Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France 5 le 29 janvier 2025, sur les tensions entre la France et l'Algérie, l'immigration, le Groenland, les conflits en Ukraine et au Proche-Orient, les otages français en Iran et les impôts payés par les entreprises en France.

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Média : France 5

Texte intégral

Q - Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui est ce soir notre invité. Bonsoir.

R - Bonsoir.

Q - Merci d'avoir accepté notre invitation.

(...)

Q - Jusqu'où ira la dégradation des relations entre la France et l'Algérie ? Peut-être jusqu'à la rupture. C'est la pente actuelle. (...) J'ai dit l'autre jour à la radio qu'il y avait le "good cop" et le "bad cop". Le "bad cop", c'est Bruno Retailleau. On l'a vu, il en paye le prix, à la Une de la presse algérienne, pour avoir plaidé en faveur de mesures fortes, rétorsions ou représailles, et pas seulement sur le plan des visas - il y a eu plusieurs guerres des visas entre les deux pays. Et puis le good cop, c'est vous, qui misez sur la diplomatie. Vous me direz, c'est votre fonction, vous êtes le chef de notre diplomatie. Vous vous dites disponible pour parler à Alger, pour dialoguer. Pour l'instant, pas de réponses. D'où ma question : est-ce que vous savez quelle est la bonne méthode ? Et est-ce que vous savez seulement s'il y en a une, après la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara ? C'était en juillet dernier. Cause sacrée pour le Maroc et pour l'Algérie. On a choisi le Maroc. A-t-on la moindre chance de renouer avec l'Algérie ?

R - D'abord, il n'y a pas de "good cop" et de "bad cop". Chacun est dans son rôle. Le ministre de l'intérieur est chargé d'assurer l'ordre public sur notre territoire. Lorsqu'il identifie, interpelle des influenceurs qui appellent au crime, qui appellent au meurtre, qui appellent à la haine sur les réseaux sociaux, c'est normal qu'il fasse preuve de fermeté.

Q - Il veut aussi revoir les accords de 1968...

R - Moi, mon job, c'est de trouver des solutions et de faire en sorte que nos deux pays, l'Algérie et la France, deux grands pays de la Méditerranée, deux pays voisins, puissent dépasser, surmonter cette période de tension et revenir aux efforts qu'ils avaient initié en 2022 pour dresser, en gros, la stratégie de coopération qui a été signée par le deux présidents...

Q - 2022, Emmanuel Macron était allé à Alger, à la rencontre du président Tebboune.

R - Voilà, avec une déclaration qui définissait les termes de notre coopération. Parce que... Que l'on pense à la migration, que l'on pense à l'économie, que l'on pense au reste, c'est par la coopération qu'on obtient les meilleurs résultats. J'en veux pour preuve qu'à partir du moment où nous avons signé cette déclaration d'Alger en 2022, qui était dans l'intérêt des deux pays, nous avons multiplié par trois le nombre d?éloignement d'Algériens en situation irrégulière en France. La coopération, même sur la question de l'immigration irrégulière, ça fonctionne. Alors évidemment, juste un point quand même qui est important, puisque ça revient beaucoup dans les images que vous avez projetées. Il y avait un point de départ de ce redémarrage de la relation avec l'Algérie, la question de la mémoire, la question mémorielle. C'est pour cela que le Président de la République a demandé à Benjamin Stora, un grand historien, de faire ce travail de mémoire, et, à partir de là, de commencer à initier un certain nombre de reconnaissances. La dernière qui a eu lieu, c'était le 1er novembre, avec la reconnaissance de l'assassinat de Larbi Ben M'hidi. Donc on traite les questions mémorielles, et ensuite, comme on l'a fait avec d'autres pays de la Méditerranée, dont le Maroc, on s'engage dans une coopération franche, dans laquelle chacun défend ses intérêts. Et mon job, c'est de défendre les intérêts des Français.

Q - Oui mais il existe, là, le dialogue ? Ils ne veulent même pas... Enfin vous avez émis le souhait de vous rendre à Alger, il n'y a même pas de réponse. Donc le dialogue est officiellement interrompu.

R - On est dans une situation de tension qui empêche la tenue d'un dialogue serein, y compris sur des sujets... Vous étiez en train de me poser la question sur l'accord de 1968 vis-à-vis de l'Algérie. En 2022, les Algériens et les Français ont dit qu'il fallait peut-être regarder pour, une quatrième fois, le faire évoluer. Mais pour ça, il faut que les conditions se stabilisent et qu'on revienne à une forme de normalisation. J'appelle les Algériens, évidemment, à mettre de côté cette surenchère qui n'est ni dans l'intérêt de l'Algérie, ni dans l'intérêt de la France.

Q - Donc il faut laisser passer un peu de temps, mais là, pour l'instant, il n'y a rien à faire ? C'est ça que vous nous dites ?

R - Non, je ne dis pas qu'il n'y a rien à faire, parce que lorsque les intérêts français sont atteints, s'ils continuent d'être atteints, nous serons bien obligés d'en tenir compte. C'est pourquoi le Président de la République et le Premier ministre ont demandé aux membres du Gouvernement d'y réfléchir pour les suites à donner et les mesures à prendre.

Q - Il y aura une réunion bientôt, c'est ça ?

R - Lors d'une réunion qui aura lieu bientôt. Mais je crois que plus largement et plus généralement, et si on se projette au-delà de l'horizon de la semaine ou du mois, nous avons besoin de retrouver une relation sereine et équilibrée pour défendre nos intérêts et tirer le maximum de notre relation avec ce pays voisin.

Q - Ces tensions, elles se déroulent sur le fond d'un débat toujours aussi passionné en France sur la question de l'immigration, avec notamment la polémique sur l'expression employée par François Bayrou de "sentiment de submersion migratoire". Des propos qu'il n'a pas renié, mais qu'il a nuancé dans une réponse écrite qui a été lue, cet après-midi, devant les sénateurs. Il y a expliqué que c'est le devoir de la France d'accueillir correctement ceux qui viennent dans notre pays, que la question c'est la panne de l'intégration... Tout en rappelant qu'il était impossible d'écarter ce que les Français éprouvent et expriment quand ils disent leur sentiment de submersion migratoire. Il n'empêche, les mots ont choqué. Vous auriez employé cette expression, empruntée à l'extrême-droite ?

R - Je crois qu'il faut bien entendre ce que le Premier ministre a dit, d'abord chez vos confrères de LCI, ensuite à l'Assemblée hier et puis aujourd'hui au Sénat. Sa vision est très claire. Il dit d'ailleurs que l'immigration doit permettre de trouver des solutions pour un certain nombre de secteurs, pour un certain nombre d'entreprises. Et quand on est élu, comme je le suis, d'un territoire comme les Yvelines, eh bien on est en permanence interpellé par des entreprises, par des artisans qui ont besoin d'obtenir la régularisation d'un certain nombre de travailleurs. Et ça, François Bayrou le reconnaît parfaitement. En même temps, il dit très clairement que nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation sur le front du contrôle de l'immigration irrégulière, parce que la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière n'est pas accomplie dans la plupart des cas. Et parce que cela donne à nos concitoyens le sentiment que l'Etat est défaillant. Et parfois, dans certains territoires, le sentiment que cette défaillance de l'Etat conduit effectivement à un sentiment de submersion, en tout cas le sentiment d'une disproportion, puisque c'est ce terme qu'il avait utilisé le premier. Et donc, pour ça, reprendre en main notre politique migratoire, c'est à la fois faire beaucoup mieux et travailler de manière beaucoup plus efficace pour intégrer celles et ceux qui entrent de manière légale sur notre territoire, et c'est aussi agir beaucoup plus résolument et beaucoup plus efficacement pour éloigner les étrangers en situation irrégulière.

Q - Aux Etats-Unis, Donald Trump ne parle pas de submersion mais d'invasion. C'est un fantasme sur lequel il fonde sa politique migratoire, en promettant de lancer le plus grand programme d'expulsion de l'histoire américaine. Une politique qui, si elle est menée à bien, va avoir des conséquences bien au-delà des frontières américaines ?

R - Je ne crois pas. En tout cas, je ne me sens pas du tout, pour ma part, influencé par les positions de Donald Trump. Et je ne fais pas partie de ceux qui considèrent qu'il faut une immigration zéro ou qu'il faut réduire le nombre, la présence... qu'il faut réduire l'immigration comme un problème majeur qui mettrait en cause l'identité française. Mais je suis convaincu que si nous ne parvenons pas à résoudre et nos problèmes d'intégration, et nos problèmes d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, alors d'autres viendront avec des solutions beaucoup plus radicales, comme celles que porte M. Trump qui, cette fois-ci, placeront le pays devant une impasse.

Q - Parmi les solutions radicales de Donald Trump, le président américain veut annexer le Groenland. Samedi dernier, il a même répété qu'il obtiendrait ce territoire autonome danois et que Copenhague finirait de toute façon par céder. Hier, la Première ministre danoise était à Paris pour demander à l'Europe d'être solidaire avec son pays. (...) C'est le signe qu'il faut prendre ces menaces au sérieux ? Et est-ce que l'Europe, elle, saura résister à Donald Trump s'il va jusqu'au bout de ses menaces ?

R - Ce qui est clair, c'est que les frontières de l'Europe ne sont pas négociables, ni à l'ouest, ni à l'est, ni au nord, ni au sud. Et que, parce que nous avons avec les pays de l'Union européenne, des liens de solidarité très forts, nous devons aux pays dont l'intégrité territoriale est mise en cause la pleine solidarité. C'est pour ça que le Président de la République a reçu la Première ministre pour faire le point sur la situation. Je crois qu'il faut aussi dépasser certaines des déclarations de Donald Trump pour comprendre véritablement où se situe le problème, et d'où lui vient, en quelque sorte cette...

Q - Quel est l'enjeu ?

R - Voilà. Quel est l'enjeu ? Il y a plusieurs enjeux, mais il y en a un qui est très important, qui est celui de la sécurité dans l'Arctique. Le dérèglement climatique conduit à l'ouverture de nouvelles voies navigables sur les pôles, et en particulier, au pôle nord. Ce qui peut provoquer, pour l'Europe comme pour les Etats-Unis, des enjeux de sécurité nouveaux. Et en particulier, l'accès à certaines grandes puissances comme la Russie ou comme la Chine, qui dans la période récente, ont montré une certaine hostilité vis-à-vis de l'Union européenne, au travers de la guerre d'agression russe en Ukraine ou du soutien à la guerre d'agression russe en Ukraine. Et donc, il n'est pas tout à fait surprenant que les Américains et les Européens commencent à se poser des questions. Est-ce que ça doit passer par une redéfinition des frontières ? Absolument pas. Et de toute façon, vous le savez, même si le Groenland est un territoire qui est rattaché au royaume du Danemark, son avenir est aussi entre les mains du peuple groenlandais, qui sera amené à se prononcer sur cette question. Et personne ne peut dicter au peuple groenlandais ce qu'il lui appartient de faire. C'est aussi à l'Union européenne de pouvoir montrer au peuple groenlandais, où de pouvoir l'amener à avoir une certaine fierté et un sentiment d'appartenance à notre Union, qui doit être plus forte qu'elle a pu l'être par le passé, dans un moment de grand désordre mondial.

Q - L'Ukraine est entré dans une période cruciale. Chacun se demande quelles seront les initiatives de Trump, qui avait promis de régler la guerre, le conflit très rapidement, mais cela prendra au moins plusieurs mois. Poutine, hier, a pris les devants en proposant des discussions avec l'Ukraine, mais à des conditions particulières. (...) Donc il veut bien négocier avec Trump, il veut bien qu'il y ait des Ukrainiens mais pas Zelensky... C'est acceptable, ou c'est une façon de retarder encore d'éventuelles discussions ?

R - C'est intéressant, en tous cas, d'entendre Vladimir Poutine parler de négociations et même de paix. Ce n'était pas tout à fait le cas il y a encore dix jours de cela. À mon avis, ce n'est pas tout à fait indépendant de l'ultimatum que lui a fixé Donald Trump : "Où tu viens à la table des négociations, ou alors je vais déployer toutes les mesures, tout l'arsenal de sanctions, de tarifs qui sont à ma disposition pour te forcer à le faire". En revanche, il est évidemment impensable d'imaginer une négociation à laquelle les Ukrainiens ne participeraient pas...

Q - Et les Européens ?

R - Et les Européens non plus. Pourquoi ? Parce que ce sont quand même les Ukrainiens qui se battent aujourd'hui. Si l'on veut atteindre une paix, encore faut-il que les Ukrainiens y consentent et qu'ils cessent les combats. Comment voulez-vous imaginer une négociation dans laquelle ceux qui se battent sont exclus ? Ils ne cesseront pas de combattre s'ils ont l'impression qu'une paix leur est imposée. Quant aux Européens, c'est leur sécurité, c'est notre sécurité qui est en jeu. Aujourd'hui, ce sont les Ukrainiens qui se battent, je ne veux pas dire à notre place, parce que c'est leur territoire qui est agressé par la Russie, mais qui se battent en notre nom. Et chaque fois que la Russie grignote une partie du territoire ukrainien, la Russie se rapproche de nous. C'est nous, donc, qui allons devoir veiller, cette fois-ci et une bonne fois pour toutes, à dissuader la menace de se déplacer un peu plus vers l'ouest. Parce que l'Ukraine, rappelez-vous, ça fait maintenant longtemps qu'on en parle. En 2014 déjà, il y a eu des cessez-le-feu. En 2015 aussi. Mais tout ce qui a été fait à l'époque par les partenaires internationaux n'a pas suffi à dissuader Vladimir Poutine. Donc, si on veut que la paix soit juste mais qu'elle soit durable, et à mon avis, c'est l'intention de Donald Trump, alors, il faut évidemment impliquer les Européens qui joueront un rôle décisif pour garantir la paix.

Q - Un mot sur l'état des relations diplomatiques entre la France et les Etats-Unis. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe, se rend pendant cinq jours à Washington et à Boston. Aucune rencontre n'est prévue avec l'administration Trump. Pourquoi ? Parce que ce n'était pas le moment, ou vous préférez vous-même établir le contact ?

R - Parce qu'il a été invité à une conférence à Harvard à laquelle il va participer. C'est très utile pour pouvoir faire entendre la voix de la France et la voix de l'Europe. Pendant que pour ma part, j'ai échangé ce lundi avec mon homologue Marco Rubio, que j'ai invité à venir la semaine prochaine à Paris pour participer à une réunion que nous organisons sur la Syrie et son avenir. Ce sera l'occasion aussi de faire un point de l'ensemble des sujets, puisque nous en avons un certain nombre, à commencer par l'Ukraine, la Syrie bien sûr, mais aussi le Liban, le Proche-Orient et bien d'autres.

Q - Un mot... Oui ?

Q - Un mot car on ne l'a pas évoqué tout à l'heure... Est-ce que vous avez des nouvelles récentes et fraîches de Boualem Sansal, qui est sorti de l'hôpital pour retourner en prison ? Il a été soigné, mais il est retourné en prison. Est-ce que les contacts... Est-ce que vous avez accès à des contacts, soit de la part des autorités, soit des proches de Boualem Sansal en Algérie ?

R - Merci de rappeler que notre compatriote Boualem Sansal est aujourd'hui en détention dans une prison algérienne. Nous sommes très préoccupés par les conditions de sa détention, mais aussi par sa santé, puisqu'il a dû être soigné ces dernières semaines. Sa famille peut lui rendre visite une fois par semaine, et c'est ainsi que nous avons des nouvelles de lui. Parce que jusqu'à présent, les autorités algériennes ont refusé ce qu'on appelle la protection consulaire. C'est ce qui est en général de droit lorsque vous êtes un Français à l'étranger détenu, l'ambassadeur ou le consul peuvent venir vous rendre visite. Jusqu'à présent, nous n'y avons pas eu droit...

Q - Et son avocat français non plus.

R - Et son avocat français non plus. Par son avocat algérien, par sa famille qui lui rend visite régulièrement, nous avons des nouvelles et nous espérons que sa situation puisse avancer. J'en profite, puisque vous parlez de Boualem Sansal et même si cela peut paraître un peu éloigné à certains, pour vous dire que ce sujet des otages et des personnes détenues arbitrairement autour du monde est une question qui est sans doute la plus lourde à porter quand on exerce mes fonctions...

Q - Et ça concerne aussi trois Français qui sont détenus en Iran depuis près de 1.000 jours.

R - Absolument. Puisqu'on arrive au millième jour de la détention arbitraire de Cécile Kohler et de Jacques Paris, qui sont otages d'Etat en Iran, dans des conditions que nous connaissons à peine, tant nous avons peu accès à eux, qui ont été forcés à des aveux factices, qui sont dans des cellules éclairées jour et nuit, et sans doute amenés à dormir sur le sol, qui n'ont que des accès très limités à leurs familles, dans des conditions qui ne leur permettent pas de s'exprimer, et dont nous espérons très vivement, et nous l'avons dit aux autorités iraniennes, la libération incessante. Et puis il y a un troisième otage...

Q - Avec quel espoir de... ?

R - Il y a un troisième otage qui est Olivier Grondeau, dont les conditions sont un peu meilleures, mais qui a eu le courage, le 13 janvier, de dire les conditions de sa détention au risque qu'elles s'aggravent. Nous avons adressé des messages très fermes aux autorités iraniennes en leur disant : "Pas de dialogue bilatéral, pas de levée des sanctions possibles tant que nos otages ne seront pas libérés." Et j'ai appelé ce lundi l'Union européenne, à son tour, à prendre des sanctions à l'encontre des responsables de ces détentions arbitraires. Et je finirai en disant, parce que c'est important de le savoir, que l'accompagnement de nos otages ou ex otages ne s'arrête pas le jour de leur libération. J'ai échangé par lettres interposées avec ceux qui ont pu sortir de la détention en Iran, et qui peinent encore après des mois et parfois des années à se reconstruire. Et donc nous réfléchissons à la manière d'améliorer encore l'accompagnement que nous leur devons, parce que d'une certaine manière, c'est du fait de leur nationalité française qu'ils ont souffert ces épreuves.

Q - Merci Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Vous restez avec nous.

(...)

Q - Je reviens à la politique et à l'économie. Bernard Arnault, PDG du numéro 1 du luxe, LVMH, a dénoncé hier l'augmentation prévue des impôts sur les entreprises françaises, tout en faisant un parallèle avec la politique des Etats-Unis en la matière. Et ses mots, lors de la présentation - vous les avez noté, comme nous, sûrement - des résultats de 2024 de LVMH ne sont pas passés inaperçus. (...) Alors vous serez d'accord, une forte critique teintée de colère. Vous allez nous dire ce que vous en pensez. Est-ce que vous y voyez même une forme nuancée de menace d'aller voir ailleurs ?

R - D'abord, je veux voir le verre à moitié plein, puisque c'est la première fois qu'on entend depuis un certain nombre d'années Bernard Arnault dire ça. C'est aussi parce qu'on a été attentifs, ces dernières années, à avoir un niveau d'imposition, et notamment pour les entreprises, qui soit suffisamment attractif pour que des usines réouvrent dans notre pays. Et c'est vrai que depuis quelques années, on voit des usines réouvrir alors qu'elles fermaient auparavant. Et c'est vrai que depuis quelques années, la France est le pays le plus attractif en Europe. On l'a été cinq années consécutives de suite. Et ça, c'est sans doute lié à cette stabilité fiscale que nous avions. Ensuite, on est aujourd'hui dans une situation un peu différente avec, vous vous en souvenez, un budget qui est plus difficile que par le passé à boucler, et la nécessité de faire des efforts transitoires pour éviter le cataclysme...

Q - Donc vous dites à Bernard Arnault "ça fait cinq ans qu'on vous aide, donc soyez reconnaissant et acceptez de faire des efforts", quoi.

R - Moi, j'écoute Bernard Arnault. Bernard Arnault, c'est quand même le fondateur, le patron d'un de nos plus beaux fleurons...

Q - Premier recruteur privé en France.

R - Voilà. Il faut être attentif quand même à ce qu'il dit. Ce que nous disons, c'est qu'on a un effort transitoire à faire. C'est vrai qu'il y aura une augmentation des impôts payés par les entreprises qui font plus de 3 milliards de chiffre d'affaires. Mais c'est une, je dirais, une surtaxe qui va durer pendant un an, et c'est nécessaire pour qu'on arrive à faire notre budget, et tout le monde doit faire des efforts. Moi le premier.

Q - C'est 800 millions, pour Arnault. Pour LVMH, ça représente ça.

R - Non, mais voyez, mon ministère, par exemple, fait un peu plus d'économies encore que cela. Et on est obligé de le faire pour éviter le cataclysme, une crise financière ou une nouvelle censure qui entraînerait le pays dans l'abîme et qui aurait un coût incalculable et beaucoup plus important encore pour des entreprises comme LVMH...

(...)

Q - Ce n'est pas parce que vous êtes là, Jean-Noël Barrot, mais les plans d'Emmanuel Macron pour le Louvre pourraient entraîner une brouille diplomatique.

(...)

Q - C'est une fierté nationale en Italie, où des voix s'élèvent pour accueillir le tableau, le temps des travaux au moins.

(...)

Q - Vous êtes d'accord, Jean-Noël Barrot ? On ne rend pas la Joconde ?

R - J'en parlerai à mon homologue italien, mais je crains que si nous la leur donnions ou prêtions, ils ne nous la rendent pas...

Q - Vous n'avez pas confiance en l'Italie à ce point-là ?

R - J'ai surtout confiance dans le charme de la Joconde.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 février 2025