Texte intégral
HADRIEN BECT
Bonjour Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour, merci pour votre invitation.
VICTORIA KOUSSA
Bonjour.
SEBASTIEN LECORNU
Bonjour.
HADRIEN BECT
Donald TRUMP annonce taxer, prochainement, les produits européens à 25%. Du même coup, il dit que l'Europe a été faite pour emmerder les États-Unis. Bon, tout ça, trois jours après la visite d'Emmanuel MACRON à Washington. Cette visite, elle n’a servi à rien ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, ça serait journalistique que de résumer cela comme ça. Et que beaucoup de choses ont été au menu, on va y revenir, de la visite du Président Français. Je crois malheureusement comprendre qu'il n'y a pas beaucoup de surprises à l'annonce du Président Américain. Bon, après, il n'y aura pas non plus beaucoup de surprises sur la réaction de l'Union européenne. Ce n'est pas moi qui gère ça, évidemment, comme ministre des Armées, mais le principe du commerce mondial et du libre-échange, ce sont les principes de réciprocité. Et donc, il est fort à parier, quand je dis ça, c'est plus qu'un pari, que l'Union européenne, dans les moments les plus immédiats, vont prendre aussi...
HADRIEN BECT
La France va pousser pour 25% de taxes aux États-Unis ?
SEBASTIEN LECORNU
La réalité, c'est qu'il faut avoir une réaction qui soit ferme et proportionnée. C'est le principe même de la circulation des biens et des marchandises dans un espace de libre-circulation et de libre-échange.
VICTORIA KOUSSA
Il y a pourtant eu un débat chez vous, le mois dernier. Vous vous êtes opposé, notamment, à Stéphane SEJOURNE, vice-président de la Commission européenne, qui proposait d'acheter du matériel militaire américain pour éviter une guerre commerciale. Ce n'était pas ça la solution pour l'éviter, justement ?
SEBASTIEN LECORNU
Je ne me suis pas opposé à Stéphane SEJOURNE. Mais de fait, j'ai indiqué clairement que pour le Gouvernement Français, il n'était pas question de mettre nos paramètres de défense, pour l'Union européenne et encore moins pour les critères français, de notre propre sécurité, dans une forme de troc. On va vous acheter plus d'armes, aux États-Unis, et en échange de quoi, on aura peut-être une forme de bénévolence américaine. Je pense que la relation transatlantique, elle ne doit pas reposer là-dessus.
HADRIEN BECT
Mais quand même, Sébastien LECORNU, on ne sait pas vraiment ce que Donald TRUMP veut taxer, ce n'est pas très précis. Donc, l'Europe, vous parlez de réciprocité. C’est quoi ? Est-ce que c'est les 25%, comme Donald TRUMP ? Est-ce qu'on vise d'ores et déjà des secteurs ? Comment ça fonctionne ?
SEBASTIEN LECORNU
Ce n'est pas moi qui m'occupe de ça. Une fois de plus, je suis ministre des armées. Je pense que j'ai suffisamment de sujets à vous dépiler ce matin devant vous, et qui sont tout à fait graves, et qui vont organiser notre monde et notre continent pour les mois et même les années, voire les décennies, qui vont venir. En-tout-cas, il est clair que l'Union européenne se doit de réagir de manière la plus ferme qu'il soit, de la manière la plus immédiate, et j'insiste, de la manière la plus proportionnée, parce que c'est comme ça que le commerce mondial doit fonctionner.
HADRIEN BECT
Justement, Sébastien LECORNU, Donald TRUMP n'a pas parlé que de droits de douane. Hier soir, il a aussi parlé de l'Ukraine, et je vous propose d'écouter ce qu'il a dit.
DONALD TRUMP, PRESIDENT DES ETATS-UNIS
L'OTAN, on peut oublier ça. Cela a probablement été la raison du début de toute cette affaire.
HADRIEN BECT
Donc, pas d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Ça y est, vous actez que ça n'arrivera donc pas ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense que là aussi, pour expliquer, pour celles et ceux qui nous regardent ou qui nous écoutent. Il y a des choses qui sont des surprises et des choses qui ne sont pas des surprises. Donald TRUMP, il a toujours dit qu'il ne souhaitait pas que l'Ukraine rentre dans l'OTAN. Du reste, vous aurez noté que l'administration BIDEN ne s'est jamais beaucoup mobilisée pour que l'Ukraine rentre dans l'OTAN. Du reste, vous aurez vu aussi qu’on a HARRIS, pendant la campagne américaine, ne s'est pas engagée pour ce faire. Vous avez vu aussi que beaucoup de pays européens n'étaient pas particulièrement allants sur l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Et donc, de cela, ce n'est pas une surprise. La vraie surprise, dans la manière dont les négociations sont en train de s'enclencher, de manière bilatérale entre les États-Unis d'Amérique et la Russie, c'est de voir que des concessions importantes sont faites dès l'entrée en égo. Et ce n'est pas vrai que de l'OTAN, c'est vrai aussi de la question, évidemment, des territoires occupés, c'est vrai du fait qu'il n'y aura jamais de troupes américaines. Ce n'est pas tant que ce soit surprenant, c'est de se dire, mais au fond, quelles cartes restent-ils dans la manche pour avoir une négociation équilibrée, qui défendent les intérêts ukrainiens, mais qui défendent aussi nos intérêts de sécurité. Et c'était ça l'objet de la visite du président de la République en début de semaine. Il était double, cet objet.
HADRIEN BECT
Pardon, Sébastien LECORNU, comment réintroduire des éléments dans la manche quand on les a déjà donnés ?
SEBASTIEN LECORNU
L'objet de la visite du chef de l'État, vous l'avez bien vu, et ça n'a rien de facile, c'est d'essayer de fédérer les Européens. Vous voyez bien que de la visite du Président TRUMP à la cathédrale Notre-Dame de Paris pour sa réouverture, avec le sommet qui avait lieu en marge informelle entre le Président ZELENSKY et le Président TRUMP, au match retour, lundi dernier, à Washington, avec ses consultations, avec toutes les capitales européennes, avant et après, c'est d'arriver le plus uni possible. Et dimanche, vous aurez aussi un moment de coordination important à Londres. Et donc, ça, c'était le premier défi, c'est de ne pas être complètement morcelé, complètement fragmenté. Vous le savez, malheureusement, dans le passé, ça a pu arriver. Et le deuxième point, objectif, important, c'est au fond, de dire : " L'Ukraine a des besoins de sécurité particuliers, mais nous aussi, sur le continent européen, nous avons des besoins de sécurité. " Si je suis honnête avec vous, c'est surtout vrai pour les autres pays européens. Nous sommes une puissance nucléaire. Notre dissuasion nucléaire est indépendante des États-Unis. On a une armée d'emplois qui nous permet de nous protéger.
VICTORIA KOUSSA
Est-ce qu’il faudra justement...
SEBASTIEN LECORNU
Ça veut donc dire quoi aussi ? Que nous, nous avons, Français, un rôle d'assemblié pour emmener la plupart des Européens dans cette discussion. Là, vous le voyez, on voit l'Europe potentiellement disparaître du champ de la discussion, les Ukrainiens aussi. Et c'est en cela qu'Emmanuel MACRON a demandé au président TRUMP, lundi dernier, qu'il fallait que ZELENSKY soit reçu à Washington. On va peut-être y revenir, sur cet accord sur les minerais, mais il ne s'agit pas que de l'accord sur les minerais, qui fait que, justement, c'est une bonne nouvelle que le Président Ukrainien puisse être reçu à Washington.
VICTORIA KOUSSA
Vous parlez de l'arme nucléaire, justement, est-ce que vous pensez que c'est le moment, pour la France, d'étendre son parapluie, de protéger, d'aider nos partenaires européens ?
SEBASTIEN LECORNU
En la matière, il convient d'être précis, dans une vie médiatique dans laquelle on a pu entendre beaucoup de bêtises ces 10 ou 12 derniers mois. La dissuasion nucléaire française, elle est française. Ça veut dire que le système d'armes, leur contrôle, la manière de les produire, et surtout, la mise en oeuvre, et donc, de la décision qui n'appartient qu'au seul chef de l'État, c'est français, et ça restera français. En revanche, cette dissuasion nucléaire, elle sert à quoi ? Elle sert à protéger la France dans ses intérêts vitaux. Alors, qu'est-ce que sont les intérêts vitaux ? Je ne sais pas vous répondre à cette question, puisqu'une seule personne peut y répondre, c'est le Président de la République, et c'est d'ailleurs ce pourquoi, en 1962, le Général de Gaulle a choisi qu'il soit élu au Suffrage Universel Direct. En revanche, depuis le général de Gaulle, plusieurs chefs d'État, jusqu'à Emmanuel MACRON, ont dit : " Nos intérêts vitaux ont une dimension européenne ". Alors, le Général de Gaulle est encore plus précis. Dans une instruction aux armées en 1964, il a écrit qu'il considérait que les intérêts vitaux français étaient engagés si l'Allemagne de l'Ouest et le Benelux étaient attaqués. Pour vous répondre très directement à votre question, mais il faut être précis sur ces sujets, la dissuasion nucléaire française, elle est française. Est-ce que les intérêts vitaux français sont enfermés strictement dans nos frontières ? Plusieurs chefs de l'État y ont répondu depuis 1962.
HADRIEN BECT
Alors, ce qui nous amènera un petit peu plus tard à parler de la défense européenne, mais d'abord, vous avez évoqué l'accord sur les minerais entre les États-Unis et l'Ukraine. Volodymyr ZELENSKY est attendu demain à Washington. On parlait d'une paix par la force, d'une paix, peut-être, par les armes. Bon là, on a l'impression plutôt d'une trêve, peut-être, par le business. Est-ce que c'est vraiment ce que vous imaginiez ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense qu'il y a plusieurs choses dans votre question. Déjà, c'est le Président ZELENSKY lui-même qui, à l'automne dernier, peut-être passé inaperçu à Paris, mais, a mis la question des matières premières dans son plan pour la victoire. Faisant d'ailleurs un certain nombre de propositions, non pas qu'aux États-Unis, mais aussi à la France, de dire, voilà, on mesure votre effort de guerre, pas notre guerre, mais la leur, on mesure ce que ça veut dire pour le contribuable, et donc, c'est pour ça qu'on a la question des avoirs gelés russes qui est apparue, qui permet de soulager le contribuable européen, le contribuable Français, dans l'aide que nous apportons à l'Ukraine. Et ZELENSKY et son équipe ont vu que cette question des matières premières pouvait être un des éléments transactionnels avec nous, pour créer de l'endurance. Donc, le Président TRUMP, il ne l'a pas complètement inventé, parce que ce sont les Ukrainiens, eux-mêmes, qui l'ont fait. Deux, il faut que cet accord soit scellé. Nous, on n'est pas partis à la discussion pour ce qui concerne les États-Unis, mais il faut que vous sachiez que, moi-même avec mon homologue, ministre de la Défense Ukrainien, nous parlons de cette question pour nos propres besoins français. Moi, j'ai des industries de défense qui vont avoir besoin d'accéder à un certain nombre de matières premières dans les années qui viendront.
HADRIEN BECT
Est-ce que vous considérez ça comme une forme de remboursement pour l'aide apportée ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais ça, c'est une manière pour le Président TRUMP de faire de la politique intérieure. Je ne rentre pas là-dedans.
VICTORIA KOUSSA
Est-ce qu'un jour, vous demanderez aux Ukrainiens de rembourser ?
SEBASTIEN LECORNU
Je suis en train de vous dire quelque chose que je n'ai jamais dit publiquement. Je suis en train de vous dire que, nous, on ne cherche pas à se faire rembourser, mais notre industrie de défense va avoir besoin d'un certain nombre de matières premières, tout à fait clés dans nos propres systèmes d'armes, non pas pour l'année prochaine, mais pour les 30 ou 40 prochaines années, et qu'on se doit de diversifier ça. Ce que m'a demandé Emmanuel MACRON, c'est justement, moi aussi, de rentrer en discussion avec les Ukrainiens pour intervenir très vite.
HADRIEN BECT
Au niveau Français ?
SEBASTIEN LECORNU
Je le fait depuis le mois d'octobre dernier, au niveau Français.
HADRIEN BECT
Ce n’est pas au niveau Européen.
SEBASTIEN LECORNU
Troisième commentaire, qu'on le veuille ou non, les questions économiques sont toujours entremêlées aux questions militaires ou stratégiques ou de sécurité. En-tout-cas, c'est particulièrement vrai de l'énergie. Vous le voyez bien, Donald TRUMP, il dit : " Il n'y aura pas de garantie de sécurité donnée par les États-Unis à l'Ukraine. " Sous-entendu, pas de troupes américaines. Sous-entendu, pas d'intégration dans l'OTAN. Sous-entendu, ce n'est pas notre affaire. Enfin, en même temps, au moment où les Américains commencent à mettre des intérêts économiques aussi importants que des ressources, des systèmes d'entreprises partagées, en mauvais français, c’est John Venture, qui permet aux industries américaines de...
HADRIEN BECT
Vous considérez ça comme une garantie de sécurité, en quelque sorte ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, pas en tant que telle. Enfin, vous voyez bien, quand même, que des intérêts américains sont en train de s'installer en Ukraine. Vous n'oubliez pas que derrière, il y aura aussi le sujet, une fois que les armes se seront tues, de la reconstruction, qui sera un marché absolument majeur et qui intéressera beaucoup d'entreprises.
HADRIEN BECT
Sur le sujet des minerais, pardon, Sébastien LECORNU.
SEBASTIEN LECORNU
Pour bien comprendre, ne pensez pas que je ne suis pas attaché aux valeurs, à la morale, et cetera, mais oui, derrière, il y a un cadre économique qui est en train de se dessiner. Et ne soyons pas naïfs, ce que fait Emmanuel MACRON depuis des mois, c'est aussi de faire en sorte que les intérêts Français soient défendus à la matière. Donc, je pense que là-dessus, il faut qu'on soit lucides.
HADRIEN BECT
Précisément, les minerais, il s'agit, comme les États-Unis, de les acheter, on imagine. Enfin, c’est...
SEBASTIEN LECORNU
Oui, ou des systèmes, effectivement, d'entreprises locales ukrainiennes qui pourraient les extraire, avec après, la mise à disposition sur le marché, qui pourrait faire l'objet d'accord à 50-50. Tout ça est au début de l'histoire.
VICTORIA KOUSSA
Vous avez déjà estimé le montant de ce que... Les États-Unis, par exemple, parlent de 500 millions de Dollars.
SEBASTIEN LECORNU
500 milliards même.
VICTORIA KOUSSA
500 milliards.
SEBASTIEN LECORNU
Tout ça devra quand même, à mon avis, être vérifié et documenté, y compris, parce que beaucoup de ces matières premières font l'objet d'études qui datent de la période soviétique. Non pas que je vais mettre en doute les études soviétiques, mais enfin, je pense que ça mérite aussi d'être revérifié.
HADRIEN BECT
Si vous dites revérifié, vous l'avez fait peut-être ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais en-tout-cas, c'est le début de l'histoire. Ce que vous voyez là, en direct, avec la visite du président ZELENSKY à Washington, ce que je vous dis concernant les intérêts français, c'est le moment dans lequel, au fond, on cherche à trouver des paramètres d'endurance, non seulement parce que la guerre continue. Là, on parle comme si tout était fini, ce n'est pas le cas, la guerre continue, mais le jour où les armes vont se taire, comment on est capable de garantir une paix durable et nous ne nous racontons pas d'histoire, les questions économiques font partie des nombreux critères de cette paix durable.
VICTORIA KOUSSA
Justement, quand il y aura une trêve, Emmanuel MACRON l'estime dans les prochaines semaines, l'estime possible, du moins dans les prochaines semaines, il y aura un possible envoi de soldats européens, une sorte de maintien de la paix. On évoque aujourd'hui 30 000 soldats européens, ça vous semble...
SEBASTIEN LECORNU
Non, mais ça c'est un chiffre, je ne sais pas d'où il sort.
HADRIEN BECT
De la presse britannique.
SEBASTIEN LECORNU
Oui. Bon, voilà.
HADRIEN BECT
Par ailleurs, d'autres sources disent que c'est un chiffre sérieux.
SEBASTIEN LECORNU
Eh bien, je pense que c'est une source militaire étatique fiable. Je vous dis qu'on n'en est pas là et que ce chiffre, je le considère comme étant vraiment médiatique.
VICTORIA KOUSSA
Il est trop élevé ou il est trop en deçà de ce qu'il faudrait ?
SEBASTIEN LECORNU
Ça ne fonctionne pas comme ça, je vous explique. Je prends un instant là-dessus, parce que c'est un des éléments clés et qui me permet aussi d'expliquer où nous en sommes. Les garanties de sécurité comprennent plusieurs couches potentielles, dans les discussions et dans nos réflexions. Elles partent d'intérêts économiques, de coproductions d'armement localisées en Ukraine. Je pense aussi qu'il y aura la question de la constitution de stocks d'armes en Europe, payés aussi, peut-être, par les Européens, pour l'Ukraine, ce qui est une manière de dissuader. Si la guerre devait redémarrer, nous avons X mois de stocks de munitions qu'on est capable, tout de suite, d'attribuer à l'Ukraine. C'est une idée que nous allons mettre sur la table pour que les différents pays européens, effectivement, s'en emparent. Et ensuite, c'est le stade un peu ultime en quelque sorte, c'est de se dire, on a connu Minsk 1, Minsk 2, c'est-à-dire, en clair, des cessez-le-feu qui n'étaient pas des trêves.
HADRIEN BECT
C’étaient des accords signés sous monsieur François HOLLANDE.
SEBASTIEN LECORNU
Exactement. Qui étaient de bons accords néanmoins, la diplomatie française a... Attends, moi, je ne critique pas le président HOLLANDE sur ce qu'il a fait là-dessus et je pense qu'il a été courageux. Enfin, force est de constater que les Russes n'ont pas tenu parole, ça, c'est factuel. Et donc, c'est de se dire comment on ne recommence pas ça. Donc, après, oui, il y a un cadre de réflexion qui est d’avoir des forces de paix. C’est-à-dire, une fois que les armes se sont tues, avoir des contingents qui permettent de le garantir.
HADRIEN BECT
Sébastien LECORNU, pour être très précis...
SEBASTIEN LECORNU
Justement, ces forces-là peuvent avoir plusieurs missions très différentes. Des missions d'observation pour constater que la paix est toujours là, n'ont rien à voir avec des missions de déconfliction, voire des missions d'interposition.
HADRIEN BECT
Parce que dans le débat politique, Sébastien LECORNU, il y a l'idée d'envoyer des soldats en Ukraine.
SEBASTIEN LECORNU
Justement, je peux vous répondre. Mettre des forces sur une zone à partir de la Pologne ou même en Pologne n'est pas la même chose que de les mettre sur le territoire ukrainien. Les mettre pratiquement le long de la ligne de cessez-le-feu n'a rien à voir que de les mettre en base arrière pour former l'armée ukrainienne. Ce que je veux vous dire, c'est qu'on n'en est pas là. Parce que ce qui se joue aussi dans les discussions actuellement, c'est de faire en sorte que l'armée ukrainienne continue de pouvoir se défendre, non seulement en ce moment, mais même lorsque les armes se tairont, parce que la meilleure garantie de sécurité pour l'Ukraine, c'est l'armée ukrainienne.
(...)
VICTORIA KOUSSA
Vous êtes sur France Info avec Sébastien LECORNU, ministre des Armées. On parlait de cette force de maintien de la paix en cas de trêve, demain, entre la Russie et l'Ukraine. Vous dites qu'on n'en est pas là pour l'instant. Est-ce que ça veut dire qu'on n'est pas prêt si demain il y a une trêve ? Les détails ne sont pas encore affinés.
SEBASTIEN LECORNU
En fait, il y a un décalage de temporalité médiatique entre la réalité des discussions et ces questions. Si votre question, c'est : « Est-ce qu'on sait le faire ? », il est clair que les armées françaises et britanniques sont capables de donner le cadre pour le faire. Mais une fois de plus, e suis précis sur ces sujets. Je pense que les auditeurs sont très inquiets de voir tout ce qui se passe. Il faut donner le bon rythme. Pour l'instant, un conflit est toujours en cours. Vous avez des discussions qui sont engagées. Et nous, on dit attention, on ne va pas revivre les accords de Minsk 1, Minsk 2. Nous en parlions avant la pause Info. On cherche évidemment à durcir, à donner du crédit, de la crédibilité, de la consistance à un accord qui serait un véritable accord de paix. La question des forces est un des paramètres, un des critères, mais nous ne nous enfermons pas dans celui-ci uniquement, parce que d'autres sujets sont tout aussi importants pour garantir ça. J'insiste, la capacité à continuer à équiper et à former l'armée ukrainienne, c'est absolument clé pour la suite.
HADRIEN BECT
Quand vous dites effectivement Sébastien LECORNU, le conflit est encore en cours, c'est vrai qu'on l'a vu, avec encore hier des alertes sur Kiev. Et aussi des propos de Sergei LAVROV, le ministre des Affaires étrangères russe, qui explique qu'il refuse les soldats européens du côté de la ligne de front, que de toute façon il n'y a pas de cessez-le-feu sur la ligne de front actuelle. Est-ce que vous avez l'impression que Donald TRUMP, d'une certaine façon, s'est peut-être un peu fait berner ?
SEBASTIEN LECORNU
Il est trop tôt pour le dire. Après, comme j'aime l'histoire, on ne peut pas ne pas voir que la première discussion avec l'Iran sur le document qui permettait d'encadrer la prolifération nucléaire iranienne a été déchirée par le Président TRUMP, et on connaît la suite. On se rappelle tous du sommet de Singapour avec le dirigeant nord-coréen pour limiter justement son arsenal nucléaire et les empêcher d'avoir la bombe. Ils l'ont aujourd'hui. Et ne sous-estimez pas dans le monde entier le signal de faiblesse qui a été la manière dont les États-Unis ont quitté l'Afghanistan. Moi, j'aime les États-Unis. Je pense que parfois dans la vie politique française, il y a un fond d'anti-américanisme qui est plus ou moins mal dissimulé, notamment dans les extrêmes. Néanmoins, je suis lucide, c’est : est-ce que l'administration américaine a décidé d'assumer le rapport de force ? Et donc, clairement, de comprendre aussi la psychologie...
SEBASTIEN LECORNU
Vous avez une réponse à ça ?
HADRIEN BECT
J’attends, c'est le moment de vérité. Vous savez, ce qu'on est en train de vivre est un tournant absolument majeur. Ce n'est pas une parenthèse. Là, on est sur des choses dont on apprendra ça à nos enfants, à nos petits-enfants, dans les bouquins d'histoire. C'est la relation transatlantique. C'est la suite de ce qu'est l'OTAN. C'est la manière dont les Européens vont se réveiller, ou pas. Ça explique aussi ce pourquoi…
VICTORIA KOUSSA
Vous n'avez pas l'impression qu'ils sont en train de se réveiller, justement, les Européens ?
SEBASTIEN LECORNU
C'est en direct. Ça dépend desquels. Ça dépend des capitales. Plus vous êtes proche de l'Ukraine, plus vous êtes un pays qui a été un ex-pays de l'Union soviétique, plus vous avez peur. Nous, on a une population qui est inquiète, mais au fond, on a quand même digéré notre dissuasion nucléaire, notre géographie. On est le pays le plus à l'ouest de l'Europe. Bon, donc, vous le voyez bien, les capitales européennes ne vivent pas complètement au même rythme. Ce qu'on essaie de faire avec le président de la République, c'est justement d'organiser un tout petit peu tout ça, parce que c'est soit le moment où le continent européen crée des conditions de sa sécurité pour l'avenir, et sans être européen B.A. Moi, je suis très gaulliste, donc je me méfie aussi des grands discours qu'on a déjà trente fois et qui ne suivent pas d'actes concrets. Néanmoins, là, il y a une réalité, et ça, les auditeurs de France Info, il faut le comprendre une bonne fois pour toutes. Pour Washington, le vrai sujet, c'est la Chine, la Chine, la Chine et la Chine. Ça veut donc dire que le pivot, comme on dit, cet intérêt pour l'Europe est en train de se détourner.
HADRIEN BECT
Est-ce que vous croyez que la Russie...
SEBASTIEN LECORNU
Si Kamala HARRIS avait été élue présidente des États-Unis, cela aurait peut-être été différent sur le verbe.
VICTORIA KOUSSA
Sur la forme.
SEBASTIEN LECORNU
Mais nous n'y trompons pas. Cette orientation uniquement vers le Pacifique Nord organise toute la politique extérieure américaine. Et ça, c'est une petite révolution. Pas tellement pour Paris. Vive le général de Gaulle. On a un héritage qui nous a organisé un système de sécurité. On n'est pas du tout dépendant des Américains. Imaginez pour l'Allemagne. Imaginez pour la Pologne. Imaginez pour les Pays-Baltes.
HADRIEN BECT
Avant de parler justement de l'Europe, Sébastien LECORNU, un mot peut-être sur la menace russe. Quand on parle, le Danemark, par exemple, évoque la possibilité pour la Russie d'envahir un pays de l'OTAN sous cinq ans. Est-ce que la France dispose d'éléments similaires ?
SEBASTIEN LECORNU
La réalité, c'est éléments de renseignements fermes, non. Faisceau d'indices, oui. 10 % du PIB russe, qui n'est pas un PIB très élevé, comme vous le savez, est dédié à la défense. Un PIB de l'Espagne, à peu près. C'est-à-dire que le moment où les armes russes vont se taire, vous avez des stocks en Russie qui vont continuer d'augmenter considérablement. Vous avez un axe entre Pyongyang et Téhéran qui est préoccupant. Vous avez une militarisation de l'espace, y compris avec des suspicions d'emport d'armes nucléaires dans l'espace. Vous avez des manoeuvres informationnelles terribles. Vous savez, il y a une ironie du sort en ce moment. Nous, on a mille soldats en Roumanie pour réassurer la Roumanie, c'est-à-dire faire en sorte que, globalement, il n'y ait pas d'agression militaire russe en Roumanie. Au même moment, on voit la Russie manipuler l'élection présidentielle roumaine. Donc, en fait, il n'y a même pas besoin de pénétrer en Roumanie, il est possible que le Kremlin choisisse le président roumain. D'ailleurs, vous noterez que les ennuis de l'Ukraine viennent aussi du fait que les présidents ukrainiens n'étaient plus aux ordres du Kremlin. Donc on est dans un moment dans lequel il y a un agenda d'agressivité russe, et même si les armes se taisent en Ukraine, il ne faut pas mentir, cette létalité, cette agressivité est gage de survie du régime en Russie comme on a pu malheureusement le connaître dans d'autres pays et dans l'histoire.
VICTORIA KOUSSA
Justement, nous en face, nos stocks à nous en France, comment vous les estimez ? Est-ce que demain on serait capable de faire face à une guerre de haute intensité ?
SEBASTIEN LECORNU
En fait, on a un problème de rythme de réarmement, c’est-à-dire, toutes les décisions qu'on a pu prendre avec Emmanuel MACRON depuis 2017 et depuis 2022, je le fais vite, mais c'est important que vous ayez ces chiffres en tête. Globalement, quand le président est élu en 2017, on est sur quelque chose comme 31-32 milliards d'euros de budget pour les armées. Au moment où je vous parle, on est à 50,5, vingt milliards d'euros de plus par an, ce sont des sommes absolument considérables et on est prévus pour une terminaison autour de 68 milliards d'euros en 2030. Notre vrai sujet, c'est, un, est-ce que c'est suffisant ? La réponse est non. Je l'avais d'ailleurs écrit dans mon livre « Vers la guerre » qui a été publié à la fin de l'année dernière, parce que je voulais expliquer justement à nos compatriotes que cette trajectoire de réarmement, elle devra aller plus loin.
VICTORIA KOUSSA
Donc accélérer l'économie de guerre ?
SEBASTIEN LECORNU
Non, la dépense aussi, les commandes, parce que l'économie de guerre repose aussi sur des commandes. Si vous voulez, l'économie de guerre, c'est parce que les industriels n'allaient pas assez vite, c'est aussi parce que pendant des années, ils n'ont pas eu assez de commandes. Moi, au moment où je repasse beaucoup de commandes, j'ai besoin d'avoir une industrie qui va plus vite, mais c’est la poule et l’oeuf.
VICTORIA KOUSSA
Dès le prochain budget, par exemple, est-ce qu'il faudrait une nouvelle loi ?
SEBASTIEN LECORNU
Une nouvelle loi de programmation, non, parce que je considère que les orientations, pour l'instant, sont les bonnes.
HADRIEN BECT
Même quelques milliards, selon vous ?
SEBASTIEN LECORNU
Mais bien sûr. Moi, j'étais sur la copie qui a été arrêtée et votée par le Parlement, c'est 413 milliards. Moi, j'avais fait une proposition à l'époque de 422 milliards. Et même ces 422 milliards, je savais que ce n'était pas suffisant. Est-ce que 67 ou 68 milliards d'euros, par an, de budget militaire, ça sera suffisant à terminaison ? La réponse est non. Après, le débat des 5 % du PIB, tel que les Américains le mettent dans l'atmosphère, n'a pas de sens pour nous, parce que notre modèle d'armée est singulier, il est complexe, il correspond à des besoins. 5% de notre PIB, ça serait 140 milliards d'euros. Vous voyez bien qu'entre 70 milliards d'euros et le double, 140, il y a un chemin médian, c'est le poids de forme. On a tous un poids de forme dans lequel on se sent en bonne santé. Et donc, on est en train de définir précisément, c'est ce qu’Emmanuel MACRON m'a demandé, ainsi qu'aux différents états-majors, c'est de définir un peu le poids de forme de l'armée française. Est-ce qu'il est à 140 milliards d'euros par an ? Je ne le crois pas. Est-ce qu'on pourra se contenter de 68 milliards d'euros par an ? Je ne le crois pas. Et surtout, pour répondre à votre première question sur est-ce qu'on saurait faire face ? Oui, à terminaison. Le sujet, c'est qu'il y a urgence à aller plus vite, à accélérer. C’est ce que je disais dans les colonnes du Parisien, dimanche dernier, On sait qu'il nous manque trois frégates pour la marine, on sait qu'il nous manque entre vingt et trente rafales.
HADRIEN BECT
Sébastien LECORNU, d'un mot, vous avez dit entre 68 et 140, il y a 80 entre les deux, c'est quelque chose comme ça.
SEBASTIEN LECORNU
Non mais, je ne veux pas donner de chiffres, parce que je ne m'enferme pas dans cette dialectique otanienne américaine, nous sommes français, qui fait qu'on prend un pourcentage du PIB et on l'applique. Pardon, mais nous, dans nos deux virgules quelque chose pour cent du PIB cette année, en 2025, on a notre dissuasion nucléaire. Ce n'est pas le cas des autres pays. Est-ce qu'on est mieux défendu que les autres pays ? Il n'y a pas de doute, on est une puissance nucléaire. Donc, vous voyez, il faut comparer ce qui est comparable. Pardon, mais il y a aussi la question de la prise de risque. Nous sommes une armée d'emploi qui a des blessés, qui a des tués. Nous avons su prendre des risques pour lutter contre le terrorisme en Afrique. Ce n'est pas pour faire offense à certains pays européens, mais toutes les évidences, tous les systèmes politiques ne le tolèrent pas. Donc, il faut comparer ce qui est comparable. Moi, ce que je veux dire à ceux qui nous regardent et qui nous écoutent, c'est qu'on peut être fier de notre modèle d'armée. Il est issu de l'histoire, il est issu des décisions du Général De GAULLE. Aucun président de la République ne les a remises en cause. Maintenant, avec Emmanuel MACRON, on remet beaucoup de moyens, on se modernise parce que vous avez aussi des nouveaux segments qui se militarisent, je parlais du spatial, le cyber. Et donc oui, il y a un moment dans lequel il faut se réveiller. Il faudra faire des choix politiques, des choix budgétaires et vous le verrez, ça sera un des éléments de la future campagne présidentielle.
HADRIEN BECT
Sébastien LECORNU, pas exactement sur tous les sujets dont on vient de parler, mais quand même, c'est lié d'une manière ou d'une autre. Il y a la crise diplomatique avec l'Algérie, les annonces de François BAYROU. Hier, j'avais simplement une question. On sait qu'on a des collaborations de renseignements avec l'Algérie. Est-ce que pendant cette crise diplomatique, ces collaborations se poursuivent ?
SEBASTIEN LECORNU
Je fais tout pour qu'elles se poursuivent. Moi, vous savez, depuis maintenant huit ans, je suis ministre d'Emmanuel MACRON, trois ans, son ministre des Armées. J'ai vu ses efforts quand on est allé faire cette visite importante en Algérie. J'étais à se déjeuner à Zeralda avec le Président TEBBOUNE et le Président MACRON, dont il a été quasiment exclusivement question que de lutte contre le terrorisme. Donc, je pense que l'intérêt des peuples algériens et français est de ne rien lâcher dans la lutte contre le terrorisme. Après, la question migratoire, elle est importante. Bruno RETAILLEAU s'en est emparé avec beaucoup de force. Il a bien raison. Le Premier ministre, hier, a fait des annonces. Il faut que les autorités algériennes comprennent que nous sommes en attente d'actes, qu'on a besoin de signaux de bonne foi sur la question migratoire.
HADRIEN BECT
Vous êtes certain que ça va apaiser, ce qui a été annoncé hier ?
SEBASTIEN LECORNU
Je pense que les actes d'apaisement, nous les avons eus à de nombreuses reprises. Certains, d'ailleurs, nous l'ont reproché. Je pense que nous avons fait les choses dans l'ordre. On ne pourra pas nous reprocher de ne pas les avoir faits dans l'ordre. Et j'insiste, ce n'est pas un sujet entre peuples, c'est un sujet entre Gouvernements. Et je pense que le Gouvernement algérien, moi, je le dis parce que j'aime l'Algérie, doit comprendre que nous sommes en attente relativement d'actes de bonne foi. Ce seront les actes d'apaisement.
HADRIEN BECT
Merci à vous, Sébastien LECORNU, ministre des Armées d'avoir été l'invité du 8.30 France Info ce matin. Vous restez bien sûr avec nous sur France Info. Les informés sont à suivre dans cinq minutes.
source : Service d'information du Gouvernement, le 10 mars 2025