Déclaration de M. Patrick Mignola, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement, sur l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives et l'adoption d'une proposition de résolution, au Sénat le 30 janvier 2025.

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Intervenant(s) : 
  • Patrick Mignola - Ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement

Circonstance : Examen, à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, de la proposition de résolution appelant à l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen, à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant à l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie la sénatrice Vogel et le groupe GEST d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de résolution. Je m'en tiendrai à quelques réflexions sur les notions de temporalité et d'instabilité, en me donnant pour méthode celle de l'humilité au regard de la qualité et la profondeur de vos interventions. En effet, ceux qui se sont exprimés ont su faire preuve de nuance, avec parfois une grande force rhétorique ou bien en montrant plus de prudence, et je remercie chacun d'entre eux.

Pour ce qui est de la temporalité, madame la sénatrice Vogel, vous avez raison de dire que l'on entend trop souvent qu'il faudrait commencer par s'occuper de toutes les difficultés à l'échelle internationale, européenne, nationale ou même territoriale, avant de traiter la question du mode de scrutin. Je souscris donc volontiers à vos propos lorsque vous affirmez que la représentativité du Parlement doit être au cœur de nos débats et de nos préoccupations.

En effet, le mode de scrutin, autrement dit la façon dont les Françaises et les Français désignent leurs représentants, est une source de légitimité pour la démocratie représentative. D'ailleurs, au cours de toutes les crises que nous avons récemment traversées, cette notion a été chaque fois réinterrogée par ceux qui exprimaient leur mécontentement.

Elle est aussi une source de légitimité pour les décisions que vous prenez, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que pour la mise en œuvre de celles-ci. À ce propos, le sénateur Karoutchi a eu raison de parler d'un hiatus. En réalité, c'est l'efficacité de l'action publique qui est malade et l'enjeu est celui d'une réconciliation entre l'action du Parlement et la manière dont nos concitoyens en ressentent les effets. Plus les représentants du peuple réunis à l'Assemblée nationale et au Sénat seront légitimes, plus la force qu'ils auront pour veiller à l'application des décisions prises sera importante, de sorte que nos concitoyens en ressentiront davantage les effets.

En outre, comme le sénateur Jadot l'a très bien rappelé, la question du mode de scrutin est aussi une source d'acceptabilité.

On le voit bien, lorsque les électrices et les électeurs se sentent mal représentés à l'échelon du Parlement, assez naturellement, les décisions difficiles à prendre – car l'action publique consiste aussi à prendre ce type de décisions – sont beaucoup plus rapidement et vivement contestées. Aussi, s'interroger sur l'introduction d'une plus forte dose de proportionnelle dans le mode de scrutin doit nous conduire à cheminer ensemble dans le sens de l'amélioration de l'efficience de l'action publique.

S'agissant de l'instabilité que pourrait provoquer un tel mode de scrutin – c'est évidemment avec beaucoup d'humilité que je m'exprimerai sur ce point –, j'observe, comme l'a fait le sénateur Paccaud, que, lors des élections législatives de 1986, seule fois où le scrutin proportionnel s'est appliqué, celui-ci avait paradoxalement conduit à ce qu'une majorité, fût-elle un peu plus étroite qu'annoncé, se dégage à l'Assemblée nationale.

Je note également, redécouvrant en ma qualité de ministre les débats au sein de la Haute Assemblée, qu'il existe incontestablement une majorité dans votre chambre, alors même que les sénateurs sont élus majoritairement au scrutin proportionnel.

Par conséquent, nous devons veiller collectivement à ne pas perdre tout sens de la nuance.

La sénatrice Vogel l'a d'ailleurs rappelé, nous sommes les seuls en Europe à ne pas avoir recours au scrutin proportionnel et à ne pas l'avoir inscrit dans nos textes institutionnels. Cela résulte sans doute de l'originalité même de notre République française, mais nous ne pouvons pas pour autant faire l'économie d'une réflexion à ce sujet : quand on a raison seul contre tous, c'est parfois que l'on a tort…

Mme Cécile Cukierman. Tout à fait ! L'argument vaut aussi pour les retraites !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Aussi, j'ai apprécié la nuance dont ont fait preuve celles et ceux qui sont favorables à l'ouverture de ce débat sur l'instauration de la proportionnelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il va de soi que le scrutin proportionnel améliore la représentativité des opinions. Je pense ici aux électeurs de droite de la Seine-Saint-Denis ou aux électeurs de gauche de Boulogne-Billancourt ou de Neuilly-sur-Seine qui peuvent ressentir une certaine fatigue et, parfois, s'impatienter, parce qu'ils ne se sentent pas représentés au sein des assemblées.

Il va de soi aussi, je tiens à le souligner, que le scrutin proportionnel peut renforcer la représentativité sociétale : à chaque fois que nous avons eu recours à ce mode de scrutin, c'est la place des femmes qui s'est trouvée confortée dans la République. La proportionnelle appliquée aux scrutins de liste contribue aussi à favoriser une meilleure diversité sociale.

M. François Bonhomme. Ce sont des choix politiques !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Il va de soi, enfin, que le scrutin proportionnel peut conduire à une évolution des cultures politiques. Comme vous le voyez, je m'efforce de m'exprimer devant vous de manière respectueuse et prudente,…

Mme Nadine Bellurot. Ça oui ! (Sourires.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué. … tout simplement parce que j'appartiens moi-même à un gouvernement qui est le fruit d'un compromis, et qu'au sein de ce gouvernement il peut y avoir des avis divergents sur le sujet sur lequel j'interviens ce matin.

Pour avoir siégé à l'Assemblée nationale, je ne peux que constater que vos collègues députés, compte tenu de son émiettement, même avec la meilleure volonté du monde – et ils sont nombreux à faire preuve de bonne volonté –, ont beaucoup de mal à trouver le chemin du compromis – je rejoins en cela la sénatrice Florennes et le sénateur Kerrouche. Même si la Chambre basse, dans sa composition actuelle, ressemble à une assemblée issue d'un scrutin proportionnel, les députés ont en effet été élus via un mode de scrutin reposant sur une logique d'écrasement des uns par les autres, qui aurait dû conduire, lors des dernières échéances électorales, à ce qu'un groupe ou une coalition politique obtienne la majorité absolue.

Cette culture du compromis est absolument nécessaire, compte tenu de la complexité des difficultés qui sont celles du pays. En effet, pour ma part, je ne crois pas que l'on puisse avoir raison seul en écrasant les autres ; ou alors, c'est que l'on a raison quelques mois dans le cadre de majorités très larges, mais, ensuite, c'est la population, dont la contestation est relayée jusqu'au sein des assemblées, qui conduit au blocage.

La sénatrice Florennes ainsi que les sénateurs Kerrouche et Verzelen ont également rappelé que la véritable question qui se pose, dans le cadre du débat public qui s'ouvrira nécessairement au cours des mois et des années qui viennent, est celle des modalités d'application de la proportionnelle, celle du "comment". Toute la question sera de savoir comment on pourra éviter l'émiettement du système représentatif et comment on parviendra à maintenir un lien entre les citoyens et les institutions.

À ce sujet, certains orateurs ont exprimé le souhait que l'on réfléchisse à un toilettage ou à une réforme des règles relatives au cumul des mandats, qui est, vous le savez, une question éminemment sensible. Selon le type de scrutin retenu, la question du bon échelon auquel la proportionnelle doit être mise en œuvre se posera avec acuité.

J'en viens à une réflexion plus personnelle, qui découle de ma propre expérience : il me semble qu'il ne faudrait pas que le choix du mode de scrutin proportionnel conduise à donner tout le pouvoir aux appareils.

M. François Bonhomme. C'est tout le problème ! (Sourires.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Je constate que, parfois, dans le cadre du système qu'induit le mode de scrutin majoritaire, le poids des appareils et des commissions nationales d'investiture est décisif. (Rires ironiques sur les travées des groupes GEST et Les Républicains.)

Quoi qu'il en soit, les orateurs des différents groupes qui se sont succédé à la tribune l'ont tous mentionné, la restauration du lien entre élus et électeurs appelle sans aucun doute une réflexion plus large.

Le sénateur Laouedj a eu raison d'aborder la problématique des inscriptions sur les listes électorales, et, plus particulièrement, celle des Français mal inscrits – plusieurs rapports de grande qualité ont été produits par le Sénat sur ce sujet. Une réflexion approfondie sur la numérisation et la sécurisation des procurations doit également s'engager.

Je n'oublie pas la question du vote par correspondance, qui ne doit pas être balayée d'un revers de la main, dans la mesure où ce mode de votation est d'ores et déjà utilisé dans notre démocratie – je pense notamment au vote, désormais très sécurisé, lors des élections des comités d'entreprise, lesquels ont à la fois d'énormes responsabilités et d'énormes budgets à gérer.

La question du vote électronique doit également être étudiée avec attention. En Estonie, l'un des pays européens les plus avancés en matière de numérique, celui-ci est utilisé avec succès.

Il faudra aussi tenir compte, dans cette réflexion, des enjeux liés à l'accessibilité du vote, notamment pour les personnes en perte d'autonomie et les personnes handicapées.

Enfin, je terminerai mon intervention en rappelant l'importance de l'annonce faite par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale de la création d'une banque de la démocratie, afin que nos futures campagnes électorales ne dépendent pas d'intérêts privés et ne soient pas, moins encore, à la merci d'ingérences étrangères.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la réflexion que vous conduisez sur ce sujet ô combien important de la proportionnelle, un sujet qui est bel et bien d'actualité pour le Gouvernement. S'il est vrai que la démocratie est "l'organisation sociale qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civiques de chacun", comme l'écrivait Marc Sangnier, je suis sûr que nous sommes tous animés par la volonté d'y parvenir. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. François Bonhomme. On est bien avancé !

M. le président. La discussion générale est close.


Source https://www.senat.fr, le 10 février 2025