Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Benjamin HADDAD bonjour,
BENJAMIN HADDAD
Bonjour,
LEA SALAME
Bonjour,
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenu à ce micro, vous rentrez d'Ukraine, Emmanuel MACRON rentre de Washington. Les choses bougent très vite, en ce moment. Avant d'entrer dans le détail de ce qui peut se passer en Ukraine et en Europe, d'abord, si vous le voulez bien, une vue d'ensemble. Après ces déclarations sur l'Ukraine, après le discours de J.D. VANCE contre le modèle européen de démocratie, comment qualifiez-vous le moment que nous traversons ? Est-ce un tournant historique ? Est-ce une convulsion de l'histoire ?
BENJAMIN HADDAD
On est à un point de bascule de notre histoire à nous Européens. Au fond, ce n'est pas nouveau. Depuis trois ans, on a la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine qui nous rappelle que la guerre existe toujours sur notre continent, qui nous impose de prendre en charge notre sécurité, d'augmenter nos budgets de défense et puis bien sûr de soutenir les Ukrainiens comme nous l'avons fait. On voit déjà depuis plus d'une dizaine d'années le changement aux Etats-Unis d'orientation géopolitique. Déjà, Barack OBAMA avait parlé de pivots vers l'Asie, on avait vu le protectionnisme, l'unilatéralisme sous le premier mandat de Donald TRUMP, mais qui a continué aussi, il faut le dire, sous le mandat de Joe BIDEN, l'Inflation Reduction Act qui est pris de façon unilatérale au détriment de nos économies, de nos entreprises, la crise des sous-marins, AUKUS, vous vous en rappelez, ou encore le retrait unilatéral d'Afghanistan qui avait été fait sans concertation avec les Européens. On voit cette tendance de fond dans le rapport au commerce international, dans le rapport à l'Europe et à la relation transatlantique. Et donc, ça exige de nous, effectivement, de prendre notre destin en main et de rester en notre autonomie stratégique.
LEA SALAME
Vous avez raison, ça s'inscrit dans un mouvement de plus en plus isolationniste des Américains qui n'a pas commencé aujourd'hui, mais quand même, l'arrivée de Donald TRUMP depuis un mois, chaque jour qu'il passe, le lâchage américain de l'Ukraine, le vrai lâchage américain de l'Ukraine, le discours de J.D. VANCE contre les démocraties européennes, les menaces de guerre commerciale très sérieuses de Donald TRUMP, les ingérences d'Elon MUSK dans nos politiques européennes en soutenant l'AFD en Allemagne. Est-ce que vous dites, ce matin, que les Etats-Unis sont encore nos alliés ?
BENJAMIN HADDAD
Ce sont nos alliés, ce sont nos partenaires, nous avons un traité d'alliance avec les Etats-Unis et ça reste les Etats-Unis. Donc, c'est pour ça que le président de la République a bien sûr raison de continuer à mener ce dialogue franc, respectueux avec le président des Etats-Unis pour travailler sur nos intérêts communs. Fondamentalement, le président des Etats-Unis va défendre les intérêts des Etats-Unis. Nous défendons les intérêts de la France, de l'Europe et faisons entendre la voix des Européens.
LEA SALAME
Alain MINC disait, hier, c'est plus nos alliés, c'est nos adversaires.
BENJAMIN HADDAD
Mais fondamentalement, en réalité, la conclusion, c'est que c'est à nous maintenant de nous donner les moyens de défendre nos intérêts. On parle, là, des questions géopolitiques, mais si on regarde sur le plan économique et technologique, on voit bien aussi le décrochage de l'Union Européenne depuis une trentaine d'années des Etats-Unis. On a perdu 30 points de PIB par rapport aux Etats-Unis depuis 2008. Ils ont créé deux fois plus de PIB par habitant depuis 30 ans. Fondamentalement, investissons dans notre défense, investissons dans notre technologie, notre intelligence artificielle. Reprenons notre destin en main parce que sinon, en effet, on va avoir notre histoire, celle du continent européen, qui va être écrite par d'autres. Les Américains, les Russes, les Chinois. Donc, il faut comprendre ce qui est en train de se passer et sortir de cette parenthèse historique, de cette vacance de l'histoire qu'on a vécue depuis quelques décennies.
LEA SALAME
C'est-à-dire, c'est ça, sortir de cette vacance historique. Est-ce que vous dites, ce matin, qu'au fond, toutes les règles du système international qu'on a construit depuis la chute du mur de Berlin, mais aussi, on peut y aller depuis 1945, est-ce qu'elles sont toutes caduques ?
BENJAMIN HADDAD
L'Union européenne, elle s'est fondée sur ces règles. La coopération internationale, le droit, le commerce, elles sont dans nos intérêts. Elles font partie aussi de notre valeur et de notre ADN. Donc, nous devons continuer à les défendre. D'ailleurs, à cet égard, l'Union européenne, la coopération plutôt que la guerre sur le continent européen, c'est un succès historique. Mais il faut, en effet, comprendre comment le reste du monde fonctionne et assumer des rapports de force, assumer de défendre nos intérêts. Prenons la question du commerce international. Quand on voit d'autres faire du protectionnisme, quand on voit d'autres nous imposer du commerce déloyal en faisant des subventions, par exemple, à leur industrie, il faut être capable de répondre. Il ne faut pas attendre des processus interminables à l'OMC, mais être capable de répondre à l'État immédiatement. C'est ce que nous avons fait. L'Europe commence à sortir de sa naïveté. C'est ce que nous avons fait il y a quelques mois sur la question des véhicules électriques chinois. La Commission européenne a mené une enquête pour voir que la Chine subventionnait massivement son secteur des véhicules électriques. Eh bien, nous avons imposé des tarifs douaniers Je le dis parce que ça, il y a quelques années, on était incapable. Sur le photovoltaïque, on n'avait pas su le faire. Donc, maintenant, on se dote de mesures de rétorsion pour se protéger.
LEA SALAME
L'OTAN, qui était en état de mort cérébrale, le disait Emmanuel MACRON, il y a quelques années. Aujourd'hui, il est en état de mort tout court.
BENJAMIN HADDAD
Quand Emmanuel MACRON dit ça, rappelez-vous, ça fait polémique. On dit c'est impossible, on n'a pas le droit de dire ça. Et nous avons, il y a quelques jours, un nouveau chancelier allemand qui est élu, Friedrich MERZ, qui dit, pour un dirigeant de la CDU allemande, c'est quand même un moment historique, qui dit, " Nous devons prendre notre indépendance des États-Unis. " On voit, aujourd'hui, tous les pays européens qui parlent d'autonomie stratégique, qui parlent de souveraineté européenne, qui souhaitent bien sûr continuer à travailler avec les États-Unis, mais qui disent, « Donnons-nous maintenant une assurance vie, qui est la défense européenne et la capacité à assurer notre propre sécurité ».
LEA SALAME
Je vais vous la poser différemment. Pensez-vous que demain ou dans six mois, si un pays européen, mettons la Pologne, était attaqué, les Américains, l'OTAN, le défendraient-ils ?
BENJAMIN HADDAD
Vous savez, si j'en écoute le président des États-Unis, il a quand même toujours dit, y compris lors de son premier mandat, qu'il ne souhaitait pas sortir de l'OTAN, qu'il souhaitait que les pays européens investissent plus dans leur sécurité. Ça tombe bien, puisque c'est ce que nous disons aussi. Dans les deux mandats d'Emmanuel MACRON, on a doublé le budget de défense de la France.
LEA SALAME
Vous pensez que l'OTAN défendra la Pologne, comme les Américains sont en train de lâcher l'Ukraine ?
NICOLAS DEMORAND
Ou l'OTAN est un supermarché pour les armes américaines ?
BENJAMIN HADDAD
Je pense que fondamentalement, alors ça j'y reviendrai parce que c'est une question importante, mais je pense que fondamentalement, et c'est le même sujet sur l'Ukraine, ce ne serait dans l'intérêt de personne, et en particulier dans celui des Etats-Unis, que d'envoyer le message que les garanties de sécurité américaines ne sont pas crédibles. Fondamentalement, quel message envoyer à la Chine ? Quel message envoyer à l'Iran et aux autres adversaires ? Mais en effet, je vais permettre de répondre à votre autre question. Mais en effet, il faut le faire.
NICOLAS DEMORAND
Est-ce qu'il y a garantie de sécurité ? Parce qu'Emmanuel MACRON a rencontré Donald TRUMP avant-hier à Washington. Il y a dit qu'il y avait eu un tournant dans cette entrevue. Et que des garanties de sécurité américaines étaient acquises. Ça veut dire quoi ? Est-ce vrai ? De quelle nature sont ces garanties ? Expliquez-nous.
BENJAMIN HADDAD
Alors, cette rencontre entre le président de la République et le président TRUMP, c'est effectivement une étape décisive. Parce que c'est la première fois qu'on parle avec les Etats-Unis de façon structurée de cette question des garanties de sécurité. De quoi s'agit-il ? Fondamentalement, tout le monde souhaite la paix en Ukraine. A commencer par le président ZELENSKY, les Ukrainiens que j'ai rencontrés, il y a deux jours à Kiev. Mais une paix qui serait, en réalité, juste un bout de papier, un cessez-le-feu, serait juste une parenthèse pour la Russie pour réarmer et réattaquer. On le sait, les Ukrainiens connaissent leur histoire. Ils nous le répètent souvent. Dans les années 90, on leur a demandé d'abandonner leur programme nucléaire issu de la guerre froide en échange de garanties de sécurité de la Russie. C'est le fameux mémorandum de Budapest que la Russie a ensuite violé, bafoué. Puis, il y a eu les accords de Minsk en 2014-2015, que la Russie a bafoué à des dizaines de reprises. Fondamentalement, ce que l'on souhaite, c'est d'avoir des garanties de sécurité qui permettent à l'Ukraine de se reconstruire, de se développer et de continuer son orientation démocratique européenne, qui est son droit et sa liberté.
LEA SALAME
Mais pardon de reposer la question, Nicolas DEMORAND, qu'est-ce qu'il a obtenu Emmanuel MACRON, sérieusement ?
NICOLAS DEMORAND
On a vu qu'il a fait des efforts.
LEA SALAME
Qu'est-ce qui est sur la table quant aux garanties de sécurité ? Qu'est-ce qu'il a lâché, Donald TRUMP, sur les garanties de sécurité ? Parce qu'à ce stade, il n'y a pas grand-chose.
BENJAMIN HADDAD
Moi, je vous dis ça avec beaucoup de prudence, parce qu'encore une fois, on est là dans une discussion, une négociation qui va se faire avec plusieurs États. Le Premier ministre britannique qui sera aussi aux États-Unis, le président ukrainien qui devrait peut-être se rendre bientôt aux États-Unis. Et ce que je vois, c'est que la France est au coeur du jeu, au coeur de ces négociations avec le président de la République, notre diplomatie qui se démène pour fondamentalement ramener une paix durable et juste sur notre continent. On a mobilisé nos interlocuteurs européens, nos homologues, la semaine dernière, pour avoir une position européenne unifiée. C'est le cas, aujourd'hui, auprès des États-Unis, avec le président de la République qui s'est rendu pour faire entendre la voix des Européens et pour dire que ce ne serait pas dans l'intérêt des États-Unis que d'avoir un cessez-feu qui s'effondrerait demain, qui enverrait un message de faiblesse à la Chine ou à d'autres adversaires à travers le monde. Et que fondamentalement, nous avons besoin de travailler ensemble à une paix durable. Et en cela, les États-Unis doivent aussi jouer leur rôle. Moi, je vois que le président des États-Unis a dit qu'il évoluait, a dit qu'il était en train de changer d'avis sur le sujet. Maintenant, il faudra continuer effectivement cette discussion. Mais en tout cas, je pense que c'était vraiment une étape importante que d'avoir ce dialogue franc, respectueux, encore une fois, avec les États-Unis.
NICOLAS DEMORAND
Et sur les armes américaines et l'OTAN, Benjamin HADDAD ?
BENJAMIN HADDAD
Alors, mais sur la question des armes américaines, vous avez raison de le souligner, parce que c'est un débat qui a toujours lieu en Europe. Fondamentalement, si on veut être souverain, si on veut avoir notre autonomie stratégique et le contrôle aussi sur l'usage de ces armes et la technologie, il faut qu'on développe notre industrie de défense européenne autonome. C'est la voie qu'a toujours portée la France. C'est celle de la préférence européenne, à la fois pour donner de la visibilité à nos industriels, mais aussi parce que quand vous achetez des armes étrangères ou des armes américaines, vous avez des normes sur le contrôle de l'usage, sur le contrôle des exportations. Donc, pour être autonome, il nous faut notre industrie de défense européenne.
LEA SALAME
Donc, vous espérez que les Allemands, désormais, pour parler d'eux, parce que c'est beaucoup d'eux qu'il s'agit, les Allemands, désormais, achèteront avec ce nouveau chancelier, achèteront des armes européennes et pas des armes américaines.
BENJAMIN HADDAD
J'ai entendu pendant la campagne, Friedrich MERZ, et son équipe dire qu'ils avaient des ambitions importantes sur la défense européenne et qu'effectivement, il fallait augmenter nos ambitions, à la fois nos dépenses, mais la force de l'industrie de défense européenne. Et pourquoi pas réfléchir aussi à des voies de financement ? Vous savez que le président du Conseil européen, Antonio COSTA, a annoncé un Conseil extraordinaire le 6 mars, où nous débattrons notamment de voies de financement plus innovantes, parce qu'il y a les dépenses au niveau national, bien sûr, mais ce qu'on peut faire pour trouver des voies de financement au niveau européen, que ce soit augmenter le budget européen de la défense, que ce soit regarder peut-être des fonds existants, comme le mécanisme européen de stabilité qui avait été créé pendant la crise financière, voir s'il n'y a pas des fonds qu'on pourrait flécher là vers la défense. Et pourquoi pas un jour avoir un débat sur l'emprunt commun sur la défense, les fameux Eurobonds ? Vous savez, pendant la crise Covid, on a dit qu'on faisait face à une crise existentielle, et qu'il fallait qu'on surmonte des tabous et qu'on fasse de l'aide commune. Là, je pense qu'on est aussi à un moment existentiel de l'Europe, et donc soyons capables d'investir en commun dans notre défense.
NICOLAS DEMORAND
Benjamin HADDAD, vous rentrez de Kiev où vous avez passé quelques jours, comme d'autres dirigeants européens, pour commémorer le troisième anniversaire de l'invasion russe du pays. Vous avez rencontré ZELENSKY, les ministres ukrainiens. Dites-nous, dans ce contexte précis, dans quel état d'esprit ils sont et qu'est-ce qu'ils vous ont dit ?
BENJAMIN HADDAD
D'abord, depuis trois ans que je me rends régulièrement en Ukraine, soit en tant que parlementaire, puis maintenant, aujourd'hui, dans mes missions actuelles, je suis toujours frappé par le courage et la résilience des Ukrainiens. Ils se battent pour leur liberté, pour leur pays, ils se battent aussi pour la sécurité des Européens. Et puis, fondamentalement, ce que nous disent les Ukrainiens, mais depuis longtemps, ce que dit ouvertement le président ZELENSKY, c'est qu'ils souhaitent retrouver la paix. Cette guerre est très dure pour les Ukrainiens et qu'ils souhaitent pouvoir négocier. Mais bien sûr que ça doit se faire dans un cadre qui garantisse leur sécurité sur le long terme et qui ne soit pas, une parenthèse de plus, que la Russie utiliserait pour poursuivre son agression et qu'ils se battent aussi pour leur liberté, pour devenir Européens. Vous savez, nous avons eu une cérémonie avec le président ZELENSKY, d'hommage aux soldats morts lors de la guerre sur la place Maïdan. Cette place Maïdan, il y a exactement 11 ans, j'y étais avec d'autres militants pro-européens, c'était l'endroit où des jeunes Ukrainiens manifestés se faisaient assassiner par leur régime de l'époque, le drapeau européen au point, parce que c'était, pour eux, la promesse d'un meilleur avenir démocratique. C'est aussi pour cette orientation politique, pour devenir un pays européen, que les Ukrainiens se battent. Et donc, ce sera aussi clé, à mon avis, à long terme.
NICOLAS DEMORAND
Mais ils n'ont pas peur d'être lâchés dans la nature, que les Européens ne soient pas assez forts pour prendre le relais des Américains ?
BENJAMIN HADDAD
Mais c'était tout l'objet, d'ailleurs, à la fois des consultations qui ont été menées par le Président, de la présidence des chefs d'État et de Gouvernement, et de toute la Commission européenne à Kiev le 24 février, et des efforts qu'on va continuer à faire, c'est précisément de montrer que nous sommes avec l'Ukraine, que c'est aussi la condition de sécurité.
LEA SALAME
Comment ils ont réagi ? Qu'est-ce qu'ils vous disent sur le vote à l'ONU des États-Unis qui ont rejeté, avec la Russie, lundi, une résolution de soutien à l'Ukraine ? Et vous, comment vous qualifiez ce vote, qui est quand même un vote historique ? C'est la première fois que les États-Unis votent avec la Russie contre l'Ukraine.
BENJAMIN HADDAD
Pour être franc, quand on parle soit des consultations diplomatiques qui ont eu lieu à Washington, ou de la réalité du terrain, où la guerre continue… Je tiens quand même à le souligner, les soldats ukrainiens continuent de se battre tous les jours sur le terrain. Je pense que là, c'est regarder le doigt quand on montre la Lune. Fondamentalement, la réalité se fera dans les négociations entre les dirigeants, elle se fera dans la négociation des garanties de sécurité, dans la réalité du terrain, plutôt aujourd'hui que dans les discussions sur les résolutions. Et ça, c'est aussi ce que voient fondamentalement les Ukrainiens.
LEA SALAME
Et on aura une place à la table ? Parce que la dernière rencontre entre les Américains et les Russes s'est faite en Arabie saoudite, pour parler de l'Ukraine. Je rappelle, un Américain et un Russe qui traitent d'un sujet européen, ils n'invitent aucun Européen et la réunion se fait en Arabie saoudite. Est-ce que la prochaine réunion des Américains et des Russes se fera en Europe, par exemple, en invitant des Européens ou ce n'est pas à l‘ordre du jour ?
BENJAMIN HADDAD
Mais regardez précisément aujourd'hui le rôle que joue la France. Mais regardez le rôle que joue la France dans la négociation.
LEA SALAME
Au-delà de la rencontre d'Emmanuel MACRON et de Donald TRUMP, c'est très bien qu'il essaye de faire, mais est-ce qu'on sera invité au niveau européen ? Est-ce qu'on a une place à la table ?
BENJAMIN HADDAD
Mais c'est important, déjà, parce qu'on est incontournable. Aujourd'hui, la majorité de l'aide…
LEA SALAME
On est incontournable, mais on n'est pas invité quand il s'agit vraiment de parler de…
BENJAMIN HADDAD
La majorité du soutien à l'Ukraine aujourd'hui, que ce soit sur le plan militaire, économique, a été apportée par les Européens. Les garanties de sécurité devront être apportées principalement par les Européens, parce que c'est la condition de notre sécurité. Et c'est, aujourd'hui, la France qui fait bouger les lignes sur le plan diplomatique, que ce soit lorsque nous avons invité le Président TRUMP et le Président ZELENSKY à Notre-Dame, que ce soit avec la rencontre de Washington ces derniers jours, encore les consultations avec les Européens la semaine dernière. La France est pilote, est en dynamique avec ses partenaires européens, précisément pour faire entendre notre voix avec ce principe très simple qu'on ne peut pas discuter de la sécurité de l'Ukraine sans les Ukrainiens, la sécurité des Européens sans les Européens.
NICOLAS DEMORAND
Et puis, il y a la question essentielle de la possibilité d'un déploiement de troupes européennes en Ukraine pour maintenir la paix. Si jamais il devait y avoir un accord mettant fin au conflit. Lundi, Emmanuel MACRON a évoqué l'envoi de forces européennes totalement pacifiques qui auraient le soutien américain. Initiative que Vladimir POUTINE acceptera, a assuré, de son côté, Donald TRUMP. Sauf qu'hier mardi, le Kremlin réaffirme son opposition au déploiement d'une force de maintien de la paix européenne. Donc, rien n'est acquis à ce stade.
BENJAMIN HADDAD
Mais c'est pour ça que je vous disais qu'on parle encore avec beaucoup de prudence. La guerre continue. Aujourd'hui, la guerre continue. Les Ukrainiens continuent de se battre face à l'agression de la Russie. C'est pour ça qu'on reste mobilisés dans ces efforts diplomatiques pour faire entendre notre voix et pour dire qu'une paix durable et juste devra se faire effectivement avec des garanties de sécurité.
LEA SALAME
Vous pensez qu'il y aura une trêve dans les prochaines semaines ? Emmanuel MACRON l'a annoncé il y a deux jours. Vous le redites ce matin ou c'est plus compliqué que ça ?
BENJAMIN HADDAD
L'une des possibilités, c'est en effet d'avoir une trêve initiale qui pourrait ouvrir après des négociations sur une paix plus durable assortie de garanties de sécurité.
LEA SALAME
Mais c'est possible cette trêve ? Les Russes acceptent ?
BENJAMIN HADDAD
Ça fait partie effectivement des discussions qui vont avoir lieu dans les prochains jours.
LEA SALAME
Sur cet accord, l'argent demandé par Donald TRUMP, il veut l'argent de l'aide américaine. Il parle de 300 milliards ; en réalité, c'est 114 milliards. Il a un peu gonflé les chiffres, on va dire ça comme ça. Vous trouvez cette demande acceptable ?
BENJAMIN HADDAD
Le Président, d'ailleurs, l'a rappelé dans le bureau ovale ; les Européens, eux, ont dépensé plus, à la fois par des garanties, des prêts, des dons, des livraisons d'armes, etc. Mais fondamentalement, là, ce que les Ukrainiens ont dit, c'est qu'ils étaient prêts à un accord, par exemple, sur les minerais et les ressources qui sont en Ukraine, mais que ça soit dans le bénéfice mutuel de l'Ukraine et de ses partenaires, qu'on puisse investir et que ce soit réinvesti dans la reconstruction et le développement de l'Ukraine. Je crois que c'est ce que l'on voit dans le cadre de l'accord qui a été trouvé entre les Etats-Unis et l'Ukraine.
LEA SALAME
C'est un bon accord, sur les minerais et les terres rares ?
BENJAMIN HADDAD
Je constate que le Président ZELENSKY avait, de façon très claire, très explicite, refusé les accords précédents en disant qu'ils n'étaient pas dans l'intérêt de l'Ukraine et qu'aujourd'hui, si c'est pour la reconstruction et le bénéfice mutuel des Ukrainiens et des partenaires, effectivement, on change de braquet. Donc, c'est en tout cas ce que disent les Ukrainiens. Donc, ça, c'est effectivement très important. Donc, il ne s'agit pas de rembourser quoi que ce soit, puisqu'encore une fois, quand on a soutenu les Ukrainiens, on l'a fait aussi, et surtout pour défendre nos intérêts.
NICOLAS DEMORAND
On passe au Standard Inter. Bonjour Didier.
DIDIER, AUDITEUR
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
On vous écoute.
DIDIER
Eh bien, mon sujet, c'est : à quand passera-t-on aux États-Unis d'Europe, en fait ? On voit bien le monde économique, le monde commercial, le monde militaire maintenant. Nous, on sait qu'on est vraiment des petits pays face à des grandes puissances et à des monstres autour de nous. A quel moment va-t-on enfin se décider de passer d'une Europe administrative à des réels États-Unis d'Europe ?
NICOLAS DEMORAND
Merci pour cette question. Benjamin HADDAD vous répond.
BENJAMIN HADDAD
C'est évidemment une question fondamentale. Quand on regarde la concurrence internationale, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, la Russie, on a beaucoup plus intérêt à être ensemble et unis qu'à être divisés et aller dans des relations bilatérales. Si on prend, par exemple, sur le plan économique ; le rapport Draghi, qui a fait beaucoup de bruit, dit qu'il nous manque 800 milliards d'euros d'investissement public comme privé pour rattraper notre décrochage par rapport aux Etats-Unis. Ça passera par plus d'intégrations européennes sur l'union des marchés de capitaux, l'union bancaire, le fait d'harmoniser le droit européen des affaires et donc de lever les obstacles encore juridiques, économiques, de régulation qui restent encore pour nos entreprises quand elles veulent se développer, exporter ou aller se financer au niveau européen. A cet égard, le marché unique, c'est une opportunité immense pour l'Europe d'être compétitive à la chaîne internationale. Mais finissons-le, approfondissons-le.
LEA SALAME
Benjamin HADDAD, le Pacte vert, c'est fini ?
BENJAMIN HADDAD
Non, ce n'est pas fini. On s'est doté d'ambitions importantes qu'il faut tenir, notamment la fin de la vente des véhicules thermiques, vous le savez, d'ici 2035. Après, sachons le faire avec pragmatisme.
LEA SALAME
Vous soutenez ce que la Commission européenne va présenter aujourd'hui, son projet pour simplifier la vie administrative des entreprises et donc va remettre en cause toute une série de mesures qui étaient pourtant actées et votées par le Pacte vert, comme l'exemption de la comptabilité verte pour les entreprises de moins de 1 000 salariés, l'abandon de nombreux indicateurs et objectifs de transition, l'abandon de clauses sur le respect des droits humains, l'abandon du devoir de vigilance de multinationales. Les ambitions écologiques de l'Europe, ça peut attendre ?
BENJAMIN HADDAD
Mais je vais vous parler franchement. Non seulement je le soutiens, mais ce sont des demandes qui ont été prononcées par la France. Pourquoi ? On s'est doté d'une ambition écologique importante, qui est aussi la condition d'ailleurs de la compétitivité de notre continent, de la décarbonation.
LEA SALAME
On a été le faire il y a quatre ans, du Pacte vert. Aujourd'hui, on le remet en cause et vous l'assumez.
BENJAMIN HADDAD
Non, pas du tout, parce que c'est à la fois une ambition pour lutter contre le réchauffement climatique, mais c'est aussi la condition de notre compétitivité d'avoir une énergie décarbonée, de ne plus dépendre des autres. Mais fondamentalement, est-ce que vous croyez qu'on va faire des progrès dans l'écologie en Europe si on le fait au détriment de nos entreprises et qu'on renforce les entreprises américaines et chinoises ? Nous, ce qu'on dit, c'est : " On a fait voter des textes ; mettons-y de la simplification. "L'un des exemples que vous avez donnés, la CSRD. Aujourd'hui, vous avez 1 200 données à rapporter pour des entreprises, parfois pour des PME qui n'en ont pas les moyens.
LEA SALAME
Mais vous l'avez soutenu il y a 5 ans. Vous avez changé d'avis ?
BENJAMIN HADDAD
Mais on ne change pas d'avis, puisqu'encore une fois, il ne s'agit pas de se débarrasser de ces textes, il s'agit de les simplifier, de les rendre plus applicables pour nos PME. C'est la même chose… Aujourd'hui, je me rendrais au Salon de l'agriculture. Les agriculteurs, ce sont les premiers qui mettent en oeuvre la transition environnementale au quotidien. C'est ceux qui travaillent avec la nature. Mais parfois, on leur demande de s'imposer des normes et des standards qu'on n'impose pas aux produits qu'on importe. Et donc, on les met en situation de concurrence déloyale. Donc, ce qu'on dit aujourd'hui - et d'ailleurs, ça s'est retrouvé dans les priorités du nouveau commissaire à l'agriculture, HANSEN - c'est-à-dire plutôt que de faire de la contrainte et de l'interdiction, on fait de l'incitation, de l'investissement et de l'accompagnement pour les agriculteurs. C'est cette logique d'investissement et d'incitation qu'on doit essayer de mettre en oeuvre aussi bien pour nos entreprises que pour nos agriculteurs. Donc, oui, on a cette ambition, mais mettons-y du pragmatisme et de la simplification. Si j'ai une seconde, je peux vous donner un autre exemple, celui du secteur automobile. On a demandé à nos entreprises automobiles, et elles le font, d'investir dans le véhicule électrique. Mais la demande a chuté en 2024. Donc maintenant, la Commission européenne demande aux constructeurs européens soit de payer des amendes massives, soit d'acheter des bonds d'émissions carbone à la concurrence chinoise et américaine, BYD ou TESLA. Et on se retrouve, par exemple - c'est le cas en Allemagne - avec des fermetures d'usines. On marche sur la tête. Donc gardons l'objectif et l'ambition. Mais nous avons demandé avec mes collègues Marc FERRACCI et Agnès PANNIER-RUNACHER de suspendre et de lisser les amendes pour mettre un peu…
LEA SALAME
Vous ne l'avez pas obtenu pour l'instant.
BENJAMIN HADDAD
Alors on est en discussion avec la Commission. J'étais encore à Bruxelles la semaine dernière pour échanger avec les commissaires sur le sujet, mais précisément pour mettre un peu de bon sens dans la façon dont on le met en oeuvre.
LEA SALAME
Merci Benjamin HADDAD.
NICOLAS DEMORAND
Merci Benjamin HADDAD, ministre délégué chargé de l'Europe, d'avoir été au micro d'Inter ce matin.
BENJAMIN HADDAD
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 février 2025