Interview de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à RTL le 21 février 2025, sur le budget militaire, les retraites et la surtaxe concernant les grandes entreprises.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Éric Lombard - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
  • Thomas Sotto - journaliste

Média : RTL

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenu sur RTL, Éric LOMBARD.

ÉRIC LOMBARD
Bonjour Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
Ministre de l'économie, pas encore en temps de guerre, mais presque. On va devoir réinvestir encore plus, on va devoir revisiter nos choix, nos choix budgétaires, a dit Emmanuel MACRON, hier soir. La grande tension internationale du moment, Éric LOMBARD, va-t-elle nous conduire et vous conduire à revoir la copie budgétaire du pays ?

ÉRIC LOMBARD
François LENGLET l'a bien dit, on est dans un moment de bascule, un moment de bascule historique, en fait, d'une extrême gravité. Parce que qu'est-ce qui se passe, c'est que le parapluie de protection américain est en train de disparaître, au profit effectivement d'une recherche d'alliance avec la Russie, contre nous, pour imposer une paix en Ukraine. Et donc, ça va obliger les Européens à prendre en main leur destin, ce qui en fait est assez logique, parce que nous sommes sous le parapluie américain depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et il est logique qu'à l'âge de la maturité, même un peu au-delà, l'Europe prenne son destin en main.

THOMAS SOTTO
Oui, mais ça veut dire qu'on va devoir dépenser plus. Hier, Emmanuel MACRON n'excluait pas de passer à 5% du PIB les dépenses militaires. 5%, ça ferait à peu près 90 milliards de plus par an qu'aujourd'hui, sur les dépenses militaires.

ÉRIC LOMBARD
Ça veut dire que nous allons devoir prendre en main notre défense, c'est-à-dire que nous allons, effectivement, devoir dépenser plus, et nous allons reconstruire une industrie européenne de défense, parce qu'aujourd'hui, chaque pays a son petit bout d'avion, de bateau, de porte-avion, et il faudra réfléchir à une vision européenne, qui effectivement va coûter plus cher.

THOMAS SOTTO
Mais pardon, je reviens donc à ma question de base, il va falloir dépenser plus, est-ce qu'il va falloir faire davantage d'économie que ce qui a été adopté à l'Assemblée dans le budget de 2025 ?

ÉRIC LOMBARD
Il faudra probablement réfléchir à notre modèle. Il y a aussi un levier qui va être nécessaire. On sait très bien que si on avait ce qu'on appelle le taux d'emploi de l'Allemagne, c'est-à-dire que si les Français travaillaient autant que les Allemands, notamment tout au long de la vie, ou si le taux de chômage était inférieur, on n'aurait pas de déficit. Donc, il me semble que la solution est plutôt à chercher devant une mobilisation qui devra s'accentuer, d'autant qu'encore une fois, il faudra, à côté de notre base industrielle, reconstruire au niveau européen une base industrielle de défense. Et ça, c'est aussi un chantier d'investissement, d'échange de travail.

THOMAS SOTTO
Vous ne dites pas qu'il va falloir un projet de loi de finances rectificative, par exemple, on n'en est pas là. Vous l'excluez ou vous ne l'excluez pas ?

ÉRIC LOMBARD
Pour ce qui concerne notre pays, on a cette contrainte de ramener notre déficit à 3%. Pourquoi ? Parce que cette année, nous allons verser plus de 50 milliards d'euros à nos créanciers. Donc, pour la France, l'équilibre des finances publiques reste un impératif, non pas parce que c'est un totem, mais parce que c'est trop coûteux de financer tout ce que nous faisons par de la dette. Donc, ces investissements supplémentaires qui vont être nécessaires, on devra trouver d'autres sources de financement.

THOMAS SOTTO
Ça veut dire qu'il va falloir travailler plus ? C'est ça ce que tu es en train de nous dire ?

ÉRIC LOMBARD
Il faudra sans doute travailler plus, et c'est ça qui va faire l'objet d'un débat national, parce qu'en réalité, qu'est-ce qui est en jeu ? C'est la sécurité de l'Europe.

THOMAS SOTTO
Je vous entends faire des analyses géopolitiques internationales, mais moi, je n'ai pas les réponses sur les questions chiffrées. Est-ce qu'on va vers un " quoi qu'il en coûte " de la guerre en Ukraine ? Oui ou non ?

ÉRIC LOMBARD
Ce qui est différent, c'est que nous avons quelques années pour nous organiser. Moi, je fixe un horizon de 5 à 10 ans pour réfléchir à l'évolution de notre modèle. Donc, on ne va pas réfléchir dans la journée. Ces événements sont en train de se dérouler sous nos yeux. Donc, ce rééquilibrage…

THOMAS SOTTO
On n'est pas à la veille de l'austérité ?

ÉRIC LOMBARD
Non, ça ne va pas se faire de cette façon-là. D'abord, ça doit se faire dans le cadre d'un débat public. Ce n'est pas au ministre des Finances de dire " on perd le parapluie américain, il faudra travailler plus ". Il faut qu'on ait un débat public, il faut que les Françaises et les Français participent à la décision, parce qu'on doit rechercher un consensus. Encore une fois, c'est une période de bascule historique. Donc, ça doit se faire dans le dialogue. Le président de la République, d'ailleurs, a commencé, hier. Vous avez vu, il a reçu pendant plus de trois heures les responsables des partis. Je pense que ce dialogue citoyen, il doit se poursuivre en France et en Europe.

THOMAS SOTTO
" Il va falloir travailler plus ", nous disiez-vous il y a un instant. Et ça nous emmène au sujet des retraites. Contrairement à ce qu'a affirmé François BAYROU, il n'y a pas de déficit caché du système de retraite. C'est la Cour des comptes qui l'a dit, hier. Le déficit n'est pas de 55 milliards, comme l'a affirmé le Premier ministre, mais de 6 milliards. Et il pourrait atteindre 15 milliards en 2030 et 45 milliards à l'horizon 2045. Bon, il avait un peu crié au loup pour rien, le Premier ministre. D'abord, est-ce que vous êtes un peu soulagé, quand même, ou est-ce que vous êtes inquiet, ce matin ? Quelle est votre réaction à cette mise en place ?

ÉRIC LOMBARD
La Cour des comptes confirme des chiffres que nous connaissions. Il n'y a pas de déficit caché, mais en fait, tous les régimes sont en déficit. Et donc, le mandat qui est donné aux partenaires sociaux, je pense que c'est ça le sujet important, aujourd'hui, c'est de regarder les retraites du secteur privé, qui sont, effectivement, de près de 7 milliards cette année, et qui seront autour de 30 milliards, c'est un peu moins élevé que le chiffre que vous citez, en 2045, mais c'est encore trop. Donc, les partenaires sociaux se réunissent à partir des jours qui viennent. C'est le fameux conclave. On a décidé de donner un nom plus laïque, enfin, peu importe, ils décideront de comment ils s'appellent. Et ils ont en main toutes les données pour proposer des décisions, et ça c'est à eux de le faire. Les partenaires sociaux, ils connaissent très bien le système. D'ailleurs, ils en gèrent une partie importante, c'est les retraites complémentaires. Je rappelle qu'elles sont non seulement à l'équilibre, mais il y a un excédent très important, qui est de l'ordre de 80 milliards d'euros de réserve dans ce régime. Donc, ils vont nous faire des propositions, et naturellement…

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous avez des lignes rouges ? Est-ce qu'il y a des choses sur lesquelles ils n'ont pas le droit d'aller ? Il y a des limites que vous fixez ?

ÉRIC LOMBARD
Ce serait, je pense, pas raisonnable de fixer des lignes rouges à un moment où j'ai toujours dit, depuis que je suis en fonction, que les lignes rouges nous avaient quelque part amenés dans le mur. En revanche, s'il y a un objectif, c'est de rétablir l'équilibre des comptes. Parce que, au total, l'année dernière…

THOMAS SOTTO
Donc, l'abrogation n'est pas envisageable ? S'ils sortent de là en disant, il faut abroger cette réforme, ça, ça sera non ?

ÉRIC LOMBARD
Le mot abrogation sur les retraites, je ne sais pas très bien ce qu'il veut dire, parce que, de toute façon, il y a un système de retraite qui est extrêmement compliqué, qui a un empilement…

THOMAS SOTTO
Ça veut dire, la CGT est très claire, " On prend la réforme de 2023, on la déchire, on recommence à zéro ".

ÉRIC LOMBARD
Le rapport de la Cour des comptes est très clair, c'est extraordinairement coûteux de faire ça. On n'en a absolument pas les moyens. Donc, ça, c'est non. L'objectif qui est donné aux partenaires sociaux, mais qu'ils ont accepté, c'est de travailler pour rétablir l'équilibre des comptes. Et ils le savent très bien, parce que le déficit, il est payé par qui ? A la fin, il est payé par les Français. Il n'y a pas de trésor caché.

THOMAS SOTTO
Donc, ça peut passer par une baisse de l'âge légal de départ, on peut passer de 64 à 63, ou revenir à 62, ou là encore, ce n'est pas raisonnable ?

ÉRIC LOMBARD
Alors, je ne vais pas rentrer dans le coeur du débat, parce que, si on fait confiance aux partenaires sociaux, il faut le faire totalement, et on va les laisser travailler, et une fois qu'ils nous feront des propositions, on pourra débattre de ce qui nous paraît répondre à la question ou pas. Mais ils sont souvent, le Premier ministre a dit, pas de totem, pas de tabou, et je pense que c'est un bon mandat.

THOMAS SOTTO
Ça reste la feuille de route, pas de totem, pas de tabou.

ÉRIC LOMBARD
Ça reste la feuille de route et moi, je leur fait une grande confiance.

THOMAS SOTTO
Et s'ils ne se mettent pas d'accord ? Parce que c'est un peu mal barré quand même. La CGT, on l'évoquait, ne parle que d'abrogation. La CFDT dit qu'il faut revenir à 62. Qu'est-ce qui se passe si, à l'issue de ce conclave laïque et économique, ils ne sont pas d'accord ?

ÉRIC LOMBARD
Les partenaires sociaux dans ce pays, quand on leur donne un mandat, ils ont toujours trouvé des accords en responsabilité. Et donc, moi, je pars de l'hypothèse centrale qu'ils trouveront un accord. Parce qu'ils savent très bien qu'eux seuls peuvent trouver une solution qui répond aux besoins des Français qui souhaitent à la fois de la justice, mais aussi des retraites qui soient financées. On dépense d'ailleurs plus sur nos retraites en France que dans les autres pays européens.

THOMAS SOTTO
Le travail et plus que vous évoquiez tout à l'heure, il correspond à quoi ? Sur les retraites, sur les 35 heures, c'est quoi ? Ça va être quoi ? Il va se traduire comment, ce travail et plus qui est nécessaire, vous disiez-nous ?

ÉRIC LOMBARD
Le premier sujet que nous avons, d'abord, c'est un taux de chômage qui a baissé, qui est autour de 7%. Ça s'est stabilisé, en ce moment, il faudra qu'il continue à baisser, donc, il faudra qu'il continue à baisser, le taux de chômage. Deuxièmement, le taux d'emploi des seniors. Parce qu'on parle de retraite à 63-64 ans, mais ce qui est important, c'est que les personnes travaillent jusqu'à l'âge de la retraite et les seniors veulent travailler. Donc, il faut augmenter le taux d'emploi des seniors. Et puis, il y a trop de personnes qui sont à temps partiel, subies ou qui ont des carrières hachées. Donc, il y a beaucoup de sources de travail sur lesquelles les Françaises et les Français sont demandeurs. Ils souhaitent travailler plus dans leur vie et ça contribuerait, à la fois, à financer les retraites et puis à leur donner aussi des revenus de meilleure qualité.

THOMAS SOTTO
Il faut se reposer la question des 35 heures ou pas ? Ou ça, c'est trop inflammable ?

ÉRIC LOMBARD
Ce n'est pas que c'est trop inflammable. Moi, j'ai été chef d'entreprise pendant 20 ans. Les 35 heures, en réalité, c'est la base de paiement des rémunérations. Mais dans les entreprises, on sait très bien que beaucoup de salariés sont soit avec des heures supplémentaires, ce qui d'ailleurs leur permet d'avoir des revenus supplémentaires, soit les cadres qui sont au forfait et qui, en moyenne, font plutôt plus de 40 heures que 35. Donc, il me semble que le débat des 35 heures est un sujet qui est plutôt derrière nous et les entreprises se sont adaptées.

THOMAS SOTTO
Plus globalement, est-ce que vous considérez qu'il va falloir que les retraités, notamment les retraités aisés, contribuent un peu plus à l'effort national ?

ÉRIC LOMBARD
Sans aller, encore une fois, vers les solutions, parce que c'est un peu tôt, ce que le rapport de la Cour des Comptes pointe, c'est que le niveau de vie des retraités dans notre pays, en moyenne, est supérieur au niveau de vie des salariés. Et ça, je trouve que c'est assez illogique. Et donc, ça veut dire qu'en fait, on a des déficits qui vont être payés par nos enfants pour financer le niveau de vie des personnes qui sont à la retraite. Les personnes qui ont à peine commencé à travailler ont déjà une dette qui finance notre système de retraite. Et ça, ce n'est pas normal.

THOMAS SOTTO
Donc, la réponse est plutôt oui. Est-ce qu'il faudra désindexer les retraites sur l'inflation ? Ce que voulait faire Michel BARNIER, mais ce qu'il n'a pas pu faire parce qu'il a été censuré.

ÉRIC LOMBARD
Alors, Thomas SOTTO, vous m'entraînez à nouveau sur le terrain des solutions. Effectivement, le rapport de la Cour des Comptes pointe cette solution comme une solution qui rapporte des recettes au système. Mais ça, encore une fois, c'est aux partenaires sociaux de se prononcer sur cette question.

THOMAS SOTTO
Mais votre avis, pour vous, c'est plutôt oui ?

ÉRIC LOMBARD
Je viens de dire que, de façon générale, rééquilibrer le niveau de vie entre les retraités et les salariés est une piste de solution qui me paraît raisonnable.

THOMAS SOTTO
Donc, c'est plutôt oui. Pardon, je décode un peu ce que vous dites parce que vous êtes très prudent. Et les entreprises ? Les yeux dans les yeux, comme dirait l'autre Éric LOMBARD. Est-ce que vous pouvez nous garantir, garantir à celles qui vont devoir payer un impôt supplémentaire, une surtaxe, ce qui a fait sortir de ses gangs, Bernard ARNAULT, ne le feront que cette année ? Est-ce que c'est gravé dans le marbre ?

ÉRIC LOMBARD
Oui, c'est un engagement que nous avons pris. Effectivement, la surtaxe sur les grandes entreprises a été prévue pour deux ans. Nous l'avons ramenée à un an. Pourquoi ? Parce qu'il faut que les auditeurs... Oui, mais il faut que les auditeurs comprennent pourquoi. On est dans un monde de concurrence. Nos entreprises sont dans un monde de concurrence. Donc, il faut veiller à ce que la fiscalité en France soit attractive pour que les investisseurs fabriquent, construisent des usines chez nous. Il faut aussi que les charges soient modérées, parce que, dans le prix de revient des produits que vendent les entreprises, les charges, ça compte pour beaucoup. Donc, nous souhaitons une modération des charges. D'ailleurs, nous avons réduit l'augmentation des charges par rapport à ce qui a été prévu dans le projet de loi qui était en discussion au Parlement. Et nous ramenons à un an, effectivement, cette surtaxe sur les grandes entreprises.

THOMAS SOTTO
Sauf que les entreprises, elles sont un peu perdues avec vous, parce que vous avez dit le mois dernier que les entreprises devraient accepter à l'avenir d'être moins rentables pour financer la transition écologique. Ça, vous le maintenez ou pas ? Jordan BARDELLA a dit : " Il organise, Éric LOMBARD, la décroissance et le suicide de la France.

ÉRIC LOMBARD
Alors là, Thomas SOTTO, pardon, mais je vais réagir vigoureusement, parce que je trouve que ce mensonge est insupportable. J'étais patron pendant 20 ans. Je sais ce que c'est de se lever le matin, de vouloir avoir une entreprise qui est rentable, qui se développe. Donc, je n'ai jamais demandé que les entreprises soient moins rentables. C'est une ânerie. J'ai, en revanche, analysé, dans un livre publié il y a trois ans, le fait que la transformation écologique allait nécessiter des investissements dont certains n'étaient pas très rentables. Or, la transformation écologique, elle est impérative, et que cela pouvait peser, à terme, sur la rentabilité d'entreprise, qui est complètement différent. C'est une conséquence de la lutte contre le réchauffement climatique qui reste une priorité. Ce n'est évidemment pas un objectif que je donnais. Merci de me donner l'occasion de rectifier.

THOMAS SOTTO
Merci, Éric LOMBARD, d'être venu sur RTL. Vous restez avec nous ? Tout de suite, c'est Alex VIZOREK.

ÉRIC LOMBARD
Avec plaisir.

THOMAS SOTTO
C'est un peu moins rigoureux que la Cour du CAC, mais normalement, c'est beaucoup plus drôle.

ÉRIC LOMBARD
Mais qu'est-ce qui vous fait dire ça ?


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2025