Extraits d'un entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec CNews, Europe 1 et "Les Echos" le 23 février 2025, sur un acte terroriste islamiste à Mulhouse, les tensions avec l'Algérie, la question migratoire, l'Agence française pour le développement, le conflit à Gaza, les relations franco-américaines et l'Ukraine.

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Média : CNews

Texte intégral

Q - Bonjour, bienvenue à tous, sur le plateau du "Grand Rendez-vous" Europe 1, CNews, Les Echos. Bonjour Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour.

Q - Vous êtes le ministre de l'Europe et des affaires étrangères. C'est votre "Grand Rendez-vous" ce dimanche avec beaucoup de sujets. Ce matin, alors que demain se tourne une page douloureuse, celle des trois années de guerre en Ukraine - c'est la raison pour laquelle vous accompagnez, dès cet après-midi, le chef de l'Etat qui se rend à Washington pour parler à celui qui se présente comme l'homme fort de cette situation, en l'occurrence Donald Trump. Nous verrons ensemble quelle est la voix de la France sur ce dossier, chante-t-elle pianissimo, fortissimo ? Est-ce qu'on l'entend encore ? Le Proche-Orient, comment la France surveille-t-elle l'avenir de cette région ? Et l'attitude du mouvement terroriste Hamas ? Et puis encore et toujours le dossier algérien, avec de nouveau, on l'a vu dans le journal, cet Algérien sous OQTF portant atteinte à la France, attaque "islamiste", "terroriste", a dit le Président de la République à Mulhouse hier après-midi. Un mort, plusieurs policiers blessés. Que faites-vous concrètement, vous, ministre des affaires étrangères, avec vos homologues algériens sur les OQTF ? Est-ce que vous soutenez Bruno Retailleau dans son action ? Egalement au sujet de Boualem Sansal, qu'est-ce qu'on fait pour l'écrivain emprisonné à Alger depuis plus de trois mois maintenant et qui vient d'entamer une grève de la faim ? Pour vous interroger, ce matin, avec moi, Stéphane Dupont, des Echos. Bonjour Stéphane.

Q - Bonjour.

Q - Et Mathieu Bock-Côté. Bonjour Mathieu.

Q - Bonjour.

Q - Hier donc, cet acte terroriste islamiste. Un Algérien de 37 ans sous OQTF s'en est pris à la France. Il a attaqué des habitants et des policiers à Mulhouse, criant "Allah Akbar". Il a tué un homme de 69 ans, blessé plusieurs policiers. Le parquet national terroriste s'est saisi de l'affaire. Cet homme est connu des services de police. Il souffrait de troubles psychiatriques. Il est inscrit au fichier des signalements pour les préventions de la radicalisation à caractère terroriste et a déjà été condamné pour apologie du terrorisme. Question simple : que fait cet homme en France ?

R - Je veux d'abord avoir une pensée pour les victimes et leurs familles. D'abord, saluer l'héroïsme des policiers municipaux, on les voyait à l'instant sur vos images, qui ont réussi à intercepter cet individu. Et je veux dénoncer la persistance sur le territoire national du risque terroriste. Juste pour répondre...

Q - Terroriste islamiste.

R - Absolument. Et pour répondre à votre question, cette attaque terroriste nous appelle à amplifier encore la mobilisation qui est la nôtre, pour, d'abord, sur le territoire national, mieux contenir, mieux prévenir les conséquences de cette présence du terroriste islamiste. L'individu en question avait déjà fait l'objet de mesures de surveillance. De toute évidence, il a fait la démonstration de ses déséquilibres psychiatriques. Et sans doute, devons-nous réinterroger encore la manière, lorsque nous avons ces doutes ou ces questionnements qui se soulèvent sur certains individus, sur la manière dont nous évitons qu'ils puissent passer à l'acte.

Q - Et l'Algérie a été sollicitée dix fois dans ce cas, a dit Bruno Retailleau, hier.

R - Et puis ensuite - j'y viens... Mais ensuite, cette présence, sur notre sol, du terrorisme islamiste justifie pleinement l'action de la France à l'extérieur de nos frontières, et en particulier, aujourd'hui, en Syrie, où le risque d'une résurgence de Daesh est réel. Et c'est pourquoi, comme nous l'avons fait depuis dix ans, nous allons continuer à lutter sans relâche contre les groupes terroristes qui essayent, dans cette période de transition pour la Syrie, de se fortifier, de se renforcer. Le 31 décembre dernier, nous avons mobilisé nos moyens militaires pour frapper les moyens de Daech, et pour attaquer ce mal à sa racine.

Q - Mais Jean-Noël Barrot, la Syrie, c'est la Syrie ; l'Algérie, c'est l'Algérie.

R - Le terrorisme a pour foyer des pays qui sont instables, qui sont des Etats faillis.

Q - Mais quand on sollicite l'Algérie dix fois de suite pour reprendre l'individu.

R - Mais j'y viens.

Q - Vous y venez, mais...

R - Pardonnez-moi, mais si nous voulons nous prémunir définitivement et de manière durable contre le terrorisme, il faut l'attaquer à la racine. Et c'est ce que fait la France en s'engageant, en montrant l'exemple en Syrie. Ensuite, sur l'Algérie, effectivement, comme sur d'autres pays, le Premier ministre l'a dit très clairement. Il a d'ailleurs convoqué un conseil interministériel de contrôle de l'immigration ce mercredi. Nous devons faire plus. Et nous devons faire mieux pour faire en sorte que...

Q - Mais ça fait combien de temps qu'on entend ça, Monsieur Barrot ?

R - Ecoutez, moi, je suis à mon poste depuis quelques mois. J'ai demandé aux 19 ambassadeurs, dans les pays où nous avons le plus de difficultés à renvoyer les étrangers en situation irrégulière, à me faire un rapport circonstancié, dont je présenterai les résultats ce mercredi au Premier ministre, pour que nous puissions prendre des actions vigoureuses.

Q - On arrête les visas consulaires, par exemple ?

R - Vous savez, chaque pays a ses spécificités. Il y a des pays vis-à-vis desquels il nous faut effectivement prendre des mesures fortes. Il y en a d'autres, ou au contraire, il nous faut des mesures d'accompagnement.

Q - C'est ce qu'avait dit Xavier Driencourt quand il était ambassadeur...

R - Vous savez, il y a des pays, y compris des pays où le terrorisme...

Q - Monsieur le Ministre...

R - Laissez-moi terminer. Il y a des pays où le terrorisme fait des ravages. Il y a des pays où chaque année, ce sont des centaines ou des milliers de morts du terrorisme en Afrique, et qui ont, eux-mêmes, les plus grandes difficultés à maîtriser leur propre flux migratoire. Et donc, vis-à-vis de ces pays-là, notre responsabilité, si nous voulons limiter le risque sur le territoire national, ce n'est pas tant de leur mettre la pression, si je puis dire, c'est de leur mettre en main des outils pour qu'eux puissent contrôler leur flux.

Q - Revenons sur l'Algérie, Monsieur le Ministre, parce que...

R - Vous savez, la diplomatie, c'est toute une palette d'outils où on tient compte des spécificités des pays, parce que ce qui nous intéresse, c'est la sécurité des Français. Ce n'est pas, je dirais, le rapport de force pour le rapport de force. Donc, quand on a des pays avec lesquels il y a insuffisamment de coopération, eh bien on trouve les moyens, par la persuasion et parfois par le rapport de force, d'obtenir des résultats. Et puis, il y en a d'autres où il y a juste tout simplement besoin d'accompagnement pour reprendre la maîtrise.

Q - Sur l'Algérie, Bruno Retailleau, hier soir, nous dit : "La méthode douce, avec l'Algérie, ça ne fonctionne pas. Il faut assumer un rapport de force." Bruno Retailleau était à votre place dimanche dernier. Il nous a expliqué qu'au Gouvernement, il ne se sentait pas épaulé du tout. Il se sentait seul. Alors, qu'est-ce qu'il faut faire avec l'Algérie ? Est-ce qu'il faut arrêter avec la méthode douce ? Est-ce que maintenant, il faut assumer un vrai rapport de force avec l'Algérie ? Et est-ce que vous épaulez Bruno Retailleau ?

R - D'abord, Bruno Retailleau est un excellent ministre de l'intérieur qui fait un excellent travail sur ce sujet comme sur d'autres. Et lors du comité interministériel de contrôle de l'immigration qui se réunira mercredi, tous les départements ministériels seront appelés à concourir à l'action du Gouvernement, pour maîtriser les flux d'immigration irrégulière. Ensuite, sur l'Algérie, tout dépend de ce que l'on cherche à obtenir. Si l'on cherche à obtenir une reconduite à la frontière plus systématique, plus régulière et plus effective des étrangers qui n'ont pas vocation à rester en France, eh bien la question se pose. Puisque si vous prenez l'histoire récente et notamment la période qui va de 2020 à 2024, entre 2020 et 2021, nous avons effectivement fait monter le rapport de force. Nous avons activé à titre national le levier des visas. On a dit : "On réduit les visas jusqu'à ce que les reconduites à la frontière augmentent."

Q - Sans grand succès.

R - Et à cette époque, nous avons eu chaque année, 2020, 2021, 800 reconduites à la frontière. Et puis en 2022, nous avons pris une autre approche. Nous avons signé un accord très exigeant avec l'Algérie, mais un accord de coopération. Et là, nous avons fait tripler le nombre de reconduites à la frontière d'étrangers en situation irrégulière. Alors, maintenant, il y a une situation de crise, de tension forte avec l'Algérie. On est en train de revoir ces exigences. Mais ce que je constate, c'est que lorsque nous avons tiré...

Q - C'est la méthode douce qui marche alors ?

R - Non, ce n'est pas une méthode douce, c'est une méthode exigeante et qui tient compte du fait que lorsqu'on agit de manière unilatérale, et d'ailleurs Bruno Retailleau le dit lui-même, lorsqu'on agit de manière unilatérale, qu'on dit : "J'arrête les visas pour un pays donné", eh bien, ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce qu'en fait, on est contourné, les pays en question se tournent vers d'autres pays européens.

Q - Ce n'est pas ce que dit l'ambassadeur Driencourt, qui avait réduit les visas de moitié, sans le dire d'ailleurs, et qui, aujourd'hui, le dit sur les plateaux de télévision et qui dit que ça avait plutôt marché.

R - Mais comme je viens de vous le dire, lorsqu'on a réduit les visas, on était à 800. Lorsqu'on a engagé une coopération exigeante, on a multiplié par trois les expulsions.

Q - Mais c'est une question de diagnostic aussi peut-être. C'est-à-dire, l'Algérie a, ces dernières années, une politique d'hostilité déclarée envers la France, insulte régulièrement la classe politique française, insulte ses ministres, prend Boualem Sansal en otage... Et on dirait que la France peine à considérer l'Algérie, le régime algérien, pas le peuple algérien, mais le régime comme un régime hostile. Est-ce qu'il n'est pas nécessaire de dire : "Le régime algérien est une menace existentielle à la France aujourd'hui" ?

R - Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Ce qui est le plus important pour moi, en tout cas, c'est l'intérêt des Françaises et des Français, l'intérêt de nos compatriotes, au premier rang desquels Boualem Sansal. Et lorsque nous agissons par la diplomatie, nous avons toute une palette d'outils que nous pouvons activer, certains dont nous parlons, certains dont nous ne parlons pas, avec un seul objectif : protéger les Françaises et les Français.

Q - Pour l'instant, Boualem Sansal a commencé une grève de la faim.

R - Absolument. Et je suis très préoccupé par les conditions de sa détention, par sa santé, par son moral. C'est pourquoi j'appelle une nouvelle fois les autorités algériennes à faire preuve d'indulgence.

Q - La diplomatie, c'est la bonne démarche, là aussi, dans le cas de Boualem Sansal ?

R - Mais la diplomatie, c'est toujours la bonne démarche, c'est toujours la première ligne de défense des intérêts des Français. L'alternative à la diplomatie, c'est la guerre, Monsieur.

Q - Mais j'aimerais comprendre. Je reviens sur... Le Président de la République, si je ne me trompe pas, n'a pas hésité à qualifier, avec raison, la Russie de menace existentielle, cette semaine. Est-ce qu'on pourrait utiliser le même terme pour parler de l'Algérie aujourd'hui, dans la mesure où l'Algérie se pose explicitement en rapport d'hostilité à la France ?

R - Alors, je suis vraiment très étonné de votre question, cher Monsieur, puisque lorsque nous disons que la Russie est une menace existentielle pour la France, c'est parce que la Russie ne fait pas mystère de ses intentions impériales, c'est-à-dire, ses intentions de déplacer les frontières de la Russie aussi loin que cela est possible. Et par ailleurs, la Russie a déjà montré des gestes d'agressivité extrêmement inquiétants, extrêmement forts vis-à-vis d'un certain nombre de pays européens, jusqu'à des colis piégés en Allemagne, jusqu'à faire annuler une élection en Roumanie, après avoir perturbé les réseaux sociaux. On est là sur une dimension qui touche à nos intérêts les plus essentiels.

Q - Jean-Noël Barrot est l'invité du "Grand Rendez-vous" Europe 1, CNews, Les Echos. On revient dans un petit instant. À tout de suite.

(...)

Q - Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères et de l'Europe, l'invité du "Grand Rendez-vous" Europe 1, CNews, Les Echos, ce matin. On parlait du dossier algérien. Vous vous souvenez, Jean-Noël Barrot, bien sûr, de l'affaire de ce mariage à Béziers, refusée par Robert Ménard, le maire, parce que le futur époux était sous OQTF. Dans le Figaro, ce vendredi matin, on découvre le plan du couple pour contourner la décision de Robert Ménard. Ils ont l'intention d'aller se marier en Algérie, au consulat de France, à Oran. Egalement, c'est une autre option. Revenir ensuite en France en essayant d'obtenir un visa long séjour. 75% des Français estiment qu'il faut interdire le mariage quand l'une des personnes est en situation irrégulière. C'est un sondage CSA pour Europe 1, CNews et le JDD. Quelle est votre opinion sur ce cas précis, qui est dans la continuité de ce qu'on vient de dire, sur le dossier algérien ?

R - Que nous avons sans doute un certain nombre de choses à revoir dans la manière dont nous contrôlons l'immigration. C'est une discussion qui doit inclure, évidemment, tenir compte des aspirations des Français à être mieux protégés contre l'immigration irrégulière, mais qui doit inclure une discussion entre tous les départements ministériels, entre tous les ministres. Et c'est précisément ce que le Premier ministre a décidé d'organiser mercredi autour de lui, avec ce comité de contrôle de l'immigration.

Q - Egalement sur le référendum, sur l'immigration, c'est une chose à laquelle l'exécutif pense ? 68% des Français sont favorables à ce référendum. Là encore, ce sondage CSA, CNews, les Echos.

R - Je crois que ceux qui l'ont proposé ont eux-mêmes reconnu que ça n'était pas possible en l'état, mais que ça pourrait l'être à l'avenir si, toutefois, notre constitution évoluait pour le permettre.

Q - CNews, JDD, pardonnez-moi.

Q - Bruno Retailleau, la semaine dernière, disait que selon lui le référendum était possible dans les paramètres actuels de la constitution. Vous avez un désaaccord avec lui sur ce terme ?

R - Non, moi, je l'ai entendu plutôt dire qu'à l'heure actuelle, ça ne serait pas tout à fait possible...

Q - De mémoire. Il l'a dit mot pour mot.

R - ... pour des raisons politiques, pour des raisons de fragmentation des forces politiques au Parlement aujourd'hui. Ensuite, ça n'est jamais une mauvaise idée que de consulter les Françaises et les Français. Et donc, si à l'avenir les conditions le permettent, je n'y vois pas d'inconvénient pour ma part.

Q - Qu'est-ce que vous pensez de l'enquête du JDD ce matin sur l'AFD ? Alors, je ne parle pas de l'AfD allemande, je parle de l'Agence française pour le développement. Ces milliards dépensés chaque année pour réduire, par exemple, les violences de genre à Madagascar dans la pratique du rugby, pour les recherches sur le criquet pèlerin dans plusieurs pays d'Afrique, pour l'aide psychiatrique aux migrants en Egypte. Le JDD, dans son enquête, a chiffré 15 milliards d'euros.

R - Je pense que c'est utile que l'opinion publique, que nos médias, se penchent sur l'action de la France à l'international. Ensuite, il y a évidemment un contraste, si je puis dire, entre ces 15 milliards d'Euros, et j'y reviens, qui sont affichés, et puis les programmes que vous évoquez, qui, eux, ne représentent que des sommes qui sont relativement limitées, en tout cas...

Q - Les violences de genre à Madagascar, c'est 350.000 Euros, mais c'est tout de même 350.000 Euros.

R - Ce sont les 15 milliards d'Euros qui font la Une. Alors, premier élément, cette action financière de la France à l'étranger, si on la prend dans son ensemble, ça représente 15 milliards d'Euros, c'est-à-dire que sur 100 euros de richesse produite dans notre pays, ce sont 50 centimes qui vont dans cette action externe. Donc, la question c'est : est-ce que c'est trop ? Est-ce que ce n'est pas assez ? Est-ce que c'est beaucoup ? Mais à mon avis...

Q - Est-ce que c'est trop alors ? Est-ce que c'est trop ou pas ?

R - À mon avis, la bonne question, ça n'est pas tout à fait celle-là. Ce n'est pas tout à fait celle qui est posée par la Une du Journal du dimanche. La bonne question, c'est : est-ce que ça rend service aux Françaises et aux Français ? Et la vérité, c'est qu'à bien des égards, cette aide publique au développement nous permet de traiter des questions qui sont fondamentales pour les Français, à commencer par, on en parlait tout à l'heure, la lutte...

Q - Pour réduire les violences de genre au sein des collèges pour la pratique du rugby.

R - Mais vous pouvez aligner les micro exemples qui ont été listés dans ce journal, mais je vais vous en donner d'autres.

Q - Il ne les invente pas, cela dit.

Q - Est-ce que c'est trop, les 15 milliards ?

Q - Parce que Monsieur le Ministre a dit que je les inventais...

Q - Je pense qu'aux Etats-Unis, qui viennent de tailler à la hache dans le budget de l'USAID, qui est un peu l'équivalent de l'AFD en France, est-ce que l'aide au développement de la France est trop importante dans le cadre aujourd'hui, vu les contraintes budgétaires qui sont les nôtres, est-ce qu'il faut les réduire encore ?

R - Je vous laisse terminer, puis comme ça, on pourra avoir une conversation. D'accord ?

Q - Monsieur Barrot, à vous.

R - Les 15 milliards d'euros, est-ce que c'est beaucoup, est-ce que ce n'est pas beaucoup ? Je vous l'ai dit, par rapport à la richesse produite en France, sur 100 euros de richesse produite en France, c'est 50 centimes. Est-ce que la question est de savoir si c'est beaucoup ou pas beaucoup, ou est-ce que la question est de savoir si c'est utile aux Français ? Et je pense que cette deuxième question est la plus importante. L'action de la France à l'international, c'est pour lutter contre la résurgence du terrorisme et de Daech. C'est pour ça qu'on soutient, c'est en une du JDD, la Jordanie, puisque c'est de la Jordanie, depuis nos bases en Jordanie, que nous luttons contre le terrorisme de Daech. L'aide publique au développement, c'est aussi utile pour limiter l'impact de l'immigration, et de l'immigration irrégulière. Je prends un exemple qui peut surprendre. Oui, il y a de l'aide publique au développement française qui va en Turquie. Pourquoi ? Eh bien, parce que la Turquie, après la guerre en Syrie en 2015, a accueilli 3 millions de réfugiés.

Q - C'est pratiquement du chantage avec l'Europe...

R - Et pour éviter que tous ces millions de réfugiés arrivent en France, eh bien nous soutenons, si je puis dire, les pays d'accueil pour ne pas que les personnes en question se tournent vers la France. Un exemple plus récent : l'épidémie de mpox qui est apparue en Afrique. Eh bien, notre action, elle vise précisément à en limiter les impacts et éviter qu'elle puisse se propager et à un moment donné, venir nous concerner directement. Je donne un dernier exemple qui touche à la question de Mayotte et de l'immigration irrégulière à Mayotte. Comme vous le savez, on en a beaucoup parlé, cette immigration irrégulière, elle est liée à la situation aux Comores. Avec l'aide publique au développement, ce que nous faisons c'est que nous finançons des moyens très concrets pour que les autorités aux Comores puissent maîtriser les flux qui sont en réalité tout à fait difficiles à maîtriser...

Q - Vous n'avez pas l'impression que les Comores utilisent l'immigration notamment pour annexer Mayotte à moyen terme dans l'histoire ?

R - Mais ça c'est votre avis. Mais si toute cette intervention de la France sur l'immigration, sur le terrorisme, sur la santé n'était pas là, quelle serait la situation ?

Q - Monsieur Barrot, vous donnez de l'argent aux Comores, si je comprends bien, pour qu'elle règle la question migratoire sur l'île de Mayotte, mais qui contrôle derrière ?

R - Alors, justement, mon premier point c'était de dire que, ce n'est pas la question de montant, c'est de savoir si c'est utile aux Français. Et mon deuxième point, c'est qu'effectivement, il faut évaluer l'impact de tout ce que nous faisons. Et c'est pourquoi je viens de signer, il y a quelques jours, un décret qui instaure une commission d'évaluation de l'aide publique au développement. Pour que projet par projet, on s'assure systématiquement que ce que nous faisons est bien dans l'intérêt direct des Français, ou indirect, parce que vous savez que ces interventions de l'AFD, elles bénéficient aussi très largement à des entreprises françaises.

Q - Donc on a signé, en 2019, des accords avec les Comores pour leur donner de l'argent, et en 2025, six ans après, on regarde si ça marche, c'est ça ?

R - Non, parce qu'il y a déjà des mécanismes d'évaluation, je dirais très rigoureux, à commencer par le Parlement. D'ailleurs, le Journal du dimanche a invité le parlementaire, qui est ce qu'on appelle le rapporteur de l'aide publique au développement, qui a donné son avis, qui a d'ailleurs fait un rapport cet automne pour dénoncer ce qu'il considère comme étant des dépenses qui n'ont pas d'intérêt direct pour les Français. Mais cette commission, elle permettra de systématiser l'évaluation en lien avec les parlementaires, et de toujours nous assurer que l'aide publique au développement sert bien les intérêts de la France et des Français.

Q - J'entends bien, mais les exemples que vous ont donné Pierre de Vilno... Vous me direz c'est 350.000 euros, ce ne sont pas des milliards j'entends mais ces exemples sont quand même un peu loufoques, non ?

R - Je vous le dis, c'est au parlementaire et à cette commission qui vient d'être installée, de veiller, parce que je veux dire, il faut qu'on rentre dans le détail de chacun des projets pour comprendre pourquoi ils ont pu être agréés, et voir le lien avec les intérêts des Français et des Françaises.

Q - Le temps presse. Je voudrais qu'on parle du Proche-Orient. Il y a eu six Israéliens libérés hier, avec toujours ces mises en scène insupportables du Hamas. 613 prisonniers palestiniens qui devaient être libérés. Cette fin de semaine a aussi été marquée par le deuil terrible de la famille Bibas, le corps de Shiri n'était pas le sien ; finalement le Hamas, par miracle, l'a retrouvé, c'est dire combien la vie humaine compte pour ces terroristes. Et puis, ses deux enfants, Kfir et Ariel, tués à mains nues, ça a été prouvé par les médecins légistes de l'armée israélienne. Quelle a été votre réaction, Jean-Noël Barrot ? Et dans le prolongement, est-ce qu'on peut encore penser à une solution à deux Etats ?

R - J'ai été profondément horrifié par le sort de la famille Bibas, meurtri par ces atrocités commises par le Hamas depuis le 7 octobre 2023, et même avant, avec une pensée pour les familles de nos otages, qui ont été retenus dans l'enfer de la captivité des tunnels de Gaza pendant trop longtemps. Une pensée, bien sûr, pour Ofer Kalderon qui vient d'être libéré, qui a retrouvé ses deux enfants qui, eux-mêmes, avaient été pris en otage, eux-mêmes avaient été libérés au mois de novembre 2023 et qui attendaient désespérément le retour de leur père. Une pensée pour la famille d'Ohad Yahalomi, dont nous n'avons toujours aucune nouvelle, dont les enfants, eux aussi, avaient été pris en otage, ont été libérés, attendent, la peur au ventre, des nouvelles de leurs parents. Tout ça est à l'image de ce qu'est le Hamas, une organisation terroriste qui porte une responsabilité historique dans tout ce qui s'est produit dans la région depuis...

Q - Mais sur les deux Etats, la question de terroriste islamiste.

R - Eh bien, je continue de penser que la seule solution politique...

Q - Malgré cela, malgré l'attitude de ces terroristes islamistes ?

R - Mais c'est une solution politique qui exclut le Hamas.

Q - Comme ça ? Comme par hasard, on va exclure le Hamas, on va réussir à éradiquer le Hamas ?

R - Non, pas comme par hasard.

Q - Sur un claquement de doigts, on va réussir tout d'un coup à ce qu'il n'y ait plus le Hamas en Palestine ?

R - Non, vous savez, d'abord, la solution politique, nous y travaillons, mais elle n'est pas pour ce week-end ni pour la semaine prochaine.

Q - Ça fait 20 ans qu'on en parle...

R - Ce qui est pour ce week-end et la semaine prochaine, c'est le plan pour la période qui va s'ouvrir à l'issue du cessez-le-feu conclu entre l'Israël et le Hamas. Les pays arabes de la région ont commencé à bâtir un plan qui traite de la reconstruction, de la gouvernance et de la sécurité à Gaza. C'est un plan qui exclut le Hamas et de la reconstruction et de la gouvernance et de la sécurité, dont nous attendons qu'il nous soit présenté pour qu'ensuite nous puissions, nous, les Européens, le soutenir, en attendant des Etats-Unis qu'ils fassent de même.

Q - Jean-Noël Barrot est l'invité du "Grand Rendez-vous". Dans un instant, on parle du voyage d'Emmanuel Macron aux Etats-Unis. À tout de suite.

(...)

Q - Retour sur le plateau du "Grand Rendez-vous" Europe 1, CNews, Les Echos, avec le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. Emmanuel Macron part donc, cet après-midi, pour Washington pour y rencontrer, demain, Donald Trump. Vous l'accompagnez, bien sûr, en tant que chef de la diplomatie française. Le président Français qui a jugé utile de mettre au jour ce qu'il compte dire au Président américain lors d'un chat sur les réseaux sociaux. On regarde, on écoute. (...)

Q - J'imagine que vous ne pouvez que plussoyer à la parole présidentielle. Mais que pensez-vous, au-delà du fond, du ton employé, de la sémantique et de la forme ?

R - Elle est à l'image de la relation entre les deux présidents. Une relation qui s'est nouée lors du premier mandat de Donald Trump et qui est une relation de proximité, de franchise. Et donc, le ton qui a été utilisé par le Président de la République sur la vidéo est, à mon avis, assez proche de celui qu'il aura avec lui dans les conversations qu'ils auront.

Q - Il faut parler cash ? Il faut parler cash, avec Trump ?

R - Parler cash et puis surtout, capitaliser, si je puis dire, sur la relation qu'on a bâtie au fil des années. Et ça ne servirait à rien, si je puis dire, de se cacher derrière du jargon diplomatique ou des précautions excessives. Il faut se dire les choses entre alliés.

Q - Pour l'instant, ça n'a pas tellement marché, le langage cash avec Trump. Puisque depuis qu'il a pris ses fonctions à la Maison-Blanche, il a fait des déclarations qui ont beaucoup surpris les Européens, dont vous vous êtes émus de ses propos. Et pour l'instant, il continue comme si de rien n'était. On a l'impression que ce que disent les Européens, ça ne l'intéresse pas beaucoup.

R - C'est pourquoi ce voyage du Président de la République a d'autant plus de valeur, puisqu'il se rend sur place, après que Donald Trump, vous vous en souvenez, est venu à Paris pour son premier déplacement à l'étranger, comme président-élu, pour la réouverture de Notre-Dame. C'est le voyage retour qui, quelques mois plus tard, va permettre au Président de la République de donner, d'abord, son diagnostic de la situation et de la bonne manière d'obtenir le maximum de concessions de la part de la Russie de Vladimir Poutine.

Q - S'il faut parler franchement, utilisons un terme qui est revenu dans l'actualité souvent cette semaine : Yalta. Est-ce que nous sommes devant une tentative de la part des Américains et de la Russie, finalement, de poser un nouveau Yalta pour les temps présents, laissant l'Europe s'adapter ensuite, une fois que les deux empires auront décidé le sort de l'Europe ?

R - Il y a peut-être une tentation côté russe, puisqu'on en parlait tout à l'heure, clairement, le projet de Vladimir Poutine, c'est un projet impérial ou impérialiste, c'est-à-dire un projet qui ne se connaît pas vraiment de frontières et qui repousse son influence le plus loin possible. Mais c'est une erreur de penser que cela est possible, parce qu'à la fin, seuls les Ukrainiens peuvent décider de déposer les armes. Et ils ne déposeront les armes, trois ans après s'être battus héroïquement contre l'envahisseur, que s'ils ont la garantie que cette fois-ci, ça ne recommencera pas.

Q - Si je puis me permettre. Si les Américains décident de cesser de soutenir l'Ukraine ?

R - Eh bien, les Ukrainiens continueront de combattre. Je viens de vous le dire.

Q - Sans soutien américain, le combat des Ukrainiens, aussi héroïque soit-il, ça risque d'être beaucoup plus difficile de tenir tête aux Russes.

R - Vous voyez bien que ce que cherche Donald Trump, et c'est une bonne chose, c'est à amener Vladimir Poutine à la table des négociations pour que, rapidement, on puisse avoir une cessation des hostilités et une paix durable en Ukraine. C'est l'intention de Donald Trump, il l'a exprimée à de multiples reprises. Mais cette intention, elle s'heurtera à un mur si les Ukrainiens décident de continuer à combattre.

Q - Et quand on voit, par exemple... On se désole de l'absence, par exemple, de l'Europe... Donc, imaginons que l'Europe soit invitée aux négociations. L'Europe, est-ce que c'est l'Union européenne ? Est-ce que c'est la France ? Est-ce que c'est une autre puissance ? Qui peut parler au nom de l'Europe dans les circonstances ?

R - Vous savez, la répartition des rôles, elle est claire. Elle s'est d'ailleurs faite, si je puis dire, lorsque Donald Trump est venu à Paris, qu'il a rencontré Volodymyr Zelensky avec le Président de la République...

Q - À Notre-Dame, notamment.

R - ... - bien sûr ! -, c'est que les Etats-Unis, par la persuasion et par la force, amènent Vladimir Poutine à la table des négociations. Parce que, jusqu'à présent, et malgré les déclarations qu'on a pu entendre, Vladimir Poutine n'a montré aucun signe de volonté de faire des compromis, etc., ou même de négocier sincèrement.

Q - Mais Emmanuel Macron avait essayé. C'était l'image de la grande table il y a quelques années.

R - Et les Européens, quelle est leur responsabilité dans tout ça ? Je le disais, seuls les Ukrainiens peuvent décider d'arrêter de combattre. Ils ne le feront, et je le sais pour leur parler très régulièrement, que s'ils ont la garantie, cette fois-ci, que la guerre s'arrêtera pour de bon. Donc, si cette paix qui sera trouvée est entourée de garanties, ce qu'on appelle des garanties de sécurité, en jargon diplomatique et militaire... Et ce sont les Européens qui vont apporter ces garanties-là. Et donc, d'une manière ou d'une autre, par la force des choses, les Européens vont participer à ces discussions.

Q - Vous en êtes sûr ? Parce que quand on écoute Donald Trump, on a l'impression que l'Alliance atlantique, aujourd'hui, elle est dans un piteux état. Et Emmanuel Macron, à une époque, avait dit qu'elle était en état de mort cérébrale. Est-ce que ce n'est pas le cas aujourd'hui ? Est-ce que l'Alliance atlantique n'est pas morte ?

R - Ce qui est sûr, c'est qu'une tendance qui était à l'oeuvre depuis longtemps, le désengagement progressif des Etats-Unis vis-à-vis de l'Atlantique, au profit du Pacifique, est en train de s'accélérer. Mais nous voyons cela comme une opportunité. Une opportunité pour que les Européens reprennent en main leur propre sécurité et, en quelque sorte, leur propre destin. Parce que nous avons vécu dans une période d'insouciance, où beaucoup de pays européens, ce n'est pas le cas de la France, grâce au général de Gaulle, mais c'est le cas de beaucoup de pays européens, qui se sont complètement appuyés sur le parapluie américain.

Q - Donc, dépenser plus pour notre défense ?

R - Dépenser plus, dépenser mieux aussi. Parce qu'il n'y a pas que la quantité qui compte, il y a la qualité. Mais vous avez raison, ça commence par dépenser plus. Je rappelle que dans les années 50, c'est 7% de notre richesse nationale que nous consacrions à nos budgets militaires.

Q - Pendant la guerre froide et juste après la Deuxième Guerre mondiale.

R - Et nous avons divisé par trois la part de nos ressources nationales que nous consacrons à la défense...

Q - Et certains pays européens comme les polonais sont presque à 5%...

R - Heureusement, en France, on a commencé à redresser, puisqu'on a fait doubler notre budget militaire et on s'y est tenu. Maintenant, il faut que les autres Européens nous suivent dans cet effort-là.

Q - Je reviens sur le dialogue qu'il peut y avoir entre Donald Trump et Emmanuel Macron. Je le disais tout à l'heure en titre, si elle chantait pianissimo ou fortissimo, c'était une image pour voir le gigantesque Donald Trump qui prend la parole encore, hier, au sommet des conservateurs, à la convention des conservateurs à National Harbor. Il dit : "Moi, j'essaye de récupérer l'argent à l'aide fournie par les Etats-Unis à l'Ukraine. On demande des terres rares et du pétrole, n'importe quoi, qu'on puisse obtenir." La phrase sur laquelle on a dit que Donald Trump, et effectivement, il l'a fait, a traité Volodymyr Zelensky de dictateur, elle intervient dans une grande lignée, de dire que les Etats-Unis ont donné beaucoup d'argent et qu'une partie de cet argent a été perdue, ou en tout cas on ne le retrouve plus. Quelle est la position de la France, aujourd'hui, face à un Donald Trump qui dit : "Poutine doit faire partie des négociations, je veux récupérer l'argent de l'Ukraine par des terres rares", et également, parce qu'on sait que Donald Trump est un promoteur immobilier, donc, il veut s'assurer des marchés de reconstruction de l'Ukraine. Quelle est la place de la France, j'allais dire, dans cette mainmise de Donald Trump, qui donne l'impression de tout contrôler, en fait, dans cette affaire ?

R - Sur Poutine, comme je vous le disais, l'intention qui est celle de Donald Trump de l'amener à la table des négociations, nous la saluons. Ce que nous disons en revanche, c'est que la méthode douce, pour revenir au débat qu'on avait tout à l'heure, nous l'avons essayée, la méthode du dialogue. Elle n'a pas fonctionné. Et donc, nous pensons que pour faire venir Vladimir Poutine de bonne foi à une table de négociations où il va faire des compromis, il faut lui mettre la pression. Et c'est ce que nous allons continuer à faire.

Q - Qu'est-ce que ça veut dire mettre la pression ?

R - Demain, à Bruxelles, nous allons prendre encore un nouveau train de sanctions qui vont viser des dizaines d'individus, d'entités, de banques, de navires, etc.

Q - Mais est-ce que Trump est d'accord avec vous là-dessus ?

R - Le Président de la République va lui dire. Va lui dire que par le dialogue, il obtiendra très peu de Vladimir Poutine, puisque nous en avons fait les frais.

Q - Mais est-ce que Trump va vous écouter ?

R - Ça, c'est à lui qu'il faudra le demander.

Q - Vous souhaitez des compromis de la part de Vladimir Poutine. Qu'entendez-vous par là, des compromis ?

R - Eh bien, tout simplement, de ne pas nous renvoyer dix ans en arrière. Parce que dix ans en arrière, à peu près jour pour jour, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Il y avait déjà la guerre en Ukraine. Et nous avons trouvé un accord de cessez-le-feu, une pause, une trêve. Et cette trêve, elle a été, depuis, violée par vingt fois. Et ensuite, la Russie, après l'avoir violée vingt fois, a décidé de lancer son invasion à grande échelle sur l'Ukraine. Donc ça, nous n'en voulons plus. Nous ne voulons pas de pause, nous voulons la paix.

Q - Ça veut dire des concessions territoriales, un compromis avec Poutine ?

R - Mais ça, c'est un compromis qui peut être fait par les Ukrainiens et eux seuls. Le compromis qui doit être celui, parmi les compromis...

Q - Ils vont lâcher le Donbass après avoir lâché la Crimée, c'est ça ?

R - Non, mais vous m'interrogez sur les compromis qu'on est en droit de demander de Vladimir Poutine. C'est tout simplement de ne pas avoir un simple cessez-le-feu, mais d'avoir un traité de paix en bonne et due forme. Et comment ça se passe un traité de paix ? Eh bien, celui, en l'occurrence, qui est agressé, c'est-à-dire l'Ukraine, doit pouvoir choisir qui sont ses partenaires de sécurité. Qui va faire en sorte que la paix soit garantie.

Q - Je comprends. Dans la logique du compromis à laquelle vous appelez, vous espérez que l'Ukraine puisse rejoindre l'OTAN ? C'est très concret.

R - C'est une des possibilités, sauf que...

Q - Trump a dit non.

R - Trump, pour l'instant, l'a écarté. Nous, nous considérons que c'est la meilleure solution.

Q - Donc, la France est favorable à l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN à un horizon historique approché ?

R - Oui, même s'il y a des processus d'adhésion qui ne sont pas compressibles. Et ce qui signifie que, si, comme nous le souhaitons, un traité de paix en bonne et due forme devait être signé, je pense que, dans une période au moins intérimaire, il faudrait aux Européens, avec peut-être d'autres alliés, se substituer, en quelque sorte, en complément de l'OTAN.

Q - C'est une ligne rouge pour Moscou, l'entrée dans l'OTAN.

R - Exactement. C'est pourquoi je vous dis que Vladimir Poutine, s'il vient à la table des négociations, il faut qu'il soit prêt à faire des compromis.

Q - Et donc, on peut imaginer, j'ai entendu Emmanuel Macron, cette semaine, dire qu'il n'y aura pas de troupes européennes "belligérantes" sur le territoire ukrainien. Donc, on peut comprendre qu'une forme de troupes européennes, sur le mode casque bleu, sont imaginables en Ukraine au terme des négociations ?

R - Il est trop tôt pour en parler.

Q - Le Président de la République l'a déjà fait.

R - Oui, dans la garantie qui peut être donnée pour sécuriser tel ou tel pays, il y a des solutions comme celle-là. Vous savez, il y a des pays européens aujourd'hui où vous avez des forces qui viennent d'autres pays, qui sont stationnés là, qui ne combattent pas, qui d'ailleurs n'ont jamais combattu et sans doute ne combattront jamais, mais qui, par leur simple présence, jouent ce rôle, en quelque sorte, de sécurisation, aux marges, aux frontières de l'OTAN. C'est cela que signifie le terme un peu jargonneux de garantie de sécurité. Et c'est ce que la Russie, d'une manière ou d'une autre, doit pouvoir accepter pour que l'Ukraine dépose les armes après s'être battue pendant trois ans pour défendre son intégrité territoriale.

Q - Vous ne m'avez pas totalement répondu tout à l'heure quand Donald Trump a effectivement mis sur la table le mot de dictateur pour Zelensky. Qu'est-ce qu'Emmanuel Macron va... Est-ce qu'il va renchérir là-dessus demain ? Est-ce qu'il va dire "ce n'est pas bien ce que tu as dit, Donald" ?

R - L'objectif du Président de la République, c'est de faire cheminer les discussions vers ce qui nous importe. Ce qui importe aux Français et aux Françaises, c'est un traité de paix en bonne et due forme. Mais Volodymyr Zelensky n'est pas un dictateur. Il est soutenu aujourd'hui par son peuple dans un contexte très compliqué. Le contexte, c'est celui de la guerre depuis trois ans. Je veux dire, tout le monde en Ukraine souhaiterait pouvoir avoir une vie normale, avoir des élections, etc., mais tout le monde est conscient que ça n'est pas possible quand on a, je ne sais pas combien, de centaines de milliers voire un million de soldats qui sont au front, quand on a sept millions d'Ukrainiens qui ont dû fuir l'Ukraine, fuir les combats, etc. Comment voulez-vous... Parce que je vois bien le reproche qui monte, mais comment voulez-vous qu'on ait une vie démocratique normale quand 20% de votre pays est envahi et que vous êtes au front pour défendre votre intégrité territoriale ?

Q - On continue la discussion avec Jean-Noël Barrot juste après une dernière pause dans "Le Grand Rendez-vous".

(...)

Q - Dernière partie du "Grand Rendez-vous" avec le ministre des affaires étrangères et de l'Europe, Jean-Noël Barrot. Emmanuel Macron va donc rencontrer Donald Trump. J'imagine qu'il va rencontrer également Elon Musk qui, de temps en temps est dans le Bureau ovale, parfois avec ses enfants, d'ailleurs, on l'a vu sur des images. Est-ce qu'Emmanuel Macron va dire en face à Elon Musk qu'il est à la tête d'une internationale réactionnaire ?

R - Je ne crois pas qu'une rencontre avec Elon Musk soit prévue au programme.

Q - Et si jamais ? Il avait été invité à Notre-Dame, je vous rappelle.

R - Il avait été invité à Notre-Dame, bien sûr, dans la délégation de Donald Trump, mais...

Q - Mais l'internationale réactionnaire, c'est post-Notre-Dame. C'est au discours des ambassadeurs.

R - Et par ailleurs, je ne suis pas sûr que ce soit Elon Musk qui soit à la tête de l'internationale réactionnaire, qui est une expression que le Président de la République a employée pour désigner un mouvement plus général et qui ne se limite pas ou ne se concentre pas sur la personne d'Elon Musk. Et qui, partant des Etats-Unis, fait certaines émules en Europe et qui porte un certain nombre de valeurs et d'idées qui ne sont ni celles du président de la République ni en réalité celles de la France.

Q - Mathieu Bock-Côté ?

Q - Alors, cela dit, puisque dans l'internationale réactionnaire auquel on fait référence, il y a par exemple Mme Meloni, si j'ai bien compris, qui n'a pas attendu Donald Trump pour se faire élire. Est-ce que c'est une bonne idée, dans les circonstances, d'antagoniser, pardonnez le terme, les relations avec certains pays européens qui, aujourd'hui, sont clairement plus conservateurs que la France ? Est-ce que les réactionnariser, c'est la chose à faire pour conserver de bonnes relations avec ces pays ?

R - Je ne crois pas que le Président de la République ait personnifié cette expression d'internationale réactionnaire...

Q - Il l'a dit, quand même...

Q - Une mouvance non incarnée.

R - Oui, et c'est une mouvance qui, de toute évidence, trouve un certain écho en Europe et contre lequel le Président de la République entend résister. Ensuite, vous avez raison, l'Europe, dans ce moment, plus que jamais, a besoin de faire preuve d'une très grande unité. Pourquoi ? Je ne veux pas donner l'impression qu'on dit toujours la même chose et que c'est important que les Européens soient unis. Mais parce que la question qui est posée aujourd'hui, non seulement avec l'Ukraine, mais au-delà, avec le désengagement dont on parlait tout à l'heure des Etats-Unis d'Europe, puisqu'ils ne l'ont pas encore tout à fait annoncé, mais on voit bien que ça va s'accélérer, c'est notre sécurité, c'est notre avenir. Est-ce que l'Europe, à l'avenir, sera considérée comme un continent faible, incapable de se défendre et donc, je dirais, la proie de tous ceux qui ont des désirs d'expansion ou des désirs impérialistes ? Ou est-ce qu'au contraire, l'Europe, par son unité, sa solidité, sa fermeté, affichera une force qui dissuadera toutes les menaces de venir s'en prendre à elle ?

Q - Il y a eu un discours récent à Munich que le vice-président américain, J. D. Vance, a tenu des propos qui ont été très remarqués. Il a expliqué que le plus grand danger pour le monde occidental dont nous faisons partie, ce n'est ni la Chine, ni la Russie, mais les atteintes à la liberté d'expression. Vous êtes d'accord avec ce diagnostic ?

R - Je ne l'ai pas pris pour moi, parce que la liberté d'expression, nous savons de quoi il s'agit en Europe et singulièrement en France, puisque nous l'avons défini dès 1789. Ce sont les révolutionnaires qui l'ont défini, en expliquant très clairement que c'était l'un des biens les plus précieux de l'homme, l'un des droits les plus précieux de l'homme, mais qu'elle avait des bornes, et que ces bornes étaient fixées par la loi.

Q - Est-ce qu'il y a de plus en plus de bornes aujourd'hui ? Je sais que hier, Mme Sibyle Veil, si je ne me trompe pas, dans le Figaro, ou avant-hier, présentait la liberté d'expression aujourd'hui comme le cheval de Troie du néo-impérialisme américain. C'est un peu étonnant quand même.

R - Vous me demandez s'il y a trop de bornes. Ben moi, je vous renvoie...

Q - Est-ce qu'il y a de plus en plus de bornes ?

R - Non, mais j'entends. Je vois certains responsables politiques dire qu'il y a trop de contraintes sur la liberté d'expression. Et donc je leur demande : quelle est la liberté dont ils manquent aujourd'hui ? Est-ce la liberté de diffamer, d'injurier ? La liberté de faire l'apologie du terrorisme ? La liberté de tenir des propos racistes ou antisémites en toute impunité ? Quelle est la liberté qu'ils leur manquent aujourd'hui ?

Q - Je vais vous donner un exemple. Ce n'est pas exactement intéressant. Quand Georges Bensoussan, le grand historien, s'est retrouvé devant des tribunaux, une cabale juridique pendant plusieurs années, pour des propos sur lesquels il parle de l'antisémitisme dans l'islam aujourd'hui. Un historien, on peut être en désaccord ou non avec lui, mais devant les tribunaux pour des propos comme ceux-là, est-ce que c'est normal d'être devant les tribunaux pour un désaccord idéologique ou historique ?

R - Ce qui est sûr, c'est qu'en France et dans d'autres pays européens, la plupart d'entre eux, la liberté d'expression, elle s'arrête aux abus de cette liberté lorsque notamment les expressions conduisent à l'antisémitisme ou au racisme.

Q - J. D. Vance, vous allez peut-être le rencontrer demain à Washington. Il a tenu ces propos. Qu'est-ce que vous allez lui dire sur les atteintes à la liberté d'expression, principal danger pour le monde occidental ?

R - Une nouvelle fois, je vous le dis, ce n'est pas à nous que cette question se pose, c'est plutôt aux Etats-Unis d'Amérique et en particulier, aux responsables, puisque vous parlez d'Elon Musk, des grandes plateformes de réseaux sociaux. Et moi, je le dis très clairement : non, nous n'accepterons jamais en France et en Europe que le débat public, qui est entouré d'un certain nombre de bornes qui permettent la pluralité des points de vue, de se tenir. Et nous n'accepterons jamais qu'il soit délocalisé sur des plateformes de réseaux sociaux dont les règles sont fixées par des milliardaires chinois ou américains. Les règles sont fixées en Europe par les législateurs européens et soit ces plateformes s'y conforment, et tout ira bien, soit elles ne s'y conforment pas, et alors il faudra qu'elles quittent l'Europe d'une manière ou d'une autre, parce que ça n'est pas acceptable.

Q - C'est ce qu'avait institué déjà Thierry Breton lorsqu'il était en place...

R - Exactement. Et aujourd'hui, c'est à la Commission européenne de prendre des mesures pour faire respecter ces règles que nous nous sommes souverainement et démocratiquement données. Sinon, il faudra qu'elle restitue la capacité aux Etats membres de le faire à sa place.

(...)

Q - Alors, dernière question pour la liberté d'expression. On nous dit quelquefois, "il y a un modèle américain de la liberté d'expression, il y a un modèle européen de la liberté d'expression". Vous noterez, je me permets d'y revenir, qu'il y a eu de plus en plus de législation, par exemple en Ecosse, par exemple en Irlande, pour interdire les propos haineux, quelquefois même dans la demeure privée. Est-ce qu'il n'y a pas une tentation - ça a été voté -, est-ce qu'il n'y a pas de tentation aujourd'hui en Europe de classer sous le signe de l'interdit ou de la désinformation du propos haineux, tout propos avec lequel on est en désaccord, finalement ?

R - Je suis tout à fait d'accord avec vous, il ne faut pas du tout mélanger les choses. Il y a l'antisémitisme, il y a le racisme, il y a l'apologie du terrorisme, il faut veiller à ce que les limites à la liberté d'expression soient précisément qualifiées en droit. Sinon, on bascule dans quelque chose qui s'apparente à une répression de la liberté d'expression et ça, ce n'est pas acceptable.

Q - Mais nous n'y sommes pas encore.

Q - Merci beaucoup Jean-Noël Barrot et bon voyage aux Etats-Unis avec le Président pour rencontrer Donald Trump. C'était "Le Grand Rendez-vous" Europe 1, CNews, en partenariat avec les Echos, avec Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères et de l'Europe. Très bon dimanche sur nos deux antennes.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 2025