Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, à TF1 le 21 février 2025, sur un impôt plancher de 2% concernant le patrimoine des ultra-riches, le rapport de la Cour des comptes concernant l'état des déficits des retraites et le budget militaire.

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Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
7 h 36, bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruce TOUSSAINT

BRUCE TOUSSAINT
Votre invité ce matin Amélie de MONTCHALIN, ministre chargée des Comptes publics.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Amélie de MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

ADRIEN GINDRE
Avant de parler retraite et budget, ce vote à l'assemblée, cette nuit, les députés ont adopté un impôt plancher de 2% sur le patrimoine des ultra-riches, vous étiez contre. Vu le résultat très net, tout de même, 116 pour, 39 contre seulement, est-ce que vous allez reprendre cette mesure à votre compte ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, d'abord, c'était un débat, je tiens à le dire, qui était un débat intéressant, parce qu'il y a deux visions économiques qui se sont affrontées d'une certaine manière. Nous, le Gouvernement, on était contre cette mesure, mais je tiens à rassurer les Français, on n'est pas contre le fait que les gens, tous dans notre pays, quels que soient leurs revenus, payent leurs impôts. L'approche qu'on a, c'est de dire : il est essentiel que les impôts qui existent soient payés pleinement par tous, y compris quand on a des très hauts revenus ou des très hauts patrimoines. Et donc, mon combat, et le travail que nous menons avec Éric LOMBARD, sous l'autorité du Premier ministre qui s'est engagé sur ce sujet, c'est comment on évite la suroptimisation et le contournement de l'impôt. J'étais contre…

ADRIEN GINDRE
Pardon, normalement, ce n'est pas optionnel l'impôt, ce n'est pas, il y a des impôts que je veux bien payer, il y a des impôts que je ne veux pas payer, si le Parlement décide d'un impôt, il s'applique aux contribuables.

AMELIE DE MONTCHALIN
Pour que le Parlement décide d'un impôt, vous savez qu'il y a l'Assemblée, il y a le Sénat, ça reviendra à l'Assemblée, donc là c'est le début d'un processus. Moi je vous donne mes arguments. Il est important, et nous allons travailler dans deux mois, on a des économistes, des juristes, qui vont présenter des mesures, que nous leur demandons de regarder avec nous, sur la manière dont on s'assure qu'il n'y a pas de suroptimisation et de contournement. Pourquoi j'étais contre…

ADRIEN GINDRE
Mais le président de la République avait dit – pardon, Amélie de MONTCHALIN - aux patrons, " soyez patriotes ", ça ne s'applique pas aux ultra-riches, on ne peut pas dire aux ultra-riches, soyez patriotes et payez ces 2% ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est précisément ce que je vous dis. Être patriote, c'est ne pas utiliser des mécanismes légaux de contournement, nous, on va prendre les mesures pour que ces contournements cessent. J'étais contre cette mesure pour une raison très simple, c'est qu'aujourd'hui, les entrepreneurs de notre pays nous disent : " On voulait de la stabilité politique ". Elle est retrouvée. Cette stabilité politique doit aller avec une stabilité économique et fiscale. Et la stabilité fiscale ce n'est pas de créer des nouveaux impôts, c'est de s'assurer que les impôts qui existent, vous savez qu'ils sont très élevés en France par rapport au basculement…

ADRIEN GINDRE
Pour résumer, non à celui-là, mais il y aura autre chose.

AMELIE DE MONTCHALIN
Il y aura des mécanismes pour nous assurer que ceux qui contournent sciemment l'impôt, qui ne payent pas d'impôt sur des revenus qui sont par ailleurs thésaurisés, qui créent des rentes, que la rente soit taxée. Ça, c'est un engagement parce que les contournements d'impôts ce n'est pas efficace, ce n'est pas citoyen et donc c'est contre ça qu'on va... Mais la mesure d'hier, elle aurait une conséquence très grave pour notre pays, c'est que l'investissement, l'entrepreneuriat, la croissance des entreprises qu'on cherche à promouvoir parce que c'est bon pour les Français, parce que c'est de l'emploi et parce que c'est des richesses pour nous tous, elle serait amoindrie et ça, ce n'est pas tolérable.

ADRIEN GINDRE
La Cour des comptes a rendu hier son rapport sur l'état des déficits des retraites. Bon, elle a écarté tous les chiffres de François BAYROU, c'est très clair. Les syndicats, eux, ont redit à la sortie de la présentation qu'ils refusaient toujours que l'âge légal de départ à la retraite soit porté à 64 ans, c'est ce que prévoit la réforme actuelle. Est-ce que vous pourriez accepter un retour aux 62 ans, ce qu'était la règle précédente ?

AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, je pense que la bonne nouvelle, et c'est une grande nouvelle pour notre pays, pour notre démocratie, c'est que nous avons désormais une photo claire, partagée, indiscutable de la situation. Vous savez qu'il y a 42 régimes de retraite. Vous savez que depuis des décennies, quand on a mis le sujet des retraites à l'Assemblée nationale ou au Parlement, ça a toujours fini dans des très grandes tensions et dans une très grande incompréhension. Donc la bonne nouvelle, c'est qu'on a une photo.

ADRIEN GINDRE
On une photo, encore une fois, qui était passée, du Premier ministre.

AMELIE DE MONTCHALIN
La Cour des comptes fait aussi quelque chose de très important, c'est qu'elle montre, sur tous les paramètres, l'âge, la durée de cotisation, le taux de cotisation. Combien, à chaque fois, si on bouge les choses, combien ça rapporte ?

ADRIEN GINDRE
Mais vous ne me répondez pas.

AMELIE DE MONTCHALIN
Je vous réponds. Comment le Premier ministre a décidé de travailler sur ce sujet ? C'est qu'on fasse le diagnostic, qu'ensuite les partenaires sociaux... Et moi, je crois fondamentalement au dialogue social.

ADRIEN GINDRE
Mais il n'y a pas de ligne rouge. C'est-à-dire que 62 ans, si les partenaires sociaux vous disent " On fait 62 ans ", vous dites quoi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a un cadre financier clair. La Cour des comptes nous dit quoi ? Si nous ne faisons rien, si nous restons là où nous en sommes, il y a quinze milliards de déficits en 2035. Il y aura même trente milliards de déficits en 2045. Donc le cadre est fixé. Un, on ne peut pas avoir plus de déficits et je pense que tout le monde voit bien que le sujet, c'est d'avoir moins de déficits. Maintenant, qui a la solution ? Ce sont ceux qui connaissent le monde du travail, les syndicats. Ce sont ceux qui connaissent le monde de l'entreprise, de la compétitivité, le patronat. Et donc notre méthode, c'est un diagnostic partagé, sur la table, transparent. C'est du temps pour que les partenaires sociaux à qui on fait une pleine confiance travaillent. Et ensuite, le Premier ministre l'a dit, s'il y a un accord, et je l'espère puisqu'on voit bien qu'on a besoin d'un accord, le Parlement reprendra ensuite ses droits.

ADRIEN GINDRE
Juste, un petit point de détail. Hier, Pierre MOSCOVICI, le président de la Cour des comptes, dit " Une sous-indexation d'un point des pensions de retraite par rapport à l'inflation permettrait une économie de près de trois milliards en 2025 ". Est-ce qu'une sous-indexation des pensions de retraite est une possibilité en 2025, en 2026, pour trouver de l'argent ?

AMELIE DE MONTCHALIN
En 2025, vous savez, on vient d'avoir un budget. La sous-indexation des retraites n'est pas dans le budget. Ça a fait l'objet avant que je sois ministre.

ADRIEN GINDRE
Donc il ne se passera plus rien cette année. Et l'année prochaine ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Pour 2025, ça s'appelle la stabilité là aussi. Quand on a un budget, on l'applique. Ensuite, j'y reviens. Si on dit que ce sont les partenaires sociaux qui peuvent avoir la solution, pourquoi on le dit ? Parce que les Français, ils nous demandent qu'on se mette d'accord. Les Français, ils font confiance aux partenaires sociaux. Je fais confiance aux partenaires sociaux. J'ai été, vous savez, ministre de la Fonction publique.

ADRIEN GINDRE
Vous n'avez dit, pardon, qu'il n'y aura pas de décision du Gouvernement sur les pensions de retraite ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Si je vous dis, on a un déficit que la Cour des comptes explicite. On a un marché du travail qui est dans une situation, on le sait, difficile. On a des partenaires sociaux dont le rôle est de trouver, dans la démocratie sociale à laquelle nous faisons confiance, des solutions. Si j'arrive sur ce plateau et je vous dis : " En fait, voilà, voilà tout comment ça va se passer ". Ça veut dire qu'on n'est pas authentique, qu'on n'est pas sincère. Nous, on croit à ce dialogue et moi, j'ai été, vous savez, ministre de la Fonction publique.

ADRIEN GINDRE
Donc, vous leur laisserez la patate chaude ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Que n'ai-je entendu ? Nous n'arriverons jamais à rien nous entendre. On a fait des accords unanimes sur des sujets très importants.

BRUCE TOUSSAINT
Mais vous dites quand même 62 ans, c'est non. Enfin, pour que ce soit clair pour ceux qui nous regardent. Vous dites : " Tout, mais pas ça, quoi ". Pour que je comprenne bien.

AMELIE DE MONTCHALIN
Pour que les Français aussi, je pense, puissent sortir de l'idée. Oui, non, en deux minutes, on va faire les retraites, là, vous et moi, sur un coin de table.

BRUCE TOUSSAINT
Ça fait des mois qu'on en parle.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ça fait des années. Pourquoi ça fait des années ? Parce qu'il y a 42…

ADRIEN GINDRE
Amélie de MONTCHALIN, vu qu'on ne va pas pouvoir tout régler maintenant, un autre sujet très important…

AMELIE DE MONTCHALIN
… Et donc, on va pouvoir travailler. Les partenaires sociaux travaillent. Nous ne sommes pas dans la pièce. On leur fait confiance.

ADRIEN GINDRE
Le président de la République, hier, dit : " Nous sommes dans une ère nouvelle. On va devoir revisiter nos choix budgétaires ". Il parle du contexte international, de la guerre en Ukraine, des déstabilisations diplomatiques. On a bien compris qu'il allait falloir faire plus pour nos armées. Plus combien ? On y consacre, aujourd'hui, 2,1% de notre PIB. Les États-Unis, c'est 5%. Est-ce que, demain, on peut viser un horizon à 5% du PIB ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est une question fondamentale. Un budget, c'est quoi ? Ce n'est pas un tableau de chiffres où on fait rentrer aux chausse-pieds les milliards et les millions pour enfin que ça marche.

ADRIEN GINDRE
C'est quand même quelques milliards, le budget des armées.

AMELIE DE MONTCHALIN
Un budget, c'est une suite de choix, de choix démocratiques.

ADRIEN GINDRE
Est-ce que le choix du Gouvernement, c'est d'augmenter le budget des armées significativement ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le président, il est dans son rôle de chef des armées. Il est dans son rôle de garant des intérêts fondamentaux de la nation. Il nous dit quoi ? Il dit que le monde change. Si le monde change, il est possible que nos choix doivent changer.

ADRIEN GINDRE
Y compris avec un impôt spécial guerre ? Il dit qu'il faudra faire appel à la nation. Est-ce que ça veut dire que, demain, les Français ne vont plus se payer pour les armées ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Déjà, aujourd'hui, les impôts sont payés et financent nos armées. Financent notre santé.

ADRIEN GINDRE
C'est plus d'argent. Il faudra trouver l'argent quelque part.

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui. On fait aussi des économies. On fait des choix. Vous voyez, ce matin, dans une heure, le Premier ministre réunit l'ensemble des ministres et l'ensemble des directeurs d'administration. Pour faire quoi ? Pour faire ce travail sur les choix. Quelles sont nos missions ? Quelles sont nos priorités ? Où est-ce qu'on doit mettre plus de moyens ? Où est-ce qu'on doit potentiellement arrêter d'en mettre parce que c'est moins prioritaire ? Et donc, ce que je vous dis là, c'est qu'il est très positif dans notre pays que la méthode qu'on a aujourd'hui, parce qu'on n'a pas de majorité absolue, ce soit une méthode de transparence. Le monde change. Le Président explique que nous avons potentiellement devant nous des choix nouveaux à faire. Le Premier ministre réunit les directeurs d'administration, tous les ministres, pour que nous fassions les choses dans le bon sens. Pas la charrue avant les boeufs. Pas les milliards avant les priorités. Et donc, dans le monde qui est très anxiogène, où potentiellement notre existence, notre sécurité est en jeu, vous savez, dans le budget 2025, on n'a pas raboté l'ordre public et le ministère de l'Intérieur. On n'a pas raboté la défense et le régalien.

ADRIEN GINDRE
Mais la question, c'était de faire plus, Amélie de MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
On a fait des choix.

ADRIEN GINDRE
On a compris qu'on n'aura pas la réponse aujourd'hui.

AMELIE DE MONTCHALIN
On a fait des choix. On a une guerre à quelques milliers de kilomètres de la France. Et donc on a déjà fait ses choix et évidemment, la nation fera des choix pour protéger l'essentiel et nos intérêts fondamentaux.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2025