Texte intégral
LAURE CLOSIER
07 h 44 Sur BFM BUSINESS et sur RMC Découverte. Le Grand Entretien, aujourd'hui, notre invité avec Raphaël LEGENDRE, c'est Agnès PANNIER-RUNACHER. Bonjour, ministre de la transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche. Le sommet de l'intelligence artificielle s'est terminé hier, il y a eu plusieurs annonces, dont une sur l'intelligence artificielle durable avec une coalition, 91 partenaires, 37 entreprises, dix pays, cinq organisations internationales. C'est super, d'ailleurs, on va dire que des trucs positifs sur le sommet de l'intelligence artificielle, mais quand on regarde quand même dans le détail, il n'y a pas beaucoup de pays qui ont signé. Est-ce que vous avez eu du mal à faire entendre cette voix d'une intelligence artificielle frugale, d'une voix où on peut consommer moins d'énergie ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Laure CLOSIER. Alors, l'enjeu de l'intelligence artificielle, il est double. Il est à la fois les opportunités immenses que ça ouvre en matière de lutte contre le dérèglement climatique, les pollutions et l'effondrement de la biodiversité, mais c'est aussi la consommation, pas seulement d'énergie d'ailleurs, mais d'eau et de matières premières, puisqu'il y a aussi des data centers qu'il faut fabriquer et derrière, des puces aussi et donc, des matières premières que l'on doit trouver pour cela. Nous, on n'a pas eu de difficultés, mais effectivement, les pays en pointe dans l'intelligence artificielle, ce n'est pas les 195 pays du monde. Il y a un certain nombre de pays de haute technologie qui sont, aujourd'hui, en pointe et on est très heureux d'en avoir embarqué comme l'Allemagne.
LAURE CLOSIER
Il n'y a pas l'Inde par exemple.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, mais on a embarqué l'Allemagne et le Royaume-Uni, ça, c'est très important et on a embarqué des grands groupes qui, aujourd'hui, sont opérateurs, notamment en Inde et dans tous les autres pays du monde. Je pense notamment aux opérateurs français comme CAPGEMINI, mais qui ont des bataillons en Inde. Mais vous avez raison, on est aujourd'hui face à un doute au plan mondial sur la question de la frugalité, de la sobriété, alors que c'est un enjeu aussi de compétitivité. Quand vous utilisez moins d'énergie, moins d'eau, moins de matière première, c'est assez simple, ça coûte moins cher et vous êtes plus compétitif. Comparer aujourd'hui, ChatGPT et d'autres intelligences génératives dont on s'aperçoit qu'elles ont finalement coûté moins cher à développer, je pense à DeepSeek, alors, on ne sait pas exactement dans quelles conditions je pense aux chats français, mais en fait, les deux autres, si effectivement, il est avéré que DeepSeek a été développé avec peu de ressources, sont beaucoup plus compétitifs.
RAPHAËL LEGENDRE
Bon, mais ça, c'est, j'allais dire, les règles du marché, plus on est compétitif, moins on coûte cher, mieux c'est…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Les règles du marché rejoignent l'écologie. Consommer moins de ressources, ça coûte moins cher.
RAPHAËL LEGENDRE
Donc la concurrence, c'est la saine concurrence qui permet d'être frugal en quelque sorte.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et c'est aussi faire en sorte d'embarquer les…
RAPHAËL LEGENDRE
Cette coalition, très concrètement, Agnès PANNIER-RUNACHER, bon, on se fait plaisir, on signe des coalitions, mais…
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, non, on travaille.
RAPHAËL LEGENDRE
Elles s'engagent à quoi ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
On travaille derrière.
RAPHAËL LEGENDRE
Elle servira à quoi ? Très concrètement.
AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord, on travaille à mettre les scientifiques autour de la table, parce que l'intelligence artificielle frugale, ça veut dire s'inspirer des meilleures pratiques, effectivement de pilotage de l'énergie, de codage frugal, parce que plus votre codage est léger, moins vous mobilisez d'énergie pour le faire tourner. Donc ça, c'est de la science et nous, nous mettons les scientifiques du monde entier autour de la table, première chose. Deuxième chose, c'est l'agence internationale de l'énergie qui va mettre en place…
RAPHAËL LEGENDRE
Faire un observatoire de l'impact énergétique de l'IA.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.
RAPHAËL LEGENDRE
En quoi ça va consister ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
En quoi ça va consister, c'est de savoir très exactement combien on consomme d'énergie, qui sont les meilleurs, qui sont les moins bons, pour que tout le monde progresse et pour qu'il n'y ait pas de mensonges. Pas de mensonges autour de l'intelligence artificielle, pour pas qu'on repeigne en rose l'utilisation de l'intelligence artificielle.
RAPHAËL LEGENDRE
Il faut dire qu'il y a des chiffres absolument spectaculaires. Chaque requête sur ChatGPT consomme 2,8 wattheures d'électricité, ça ne parle pas beaucoup comme ça, c'est dix fois plus qu'une recherche sous GOOGLE.
LAURE CLOSIER
Et une bouteille d'eau aussi, selon certaines études.
RAPHAËL LEGENDRE
Accessoirement.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Et c'est d'ailleurs aussi un appel aux usagers, c'est-à-dire que lorsque vous cherchez un restaurant, vous n'avez pas besoin de passer par ChatGPT, il suffit de prendre un moteur de recherche basique. ChatGPT, et moi, je préfère dire utiliser le chat, c'est français, c'est plus léger, c'est plus écologique, c'est un moteur qui forcément est plus sophistiqué, donc, c'est pour des recherches.
RAPHAËL LEGENDRE
Et donc, vous appelez les utilisateurs à avoir une utilisation sobre de l'IA ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est très intéressant pour eux aussi, parce qu'à la fin tout se paye. Plus vous consommez de ressources, plus ça se paye, d'une manière ou d'une autre. Vous allez vous retrouver dans le prix. Plus la consommation augmente et plus la production est réduite, plus le prix augmente. Il n'y a pas de, " there's no free lunch ", comme on dit, il n'y a pas de repas gratuits dans l'économie.
LAURE CLOSIER
Est-ce que vous pensez qu'il y a les consommateurs qu'il faut responsabiliser, mais il y a aussi les utilisations industrielles de l'Intelligence artificielle, par exemple celui sur la voiture autonome. Est-ce qu'on gagne beaucoup à avoir des voitures autonomes, aujourd'hui, en mobilité ? Ce n'est pas clair, pourtant, on investit beaucoup, ça coûte beaucoup d'argent, ça coûte beaucoup de ressources. Est-ce qu'il faut flécher les investissements en Intelligence Artificielle vers ce qui est utile et vers ce qui ne l'est pas ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
La culture naturelle de l'industrie, c'est une culture de frugalité, parce qu'ils sont dans la compétition mondiale et parce qu'eux, ils vont chercher. Moi, j'ai travaillé dans l'industrie, j'ai travaillé dans l'industrie automobile. On était au gramme de plastique près en termes de consommation. Donc, je ne suis pas inquiète sur le fait que les industriels, naturellement, vont chercher à consommer la moindre ressource possible. Dès lors qu'ils les payent, c'est ça qui est important aussi. Et on ne va pas développer des usages qui sont inutiles. Mais effectivement, globalement, il faut regarder la manière dont on développe des modèles d'intelligence artificielle parce qu'on peut le faire mal, on peut le faire en faisant beaucoup de lignes de code, on peut le faire de manière lourde et puis on peut le faire très bien et là, c'est de la science derrière. C'est aussi de l'excellence dans le mode de codage. Et puis il y a les data centers où là aussi, il y a des façons d'utiliser l'énergie et l'eau, notamment pour refroidir les data centers, qui est efficace. Il y a une manière où on n'est pas efficace.
RAPHAËL LEGENDRE
Bon, on passe peut-être sur les questions de budget. Sauf si…
LAURE CLOSIER
Alors, on finit avec l'énergie. Avant, parce que je sais que c'est la passion de Raphaël, le budget, donc je sais qu'après je n'aurai plus de temps. La question énergétique, justement, on a entendu le président de la République dire que nous, on pouvait juste plugger, qu'on avait une énergie, une électricité quasiment éternelle. Sauf qu'on demande aux Français de faire des économies. On leur demande de faire attention à quel moment, ils utilisent leurs machines à laver. Est-ce qu'il n'y a pas une dichotomie à dire : « Nous allons mettre des data centers partout parce que nous avons beaucoup d'énergie », et en même temps de demander aux Français de faire attention à leur consommation individuelle ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Pourquoi on leur demande de faire attention à leur consommation individuelle ? Pour pouvoir progressivement se passer des énergies fossiles. Parce que nous sommes totalement dépendants des énergies fossiles. On importe 99% de pétrole en France. Et lorsque ça va mal chez les pays producteurs, ou lorsque les pays producteurs veulent nous imposer une augmentation des prix, on est incapable de pouvoir, on ne fait que subir, on ne peut pas résister. Et donc, l'électricité, c'est évidemment un enjeu qui est majeur. L'électricité qu'on consomme aujourd'hui est bien inférieure à l'électricité qu'on produit. En deux ans, on a augmenté 30% de notre production d'électricité. C'est un succès, c'est un succès des gouvernements successifs. Sous l'égide de Président MACRON, moi, j'ai été ministre de la Transition énergétique. Je peux vous dire que j'ai travaillé nuit et jour à augmenter la production d'énergie renouvelable et augmenter le nucléaire et aujourd'hui, on enregistre les gains de ce succès. Qu'est-ce qu'on fait derrière ? Bien sûr qu'il faut continuer à être sobre dans notre utilisation de l'énergie, parce que c'est gagnant, c'est gagnant pour notre balance commerciale, c'est gagnant pour nos emplois, et c'est gagnant pour nos emplois parce qu'on peut la proposer à d'autres, et notamment à des usages économiques qui créent de l'emploi et qui créent de la richesse. Ensuite, l'avantage des data centers, il est très simple : un data center, lorsqu'il y a une tension énergétique, peut se déconnecter du réseau. C'est ce que nous leur demandons. Et c'est pour ça qu'en fait, ils consomment notre trop-plein d'électricité quand on n'en a pas besoin, mais si on est confronté à un trop-plein, on coupe parce qu'eux, ils développent toujours des systèmes tampons parce qu'un data center ne peut pas perdre ses données, ça fait partie de son cahier des charges, et donc, il a toujours une capacité de 24-48 heures d'autonomie sans être connecté sur le réseau électrique.
LAURE CLOSIER
On y va pour le budget.
RAPHAËL LEGENDRE
Agnès PANNIER-RUNACHER, la frugalité, l'Etat essaie de se l'appliquer à ses propres dépenses. Le budget de l'écologie va passer de 24 à 21 milliards d'euros entre 2024 et 2025. C'est compliqué pour vous, là, non ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne sais pas où vous avez trouvé ces chiffres. Ils sont faux.
RAPHAËL LEGENDRE
Dans le PLF.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, non, non. Le budget de l'écologie, il augmente de 600 millions d'euros, d'accord ?
RAPHAËL LEGENDRE
Ma Prime Rénov va passer de 4 milliards à 2,3 milliards, l'écologie, c'est moins 10%…
LAURE CLOSIER
C'est le périmètre qui a changé, c'est ça ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce n'est pas le périmètre. Je vous parle du périmètre dans lequel on prend aussi la partie énergétique. L'énergie augmente de quatre milliards. Quatre milliards. C'est important qu'on se dise les choses.
RAPHAËL LEGENDRE
Bien sûr. Vous êtes là pour ça.
AGNES PANNIER-RUNACHER
L'énergie augmente de quatre milliards. Ensuite, vous avez raison de souligner que ma Prime Rénov est sur les niveaux de budget. Vous savez de quel niveau de budget ils sont ?
RAPHAËL LEGENDRE
De 4 milliards à 2,3 milliards. Ça passe.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. En fait, 2,3 milliards, c'est le deuxième chiffre le plus haut de l'histoire de Ma Prime Rénov après 2023 qui était à 2,5 milliards. Parce que l'année dernière, on n'a jamais eu quatre milliards d'euros de budget. Immédiatement après avoir voté le budget, on a supprimé des crédits parce qu'on a commencé à piloter et à faire des efforts de réduction budgétaire. Et moi, je les assume. J'étais dans le Gouvernement. On a commencé à avoir des problèmes de finances publiques. On a tout de suite réduit certaines…
RAPHAËL LEGENDRE
On a toujours 150 milliards d'euros de déficit public en France.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement. Attention à ce qu'on dit sur l'écologie, le budget…
RAPHAËL LEGENDRE
Le budget de l'économie ne baisse pas.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Le budget de l'écologie est en légère augmentation, notamment à cause des énergies renouvelables. Est-ce que toutes les lignes sont en augmentation ? Non. Il y a notamment une ligne qui n'est pas négligeable, qui est l'électrification des véhicules, qui est en très forte diminution. Donc, il y a des efforts qui sont consentis. On peut politiquement les discuter et les critiquer, mais ce qui a fait le plus de mal au budget de l'économie et de l'écologie, en réalité, c'est la censure, c'est le fait que le mois de janvier, j'ai eu zéro crédit pour Ma Prime Rénov. Monsieur et Madame MARTIN qui voulaient rénover leur logement, zéro crédit. J'ai eu zéro crédit sur le front vert.
RAPHAËL LEGENDRE
C'est reporté dès le mois de mars.
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est reporté, mais c'est reporté au mois de mars. Ça veut dire que pendant deux mois, vous ne tournez pas. Ça veut dire que j'ai perdu deux mois de l'année. Deux mois de l'année, c'est 16 % de budget. Donc, tous les hypocrites qui disent : " On a sacrifié le budget de l'écologie " et qui ont voté la censure et qui ont donc remis à zéro mes crédits, je leur renvoie la responsabilité.
LAURE CLOSIER
Il ne nous reste plus de temps, je vous pose la question quand même : qu'est-ce que vous répondez à toute la droite extrême qui montent sur les questions d'agence, qui veulent supprimer l'ADEME, supprimer les ZFE, qui veut supprimer les ZAN, qui s'attaquent, justement, qui s'attaquent justement par la question à des normes pour dire qu'il faut simplifier directement aux décisions écologiques ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors on a bien compris que Trump avait lancé un concours. On n'est pas obligé de tous y participer puisque de quoi est-il question ? Il y a deux choses. Moi, je ne confonds pas écologie et bureaucratie. J'ai été la première à porter des lois de simplification. J'ai été dirigeante d'entreprise, j'ai dirigé une entreprise de 5 000 personnes. Je connais la musique de l'économie de marché, j'ai porté des projets, j'ai été confronté à des normes qui étaient parfois un peu paradoxales et compliquées. Mais de l'autre côté, ce qui est en jeu avec le dérèglement climatique, c'est un enjeu de souveraineté, c'est une raréfaction de l'accès aux ressources, que ce soit l'alimentation, la pêche, les matières premières, l'énergie, l'eau. Et ça, ça va poser un problème rapide en Europe et en France si on ne le prend pas à bras-le-corps. Et donc, ce n'est pas l'écologie le problème. Le problème aujourd'hui que nous avons, c'est le dérèglement climatique et son impact sur notre économie, mais aussi sur notre patrimoine. Allez voir les Français qui sont face à des inondations et qui ont perdu leur maison et dites-leur, les yeux dans les yeux : " On ne va rien faire et débrouillez-vous ".
LAURE CLOSIER
Merci beaucoup, Agnès PANNIER-RUNACHER, d'être venue ce matin dans la matinale de l'économie.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 février 2025