Texte intégral
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Je voudrais tout d'abord me joindre aux applaudissements qui ont exprimé si longuement et avec ferveur l'adhésion des parlementaires français, particulièrement du Sénat, au soutien à l'Ukraine à un moment où ce pays est si profondément agressé, physiquement et historiquement.
Ce que vous avez noté, Monsieur le président Patriat, n'est que la suite de cette séquence qui s'est ouverte il y a maintenant trois ans par l'agression délibérée et absolument injustifiée de la Russie de Poutine contre l'Ukraine. Cette date a marqué un renversement du monde.
Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, nous vivions avec l'idée – certains diraient peut-être l'illusion – que la planète serait désormais régie par le droit, qu'aucun des grands pays ne s'attaquerait à la stabilité des frontières et qu'une loi internationale permettrait à chacun de poursuivre son développement, dans la perspective d'un avenir stabilisé. C'est cette certitude qui a été renversée par Poutine, à qui se sont jointes un certain nombre d'autres très grandes voix internationales, dont, hélas ! celle du quarante-septième président des États-Unis, élu dans les circonstances que l'on sait et sur un discours qu'on a entendu...
Il y a là une double inquiétude et, plus qu'une inquiétude, un double sentiment de désarroi. L'Ukraine semble abandonnée par le principal pays membre de l'Otan, qui s'était pourtant engagé à défendre le droit. Or il a ouvert le dialogue avec l'agresseur contre les agressés, pour se partager la zone – semble-t-il – au détriment des victimes. Il est vrai que l'Europe a vécu elle aussi dans cette illusion.
Notons que La France a été, depuis le général de Gaulle, sur une ligne qu'elle a constamment défendue : celle de notre autonomie dans l'équilibre du monde. Beaucoup de dirigeants français, au travers du temps, ont soutenu l'idée que c'était de nous que dépendaient, au bout du compte, notre liberté et notre indépendance.
Ce moment historique et ce basculement du monde que nous sommes en train de vivre invitent à deux résolutions.
La première, c'est que nous avons à construire cette Europe que nous avons à peine esquissée, ce qui demandera beaucoup d'efforts.
La deuxième, soyons-en certains, c'est que la France est le pays qui porte la première responsabilité dans une Europe qui se cherche, comme elle l'a d'ailleurs fait depuis toujours. C'est donc de sa vitalité, de sa prospérité et de son unité que dépendent en partie l'avenir de l'Europe et l'avenir de l'Ukraine, que nous aimons.
Monsieur le président Malhuret,
Vous l'avez rappelé, la France a été constamment non pas seulement à l'avant-garde, mais souvent seule, notamment au cours de la dernière décennie, à porter l'idéal d'une Europe qui s'unirait pour exister.
Nous serons seuls, mais la question la plus fondamentale est : serons-nous nous-mêmes ? Accepterons-nous l'Europe ? Choisirons-nous d'exister ? L'interrogation to be or not to be n'aura jamais été aussi actuelle qu'aujourd'hui.
Vous me demandez que faire, quel est le plan ? Celui-ci, selon moi, repose en partie sur la volonté politique et sur le souhait de construire une défense qui ne dépende pas des autres, quels que soient ces autres. Nul n'ignore ce que suppose technologiquement et numériquement une telle affirmation. C'est le premier point.
Par ailleurs, et c'est le deuxième point, l'Europe sera-t-elle forte, en particulier économiquement ? Je ne crois pas que l'on puisse s'en tenir à une situation aussi déséquilibrée, avec toute la croissance de l'autre côté de l'Atlantique, grâce à un puissant soutien de la Réserve fédérale des États-Unis (FED), et toute la stagnation chez nous, où la Banque centrale européenne (BCE) fait preuve d'une prudente réserve.
Voilà la réalité devant laquelle nous sommes tous placés. La question se pose, comme vous l'avez rappelé, pour les investissements militaires, mais elle vaut également pour l'ensemble de notre économie. Force est de constater que les États-Unis ont depuis longtemps organisé la captation, ajoutant une puissance monétaire sans comparaison à une capacité de croissance entièrement soutenue technologiquement, industriellement et fiscalement.
Le moment vient, les jours approchent, peut-être les minutes, où nous devrons, en citoyens responsables, répondre à ces questions purement et simplement existentielles.
Monsieur le Sénateur,
Je vous confirme que le Gouvernement organisera un débat en vertu de l'article 50-1 de la Constitution pour que nous examinions ensemble les données de la situation en gestation depuis des mois et des années, après les récentes prises de position de l'administration américaine.
Je fais comme vous la différence entre le peuple américain, qui est un allié, et l'administration américaine qui, au grand désarroi de beaucoup, semble aujourd'hui prendre ses distances avec les positions fondamentales que les États-Unis ont défendues depuis leur engagement dans la Seconde Guerre mondiale.
Premièrement, au niveau diplomatique, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères s'en est expliqué souvent devant vous, il s'agit de réunir les énergies européennes et de déployer un plan européen, y compris en matière de financement, afin de nous défendre.
Deuxièmement, il convient aussi de se mobiliser au niveau national. Il n'y aura pas de position européenne à la hauteur de nos espérances si la France, elle-même, ne réussit pas à résoudre ses problèmes et à retrouver l'élan qui devrait être le sien pour affronter des crises aussi graves.
Je vous propose donc d'examiner cette double nécessité, européenne et nationale, dans le courant du mois de mars. Je m'en suis entretenu avec à peu près tous les présidents de groupe présents dans cet hémicycle. Tous ont défendu cette position. Je vous confirme donc bien volontiers que ce sera le choix du Gouvernement.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 2025