Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'urgence pour Mayotte (projet n° 260, texte de la commission n° 283, rapport n° 282, avis n° 275 et n° 277).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, Ra Hachiri, nous sommes vigilants !
La devise mahoraise traduit parfaitement mon sentiment, quelques jours après mon retour de Mayotte, ce samedi matin.
Sans négliger les difficultés qui persistent ni les exigences, fortes et impérieuses, auxquelles nous faisons face, je peux dire avec lucidité que nous nous dirigeons progressivement vers une sortie de la phase d'urgence vitale.
De mes échanges avec les élus et la population, il ressort en effet que les accès à l'eau, à l'électricité ou encore à la nourriture se sont nettement améliorés.
L'objectif de rétablissement de l'électricité à 100 % au 31 janvier a été tenu.
La rentrée scolaire a démarré dans des conditions évidemment très difficiles, mais elle a pu être organisée grâce à l'engagement des personnels éducatifs et de sécurité civile appelés en renfort.
Nous n'avons rien éludé et je me suis rendu par exemple, avec la ministre d'État Élisabeth Borne, au collège de Chiconi, détruit à 80 % par le cyclone Chido. Des tentes y sont installées et les cours reprendront aujourd'hui même.
Ainsi, 182 écoles sur 221 et 28 collèges et lycées sur 33 ont pu rouvrir. En outre, trois établissements supplémentaires rouvriront cette semaine.
Ce matin, les 300 migrants qui occupaient le collège de Kwalé ont enfin été évacués.
En matière de déchets, beaucoup reste à faire. L'installation de stockage des déchets non dangereux de Dzoumogné, que j'ai pu visiter, fonctionne à plein régime. Elle accueille 340 tonnes de déchets journaliers, mais 6 000 tonnes restent encore à évacuer.
L'objectif d'achever le traitement des déchets ménagers dans un mois reste un immense défi. Dans ce cadre, nous expérimenterons cette semaine le brûlage selon un mode opératoire visant à préserver l'environnement et la santé.
En matière d'accès aux soins, cinq dispensaires sur sept sont rouverts, notamment celui de Mtsamboro – je l'ai moi-même constaté vendredi dernier –, conformément à l'engagement que j'ai pris lors de ma première visite à la fin du mois de décembre.
Ces avancées sont dues, bien sûr, aux agents de l'État – en premier lieu, au préfet François-Xavier Bieuville –, aux volontaires et bénévoles qui se sont mobilisés, mais surtout à l'impressionnante résilience des Mahorais que j'ai rencontrés.
Je veux parler, d'abord, de la population. Forte et courageuse, elle a été mise à rude épreuve, et ce d'ailleurs – disons la vérité – bien avant Chido.
Je pense, ensuite, aux entrepreneurs. À Ironi Bé, j'ai visité une usine qui a acheminé des tôles depuis Madagascar pour renforcer ses bâtiments et, ainsi, fournir en nourriture animale des éleveurs pour contribuer à la difficile relance de la production agricole.
L'État accompagne les acteurs économiques, notamment agricoles, au titre du fonds de secours pour l'outre-mer, grâce à la circulaire que j'ai signée ce matin, qui prévoit notamment 15 millions d'euros d'aides pour les agriculteurs. Il reste toutefois beaucoup à faire dans ces filières économiques et agricoles.
Je salue, enfin, les élus. Ils se sont engagés pleinement dans l'amélioration de la situation sur le terrain, en facilitant par exemple le nettoyage des cours d'eau. L'énergie qu'ils déploient pour imaginer des projets de construction de logements ou d'installation de services publics est remarquable.
Impliqués dans la gestion de crise, les élus seront incontournables dans la reconstruction et la refondation qui nous attendent.
C'est aussi le cas des parlementaires, en particulier de Mme et M. les sénateurs Salama Ramia et Saïd Omar Oili. À ce titre, j'ai d'ailleurs décidé de confier à Mme Salama Ramia une mission de suivi de la reconstruction de Mayotte, aux côtés de l'équipe qui se met en place auprès de mon cabinet.
M. François Patriat. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre d'État. Cette équipe sera dirigée par le général Pascal Facon, qui est resté sur place après m'avoir accompagné.
Je crois au contrôle parlementaire qu'exerce également la délégation sénatoriale aux outre-mer présidée par Micheline Jacques. Monsieur le président, je sais l'importance que cette mission constitutionnelle revêt ici, au Sénat.
J'ai aussi profité de mon déplacement à Mayotte pour signer avec le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni, et le président de l'association des maires de Mayotte, Madi Madi Souf, une convention d'intention affirmant les grands principes devant guider la refondation : durcissement des règles contre l'immigration illégale, lutte contre les bidonvilles, développement des infrastructures et, surtout – c'est la grande promesse non accomplie –, convergence économique et sociale.
Pour autant, tout reste à faire. Une fois passée la gestion de crise, nous devons reconstruire, puis refonder Mayotte. De nombreux défis sont devant nous.
Reconstruire d'abord, tel est l'objet du projet de loi dont nous discutons aujourd'hui, sur lequel les commissions compétentes de votre assemblée ont effectué un travail très important.
De nombreuses dispositions qui avaient été introduites à l'Assemblée nationale et qui alourdissaient le texte initial ont en effet été retirées dans la version qui vous est soumise, mesdames, messieurs les sénateurs, tandis que les mesures visant à lutter contre les bidonvilles, ajoutées sur l'initiative du Gouvernement ou avec son soutien, ont été conservées.
Les rapporteurs reviendront naturellement sur les apports de leurs commissions respectives. Permettez-moi néanmoins de souligner la volonté de la commission des affaires économiques de mieux associer les élus au conseil d'administration de l'établissement public chargé de la reconstruction de Mayotte et son choix de rétablir l'article 3 sur le relogement d'urgence, en le recentrant sur les services publics et les personnels venus en renfort.
Le Gouvernement soutient pleinement Mme le rapporteur Micheline Jacques dans sa volonté d'exonérer le territoire de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les déchets pendant deux ans.
La nouvelle écriture par la commission des lois de l'article 2, qui autorise l'État d'assumer temporairement la compétence de construction ou de reconstruction des écoles publiques communales à Mayotte à la demande des communes concernées, permet d'atteindre un bon équilibre.
Il convient d'élargir cette faculté aux dégâts de la tempête Dikeledi notamment. C'est pourquoi le Gouvernement soutient l'amendement n° 121 de Mme la rapporteure Isabelle Florennes et l'endosse financièrement.
Les dérogations aux règles de la commande publique ont été clarifiées, tout comme les dispositifs permettant de garantir la participation des entreprises mahoraises à la reconstruction. Il s'agit là d'un point essentiel qui suscite une forte attente, en particulier chez les acteurs économiques que j'ai rencontrés vendredi dernier.
Quant à la commission des affaires sociales, dont je remercie Mme le rapporteur Christine Bonfanti-Dossat, elle a soutenu les mesures sociales temporaires en faveur de la population et des professionnels à Mayotte, tout en améliorant l'association des partenaires sociaux.
J'en viens brièvement à l'article 10, qui a été supprimé à l'Assemblée nationale et qui habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter les règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique.
Notre intention était d'adapter notre droit à la réalité de terrain de Mayotte, où il est difficile d'identifier les propriétaires fonciers.
De notre point de vue, cet article était nécessaire, car plusieurs étapes procédurales préalables au prononcé de l'expropriation, tout comme la fixation de l'indemnité par le juge, imposent l'identification formelle du propriétaire.
Notre idée était d'organiser ces étapes et de garantir le respect des droits qu'elles protègent, en attendant que les propriétaires soient expressément identifiés, par exemple, par la désignation d'un mandataire chargé de représenter leurs intérêts.
Les juges auraient pu, ainsi, fixer une indemnité et la consigner, de sorte que l'indemnisation du propriétaire soit garantie, une fois ce dernier identifié.
Évidemment, il n'a jamais été question, comme je l'ai entendu sur place, d'exproprier à tour de bras, encore moins sans indemnisation.
J'ai été maire. Je suis un homme de dialogue, respectueux du travail des élus et du sentiment des populations, en particulier dans les situations où la confiance a été rompue depuis longtemps.
Je constate que cet article a été mal compris et que le recours à l'ordonnance n'a pas aidé, précisément, au rétablissement de cette confiance.
J'ai donc choisi de ne pas proposer le rétablissement de l'article 10. À l'issue de plus amples concertations, le Gouvernement reviendra devant le Parlement pour présenter, dans le cadre d'un second projet de loi, un dispositif "en dur" si cela est toujours possible.
Par ailleurs, nous défendrons un amendement n° 158 visant à mettre en place un prêt à taux zéro ouvert à toutes les familles mahoraises souhaitant reconstruire leur maison, même lorsque leur habitation n'était pas assurée, ce qui est le cas de figure largement majoritaire sur place.
Cette mesure permettrait d'emprunter jusqu'à 50 000 euros pour une durée maximale de trente ans, avec un différé d'amortissement de cinq ans.
Je m'engage à ce que ce prêt soit distribué le plus rapidement possible par les banques et Action Logement.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous agissons, mais il faut pour cela que ces dispositions soient mises en œuvre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la reconstruction exigera des engagements financiers considérables.
Au terme d'un travail colossal et de grande qualité, la mission inter-inspections chargée d'évaluer les dégâts, qui s'est longuement rendue sur place, estime le coût des destructions liées au cyclone entre 3 milliards et 3,5 milliards d'euros.
Au regard des projets qui sont en cours à Mayotte – certains préexistaient même au passage de Chido –, nous savons qu'il faudra beaucoup investir dans les années qui viennent.
L'État sera au rendez-vous, en fournissant des aides directes – nous attendons évidemment avec impatience l'adoption définitive du projet de loi de finances pour 2025 –, mais également grâce à la mobilisation, sur plusieurs années, des fonds européens.
Le Gouvernement tout entier s'y consacre. Je salue par exemple l'annonce du ministre des armées Sébastien Lecornu : nous avons décidé, ensemble, de créer un bataillon temporaire de reconstruction doté de plusieurs compagnies de génie, d'infanterie, de commandement et de logistique. Quelque 350 à 400 soldats supplémentaires s'installeront ainsi à Mayotte.
Les assurances et l'Agence française de développement auront aussi un rôle à jouer. Les assurances en particulier doivent prendre leurs responsabilités, comme elles doivent le faire également en Nouvelle-Calédonie.
Ceux qui affirment – ils se font rares désormais – que ce projet de loi ne contient pas grand-chose ou que l'État n'est pas au rendez-vous pourront constater, même si rien n'est parfait, l'action qui a été engagée.
Comme chacun sait, remobiliser après une telle catastrophe prend nécessairement du temps. Il est naturel que s'expriment colère et impatience, et je l'entends.
Toutefois, ce projet de loi n'est qu'une première réponse : après le temps de l'urgence et celui de la reconstruction doit venir celui de la refondation. Tout est lié, évidemment.
Au cours des deux prochains mois, je présenterai un second texte, un projet de loi programme pour Mayotte, qui visera à permettre le développement économique, éducatif et social du territoire sur de nouvelles bases.
Le chantier de refondation est immense. Je pense notamment à la question de l'école. Comment accepter que des enfants aillent à l'école uniquement le matin, et pas l'après-midi ? Comment accepter autant de carences dans l'offre de restauration scolaire ?
Sans ce second volet de notre réponse, nous reconstruirons sur du sable. Cessons de nous mentir : si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé des calamités qui existaient déjà.
Il a ainsi mis en lumière le sous-développement des infrastructures économiques et des services publics, entretenu par les deux fléaux qui rongent ce territoire depuis des années, l'habitat illégal et l'immigration clandestine, et ce alors même que les engagements ont été tenus.
Dans le domaine de l'eau, par exemple, à défaut de changement structurel, nous reviendrons au mieux, malgré les améliorations que j'évoquais, à la situation très insatisfaisante de l'avant-Chido.
C'est pourquoi, parmi les priorités du plan Mayotte debout, figurent la construction d'une deuxième usine de dessalement et l'accélération de la création d'une troisième retenue collinaire.
Nous devons être très attentifs à cette question, car le risque d'une nouvelle crise de l'eau, semblable à celle de 2023, existe bel et bien.
Nous devons nous y préparer et je m'y prépare. Il faudra innover et ne pas revenir aux méthodes de gestion de la pénurie et de distribution de bouteilles d'eau que nous avons connues par le passé.
En matière de reconstruction de logements, d'infrastructures, d'entreprises ou de services publics, la zone franche globale sera bénéfique ; nous la mettrons en œuvre.
Toutefois, les maires et les entrepreneurs me le disent tous : leurs projets sont empêchés par les bidonvilles. Soyons clairs : nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île-bidonville, même s'il faut résoudre nombre de problèmes avant que les engagements ne deviennent réalité.
J'ai vu des exemples concrets de projets visant à remplacer les bangas – les bidonvilles – par de véritables habitats. (Mme le rapporteur acquiesce.)
J'entends dire que rien n'est fait ou que l'État n'est pas présent. Pourtant, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ou encore Action Logement s'engagent bel et bien à Tsararano ou à Koungou.
C'est le cas également à Petite-Terre, où vous m'aviez conseillé d'aller, monsieur le sénateur Omar Oili. J'y ai vu, dans ses quartiers, de belles réalisations.
M. Saïd Omar Oili. Merci !
M. Manuel Valls, ministre d'État. Cela suppose également de s'attaquer très sérieusement à l'immigration illégale, qui pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes, nourrit l'ultraviolence et alimente des réseaux de trafiquants d'êtres humains.
Certes, la réalité est parfois bien plus complexe. Certes, il y a des situations très particulières. Il n'en reste pas moins que l'immigration clandestine nécrose Mayotte. Les Mahorais n'en peuvent plus. La société craque et le pire est possible, surtout si les crises s'accumulent.
Nous agissons déjà et j'ai pu saluer les unités engagées dans cette lutte, sur terre et en mer. Les radars qui avaient été détruits par le cyclone ont déjà été remplacés et de nouvelles capacités ont été mises en œuvre. Par ailleurs, Sébastien Lecornu a annoncé que nos militaires continueraient d'assumer cette mission.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons avoir, me semble-t-il, une réflexion plus large sur la place de Mayotte dans l'océan Indien.
Le ministre des armées a ainsi indiqué que notre présence militaire dans cette région stratégique devait être renforcée de manière pérenne.
Nous devrons aussi prendre des mesures fermes pour renforcer juridiquement nos moyens de lutte.
À cet égard, Bruno Retailleau et moi-même travaillons déjà sur ce volet primordial du second projet de loi. Parmi les mesures envisagées figurent notamment l'allongement de la durée de résidence régulière des parents pour permettre l'accès des enfants à la nationalité française, l'amélioration des outils de lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité ou encore l'extension de l'aide au retour volontaire des ressortissants africains dans leur pays d'origine.
Rien n'est simple, mais, si nous ne réglons pas ce dossier, nous aurons de grandes difficultés à accomplir les autres pans de notre projet.
Nous devons donc porter le nombre d'éloignements de clandestins de 25 000 aujourd'hui à 35 000 demain, et sans doute plus encore. Cela suppose aussi un rapport très ferme avec le gouvernement des Comores.
Nous devons d'ailleurs montrer la plus grande fermeté également à l'égard de ceux qui, comme l'Azerbaïdjan, tentent de déstabiliser la France, aussi bien à Mayotte que dans l'ensemble des outre-mer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le martèle depuis le premier jour : j'ai pour mission de ne pas laisser tomber Mayotte.
J'y retournerai régulièrement, de même que les membres du Gouvernement, de façon à informer le Parlement sur l'avancement de cette reconstruction et de cette refondation.
Le monde entier observe ce que nous sommes capables de faire dans ce territoire si attaché à la France.
C'est cet attachement viscéral à notre pays qui explique aussi, sinon ces ruptures de confiance, du moins cette attente et cette exigence à l'égard de l'État.
Nous ne lâcherons rien pour aider Mayotte à se relever. Nous ne transigerons sur rien pour reconstruire l'île sur des bases plus saines, pour changer son visage et, à travers elle, la vie des Mahorais. Ils le méritent et nous le leur devons. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains. – Mme la rapporteure pour avis de la commission des lois applaudit également.)
Source https://www.senat.fr, le 14 février 2025