Texte intégral
Q - Bonjour, Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour.
Q - Bienvenue dans les "4V". Avant de revenir sur votre déplacement à Washington, aux côtés du Président de la République, pour rencontrer Donald Trump, un rendez-vous important pour l'exécutif cet après-midi, ce comité interministériel de contrôle de l'immigration, qui prend évidemment une tournure particulière après l'attentat de Mulhouse et ce terroriste sous OQTF que l'Algérie a refusé de reprendre à dix reprises, selon le Gouvernement, malgré des demandes répétées de la France. Même François Bayrou dit désormais qu'il faut un ton plus fort - un tour de vis, même - avec l'Algérie. Qu'est-ce que vous allez proposer cet après-midi à ce comité interministériel ?
R - Je vais proposer qu'on renforce notre capacité à éloigner les étrangers en situation irrégulière. Comment ? Si un pays ne coopère pas avec les autorités françaises, je vais proposer que tous les pays européens, en même temps, puissent restreindre leur délivrance de visas. Ça, c'est la première idée.
Q - Donc, y compris pour l'Algérie, que tous les Européens se mettent ensemble ? Pas uniquement la France de son côté ?
R - Absolument. Sinon, quand on le fait à titre national, malheureusement, ça ne fonctionne pas. Si, à l'inverse, un pays améliore sa coopération en matière de reprise des étrangers qui sont en France en situation irrégulière, alors je propose que nous puissions appliquer des baisses de droits de douane, parce que c'est un levier qui est particulièrement puissant.
Q - Donc c'est aussi sur les droits de douane que ça doit se jouer vis-à-vis de ces pays, entre les bons et les mauvais élèves ?
R - Absolument. Et là encore, au niveau européen. Et puis, troisième idée, je souhaite que le juge puisse décider de placer et maintenir en rétention un étranger en situation irrégulière pour des motifs d'ordre public. Parce qu'aujourd'hui, ça n'est pas possible en droit. Et je trouve que ce n'est pas acceptable.
Q - Et donc ça, ça nécessite un changement de loi ? Une nouvelle législation à proposer au Parlement ?
R - Ça nécessite des évolutions européennes. Nous avons commencé à militer activement pour que ce soit le cas. Si le Premier ministre en décide tout à l'heure, cet après-midi, lors de ce comité interministériel, alors nous allons mettre les bouchées doubles pour faire en sorte que ces mesures puissent entrer en vigueur.
Q - Cet après-midi le Premier ministre devrait donc faire des annonces à l'issue de ce comité interministériel. C'est lui qui va porter les annonces. Vous attendez des décisions fortes, aujourd'hui ?
R - Je crois que nous avons besoin de décupler nos efforts pour répondre aux aspirations des Français, celles d'une reprise de contrôle de notre politique migratoire et en particulier de contrôle des flux d'immigration irrégulière.
Q - Et on comprend bien, Jean-Noël Barrot, que ce que vous proposez notamment, ça va prendre du temps. Ça ne pourra pas se faire en quelques jours ou quelques semaines ?
R - Ce n'est pas une raison pour ne pas l'initier. Parce que si nous voulons avoir le maximum d'efficacité avec notre politique migratoire, il y a beaucoup de choses qui seront beaucoup plus efficaces si nous passons par le niveau européen.
Q - Mais est-ce que vous pensez notamment que l'Algérie continue d'humilier la France, comme le dit par exemple votre collègue de l'Intérieur, Bruno Retailleau ?
R - Le Premier ministre l'a dit, le fait pour l'Algérie de refuser de reprendre des Algériens qui sont en France en situation irrégulière, c'est inacceptable. La détention de notre compatriote Boualem Sansal, c'est injustifiable.
Q - On va y venir.
R - Les déclarations hostiles qui visent les autorités françaises, c'est tout à fait indigne.
Q - Et donc cette stratégie, notamment de rapport de force, peut-être de changer d'approche avec l'Algérie, c'est quelque chose qu'il faut faire ? Il faut changer notre façon de parler à l'Algérie ?
R - Il y a toute une palette de mesures, de démarches que nous pouvons prendre. Je l'ai dit hier, il y a quelques semaines déjà - et sans attendre d'ailleurs la tragédie et l'attaque terroriste à Mulhouse -, nous avons pris des mesures de restriction de circulation, d'accès au territoire national de certains dignitaires algériens.
Q - Il faut aller plus loin ?
R - Si la coopération reprend, alors ces mesures peuvent être suspendues. Si elle ne reprend pas, alors je suis prêt, nous sommes prêts à prendre davantage de mesures.
Q - Vous évoquez l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal qui est toujours détenu arbitrairement en Algérie depuis mi-novembre. Comment va-t-il ?
R - Je suis très préoccupé par sa santé. Je suis très préoccupé par son moral. Nous avons reçu des informations qui sont particulièrement inquiétantes.
Q - Son avocat a dit, il y a deux jours, qu'il avait entamé une grève de la faim.
R - En tout cas, ce qui nous est parvenu, c'est l'information selon laquelle il aurait dessaisi ses avocats, Boualem Sansal, dans des conditions que nous ne connaissons pas et que nous allons nous attacher à vérifier dans les heures qui viennent, dans les jours qui viennent. Nous sommes, avec l'ambassadeur sur place, en contact avec son avocat algérien ainsi qu'avec le bâtonnier.
Q - Mais vous ne savez pas si c'est vraiment lui qui a pu prendre cette décision de manière complètement libre ?
R - C'est une décision qui nous étonne, dont nous voulons éclaircir les circonstances.
Q - On suivra ça, évidemment. Jean-Noël Barrot, vous revenez tout juste de Washington, où vous avez rencontré le président Donald Trump aux côtés d'Emmanuel Macron. Visite avec des poignées de main, des accolades, une ambiance chaleureuse - en tout cas en apparence. Sur le fond, est-ce que vous avez l'impression tout de même que Donald Trump a fait la moindre concession à l'Europe, à la France, sur sa méthode pour arrêter la guerre en Ukraine ?
R - Je crois qu'il était effectivement très important que le Président de la République puisse entrer dans la conversation au moment où il entrait dans la Maison-Blanche. On revient de Washington avec trois résultats qui me paraissent importants. Le premier, qui s'est confirmé, c'était l'annonce de la venue prochaine à Washington, à la Maison-Blanche, de Volodymyr Zelensky...
Q - Peut-être dès cette semaine, dès vendredi ?
R - Peut-être dès vendredi. En tout cas, c'est ce qui a l'air de se confirmer cette nuit. Le deuxième élément, c'est que très clairement, comme nous l'avons fait depuis des semaines, le président Trump a bien fait la distinction entre une trêve, un cessez-le-feu et une paix durable, ce qui est fondamental, parce que des trêves et des cessez-le-feu en Ukraine, on en a eu. Ils ont été violés par la Russie qui, il y a trois ans jour pour jour, a décidé d'envahir l'Ukraine. Puis le troisième élément, c'est que Donald Trump a, si l'on peut dire, consenti à ce que les Européens puissent garantir, justement, l'accord de paix lorsqu'il sera trouvé, que ces garanties puissent se manifester par des capacités militaires en Ukraine, et que les Etats-Unis puissent soutenir cet effort. Et ça, c'était fondamental parce que c'est ce à quoi aspirent les Européens : leur sécurité.
Q - Ça veut dire que la présence de troupes européennes pour sécuriser la frontière une fois que la paix sera actée se fera aux côtés d'Américains ? Ça, vous en avez la garantie ?
R - En tout cas, les Etats-Unis seront en soutien. Et en tout cas, la présence de capacités militaires en Ukraine, quelles qu'elles soient, vous savez, c'est ce que la Russie a toujours refusé. Or Donald Trump a dit : "Moi, si je fais venir Vladimir Poutine à la table des négociations, j'obtiendrai de lui qu'il accepte que des capacités militaires soient présentes une fois la paix trouvée, une fois la paix conclue, pour la garantir." Et ça, c'est un tournant qu'on attendait depuis dix ans.
Q - Emmanuel Macron n'a pas hésité parfois à interrompre - à corriger, même - certains chiffres donnés par Donald Trump devant les caméras en pleine conférence de presse. Est-ce que c'est la bonne méthode avec Trump ? Est-ce qu'il faut le séduire et un peu de fermeté parfois ?
R - Je crois en tout cas qu'il faut corriger un certain nombre d'idées reçues. La Russie, c'est 2% de la richesse mondiale ; l'Union européenne, c'est 20%. Et l'Union européenne, c'est le premier partenaire commercial des Etats-Unis. Et donc il fallait que Donald Trump, mais aussi son entourage, son équipe, prennent bien conscience que ce qui se joue c'est la relation entre l'Europe et les Etats-Unis, et ce qui se joue en Ukraine, c'est la sécurité des Européens. Donc c'est un sujet que nous prenons très au sérieux.
Q - Sur le montant de l'aide apportée par les Etats-Unis à l'Ukraine, Donald Trump continue de raconter, pardon, n'importe quoi ou des chiffres faux. 350 milliards de dollars, dit-il, alors que ce serait autour de 114 milliards.
R - Et puis il a minimisé, dans ses premiers propos, l'aide que les Européens ont apportée. C'est 134 milliards d'euros - 138 milliards de dollars -, ce que le Président a pu rectifier. Mais je précise que ça s'est fait - vous l'avez vu sur les images - parce qu'il y a, entre les deux hommes, une relation qui est marquée par de l'amitié, de l'estime et de la franchise. Ce qui a permis au Président de la République, dans le bureau du Président américain, de faire ces rectifications.
Q - Franchise, mais amitié aussi, on vous comprend bien. Juste pour finir, un ressortissant français qui est toujours détenu par le mouvement terroriste Hamas dans la bande de Gaza ; il s'agit d'Ohad...
R - Yahalomi.
Q - Pardon pour la prononciation. Est-ce que vous avez espoir qu'il soit prochainement libéré ?
R - Nous avions deux otages, jusqu'à il y a quelques semaines, retenus dans l'enfer de la captivité à Gaza. Ofer Kalderon a été libéré. J'ai pu m'entretenir avec lui hier matin, ainsi qu'avec sa fille. Je l'ai trouvé en bonne forme. J'ai trouvé qu'il avait une bonne voix. Je l'ai invité d'ailleurs - c'est un grand cycliste - à venir en France à l'été prochain pour le Tour de France. Quant à Ohad Yahalomi, j'ai une pensée pour lui, j'ai une pensée pour sa famille. Nous sommes extrêmement inquiets. Nous n'avons toujours aucune nouvelle. J'espère qu'il nous reviendra en bonne santé, mais malheureusement je ne peux pas le garantir.
Q - Un dernier mot. La députée européenne LFI, Rima Hassan, qui a été refoulée par les autorités israéliennes après son arrivée à l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv. Vous comprenez cette décision ? Puisqu'effectivement, du côté de La France Insoumise, on en fait toute une question politique.
R - Je n'en ai pas le détail. J'ai suivi les déclarations de Mme Hassan depuis le 7 octobre 2023, qui ont été d'une très grande indignité.
Q - Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères, était l'invité des "4V" aujourd'hui. Merci, bonne journée à vous.
R - Merci à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2025