Déclarations à la presse de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la situation en Syrie et le conflit en Ukraine, à Nantes le 10 mars 2025.

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Circonstance : Déplacement à Nantes

Texte intégral

Q - Selon l'ONG l'Observatoire syrien des droits de l'homme, au moins 973 civils. Et l'ONG nous dit que des civils ont été tués par les forces de sécurité des groupes alliés.

R - J'ai eu l'occasion hier, lorsque je l'ai eu au téléphone, d'exprimer au ministre des affaires étrangères syrien notre très profonde préoccupation, notre condamnation des exactions qui ont visé les civils et notre appel à ce que les responsables de ces massacres soient jugés et punis pour que ces crimes ne restent pas impunis. C'est l'avenir de la Syrie qui est en jeu, et nous ne voulons pas que la Syrie puisse retomber dans le chaos.

Q - Ce matin, Jordan Bardella vous a reproché de votre visite en janvier auprès du nouveau leader syrien. Il a dit que vous étiez allé vous prosterner, c'est son mot, devant le président al-Charaa. Est-ce que vous regrettez cette visite ? Est-ce que c'était trop tôt ?

R - La voix de la France n'est pas indexée sur les déclarations de Jordan Bardella. Et si je me suis rendu en Syrie avec ma collègue allemande, c'est parce que c'est la sécurité des Français qui se joue en Syrie. Je rappelle que dans le nord-est de ce pays, ce sont plusieurs dizaines de milliers de combattants terroristes, djihadistes, qui sont enfermés, détenus dans des prisons qui sont aujourd'hui gardées par nos alliés kurdes. C'est la raison pour laquelle il était nécessaire que je puisse, dès le mois de janvier, me rendre sur place et faire part aux autorités syriennes de notre exigence absolue que cette transition, dans laquelle la Syrie s'est engagée, ne laisse aucune place au terrorisme qui porte atteinte à la sécurité des Français.

Q - Donc vous ne regrettez pas cette visite ?

R - Je ne regrette évidemment pas cette visite puisque la défense de la sécurité des Français est notre objectif principal. Et que la manière de le faire, c'était d'engager ces autorités dans la lutte contre le terrorisme islamiste de Daech.

Q - Est-ce que le président al-Charaa a aujourd'hui une responsabilité dans les massacres de cette minorité alaouite à laquelle on assiste ?

R - Ceux qui ont une responsabilité dans ces massacres devront être jugés, devront être punis et tenus responsables de leurs crimes.

Q - Qu'est-ce qu'elle peut faire, la France, aujourd'hui pour arrêter le massacre des populations civiles ?

R - La France a exprimé ses attentes, celles que la transition politique amorcée en Syrie donne toute leur place à l'ensemble des Syriennes et des Syriens, dans une citoyenneté retrouvée et unifiée, et dans un pays pacifié, débarrassé de la violence et débarrassé du terrorisme.

Q - Est-ce que le destin de l'Ukraine se joue cette semaine, Monsieur le Ministre ?

R - Cette semaine est une semaine importante, puisqu'elle va permettre au dialogue entre l'Ukraine et les Etats-Unis de se réamorcer. Et comme vous le savez, le Président de la République, moi-même, nous oeuvrons activement à faciliter ce dialogue.

Q - On peut entendre des craintes aujourd'hui que la France se désolidarise de l'Ukraine. Comment est-ce que vous entendez les rassurer ?

R - Je ne crois pas que la France puisse se désolidariser de l'Ukraine, puisque le combat des Ukrainiens, c'est aussi le nôtre. Les Ukrainiens se battent pour l'intégrité de leur pays, mais ce faisant, ils se battent aussi pour la sécurité européenne. La ligne de front en Ukraine aujourd'hui, c'est la première ligne de défense des intérêts européens. C'est pourquoi les intérêts européens et les intérêts ukrainiens sont intimement liés. Il serait irresponsable de ne pas soutenir les Ukrainiens dans la résistance héroïque qu'ils opposent à l'envahisseur russe depuis trois ans maintenant.

Q - Un mot sur cet échange avec les lycéens. En quoi ça peut réarmer les esprits ?

R - Nous vivons un moment de grand bouleversement du monde, qui appelle de la part de la France et de l'Europe des décisions historiques, comme celle que nous avons vécue jeudi à Bruxelles par exemple, où les 27 pays européens ont décidé de prendre en main leur propre sécurité. Mais pour que ces décisions puissent être prises, il faut que les citoyennes et les citoyens s'approprient pleinement l'ampleur des défis, l'ampleur des menaces qui les guettent, qu'ils en aient la pleine conscience, qu'ils puissent se forger leur propre opinion sur l'ambition des mesures que nous voulons prendre.

Q - Parmi les questions des étudiants, il n'y a pas eu une seule question, je crois, sur l'Ukraine. Est-ce que ça vous a étonné ? Est-ce que ça vous a surpris ?

R - Nous avons eu beaucoup de questions sur le retour de la loi du plus fort, qui implicitement pointe la responsabilité de la Russie qui, il y a trois ans, a lancé une invasion à grande échelle de l'Ukraine, la plus étendue, si l'on peut dire, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il y a donc bien une préoccupation de la part de ces lycéens de savoir ce à quoi va succéder l'ordre international fondé sur le droit que nous avons patiemment bâti sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, et de toute évidence une préoccupation du retour de la loi du plus fort et des logiques d'empire.

Q - Selon nos confrères de NBC, vous avez Donald Trump qui ferait pression sur Volodymyr Zelensky pour qu'il démissionne en échange d'une nouvelle aide américaine. Est-ce qu'une démission du président ukrainien pourrait être une idée envisagée par la France ?

R - Volodymyr Zelensky est le leader légitime, le président légitime de tous les Ukrainiens. Sa légitimité a été confirmée par un vote à l'unanimité de la Rada il y a deux ou trois semaines seulement. Il est donc pleinement légitime pour conduire toutes les discussions qui s'engagent vers une paix juste et durable pour son pays.

Q - Comment vous réagissez aux propos de François Fillon à propos de Zelensky, comme quoi ce n'est pas un héros irréprochable ?

R - Je pense que c'est un immense résistant et un grand héros, auquel l'histoire reconnaîtra d'avoir eu le courage de résister et d'amener son peuple à résister à l'une des plus grandes armées du monde, et de défendre ainsi non seulement son pays, mais aussi l'Europe et une certaine idée de la liberté.

Q - Quel est encore le rôle de la France ? Justement, est-ce qu'aujourd'hui la France, face aux Etats-Unis, face à la Russie, n'est pas un peu hors-jeu justement par rapport à l'Ukraine ?

R - Au contraire, je pense que par rapport à l'Ukraine, la France reste, avec ses alliés européens, un soutien constant de la résistance ukrainienne. Et plus largement, je pense que la France a une parole qui est entendue : c'est celle du droit et de la justice, qui doivent faire échec à la poussée des nouveaux empires. Mais pour cela, il nous faut, nous, Français, Européens, être beaucoup plus forts et indépendants, de manière à défendre nos intérêts et notre vision du monde, qui repose sur le droit et la justice.

Q - On observe une multiplication des cyberattaques. La plupart viennent de l'étranger. Elles touchent nos collectivités. Que peut le ministère ? Que peut la France face à ces cyberattaques ?

R - Ce n'est pas tout à fait nouveau, puisque je veux rappeler qu'il y a trois ans, deux hôpitaux majeurs de la région Île-de-France ont été la cible de cyberattaques qui les ont empêchés de fonctionner correctement pendant de longs mois. Face à la menace cyber, nous nous sommes dotés non seulement d'une agence nationale, l'ANSSI, dont les compétences sont reconnues dans le monde entier, mais aussi d'une stratégie qui repose notamment sur des obligations qui sont faites à nos opérateurs d'importance vitale, aux grands établissements, qu'ils soient publics ou privés, de relever leur niveau de défense de manière à être immunisés contre ces attaques qui témoignent de l'agressivité de certaines grandes puissances comme la Russie à l'égard de notre pays et de l'Europe.

Q - Demain Emmanuel Macron réunit les chefs d'Etat-major de plusieurs pays alliés. Est-ce qu'on sait combien de pays seront représentés demain, et qu'est-ce qu'il y a à attendre de cette réunion, dans la mesure où les Etats-Unis n'offrent toujours pas de garantie sécurité ferme en échange d'envoi de troupes européennes en Ukraine ou le long de la frontière ?

R - L'objectif de cette réunion, c'est de partager un diagnostic, faire converger les analyses, pour que le travail avance sur la manière dont les alliés de l'Ukraine, européens ou non, peuvent apporter, une fois la paix conclue, les garanties qui permettront à cette paix de s'inscrire dans la durée. Non pas comme le cessez-le-feu, qui avait été trouvé à Minsk il y a 10 ans, qui a été violé par 20 fois par la Russie, qui n'a pas empêché la Russie de se lancer dans une invasion à grande échelle de l'Ukraine, mais une paix durable qui dissuade définitivement toute manifestation de la menace russe, en direction notamment de l'Union européenne.

Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mars 2025