Texte intégral
Q - Thani Mohamed-Soilihi, bonjour et bienvenue.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre délégué à la Francophonie et aux partenariats internationaux, et c'est important. On va parler de l'influence française. Un mot, pour commencer, sur cette proposition de Donald Trump : les États-Unis vont reprendre le contrôle de la bande de Gaza, en faire la nouvelle côte d'Azur, dit-il, mais les Palestiniens iront vivre en Jordanie ou en Égypte. Réaliste ?
R - Je suis resté sans voix quand j'ai entendu cette annonce. Je suis circonspect. Je ne sais pas si elle est sérieuse ou pas.
Q - On a toujours l'impression, avec Trump, qu'il y a un mélange de provocation et puis de vision.
R - Oui, et c'est pour cela qu'il faudrait anticiper un petit peu et constater qu'en ce début de mandat il y a beaucoup d'annonces, et attendre un peu pour voir leur réalisabilité ou pas.
Q - La France reste fidèle à la stratégie des deux États. Il faut deux États au Proche-Orient ?
R - Tout à fait.
(...)
Q - Sur vos sujets - Francophonie, partenariats internationaux -, est-ce que la gauche est dans l'opposition ? Est-ce que vous êtes en conflit avec vos anciens amis socialistes ?
R - L'aide au développement, surtout après le désengagement des États-Unis - parce que 50 milliards d'aide au développement en moins ont été annoncés par Donald Trump - encore une fois, nous allons voir comment cela va évoluer... Cela oblige encore plus la France à être à son rang. La France est attendue dans le cadre de cette solidarité internationale, qui permet de protéger aussi les Français parce que cela permet d'anticiper les crises, les crises climatiques, les crises de l'alimentation. Les Français apprécient cette aide au développement. Et je pense que la gauche en général, les socialistes en particulier, sont dans cet esprit également. En tout cas, pour la France, c'est un outil de rayonnement et c'est le bras armé de sa diplomatie. Et ce qui est fait pour aider les pays, notamment les pays les moins avancés, rend aussi service directement aux Français, en les protégeant.
Q - Comment va votre budget ? Est-ce que vous avez dû faire des sacrifices dans le budget qui va être voté ?
R - Le budget est en passe d'être voté. Tous les portefeuilles ministériels ont été appelés à faire des efforts en matière d'aide au développement. Il ne faut pas oublier que depuis 2017 nous avons doublé cette aide au développement. Et donc nous sommes dans une dynamique qui, malgré la contrainte budgétaire, va permettre de continuer à avoir ce rang dont je parlais tout à l'heure.
Q - Vous aurez les moyens de votre politique ?
R - Nous avons les moyens de notre politique. Cela ne fait plaisir à personne mais, là aussi, je pense que les Français appellent à de la responsabilité, à de l'équilibre. Et les efforts que nous allons faire aujourd'hui vont permettre justement, comme l'a dit le Premier ministre, à l'horizon 2026, d'espérer retrouver l'élan que nous avions pris depuis 2017, de faire de l'aide au développement cet outil de rayonnement de notre pays.
Q - À droite et à l'extrême droite, on dit : "C'est simple : il faut couper l'aide au développement, les aides au développement à l'Algérie et à la Chine." Est-ce que c'est beaucoup d'argent ?
R - Si c'était aussi simple, ça se saurait. L'aide au développement, c'est une politique au long cours, qui produit des résultats dans le temps. Il ne faut pas forcément faire de mélange entre l'aide au développement et les relations avec les pays. Il est certain que la France, en cas d'escalade - comme celle à laquelle nous venons d'assister par rapport à l'Algérie - ne peut pas laisser faire. Comme l'a dit Jean-Noël Barrot, en cas d'escalade, une riposte est toujours possible. Mais il me semble que, dans le cas de nos relations avec l'Algérie, il faut revenir au dialogue. C'est ça, la diplomatie. Qu'est-ce que les Algériens attendent de nous ? Qu'est-ce que nous attendons des Algériens ? Et c'est dans ce cadre que nous allons déterminer nos relations. Par rapport à l'aide au développement, encore une fois, l'aide au développement empêche des crises, empêche des mouvements migratoires, les anticipe. C'est à l'aune de cela qu'il faut la juger. Parfois les deux sujets peuvent se rejoindre, mais pas toujours.
Q - Il y a aussi le reste de l'Afrique, où la présence militaire française diminue, elle s'éteint. C'est vous qui prenez la suite ?
R - Déjà, je pense qu'il ne faut plus regarder le continent africain sous le prisme sécuritaire. Le monde a changé, les relations ont changé. Nous proposons des partenariats d'égal à égal, gagnant-gagnant, où la France propose, par exemple, son expertise. La France propose de financer des politiques en matière économique, en matière éducative, en matière culturelle en Afrique. Cette politique est attirante. Je vois de plus en plus de "demande de France" - à rebours de la vision décliniste que l'on peut entendre par-ci, par-là - en Côte d'Ivoire, au Nigeria, au Kenya, où je me suis rendu, ou alors lorsque les chefs d'État - le dernier en date, c'était le président de l'Angola - se sont déplacés ici en France. À la clé, il y a eu énormément de contrats qui ont été signés, et ce sont des entreprises françaises qui vont intervenir. À la clé, ce sont des emplois dans ces pays, en plus de concrétiser leurs politiques en matière d'adduction d'eau, en matière agricole, en matière de développement général.
Q - Vous écriviez dans une tribune publiée par "Le Figaro" que c'est une page nouvelle qui s'écrit, mais qu'évidemment, il y avait encore les frustrations et les douleurs du passé, c'est-à-dire du passé colonial. Vous sentez encore ce besoin en Afrique d'obtenir de la France des excuses, une repentance, un mea culpa ?
R - Cette page nouvelle s'inscrit à partir du discours de Ouagadougou du Président de la République en 2017. Cette nouvelle page consiste, lorsque c'est nécessaire, à regarder notre passé - y compris le passé douloureux - en face, et permettre ainsi de rebondir. J'ai fait une séquence mémorielle, mon dernier déplacement était au Cameroun, où il y a eu cette restitution d'un rapport qui est revenu sur un épisode de l'histoire commune entre le Cameroun et la France. Et pour moi, c'est important de regarder ce passé, pour l'assumer et mieux entretenir des relations. Je me sens encore plus responsable de mener ces actions, moi, étant Français, né à Mayotte, en France, dans le continent africain.
(...)
Q - Thani Mohamed Soilihi, ministre de la francophonie et des partenariats internationaux, merci et bonne journée.
R - Merci, à bientôt.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2025