Interview de Mme Sophie Primas, ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement, à France Info le 20 février 2025, sur les réunions de dirigeants européens relatives à l'Ukraine, le projet de renforcement de la défense européenne et la nomination à la présidence du Conseil constitutionnel.

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Média : France Info

Texte intégral

JOURNALISTE
7 h 45, si vous nous rejoignez sur France info. C'est l'invité politique, avec vous, Alix BOUILHAGUET. Vous recevez, ce matin, Sophie PRIMAS. Bonjour.

SOPHIE PRIMAS
Bonjour.

JOURNALISTE
Porte-parole du Gouvernement et ministre déléguée auprès du Premier ministre. Soyez la bienvenue ce matin.

SOPHIE PRIMAS
Merci beaucoup.

ALIX BOUILHAGUET
Bonjour Sophie PRIMAS.

SOPHIE PRIMAS
Bonjour.

ALIX BOUILHAGUET
Hier, Emmanuel MACRON a organisé une nouvelle réunion avec des dirigeants européens pour contrer l'axe TRUMP-POUTINE qui semble vouloir faire la paix en Ukraine sur le dos des Ukrainiens. Quand vous dites : "L'Europe est à un tournant décisif", ça veut dire quoi ? Est-ce que ça veut dire qu'elle est menacée de disparition ?

SOPHIE PRIMAS
Non, elle n'est pas menacée de disparition, mais l'Europe doit, aujourd'hui, prendre conscience, et elle prend conscience avec ces réunions, avec ce qui se passe aujourd'hui entre la Russie, les États-Unis et pour l'Ukraine, qu'il est temps de créer une véritable souveraineté en matière de défense, ce qui ne veut pas dire que les Américains ne sont plus nos alliés, les Américains sont nos alliés, mais nous devons être indépendants de leur emprise pour la défense.

ALIX BOUILHAGUET
On va revenir sur les Américains, mais pour Emmanuel MACRON, la Russie constitue une menace existentielle pour les Européens, les mots sont très, très, forts. Ça veut dire que nous sommes en guerre avec la Russie ?

SOPHIE PRIMAS
Ça ne veut pas dire que nous sommes en guerre, factuellement, avec la Russie, mais la Russie a agressé un pays souverain qui est l'Ukraine. La Russie fait des actes de cyber-attaques sur les pays européens, de l'Union Européenne, la Russie s'ingère dans les actes démocratiques d'élections dans certains pays. La Russie fait des actes également sur la France, qui sont des actes de manipulation de l'information, de manipulation de la pensée. Donc, la Russie est très agressive, et oui, nous avons une menace qui est une menace existentielle.

ALIX BOUILHAGUET
Vous dites que la Russie est très agressive, ça veut dire que si l'Union Européenne ne réagit pas, est-ce qu'on peut imaginer, qu'après l'Ukraine, Vladimir POUTINE ait envie d'aller plus loin ? Pourquoi pas attaquer les pays Baltes, pourquoi pas attaquer la Pologne ?

SOPHIE PRIMAS
Vous savez, la Russie aujourd'hui, la défense et les dépenses de l'armement de la Russie sont considérables. C'est 40 % de leur budget annuel, c'est 10 % de leur richesse. Donc, la Russie ne s'arrêtera pas à l'Ukraine. Et donc, aujourd'hui, il faut arrêter la Russie et il faut qu'un processus de paix durable soit réalisé avec l'Union Européenne, car il s'agit de sa sécurité, et naturellement avec l'Ukraine. Et donc, ce qui se passe aujourd'hui dans les discussions entre monsieur TRUMP et monsieur POUTINE, ça ne peut pas aller jusqu'au bout. Il faut que l'Ukraine soit en première ligne de ses négociations, évidemment, il s'agit de son territoire. Et il faut que l'Union Européenne soit dans les négociations, car d'une part, c'est une question de sécurité pour l'Union Européenne, et d'autre part, si nous voulons une paix qui soit une vraie paix durable, pas comme après les accords de Mixte, alors il faut des garanties de sécurité.

ALIX BOUILHAGUET
Emmanuel MACRON va se rendre aux États-Unis, vous nous confirmez qu'il rencontrera, lundi, Donald TRUMP ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, ce sont les informations que j'ai entendues, comme vous, ce matin, donc, je n'ai pas eu le Président de la République avant de venir, mais il semble, en effet, que le Président de la République se rende à Washington lundi.

ALIX BOUILHAGUET
Quand on entend Donald TRUMP expliquer que Volodymyr ZELENSKY est un dictateur sans élection, qui détourne l'argent envoyé par les États-Unis, on peut se poser la question, est-ce que les États-Unis sont toujours nos alliés ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez. Les États-Unis restent nos alliés, ce ne sont pas nos ennemis, donc, ce sont nos alliés. En revanche, les déclarations de monsieur TRUMP, vous savez, c'est la méthode Bannon, c'est-à-dire qu'on fait de l'exagération, on fait des déclarations qui sont extrêmement fortes, extrêmement agressives, pour rentrer dans une négociation. Donc, la méthode TRUMP nous déstabilise, elle nous inquiète, elle n'est pas habituelle, mais nous devons faire face à la force. Et c'est pour ça que nous sommes dans un moment historique en Europe, c'est parce que nous devons prendre conscience de la force que nous représentons, nous devons faire les investissements nécessaires en matière de défense et nous devons opposer la force à la force, parce que la force apporte la paix, la faiblesse apporte la guerre.

ALIX BOUILHAGUET
Vous dites : il faut effectivement développer une défense commune, une défense européenne, ça passe par quoi ? Est-ce que ça passe par un grand emprunt ?

SOPHIE PRIMAS
Ça passe individuellement, dans chaque pays, par un renforcement des dépenses de défense. Vous savez que nous suivons, aujourd'hui, la loi de programmation militaire et qu'en 2030 nous aurons doublé nos dépenses, en France, de défense par rapport à 2017. Donc, c'est un effort qui est substantiel à un moment où la France a besoin de retrouver des marges de manœuvre financières.

ALIX BOUILHAGUET
Vous coupez un effort substantiel au moment où on a un déficit record, où le budget 2025 est un budget qui n'est pas assez efficace. Donc, ça veut dire quoi ? 2026, il va falloir préparer les Français à l'austérité, parce qu'il faudra doubler, tripler le budget de la défense ?

SOPHIE PRIMAS
Ce n'est pas le sujet. Vous savez que le Premier ministre nous a demandé de rechallenger l'ensemble de l'organisation et de rentrer dans une réforme profonde de l'État pour rendre de l'efficience à l'argent public et aussi pour réduire des déficits, notamment sur la partie sociale. Peut-être aurons-nous le temps d'en parler. Mais il faut retrouver ces marges de manœuvre dans la réforme de l'État pour retrouver à la fois l'efficience localement, dans notre pays, pour améliorer nos services publics et rendre possibles toutes les préoccupations.

ALIX BOUILHAGUET
Excusez-moi, mais l'argent, on le trouve où ? On fait les économies où, si on veut développer en quelque sorte un effort de guerre ?

SOPHIE PRIMAS
Il va falloir faire cet effort de guerre. Il va falloir continuer à investir dans notre défense suivant le plan militaire qui a été déterminé. Et puis, vous l'avez évoqué, il faut évidemment que les règles Maastricht, probablement, soient allégées, c'est-à-dire que la règle des 3 % ne prennent pas, peut-être, en considération les dépenses.

ALIX BOUILHAGUET
La Cholle, ça semble dire qu'il était ouvert.

SOPHIE PRIMAS
Oui, mais il faut le faire. Ça, c'est une autre donnée. Et puis, l'idée, poussée par le président de la République, d'un grand emprunt européen pour financer ses efforts de réarmement, pour financer notre industrie de la défense obligatoire avec une condition : c'est que nous mettions une préférence nationale dans l'achat de nos matériels.

ALIX BOUILHAGUET
Ce qui n'est pas le cas.

SOPHIE PRIMAS
Ce qui n'est pas le cas.

ALIX BOUILHAGUET
Les Allemands continuent à acheter américain et ils n'ont pas l'intention, d'après les dernières déclarations, de s'arrêter. Ça veut dire une priorité, une préférence européenne.

SOPHIE PRIMAS
Une préférence européenne. Vous voyez, quand Elon MUSK a fait sa fortune, sa fortune, elle est basée d'abord sur des achats de préférence américaine pour ses produits. C'est comme ça qu'Elon MUSK a réussi à développer son business. Il faut que nous fassions la même chose en Europe.

ALIX BOUILHAGUET
Hier, François BAYROU a échappé à sa sixième motion de censure, mais il a surpris tout le monde en sonnant la charge, elle était assez violente, contre les socialistes. Il a critiqué leur hypocrisie. Pourquoi est-ce qu'il fait ça au moment même où, finalement, il négocie avec eux ?

SOPHIE PRIMAS
Je crois que le Premier ministre voulait indiquer aux socialistes qu'il était, depuis le début de son arrivée comme Premier ministre, dans une posture qui est une posture de négociation avec l'ensemble des partis qui, nous l'avons, avec Éric LOMBARD, avec Amélie de MONTCHALIN, prouvé lors de l'examen du budget où nous avons répondu à un certain nombre de considérations.

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais là, hier, dénoncer l'hypocrisie, les mots étaient durs. D'ailleurs, les socialistes ont quitté l'Assemblée nationale.

SOPHIE PRIMAS
Parce que quand vous mettez en cause la probité ou, en tout cas, l'honnêteté d'un homme par rapport à des valeurs démocratiques, des valeurs républicaines qui sont les siennes, et monsieur BAYROU, au cours de toute sa vie politique, n'a pas fait d'écart par rapport à cela. Au contraire, il a montré sa détermination. Je pense qu'il a été blessé, en fait, par cette attaque sur les questions qui sont des questions liées aux valeurs républicaines qu'il défend depuis toujours.

ALIX BOUILHAGUET
Est-ce qu'il a aussi été blessé, parce que les socialistes se sont mis dans les pas des Insoumis pour dénoncer le rôle de François BAYROU dans cette affaire d'abus physiques et sexuels au sein de l'institution Notre-Dame de Bétharram ? Est-ce qu'il n'a pas aussi voulu régler ses comptes avec eux ?

SOPHIE PRIMAS
Je ne vais pas faire de psychologie de comptoir, mais c'est vrai que je pense que, véritablement, le Premier ministre a été blessé par un certain nombre d'attaques, à la fois sur sa probité par rapport aux valeurs républicaines, peut-être aussi vis-à-vis de lui-même. Voilà, donc ces mots ont été, en effet, assez forts et assez durs.

ALIX BOUILHAGUET
François BAYROU a du mal à passer la page, à tourner la page de cette terrible affaire, d'ailleurs. Pourquoi est-ce qu'il a été aussi léger, aussi imprécis, même désinvolte quand l'affaire a éclaté ? Je pense notamment à la semaine dernière devant les Députés.

SOPHIE PRIMAS
Désinvolte, je pense que ce n'est pas le mot. Vous savez, il a passé trois heures avec les associations victimes, et les victimes…

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais c'était avant.

SOPHIE PRIMAS
Oui, je pense que c'est assez loin de ses préoccupations du moment, qui étaient les préoccupations entièrement tournées vers l'adoption du budget. C'est une responsabilité extrêmement lourde que l'adoption de ce budget, du budget de la Sécurité sociale. Ça prenait toute son attention. Je pense très honnêtement qu'il a fait ce qu'il fallait dans la rencontre avec les victimes, dans la compassion dans les annonces aussi. Et véritablement, encore une fois, je ne peux pas parler de cette affaire sans penser aux victimes qui, aujourd'hui, voient des améliorations, voient des arrestations même ce matin, des choses qui s'emballent.

ALIX BOUILHAGUET
On a eu droit, effectivement. Un dernier mot sur cette affaire. Le Premier ministre incrimine, aujourd'hui, des anciens ministres socialistes du Gouvernement JOSPIN, Élisabeth GUIGOU, Claude ALLEGRE et Ségolène ROYAL. C'est une manière de quoi ? De se défausser ?

SOPHIE PRIMAS
Non, sa position a été de dire qu'au moment où éclatent les affaires en 1998, me semble-t-il, il n'est plus ministre de l'Éducation nationale. Et donc, il ne peut pas être accusé d'une défaillance sur une mission qu'il n'exerçait plus. Donc, il renvoie à ceux qui exerçaient cette mission à ce moment-là.

ALIX BOUILHAGUET
Un tout dernier mot sur Richard FERRAND qui a été désigné, hier, par le Conseil constitutionnel. Une élection qui s'est vraiment jouée à une voix près. Ce n'est pas un plébiscite ? Est-ce que d'une part, ce n'est pas un camouflet pour Emmanuel MACRON, parce que c'était son candidat désigné ? Et puis d'autre part, l'opposition, la Droite et la Gauche, parlent d'un deal caché entre Emmanuel MACRON et Marine LE PEN. Est-ce qu'il y a un deal ?

SOPHIE PRIMAS
Je n'en sais absolument rien. Vous imaginez bien que c'était une proposition du Président de la République. Ce sont les parlementaires qui se sont longuement exprimés. Donc, c'est à eux qu'il faut poser la question. C'est eux qui votaient. Nous, séparation des pouvoirs, nous ne sommes pas dans cette négociation. Mais effectivement, c'est un vote très serré. Et pour avoir été présidente de commission au Sénat et avoir eu ce genre d'élections devant moi, il y a beaucoup d'élections qui ne sont pas si larges que ça. Il y a des élections qui posent des problèmes et qui sont parfois très serrées.

ALIX BOUILHAGUET
Très rapidement, le fait que le RN se soit abstenu, est-ce que finalement, Richard FERRAND n'est pas un petit peu dans la main, à partir de maintenant, de Marine Le Pen ? Est-ce qu'il ne lui est pas redevable ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, je n'espère pas, parce que le Président du Conseil Constitutionnel a un rôle, évidemment, maintenant, totalement neutre. Il ne peut plus, d'ailleurs, s'exprimer du point de vue politique. Et il assure quelque chose qui est précieux pour la France, qui est, justement, la neutralité du Conseil constitutionnel. Donc, je ne pense pas que Richard FERRAND soit dans la main de qui que ce soit.

ALIX BOUILHAGUET
Merci beaucoup, Sophie PRIMAS. Bonne journée à vous.

SOPHIE PRIMAS
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 février 2025