Interview de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et des Français de l'étranger, à France 2 le 13 février 2025, sur l'augmentation des droits de douane, le conflit en Ukraine et la prochaine élection présidentielle.

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Média : France 2

Texte intégral

JOURNALISTE
C'est l'heure du rendez-vous politique. Donc, vous filez rejoindre Laurent SAINT-MARTIN, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et des Français à l'étranger. C'est votre invité, Jean-Baptiste. Bonjour et bienvenue.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Laurent Saint-Martin.

LAURENT SAINT-MARTIN
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bienvenue dans les 4 V. On va d'abord parler de droits de douane, parce qu'après le Mexique, le Canada et la Chine, Donald TRUMP s'en prend également à l'Europe, maintenant, avec des droits de douane supplémentaires de 25%, notamment, sur l'acier et l'aluminium. Alors, la réponse de l'Europe et de la France, il faut dire qu'elle est assez timide, voire inexistante pour l'instant. Quand est-ce que l'Europe va répondre à Donald TRUMP, et comment selon vous ?

LAURENT SAINT-MARTIN
D'abord, il faut regarder ce qui se passe depuis maintenant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Il y a beaucoup d'annonces. Et vous voyez bien finalement que ces annonces ne sont pas qu'une question commerciale et qu'une question de droits de douane, et qu'elles viennent souvent s'insérer dans des négociations plus larges. On a vu les discussions qui avaient eu lieu entre les États-Unis, par exemple, et ses voisins : le Mexique et le Canada.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Beaucoup d'annonces et après, on suspend les menaces.

LAURENT SAINT-MARTIN
Chacun a bien compris, et Donald TRUMP l'avait déjà fait dans une certaine mesure lors de son premier mandat, que cela s'intègre dans des négociations plus larges. Donc, il ne faut pas céder à la panique, tout d'abord, il ne faut pas surréagir. D'abord, parce que la France et l'Europe croient dans le commerce international et affirment depuis le début qu'une guerre commerciale ne serait dans l'intérêt de personne, à commencer par les États-Unis, directement, qui serait pénalisé et qui verrait une inflation évidemment augmentée, s'il y avait des droits de douane trop importants sur leurs propres importations.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Pourquoi aussi il a reculé sur le Mexique et le Canada ? Parce qu'en face, il y a eu des gens qui ont montré les muscles.

LAURENT SAINT-MARTIN
J'y viens justement. D'abord, ce sujet des droits de douane sur l'acier et l'aluminium, ça ne concerne pas que l'Europe. Ce sont sur toutes les importations. Mais là où vous avez raison, c'est que si l'Europe ne montre pas une capacité de réponse et de rétorsion, c'est-à-dire, de contre-mesure, alors effectivement, elle sera faible. Et là, je vous rejoins. Et hier, j'étais en réunion avec l'ensemble de mes homologues européens. Nous avons, autour du commissaire Maros ŠEFCOVIC, qui est en charge du commerce extérieur, nous avons justement eu ces réflexions-là, et l'Europe devra apporter des réponses concrètes, comme elle l'a déjà fait d'ailleurs en 2018. Souvenez-vous. L'Europe avait mis des contre-mesures en place et ça a permis de protéger nos propres industries. Et ça a permis aussi de montrer que nous sommes capables de créer un rapport de force avec les Etats-Unis.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
C'était assez symbolique à l'époque, avec notamment, les Harley Davidson, les jeans. Ce genre de choses qui étaient taxés.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais c'était plus que symbolique. Ça a montré que l'Europe savait répondre. Et je crois qu'il faut que l'Europe soit ferme dans sa réponse, si les droits de douane, effectivement, venaient à s'appliquer.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc, on ferait comment ? Il faudrait mettre des droits de douane également, équivalents en France ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Comme nous l'avons fait, encore une fois, en 2018. Nous savons le faire à l'échelle européenne et peut-être que cela devra être fait sur d'autres produits, sur d'autres mesures. Nous avons un mois pour y travailler à partir du moment où les mesures de droits de douane américaines sont mises en place.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Elles doivent entrer en vigueur dans un mois. Le 12 mars.

LAURENT SAINT-MARTIN
Oui, mais nous avons à nouveau une position, vous comprenez bien, de rapports de force à créer, mais aussi, de fin de naïveté. Est-ce que l'Europe veut enfin se réveiller et être unie par rapport aux États-Unis, par rapport à la Chine, par rapport au reste du monde aussi, qui s'adapte à cette nouvelle donne commerciale mondiale ? Ça veut dire quoi à la fin ? Ça veut dire que nous ne serons jamais pour une guerre commerciale. Nous ne serons jamais ceux qui créeront, en premier, le conflit sur ces sujets des droits de douane, parce que c'est tout simplement mauvais pour la croissance. C'est mauvais pour l'emploi et c'est mauvais, d'ailleurs, pour ceux qui l'initient, c'est-à-dire les États-Unis.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Il faudra une riposte.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais s'il y a effectivement confirmation de hausse des droits de douane qui viendrait impacter nos exportations, alors il faudra savoir répondre. C'est tout simplement un rapport de force commerciale. Si l'Europe se montre faible, vous savez comment fonctionne Donald TRUMP. Alors, il continuera à appuyer et il ne rentrera pas justement dans une logique de discussion et de négociation.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et le problème est que l'Europe est, pour l'instant, très divisée sur ces questions-là. L'Italie parle directement à Donald TRUMP. L'Allemagne n'est pas dans une situation politique très facile. La Hongrie, je n'en parle même pas.

LAURENT SAINT-MARTIN
La pire des réponses européennes, c'est que chaque pays fasse son dialogue dans son coin avec le président TRUMP. Et c'est précisément ce qu'il faut éviter. C'est ce que cherche évidemment le président Donald TRUMP. Et donc, vous l'avez bien dit, si l'Europe n'est pas capable de s'unir avec une réponse cohérente et qui démontre d'ailleurs, c'est un réveil. J'ai coutume de dire que c'est un peu un coup de pied au derrière pour l'Europe aussi, cette arrivée de Donald TRUMP pour un nouveau mandat. On va regarder sur un certain nombre de sujets, le commerce, mais pas qu'eux, aussi des sujets de défense, comment l'Europe va pouvoir franchir un nouveau palier en termes de solidarité, d'unité, de capacité de réponse coordonnée ?

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Un mot des conséquences que pourraient tout de même avoir ces hausses des droits de douane, notamment de 25%, sur l'acier, l'acier français ne va déjà pas très bien, européens également. ARCELORMITTAL n'est pas dans une très bonne situation. Ça pourrait avoir des conséquences en termes d'emplois ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Nous avons des capacités de réponse qui permettent de protéger justement nos industries françaises, mais européennes. Vous comprenez bien que tout cela est à l'échelle européenne. Ce n'est pas tant le sujet des exportations françaises sur l'acier et l'aluminium en volume qui est à craindre, c'est le dérèglement commercial mondial que cela pourrait créer. Je l'ai dit, les États-Unis, aujourd'hui, ont un discours de protectionnisme. Le protectionnisme, ça ne toucherait pas que l'Europe, mais aussi la Chine, qui a des capacités industrielles immenses et qui viendrait se détourner vers l'Europe. Attention. Là-dessus, effectivement, une réponse européenne comme continent est nécessaire. La France n'est pas perçue seule dans le monde, elle est perçue comme européenne. L'Allemagne n'est pas perçue seule, elle est perçue comme européenne. Et donc, on a besoin, nous-mêmes, d'avoir une réponse en continent, ensemble.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Laurent SAINT-MARTIN, l'Ukraine. Vous étiez sur place la semaine dernière, à Kiev. Et là, on a vu Donald TRUMP qui a directement parlé à Vladimir POUTINE ces dernières heures. Est-ce que le risque, ce n'est pas que l'Ukraine, au final, se règle sans les Ukrainiens et sans les Européens qui seraient complètement laissés sur la touche ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Ce serait hors de question. Que le président TRUMP parle à Vladimir POUTINE, à Volodymyr ZELENSKY, est une chose. La résolution est la recherche d'une paix juste, durable. D'abord, ne peut se faire qu'aux conditions des Ukrainiens qui, je le rappelle, sont le peuple et le pays qui a été agressé il y a 3 ans.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc il faut que Volodymyr ZELENSKY soit…

LAURENT SAINT-MARTIN
Evidemment, mais évidemment, et avec ces conditions. Et le deuxième point, c'est que rien ne peut se passer sans l'Europe autour de la table.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
C'est le cas pour l'instant.

LAURENT SAINT-MARTIN
Qu'il y ait du dialogue bilatéral est une chose. La résolution pour une paix juste et durable ne peut pas se passer sans les Européens.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Est-ce que la France doit reparler, par exemple, à la Russie, essayer de reparler en direct à Vladimir POUTINE ?

LAURENT SAINT-MARTIN
D'abord, la France et ses voisins européens ont un discours constant : c'est le soutien indéfectible à l'Ukraine, et renforcera autant que nécessaire son soutien indéfectible. C'est aussi ce que je suis allé dire aux autorités ukrainiennes la semaine dernière.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Est-ce qu'il faut reparler à la Russie, directement ?

LAURENT SAINT-MARTIN
La diplomatie, nous verrons comment elle va évoluer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois. Aujourd'hui, la position de la France et de l'Europe, elle est claire, c'est que d'abord, ce sont les conditions ukrainiennes qu'il faut entendre. Il n'y aura pas de paix juste et durable sans l'écoute des conditions ukrainiennes et sans la place de l'Europe autour de la table.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Un mot de politique en France tout de même, puisque la présidentielle est déjà dans la tête de pas mal de monde. On a Gérald DARMANIN, ce matin, dans Le Parisien, qui fait un pas clairement en vue d'une possible candidature à la présidentielle 2027. Il a dit aussi, le ministre de la Justice, votre collègue au Gouvernement, qu'il fallait peut-être une primaire dans le bloc central pour départager tout le monde. Est-ce que ça peut être une bonne façon d'éviter qu'il y ait trois ou quatre candidats à la prochaine présidentielle ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Vous voyez de quoi on parle, Jean-Baptiste MARTEAU. On est à l'aune d'une guerre commerciale qui secoue les grands équilibres mondiaux. On est à l'aune d'un nouvel ordre économique mondial et nous, on se projette en 2027.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ça se prépare aussi.

LAURENT SAINT-MARTIN
Pardon, c'est complètement à côté de la plaque. On a besoin d'être unis, là, aujourd'hui. On a besoin de regarder comment on peut protéger l'Europe, comment on peut la rendre plus souveraine, comment on peut la renforcer. On a eu un sommet sur l'intelligence artificielle avec 109 milliards pour construire justement une technologie qui nous rend puissants. Et vous, vous me parlez de ce qu'est-ce qu'ils veulent faire du Gouvernement en 2027.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais ce sont vos collègues du Gouvernement, c'est Bruno RETAILLEAU, c'est Gérald DARMANIN, c'est eux, qui se projettent.

LAURENT SAINT-MARTIN
Pardon, pardon, mais je crois qu'on doit agir, travailler. Moi, je suis membre du Gouvernement. La seule chose que je peux vous dire comme membre aussi, de ce bloc central et de cette majorité, dont effectivement je suis solidaire et fier, c'est qu'à la fin, il y a plus d'un seul candidat à l'élection présidentielle 2027, le second tour risque de se passer sans…

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Marine LE PEN, Jean-Luc MELENCHON.

LAURENT SAINT-MARTIN
Et donc, que cela soit par un candidat plus naturel, c'est toujours la meilleure solution. Ça permet d'éviter les conflits internes que l'on peut craindre lors d'une primaire. Mais s'il faut passer par des mécanismes de départage comme une primaire, à la fin, ce qui compte, le plus important, c'est qu'il y ait un candidat ou une candidate et que l'ensemble de notre famille politique puisse être solidaire et essayer, effectivement, de lutter contre les extrêmes jusqu'en 2027 et au-delà.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Dernier mot. Quand vous dites un seul candidat dans le bloc central, c'est le bloc central plus la Droite. Puisque s'il y a un candidat du centre, un candidat de droite, un candidat de gauche, ça sera les extrêmes.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais aujourd'hui, nous voyons bien que nous avons construit un bloc, un socle commun, comme on dit maintenant, qui va effectivement de la Gauche sociale-démocrate jusqu'à cette Droite républicaine qui est aujourd'hui incarnée par LR. Et donc, à la fin, s'il faut lutter contre les extrêmes, ensemble, nous devrons le faire. Ce qui est sûr, c'est que si nous sommes divisés, là aussi, c'est comme pour la réponse aux États-Unis, au niveau commercial, la division, ça crée rarement le succès, que ce soit en politique ou en politique commerciale.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Laurent SAINT-MARTIN, ministre délégué chargé du Commerce extérieur, qui nous a notamment parlé de la réponse à venir et possible de l'Europe face à la guerre commerciale que souhaite, peut-être, Donald TRUMP. Merci et bonne journée.

LAURENT SAINT-MARTIN
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 février 2025