrents, donc on leur demande d'aller dans la concurrence internationale avec les mains ligotées derrière le dos et un boulet au pied.
JÉRÔME CHAPUIS
Il faut suspendre ces amendes ?
BENJAMIN HADDAD
Oui, il faut suspendre ces amendes. C'est ce que nous avons demandé avec mes collègues Marc FERRACCI, à l'industrie, Agnès PANNIER-RUNACHER, à l'Environnement et à la Commission européenne. J'étais hier auprès de la Commission européenne pour porter ce message.
JÉRÔME CHAPUIS
Vous allez être entendu ?
BENJAMIN HADDAD
Cette préoccupation, elle est partagée aujourd'hui par beaucoup d'Européens. Et c'est le message, plus généralement, sur le renforcement de la compétitivité européenne et de la simplification des textes réglementaires que porte la France. La Commission européenne va faire un certain nombre d'annonces aujourd'hui, mais aussi…
JÉRÔME CHAPUIS
Mais vous êtes optimiste sur cette question ? Par exemple, cet argent ? Ce milliard d'euro…
BENJAMIN HADDAD
… Sur l'accompagnement des industries et des entreprises qui est vraiment aussi une des priorités, vous savez, de notre commissaire, Stéphane SEJOURNÉ. Fondamentalement, depuis trente ans, c'est ce que rapporte le rapport DRAGHI, les États-Unis ont généré deux fois plus de PIB par habitant que l'Europe. Ces cinq dernières années, les États-Unis ont adopté 5 000 textes législatifs ou réglementaires, l'Union européenne 13 000. Et donc, vous vous retrouvez dans une situation où nous nous sommes donnés des objectifs, c'est la lutte contre le réchauffement climatique, c'est aussi la garantie de notre autonomie stratégique de ne plus être dépendant du gaz, du pétrole, des autres, mais d'investir massivement dans le nucléaire et les renouvelables. Mais simplifions la tâche des entreprises qui doivent le faire, vous avez des textes, où on a parfois mille points de données à remplir pour des PME, et accompagnons nos industries, nos entreprises, en investissant, en investissant en l'innovation, en investissant dans la décarbonation.
JÉRÔME CHAPUIS
Mais vous avez des garanties de la Commission sur la question précise du paiement de ces quotas aux principaux concurrents de l'industrie européenne. C'est aujourd'hui qu'on saura ?
BENJAMIN HADDAD
Non, mais c'est une exigence que l'on porte, aujourd'hui, avec d'autres pays, j'étais par exemple en Italie la semaine dernière, les Italiens font des demandes tout à fait comparables, les Allemands aussi, dont l'industrie automobile traverse aujourd'hui…
SALHIA BRAKHLIA
Donc, vous dites, " Il y a trop de normes, on régule trop, et puis on ne subventionne pas assez nos industries prioritaires ". Ça veut dire aussi que vous rejoignez ce que dit Jordan BARDELLA ?
BENJAMIN HADDAD
Non. Pas du tout.
SALHIA BRAKHLIA
Laissez-moi dire ce qu'il dit. Il demande la suspension du Green Deal, il dit : " Il y a trop de normes-là et notamment pour les agriculteurs, on voit bien qu'ils sont à la gorge, libérons-les, parce qu'il n'y a personne qui peut travailler correctement ".
BENJAMIN HADDAD
Non, mais ce n'est pas parce que les autres commencent à remettre en question leur attachement à la lutte contre le réchauffement climatique, que nous, il faut aussi qu'on se lance dans une course au moins-disant environnemental, et ça, c'est ce que propose le Rassemblement National et Jordan BARDELLA. Non seulement, ce serait trahir nos engagements et nos ambitions environnementaux, mais au-delà de ça, ce n'est pas dans notre intérêt. C'est ce que je disais tout à l'heure, c'est que si on investit dans cette transition environnementale en accompagnant nos entreprises, nos acteurs, en soutenant et en protégeant nos agriculteurs, à terme, c'est aussi la réduction des coûts de l'énergie parce qu'on n'aura plus à importer l'énergie des autres, qui, pour les Européens, d'ailleurs est souvent plus chère que pour nos partenaires américains par exemple, mais on sera capable d'avoir le nucléaire et les renouvelables. Mais faisons-le de façon pragmatique, avec bon sens, en écoutant les acteurs de terrain, à commencer effectivement par les entreprises et les agriculteurs qui nous parlent de cette complexité et nous portons en effet la simplification, la suspension pour les retravailler d'un certain nombre de directives et surtout aujourd'hui, l'investissement. Le rapport DRAGHI parle d'un retard d'investissement de l'Union européenne, public et privé, d'à peu près 800 milliards d'euros par an. Si on veut se mettre au niveau, en termes d'innovation : l'intelligence artificielle, le quantique, la défense ou de décarbonation, nous devons donner les moyens à nos entreprises, aux acteurs qui innovent, qui créent des emplois, d'aller chercher des financements, d'aller chercher des investissements.
SALHIA BRAKHLIA
Alors, justement, on a un exemple parfait, aujourd'hui, Benjamin HADDAD, Stargate, DeepSeek, deux noms qui ont surgi dans l'actualité de l'intelligence artificielle ces derniers jours, vous parliez d'investissement, Stargate, le plan américain à 500 milliards de dollars annoncé par Donald TRUMP, DeepSeek, c'est l'équivalent chinois de ChatGPT qui aurait été développé avec seulement six millions d'euros. Est-ce que ces montants-là, vous y croyez ? Ou alors c'est de l'intox ?
BENJAMIN HADDAD
Ce que ça montre, c'est que le monde avance très vite, et que les règles du jeu sont en train de changer, et que ces innovations, en plus, ne sont pas linéaires, parce que DeepSeek, le chinois, l'acteur chinois qui a révélé sa puissance de calcul, c'est une disruption totale dans le monde de l'intelligence artificielle, mais qu'est-ce que ça montre ? Ça montre qu'il y a un risque de décrochage de l'Europe, et c'est un enjeu, non seulement…
SALHIA BRAKHLIA
C'est déjà le cas ? On est déjà largué ?
BENJAMIN HADDAD
Alors, j'y reviens, mais c'est un enjeu à la fois de compétitivité, de création d'emplois, mais c'est vraiment un enjeu de souveraineté. Quand on regarde MUSK sur X ou le rôle de TikTok, on voit que quand on se rend dépendant des innovations des autres, ça devient aussi un enjeu, vraiment, pour la souveraineté de l'Europe. Mais ce qu'on voit aussi, et c'est pour ça que ce n'est pas trop tard, absolument pas. Il faut être lucide sur le constat, mais l'irruption de DeepSeek montre qu'au contraire, rien n'est joué. Et que si on met les investissements, si on simplifie, si on donne les moyens, parce qu'en revanche, des talents, des start-ups, dans l'intelligence artificielle, on en a en France, dans le quantique aussi. J'en ai rencontré encore sur le plateau de Saclay la semaine dernière. On a des entreprises innovantes, mais ce qu'ils nous disent, c'est que trop souvent, quand ils veulent après aller s'installer dans un autre pays européen, ils doivent recommencer à zéro en termes de droit des affaires, en termes d'assurance, etc. Donc là, parmi les propositions qu'on a poussées, et je pense que la Commission va le reprendre, il y a l'idée d'Enrico LETTA d'avoir un 28e droit des affaires. Vous avez 27 droits des affaires. Plutôt que d'essayer d'harmoniser tout ça, ce qui est un peu complexe, on fait un 28e, qui donne la possibilité aux entreprises qui le souhaitent, celles qui vont exporter et se développer au niveau européen, d'adopter ce 28e droit des affaires : C'est l'union des marchés de capitaux, c'est l'union bancaire, c'est le fait d'avoir une Banque européenne d'investissement qui prend plus de risques et qui va soutenir l'innovation de rupture. C'est le fait, par exemple, d'avoir au niveau européen, l'équivalent de ce qu'ont les Américains, c'est-à-dire la DARPA, c'est des agences publiques qui investissent dans l'innovation de rupture et qui ont financé GPS ou Internet et donc, il y a aussi des applications civiles. Donc, fondamentalement, donnons-nous les moyens d'être à la hauteur de cette concurrence internationale, parce que des talents qui veulent rester en Europe, qui veulent créer, qui veulent prendre des risques et qui feront l'innovation, donc la souveraineté européenne de demain, ils existent.
JÉRÔME CHAPUIS
Il y a une critique, vous êtes ministre de l'Europe, dans tout ce que vous nous dites depuis tout à l'heure, sur la manière dont l'Europe fonctionne depuis des décennies, c'est-à-dire, en gros, c'est une machine, si on vous écoute bien, à réguler quand les autres innovent. Et d'ailleurs, c'est ce qu'on retrouve dans certains de vos propos, certains de vos écrits.
BENJAMIN HADDAD
Oui. Alors, il ne faut pas opposer les deux. Quand on pense à l'intelligence artificielle, évidemment qu'on a besoin d'un cadre de régulation, notamment sur l'usage. Est-ce qu'on va en faire un usage militaire ? Il faut donner des cadres humanistes, éthiques…
JÉRÔME CHAPUIS
Non, mais derrière ma question, est-ce que l'Europe fait fausse route depuis trente ans ?
BENJAMIN HADDAD
Mais fondamentalement, ces dernières années, nous avons beaucoup mis l'accent sur la régulation. Et là, je crois, dans les prochaines années, la boussole, ça doit être la compétitivité, l'innovation, la simplification et l'investissement, c'est la seule façon, en effet, de pouvoir faire en sorte que les technologies de demain seront aussi produites en Europe, parce qu'on a beaucoup dit en Europe, ces dernières années, au fond, on va créer les normes d'usage des réseaux sociaux, des technologies. Alors, on le fait, on a par exemple le DSA sur les réseaux sociaux qui nous permet de lutter contre la haine en ligne, la désinformation, les manipulations d'algorithmes. Mais fondamentalement, quand ces technologies sont faites dans la Silicon Valley ou en Chine, c'est eux qui font la norme. Et nous, on peut seulement réguler à la marge.
SALHIA BRAKHLIA
Donc, eux, ils sont beaucoup plus puissants ?
BENJAMIN HADDAD
Eux, ils se rendent plus influents s'ils innovent. Et donc, c'est pour ça, encore une fois, qu'on porte ce message. Mais ce serait une illusion d'opposer la régulation et l'innovation ou l'investissement. Mais mettons l'accent aussi sur ce qui a manqué, c'est-à-dire le soutien à l'innovation et à l'investissement au niveau européen.
JÉRÔME CHAPUIS
Benjamin HADDAD, merci d'avoir été avec nous ce matin sur France Info. Vous partez, donc, tout à l'heure pour quelques jours aux États-Unis pour parler de l'Europe aux Américains. Il y a du travail, manifestement.
BENJAMIN HADDAD
Et aux Européens qui s'installent aux États-Unis. J'irais en revoir à Harvard notamment, les chercheurs.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 janvier 2025