Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi d'urgence pour Mayotte
(…)
La parole est à M. le ministre d'État, ministre des outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
Il y a moins d'un mois, alors que je présentais ce projet de loi d'urgence pour Mayotte devant la commission des affaires économiques de votre assemblée, j'avais souhaité plus largement définir notre méthode structurée en trois temps : les urgences vitales ; la reconstruction ; la refondation.
S'agissant du premier temps – la gestion de crise –, je peux dire, avec lucidité, modestie et prudence, que nous nous dirigeons progressivement vers une sortie de la phase d'urgence vitale. Des difficultés sérieuses persistent, mais il ressort des échanges que j'ai eus sur place avec la population et des retours que je reçois régulièrement des élus et du préfet, que l'accès à l'électricité ou à la nourriture s'est vraiment amélioré. Précisément, l'objectif de rétablissement de l'électricité à 100 % au 31 janvier a été tenu.
La rentrée scolaire a démarré dans des conditions très difficiles mais l'engagement des personnels éducatifs, des renforts de sécurité civile et des élus a permis de l'organiser. Dans le second degré, l'intégralité des établissements a rouvert. Dans le premier degré, seules une vingtaine d'écoles – c'est encore beaucoup – demeurent dans l'incapacité d'accueillir les élèves. Des tentes-écoles ont été positionnées. Pas moins de 1 100 élèves ont pu être scolarisés hors de Mayotte, dont 400 à La Réunion.
Pour répondre à votre alerte sur ce sujet, madame la rapporteure, les élus n'ont pas la main sur les inscriptions scolaires. Transmettez-moi s'il vous plaît les signalements précis et concrets dont vous avez connaissance. Comme vous, je rappelle que Mayotte, c'est la France, et que les enfants mahorais ont le droit d'être accueillis partout. Le devoir de responsabilité s'impose à chacun. Par ailleurs, vous le savez, nous aménageons les épreuves de fin d'année et les remplaçons en grande partie par du contrôle continu. La reconstruction des écoles est une priorité ; c'est pourquoi le projet de loi de finances pour 2025 prévoit 2,5 millions d'euros immédiatement et directement dédiés.
L'objectif d'achever le traitement des déchets ménagers dans un mois reste un immense défi. Nous avons commencé des brûlages selon un mode opératoire qui préserve l'environnement et la santé. En matière d'accès aux soins, cinq dispensaires sur sept ont rouvert et si l'élément de sécurité civile rapide d'intervention médicale (Escrim) a dû être démonté comme prévu, un hôpital de campagne associatif a pris le relais.
Ces avancées sont dues, bien sûr, aux agents de l'État et en premier lieu au préfet François-Xavier Bieuville, aux volontaires et aux bénévoles mobilisés mais surtout à l'engagement des Mahorais – la population, mais aussi les entrepreneurs que l'État doit accompagner. La circulaire sur le fonds de secours outre-mer, qui prévoit notamment 15 millions d'euros d'aides pour les agriculteurs, a été signée par l'ensemble des ministres concernés.
Je veux aussi rendre hommage aux élus, à l'engagement des deux députées mahoraises Estelle Youssouffa et Anchya Bamana et de l'ensemble des maires et des conseillers départementaux. Impliqués dans la gestion de crise, ils seront incontournables dans la reconstruction et la refondation qui nous attendent. C'est pourquoi, lors de mon déplacement à Mayotte il y a quinze jours, j'ai signé avec le président du conseil départemental Ben Issa Ousseni et le président de l'association des maires de Mayotte Madi Madi Souf une convention d'intention affirmant les grands principes qui doivent guider la refondation : durcissement des règles contre l'immigration illégale, lutte contre les bidonvilles, développement des infrastructures, mais surtout convergence économique et sociale.
La phase d'urgence s'éloigne donc progressivement. Pour autant, tout reste à faire. La gestion de crise passée, il nous faut reconstruire, puis refonder Mayotte. De nombreux défis sont donc devant nous.
S'agissant de la reconstruction, le deuxième temps que j'évoquais, nous franchissons aujourd'hui une étape décisive. J'avais déclaré lors de mon audition devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale que nous avions collectivement, dans le cadre de ce projet de loi, une responsabilité extrêmement forte. Le Parlement s'est hissé à la hauteur de cette responsabilité : l'adoption de ce projet de loi en première lecture a recueilli une quasi-unanimité à l'Assemblée nationale et une totale unanimité au Sénat ; la commission mixte paritaire n'a eu aucun mal à trouver un accord utile et équilibré et j'en remercie très sincèrement sa présidente et ses deux rapporteures ; enfin, sur le fond, des compromis féconds ont été trouvés par les deux chambres.
Ainsi, à l'article 1er, la composition de l'établissement public a d'ores et déjà été précisée, dans le sens d'une meilleure représentation des collectivités territoriales, notamment des intercommunalités. À l'article 2, la prise en charge par l'État de la reconstruction des écoles se fera à la demande des communes concernées. Enfin, la dispense de toute formalité d'urbanisme pour les constructions démontables temporaires prévue à l'article 3 a été davantage encadrée afin de limiter leurs utilisations possibles et de garantir clairement qu'elles ne deviendront pas pérennes – il s'agissait d'un de vos combats, madame la rapporteure.
Outre ces modifications des articles initiaux, des mesures ont également été ajoutées au cours du débat parlementaire, sur des sujets fondamentaux pour nous tous. Plusieurs dispositifs de lutte contre les bidonvilles ont été intégrés à l'initiative ou avec le soutien du Gouvernement, comme l'extension de l'ordonnance de l'article 4 à cet objectif, ou l'encadrement de la vente de tôles aux particuliers à l'article 4 bis. L'article 13 bis AA permettra de garantir la participation des entreprises mahoraises à la reconstruction, puisqu'il prévoit la faculté de réserver jusqu'à 30 % du montant estimé d'un marché aux microentreprises, PME et artisans basés à Mayotte.
L'article 17 bis AA, intégré au texte à l'initiative du Gouvernement, instaure un prêt à taux zéro ouvert à toutes les familles mahoraises pour reconstruire leur maison, même lorsque leur habitation n'était pas assurée. Il permettra d'emprunter jusqu'à 50 000 euros, pour une durée maximale qui pourra aller jusqu'à trente ans et intégrer un différé d'amortissement de cinq ans. Je m'engage, avec les banques et Action logement, à ce que ce prêt soit distribué le plus rapidement possible dès sa création. Enfin, l'article 17 ter exonère le territoire de taxe sur les activités polluantes et les déchets pendant deux ans.
Tous ces ajouts prouvent la richesse du débat parlementaire auquel je suis extrêmement attaché, comme je crois l'avoir prouvé à chaque étape de nos discussions. La reconstruction nécessitera des engagements financiers considérables. La mission inter-inspections chargée d'évaluer les dégâts achève ses travaux, qui ont été d'une très grande qualité : le coût des destructions s'établira autour de 3 à 3,5 milliards d'euros – les chiffres définitifs seront donnés par la mission. L'État sera au rendez-vous, avec des aides directes et la mobilisation des fonds européens pendant plusieurs années. Le premier ministre, le ministre de l'économie et moi-même, sensibles à vos alertes, allons réunir les compagnies d'assurances s'agissant de Mayotte mais aussi de la Nouvelle-Calédonie : nous attendons plus d'engagement et de célérité de leur part. Les assurances et l'agence française de développement (AFD) auront un rôle essentiel à jouer.
Enfin, ce projet de loi garantit aussi la participation des entreprises mahoraises à la reconstruction de leur territoire. Nous devrons veiller à ce qu'elles aient accès à tous les marchés. Je sais qu'une délégation de la commission des affaires économiques effectuera un déplacement à Mayotte du 25 au 28 février ; vos retours nourriront notre réflexion commune.
Le Gouvernement tout entier est mobilisé pour faciliter la reconstruction. Ainsi, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, et moi-même avons décidé de créer un bataillon temporaire de reconstruction doté de plusieurs compagnies de génie, d'infanterie, de commandement et de logistique : en tout, entre 350 et 400 soldats vont s'installer à Mayotte. Je suis convaincu que nous en verrons rapidement les résultats ; c'est ce qu'attendent les Mahorais et ce que j'attends en tant que ministre.
Mais le projet de loi que vous vous apprêtez à adopter définitivement n'est qu'une première réponse : après le temps de l'urgence et celui de la reconstruction viendra le temps de la refondation. D'ici à quelques semaines, après avoir pris le temps d'effectuer les consultations qui s'imposent, nous présenterons un second texte, un projet de loi-programme pour Mayotte, destiné à permettre le développement économique, éducatif et social du territoire sur de nouvelles bases. Il s'appuiera sur le plan stratégique que va élaborer le général Pascal Facon, préfigurateur de l'établissement public chargé de coordonner les travaux – auprès de mon ministère –, mais surtout chef de la mission interministérielle de reconstruction de Mayotte. Il est d'ailleurs sur place, de nouveau, avec une partie de son équipe, aux côtés du préfet, des services déconcentrés de l'État et des élus. Il se tient à la disposition des parlementaires. Nous devons travailler ensemble à construire un texte de loi particulièrement efficace. Ses mesures devront s'inscrire dans la droite ligne des actions déjà engagées, mais surtout avoir pour objectif central de rattraper le retard auquel Mme la rapporteure et Mme la présidente de la commission ont toutes deux fait allusion.
Je serai très attentif à ce que nous défendions un vrai projet en faveur de la jeunesse. C'est le grand défi du pays pour les collectivités d'outre-mer et tout particulièrement pour Mayotte. Le régiment du service militaire adapté (RSMA) fait déjà un travail remarquable : par exemple, il forme des jeunes aux métiers du raccordement de la fibre. Il suffit d'entendre le chef du régiment citer le taux d'illettrisme en français pour prendre la mesure des efforts d'éducation requis, en quantité et en qualité.
Si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé les problèmes calamiteux qui existaient déjà. Je pense au sous-développement des infrastructures économiques et des services publics, entretenu par les deux fléaux qui rongent l'île depuis des années et qui ont suscité de nombreux débats dans cette assemblée : l'habitat illégal et l'immigration clandestine. En ce qui concerne l'eau, par exemple, s'il n'y a pas de changement structurel, nous reviendrons au mieux à la situation très insatisfaisante d'avant Chido ; je rappelle que l'île avait connu une crise de l'eau un an auparavant. C'est pourquoi parmi les priorités du plan Mayotte debout figurent la construction d'une deuxième usine de dessalement et l'accélération de la création d'une troisième retenue collinaire. Il faut refondre entièrement l'infrastructure car Mayotte souffre à la fois de problèmes de production et de problèmes de distribution. Nous avançons sur ces deux projets. Nous devons être très attentifs car le risque d'une nouvelle crise de l'eau semblable à celle de 2023 est bien réel.
La zone franche globale facilitera bien sûr la reconstruction de logements, d'infrastructures, d'entreprises ou de services publics, mais tous les maires ou entrepreneurs me rapportent que leurs projets sont souvent empêchés par les bidonvilles. Je le dis donc avec clarté : nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville. Au-delà des mesures présentes dans le projet de loi, c'est sur le terrain que cette lutte prend tout son sens. La préfecture prépare ainsi l'évacuation du quartier Hacomba à Dzoumogné. Les décasages reprennent, et c'est une bonne nouvelle. J'ai vu des exemples concrets de projets visant à remplacer les bangas par de vrais projets d'habitat, à Tsararano, à Koungou ou sur Petite-Terre, grâce à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et à Action logement.
Cela suppose aussi de s'attaquer très sérieusement à l'immigration illégale, qui pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes, nourrit l'ultraviolence et alimente des réseaux de trafic d'êtres humains. L'immigration clandestine nécrose Mayotte. Les Mahorais n'en peuvent plus ; il faut leur offrir des solutions concrètes. Cela est difficile mais nous agissons déjà. Je salue les unités engagées dans cette lutte, sur terre et en mer, qui s'appuient sur de nouvelles capacités radar. Sébastien Lecornu a annoncé que les soldats continueraient d'assumer cette mission et que la présence militaire dans cette région stratégique serait renforcée de manière pérenne. Toutefois, nous devrons aussi prendre des mesures fermes pour renforcer juridiquement nos moyens de lutte contre l'immigration illégale. Il s'agira d'un volet primordial de la loi-programme, sur lequel je travaille déjà avec le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, et qui comprendra notamment l'allongement de la durée de résidence régulière des parents requise pour que leurs enfants accèdent à la nationalité française, de meilleurs outils pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, ou encore l'extension de l'aide au retour volontaire des ressortissants africains dans leur pays d'origine. Enfin, nous devons porter de 25 000 à 35 000 les éloignements de clandestins, ce qui suppose d'engager un rapport beaucoup plus ferme avec les Comores.
En adoptant ce projet de loi, vous prouverez aux Mahorais que la nation est à leurs côtés, que nous ne laisserons pas tomber Mayotte, que nous ne lâcherons rien pour l'aider à se relever. Vous leur prouverez enfin que nous ne transigerons sur rien pour reconstruire l'île sur des bases plus saines, pour changer son visage et, à travers elle, leur vie tout entière. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 14 février 2025