Texte intégral
Q - 07h36. Bonjour Adrien Gindre.
Q - Bonjour Bruce.
Q - Votre invité ce matin : Jean-Noël Barrot, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Q - Bonjour Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour.
Q - Nouvelle annonce de Donald Trump cette nuit dans son offensive commerciale : "L'acier et l'aluminium qui arrivent aux Etats-Unis vont être taxés à 25%", dit-il. Est-ce que la France et l'Europe vont riposter à ça ?
R - Bien sûr. Ce n'est pas une surprise, c'est déjà ce que Donald Trump avait fait en 2018 et à l'époque, nous avions répliqué. Donc, cette fois-ci, nous répliquerons à nouveau.
Q - De la même manière, il y avait une liste qui était assez impressionnante, c'est-à-dire cocasse par certains aspects. À l'époque, c'était les motos comme les Harley, les jeans, le tabac, le maïs, le riz, le jus d'orange, le bourbon. Ce sera la même liste, la même menace de taxation cette fois-ci ?
R - C'est la Commission européenne qui définira les secteurs qui feront l'objet de ces répliques, de ces mesures de représailles. Elle nous a assuré qu'elle était prête à dégainer le moment venu. Le moment est venu.
Q - Et donc, vous appelez la Commission à mettre à exécution ces menaces ?
R - Bien évidemment. Nous ne devons avoir aucune hésitation quand il s'agit de défendre nos intérêts. Et je le redis : personne n'a intérêt à entrer dans un conflit commercial avec l'Union européenne.
Q - Alors parlons également intelligence artificielle, puisque vous êtes en charge des affaires étrangères, mais vous connaissez bien le sujet. Vous avez eu le portefeuille du Numérique précédemment. Sommet pendant deux jours à Paris. Il se trouve qu'aujourd'hui, le secteur est surtout dominé par les Etats-Unis, précisément, et la Chine. Emmanuel Macron a annoncé hier 109 milliards d'euros d'investissement. C'est le prix à payer pour rattraper notre retard ?
R - Ecoutez, si toute la planète défile à Paris ces prochains jours, ça n'est peut-être pas un hasard. Si, comme vous l'avez dit, le Président de la République a annoncé que la France accueillera 109 milliards d'euros d'investissement dans les prochaines années, ça n'est peut-être pas un hasard.
Q - Pas un hasard, ça veut dire quoi ?
R - C'est précisément parce que la France et l'Europe sont à la pointe et qu'elles ont tous les atouts pour réussir dans cette nouvelle ère technologique, les talents...
Q - Mais vous contestez le fait qu'on soit derrière les Etats-Unis et la Chine aujourd'hui ?
R - Ecoutez, 109 milliards d'euros d'investissement en France...
Q - Pour demain.
R - ... c'est l'équivalent, toute chose égale par ailleurs, de ce que les Etats-Unis investissent dans l'intelligence artificielle. Et je vous le redis, nous avons les meilleurs talents du monde, nous avons 4.000 chercheurs, 40.000 étudiants, et nous allons aller plus loin. Et puis nous avons un atout clé, qui est celui de l'énergie décarbonée grâce au nucléaire, qui explique cette très forte attractivité de la France pour l'intelligence artificielle.
Q - Parce que ça consomme en effet beaucoup d'énergie, d'avoir des centres de données qui produisent l'intelligence artificielle. On a vu également hier cette vidéo publiée par le chef de l'Etat, qui reprend toute une série de deepfakes, ces vidéos qui utilisent son image, mais qui en réalité n'ont pas été produites par l'Elysée. On le voit notamment en personnage d'OSS 117, en train de chanter, en train de se recoiffer comme s'il avait des cheveux longs. Ça va aussi être un superbe tremplin à fake news, l'intelligence artificielle, avec un risque de manipulation.
R - Bon, à quoi est-ce qu'on veut utiliser l'intelligence artificielle ? On veut que ça nous permette d'améliorer le quotidien des Françaises et des Français. Soigner des cancers ou des maladies orphelines, mieux prévenir les conséquences des inondations ou des incendies, et même faciliter l'accès aux services publics, qui est parfois encore beaucoup trop compliqué.
Q - Et ça c'est le positif.
R - Et ça c'est le positif, mais évidemment qu'il y a du négatif qu'il faut contenir. C'est d'ailleurs l'un des objectifs de ce sommet, qui se tiendra aujourd'hui et demain à Paris : c'est de faire en sorte qu'on puisse limiter l'impact négatif, dont la propagation des deepfakes, avec des règles qui s'appliquent partout dans le monde. Et nous n'avons pas attendu d'ailleurs, puisque dans une loi que j'ai portée moi-même au niveau national, nous avons alourdi les sanctions à l'encontre de ceux qui se rendent coupables de propager des deepfakes à des fins malveillantes.
Q - Mais avec une régulation qui sera faite par une fondation. Jean-Luc Mélenchon, ce week-end, disait : pourquoi pas confier la régulation à l'ONU, au droit international ?
R - Pas du tout. La fondation qui va être lancée aujourd'hui à Paris, elle a vocation à ouvrir une troisième voie. À éviter que l'intelligence artificielle ne se retrouve concentrée entre les mains de quelques milliardaires chinois et américains. Cette fondation, elle rassemblera toutes celles et ceux qui ont une approche beaucoup plus ouverte de l'intelligence artificielle et qui s'attachent à ce qu'elle puisse bénéficier à tous et que tous puissent y participer.
Q - L'autre actualité du moment pour le gouvernement, Jean-Noël Barrot, c'est l'avenir du droit du sol. Plusieurs de vos collègues du gouvernement réclament un durcissement des règles. C'est le cas par exemple des ministres Bruno Retailleau à l'intérieur, Gérald Darmanin à la justice, mais pas tous. Elisabeth Borne à l'Education, dit qu'elle n'y est pas favorable, tout comme le ministre de l'économie, Eric Lombard. Et vous ?
R - Il y a un débat. Et le Premier ministre a dit qu'il souhaitait que ce débat puisse avoir lieu et ne se limite pas à cette question...
Q - Vous avez une position entre l'un et l'autre côté ?
R - ... et aille ouvrir l'ensemble des sujets qui ont trait à l'identité, à ce que c'est que d'être français. Ensuite, sur le droit du sol, qu'est-ce que ça veut dire ? Le droit du sol, c'est le droit d'être français à 18 ans lorsqu'on est né en France de parents étrangers. Et donc, si la loi devait un jour évoluer, elle ne produirait ses effets que 18 ans plus tard. Alors, je crois que ça n'est pas tout à fait l'urgence et que nous avons d'autres urgences à traiter. Les Himalayas dont le Premier ministre a parlé : l'éducation, la santé, les revenus du travail ou encore l'efficacité du service public.
Q - Pas d'urgence à légiférer sur le droit du sol, si je vous comprends bien. Et urgence à modifier la Constitution pour, un jour, pouvoir demander leur avis aux Français par référendum sur ce sujet ?
R - J'ai entendu certains de mes collègues qui ont porté cette proposition et qui ont reconnu qu'elle ne pouvait pas être, dans la configuration politique actuelle, une mesure de court terme. Donc nous y reviendrons un peu plus tard, sans doute, mais à présent, l'urgence, c'est de nous attaquer aux attentes des Français.
Q - Et sur un sujet aussi sensible, entendre autant de voix discordantes dans le même gouvernement, ça n'est pas un problème ?
R - François Bayrou l'a dit : écarter un sujet, écarter un débat sous prétexte qu'il est trop inflammable, ça n'est pas l'esprit dans lequel il se place aujourd'hui. Il veut que tous les débats puissent avoir lieu. Ensuite, je crois qu'il faut savoir distinguer ce qui peut être traité dans l'urgence, et il y en a un certain nombre, et puis ce qui attendra sans doute les prochaines échéances électorales.
Q - Et entre débat et cacophonie ?
R - Je trouve qu'on ne perd jamais à débattre des sujets, à condition, bien sûr, de ne pas se camper sur des postures ou de ne pas limiter ces débats à telle ou telle question.
Q - L'un de ceux qu'on vient de citer, Gérald Darmanin, qui est actuellement à la justice après avoir occupé le portefeuille de l'intérieur, s'exprimait hier sur la politique migratoire. Il disait : "Le ministre de l'intérieur n'est pas le seul dans la réussite de la politique migratoire. Il y a aussi le ministre des affaires étrangères" - c'est donc vous. Et il ajoute : "La diplomatie, c'est aussi la force." Est-ce que c'est votre conception de la diplomatie ?
R - Il a raison de rappeler que pour notre politique migratoire, on a besoin de la coopération des pays d'origine. Pourquoi ? Parce que lorsqu'on veut reconduire à la frontière un étranger en situation irrégulière, on a besoin que le pays d'origine puisse réadmettre la personne.
Q - Par la force. Il dit : "La diplomatie, c'est la force." Il ne dit pas : "la diplomatie, c'est la discussion."
R - La diplomatie, c'est une palette d'outils qui vont de la discussion jusqu'à la force. Et je n'hésite jamais à préconiser ou à prescrire les sanctions ou des mesures coercitives lorsque les intérêts des Français sont mieux protégés de cette manière-là. Mais il ne faut se priver d'aucune des mesures de la gamme de la diplomatie. Et c'est vrai en particulier des affaires migratoires, puisque, nous l'avons vu par le passé, c'est parfois en renouvelant notre coopération avec les pays d'origine que nous avons obtenu les meilleurs résultats.
Q - Ça s'applique également au cas de l'écrivain Boalem Sansal ? La force pour obtenir sa libération ?
R - Dans la relation que nous avons avec l'Algérie, c'est exactement un très bon exemple de ce que j'ai exprimé à l'instant. Lorsque nous avons, en 2022, renouvelé notre coopération avec l'Algérie, nous avons triplé le nombre d'étrangers en situation irrégulière que nous avons reconduit dans ce pays. Lorsque nous abordons la relation avec l'Algérie, nous nous intéressons à l'intérêt des Français. L'intérêt des Français, c'est quoi ? Maîtrise de l'immigration irrégulière, relation économique et énergétique, lutte contre le terrorisme. C'est dans cet esprit que nous avions justement, en 2022, relancé la coopération. Maintenant, nous ne pouvons pas accepter que les autorités algériennes fassent des déclarations ou prennent des décisions qui sont contraires à nos intérêts, à commencer par la détention arbitraire de notre compatriote Boalem Sansal.
Q - En quelques secondes, juste l'invitation lancée par Emmanuel Macron au nouveau dirigeant syrien. Marion Maréchal dit qu'il ne peut pas venir à l'Elysée parce que c'est un ancien dirigeant de l'Etat islamique et d'Al-Qaïda. Il viendra bien à l'Elysée prochainement ?
R - Marion Maréchal ne se soucie pas de la sécurité des Françaises et des Français. Il faut savoir qu'aujourd'hui, notre sécurité se joue en Syrie, où des dizaines de milliers de combattants terroristes de Daech sont détenus dans des prisons, aujourd'hui gardées par les Kurdes, ce qui est pour nous un motif de préoccupation absolue. Et c'est pourquoi nous engageons avec les autorités de transition à Damas, pour faire en sorte que ces détenus soient bien gardés et que toute résurgence de Daech dans ce pays soit combattue sans relâche.
Q - Donc, il viendra.
Q - Merci beaucoup, Jean-Noël Barrot. Merci à Adrien Gindre.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2025