Interview de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la Justice, à ICI Radio le 28 février 2025, sur la lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité en Corse.

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Texte intégral

CAROLINE FILIPPI
La session extraordinaire anti-mafia s'est déroulée, hier, à Ajaccio. Le ministre de la Justice, Gérald DARMANIN, s'y était invité et a longuement pris la parole dans l'hémicycle pour annoncer une série de mesures pour lutter contre la mafia. A l'issue, il s'est confié à quelques journalistes et on le retrouve, ce matin, au micro de Marion GALON.

MARION GALON
Monsieur le ministre, vous avez tenu à venir faire des annonces ici, dans l'hémicycle, pendant la session extraordinaire. C'était important pour vous ?

GERALD DARMANIN
J'aime la Corse et comme garde des Sceaux, j'essaie de continuer le travail que m'a demandé le président de la République, de réconcilier l'ensemble de la société corse avec la République. Et donc, évidemment, lorsque la Corse est meurtrie par la mort de ses enfants, assassinée par la criminalité organisée, l'État doit répondre fermement. Et quand la collectivité se réunit pour parler de cette question, il est normal que l'État soit là pour entendre et pour répondre. En donnant des moyens supplémentaires, des magistrats nombreux que j'ai annoncés, c'est évidemment un effort très important pour la République. Et puis aussi en responsabilisant la société, les élus que j'ai en face de moi, c'est tout à fait normal. Je pense que l'État peut faire beaucoup mieux pour lutter contre la criminalité organisée, contre le trafic de stupéfiants. Mais je pense que la société corse et les élus corses peuvent aussi faire davantage. D'abord, en mettant des mots sur les choses et en luttant contre cette omerta qui empêche les magistrats, les services de police de fonctionner.

MARION GALON
L'un des axes clés, c'est la lutte contre le trafic de stupéfiants.

GERALD DARMANIN
La criminalité organisée, elle est fondée sur l'argent et comment on accumule l'argent. Aujourd'hui, ce qui rapporte le plus d'argent, c'est le trafic de drogue. En France, de manière générale, on pense qu'il y a entre 6 et 9 milliards d'euros, chaque année, qui est l'argent liquide de la drogue et qui est injecté dans des commerces illicites, dans la vie illicite. Ça part aux Émirats, ça part en Asie du Sud-Est, ça part au Maghreb. Mais aussi, et il faut se dire, dans le commerce et dans l'économie réelle. La construction, les travaux publics, les appels d'offres, l'hôtellerie, la restauration, les déchets. On connaît les secteurs qui malheureusement viennent blanchir l'argent de la drogue. Bien sûr, tout part de la drogue, mais le nerf de tout ça, c'est l'argent. C'est pour ça que notre stratégie, qui va complètement changer, ne s'intéresse plus simplement au produit de la drogue, mais au produit du produit, l'argent. Et donc, cette lutte anti-blanchiment généralisée que nous créons nationalement sur le modèle italien, va nous permettre, je l'espère, en Corse et ailleurs, d'avoir des résultats extrêmement significatifs.

MARION GALON
Avez-vous été surpris par l'opposition dans le rapport de l'exécutif à un nouveau parquet spécialisé et à l'évolution du statut de repenti ?

GERALD DARMANIN
Rien. D'abord, ce rapport ne fait pas totalement l'unanimité, si j'ai bien compris, le travail que les élus de la collectivité faisaient avec les associations et les experts. Là où je rejoins le président SIMEONI, c'est que c'est la seule collectivité qui évoque ce sujet de criminalité organisée. C'est vrai qu'on ne le fait pas ailleurs sur le territoire national, c'est à saluer, ce qui me permet d'en parler, et donc, parfois dire nos désaccords, et donc oui, c'est un regret. En même temps, je remercie le président SIMEONI et l'Assemblée, puisque ce débat, qui existe grâce à ce rapport, évidemment perfectible, il y a des choses très intéressantes aussi dans ce rapport, met des mots sur les choses, ne tire pas toujours les conclusions des mots qu'il met, mais au moins il met les mots sur les choses, c'est un premier pas. La deuxième des choses, c'est que mon rôle était de dire que l'État n'est pas responsable de tout, même s'il a une grande part de responsabilité. La société Corse et les élus corses doivent partager cette responsabilité. Ça a été dit par le leader du mouvement indépendantiste, c'était assez fort, qu'une partie, très petite, mais quand même, de nationalistes indépendantistes sont tombés dans une organisation mafieuse. C'était très juste qu'il l'ait dit, et ça montre que la responsabilité n'est pas que du côté de l'État. Et trois, de dire que l'État, oui, à sa responsabilité, doit renforcer les moyens juridiques. Vous l'avez dit par les infractions que je souhaite que le Parlement me dote, mais aussi évidemment en moyens judiciaires qui sont sous-dotés en Corse, c'est incontestable.

MARION GALON
Quelle est, à votre connaissance, l'implication de la mafia dans la vie politique en Corse ?

GERALD DARMANIN
Je pense qu'il y a des élus locaux qui sont sous menace, qui ne sont pas totalement libres de leurs faits et gestes en Corse. Il faut donc aider ces élus qui demandent à l'aide à la République, aux forces de police et aux enquêteurs. Il faut évidemment empêcher que la Corse soit nécrosée, comme c'était le cas de la Sicile, comme c'était le cas de la Sardaigne, par la mafia, parce que ce qui a été très bien dit par le maire de Palerme et qui a la démonstration de ce qu'est une mafia, c'est lorsque la mafia n'a plus besoin de tuer, et que la vie se tourne non pas vers l'élu démocratiquement élu, qui est capable de refuser un permis de construire, qui est capable de refuser un appel d'offre, qui est capable de déférer au préfet ou au procureur de la République des comportements inacceptables, mais lorsque la loi du finance se fait y compris dans les actes et qu'on n'a plus besoin de menacer, que les choses se font naturellement. Et là, la pieuvre a remplacé l'État, c'est-à-dire les libertés individuelles. Donc oui, il y a une petite partie, je crois infime, d'élus locaux qui sont sous la menace, sous la pression. C'est aussi le cas de magistrats qui sont menacés, je pense au procureur de la République, qui courageusement font leur travail en Corse et qui sont menacés de président de tribunaux correctionnels. Mais c'est aussi le cas de greffiers, de policiers. Et donc voilà, quand on commence à menacer ce qu'est l'autorité publique, on est dans un système mafieux. Il faut donc siffler à la fin de la récréation très rapidement.

MARION GALON
Et puis, vous avez aussi évoqué la question de l'autonomie. Le calendrier pourra-t-il être respecté ?

GERALD DARMANIN
D'abord, il ne faut pas chérir les conséquences quand on déplore les causes. Si le gouvernement de Michel BARNIER est tombé, et si nous sommes allés jusqu'à la dissolution, c'est parce qu'il y a eu des députés, notamment élus en Corse, qui ont voté la censure du Gouvernement et qui ont voté contre les textes du Gouvernement. Je rappelle que les députés qu'on pourrait qualifier nationalistes, ils ont voté la censure, mais ils ont aussi voté contre la loi immigration, alors qu'il me semblait que les Corses avaient demandé beaucoup de fermeté en matière migratoire. Et j'ai toujours trouvé un peu étonnant le petit côté genus qui consiste à réclamer l'autonomie rapidement et à empêcher le Gouvernement de la donner. Donc je rappelle, notamment aux parlementaires élus en Corse, que plus ils soutiendront le Gouvernement avec nos différences, plus ils auront des ministres et un Gouvernement stables qui pourront enfin mener à bien le travail qu'on a mené pendant plus de trois ans avant du président de la République sur une autonomie de la Corse dans la République. François REBSAMEN, aujourd'hui, est le ministre en charge de cette discussion politique. Comme garde des Sceaux, il m'appartiendra de porter les modifications constitutionnelles, mais je sais que François REBSAMEN, qui est déjà venu et qui connaît extrêmement bien la Corse, extrêmement bien ce dossier, poursuivra, je l'espère, le travail de conviction, mais comme doit le faire l'Assemblée de Corse. Et je l'ai évoqué, Gilles SIMEONI, notamment dans l'opposition au Gouvernement, pour que ce soit très rapidement, je l'espère, adopté, en tout cas le président de la République le souhaite. Donc oui, je suis toujours favorable, évidemment, à ce qu'on a travaillé ensemble, c'est-à-dire l'autonomie, une autonomie encadrée, organisée, qui respecte totalement les libertés individuelles, qui remet la Corse dans la République en écoutant les spécificités du territoire insulaire, mais qui permet de donner un nouvel avenir en tournant la page. Je pense que c'est souhaité par chacun et par chacun. Encore faut-il que chacun soit responsable et que chacun convainque ses amis.

JOURNALISTE
Merci beaucoup.


source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2025