Entretien de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, avec TF1 le 12 mars 2025, sur les tensions commerciales avec les États-Unis, le conflit en Ukraine, la réforme des retraites et le budget de la Défense.

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Média : TF1

Texte intégral

Q - Bonjour Benjamin Haddad, merci d'être avec nous.

R - Bonjour.

Q - On en parlait à l'instant dans nos journaux, l'Europe à nouveau visée par les droits de douanes sur l'acier et l'aluminium de 25%, qui prennent effet aujourd'hui. L'Union européenne affirme qu'elle va riposter et va taxer des produits américains à partir du 1er avril. Quels produits faut-il taxer ?

R - L'Union Européenne va répondre de façon déterminée, de façon proportionnée. C'est très simple en fait : on a un paquet de mesures contre des secteurs américains, vous savez, les jeans, les Harley-Davidson, qui étaient déjà ceux qui avaient fait l'objet à l'époque d'un accord en 2019, puisqu'on est déjà passé par là, lors du premier mandat de Donald Trump.

Q - Vous reprenez exactement les mêmes mesures ?

R - On va reprendre les mêmes mesures, même si je précise tout de même que depuis, l'Union européenne s'est dotée de nouveaux instruments, par exemple le mécanisme anticoercitif pour lutter contre la pression commerciale. Et donc on a aussi les moyens, si on le désire, d'aller plus loin, pour d'autres types de services.

Q - Quels moyens ?

R - Par exemple, si ça venait à aller plus loin, d'inclure les services numériques ou encore la propriété intellectuelle. Là, ce n'est pas le sujet.

Q - Parce que pour aujourd'hui, pour l'instant, on va dire que c'est plus symbolique qu'autre chose ?

R - Non, c'est proportionné. C'est au même niveau que les mesures américaines. C'est ce qui permet de répondre. C'est ce qui avait été fait encore une fois... Parce que là, ce que fait Donald Trump, c'est qu'il ne renouvelle pas l'accord qui avait été trouvé à l'époque avec la Commission Juncker. Donc, on va réimposer, dans les prochaines semaines, les tarifs de réponse contre les Etats-Unis. Mais je précise qu'une fois de plus, l'Union européenne s'est renforcée, sort de sa naïveté commerciale, est capable maintenant de défendre ses intérêts et d'assumer des rapports de force.

Q - Il va y avoir des conséquences très concrètes pour les entreprises, notamment européennes. D'abord, est-ce que vous avez eu des premières remontées ? Est-ce que vous craignez aussi qu'à cause de ces taxes, certaines activités industrielles déclinent ?

R - Mais c'est tout l'intérêt, précisément, de pouvoir se défendre, de pouvoir assumer des rapports de force avec les Etats-Unis.

Q - Est-ce que vous avez des remontées concrètement sur ce qui va se passer ?

R - Bien sûr, on parle régulièrement avec les filières, avec les secteurs. On a aussi, au niveau européen, la possibilité d'avoir des mécanismes de compensation. Mais une fois de plus, vous savez, la guerre commerciale, ce n'est dans l'intérêt de personne. Le protectionnisme, on ne le souhaite pas. On a 1.500 milliards d'échanges entre les États-Unis et l'Europe. On est le premier partenaire commercial l'un de l'autre. La seule façon de faire entendre ce message aux États-Unis, c'est de se défendre. C'est ce que font d'autres, d'ailleurs, quand on voit le Canada et le Mexique. Et on voit bien, d'ailleurs, l'impact économique négatif que ça a sur l'économie, sur les entreprises américaines aujourd'hui, avec les résultats des marchés financiers américains.

Q - Et le Canada a utilisé la méthode du bras de fer avec Donald Trump. Vous faites bien de le souligner.

Q - C'est 25% pour les droits de douane sur l'acier et l'aluminium. Ça, c'est ce que les Américains nous imposent. Nous, c'est quoi le pourcentage qu'on impose sur les...

R - Nous, on prend en fait sur le volume que ça représente, donc les 25% sur l'acier et l'aluminium. On a le même type de volume, en fait, mais sur d'autres secteurs. Encore une fois, c'est une réponse proportionnée. Mais on a développé les instruments ces dernières années, de l'Union européenne, notamment en réponse à la Chine, en l'occurrence, pour pouvoir, le cas échéant, si on en a besoin, aller plus loin. Encore une fois, l'Union européenne assumera des bras de fer et défendra ses intérêts.

Q - Benjamin Haddad, autre grand titre de l'actualité ce matin, la volte-face spectaculaire des États-Unis, qui annonce donc une reprise de l'aide militaire, de l'échange de renseignements avec l'Ukraine et surtout, surtout, un cessez-le-feu de 30 jours. Quels sentiments dominent ce matin ? D'abord, le soulagement ? Et est-ce que finalement, on ne se dit pas aussi : "Tiens, in fine, Donald Trump réussit son coup" ?

R - Bon, alors, écoutez, c'est une étape qui va dans le bon sens, puisque tout ce qui peut nous rapprocher d'une paix juste et durable en Ukraine, nous le soutiendrons. Je vous rappelle d'ailleurs que c'était une proposition du Président de la République, d'avoir une trêve de 30 jours qui permettrait déjà de mettre la Russie face à ses responsabilités. Parce que les Ukrainiens ont accepté ; maintenant, c'est à la Russie aussi, de commencer à faire des efforts pour la diplomatie et commencer à faire des concessions, qui après, peuvent ouvrir à une négociation plus sérieuse, plus engageante, pour une paix juste et durable, qui devra inclure des garanties de sécurité pour faire en sorte...

Q - Et donc, dans les garanties de sécurité, il y a la question des troupes aussi, des troupes européennes. La presse britannique évoque par exemple 20/000 à 30.000 hommes dans des zones qui sont éloignées du front, des zones tampons. Vous confirmez cette piste ?

R - Quel est l'enjeu ? Je vais d'abord l'expliquer. L'enjeu, c'est de faire en sorte que demain, si on a un cessez-le-feu, ce ne soit pas juste une parenthèse qui est utilisée par la Russie pour réarmer et pour ensuite réattaquer l'Ukraine.

Q - Ce que dit aussi la Russie pour l'Ukraine.

R - Oui, enfin, sauf que c'est la Russie qui a agressé l'Ukraine, c'est la Russie aujourd'hui qui a transformé toute son économie pour être un État de guerre et d'agression. Aujourd'hui, c'est 40% du PIB de la Russie qui est consacré à l'effort de guerre, avec toujours des objectifs de guerre maximalistes, avec toujours une rhétorique extrêmement agressive et des attaques sur le terrain. Donc, la question qu'il faudra se poser, c'est effectivement, les Européens, avec leurs alliés, devront prendre leurs responsabilités pour s'assurer, une fois de plus, que ce cessez-le-feu sera une paix durable et pas des garanties de sécurité. C'est pour ça que le Président de la République, vous le savez, hier, a reçu les chefs d'État-major de 32 pays, de l'OTAN, de l'Union européenne, précisément pour discuter de la façon dont on pourrait jouer un rôle ; bien sûr, après un cessez-le-feu, pas avec des contingents qui seraient combattants, bien sûr, mais la façon dont on pourrait maintenir la paix à long terme.

Q - Est-ce qu'il est temps de parler avec Vladimir Poutine ? Donald Trump affirme qu'il va le rencontrer prochainement.

R - Mais vous savez que le Président de la République a parlé dans le passé à Vladimir Poutine. Il a d'ailleurs tenté de trouver des issues...

Q - Il faut aussi que les Européens s'y mettent ? C'est ce que je veux dire...

R - Il a tenté de trouver des issues plus diplomatiques, et c'est Poutine qui avait fermé la porte à la diplomatie et à la paix et choisi l'agression. Il a toujours dit qu'il n'excluait pas de le refaire dans l'avenir et que c'était une option si c'était utile. En tout état de cause, aujourd'hui, nous sommes très impliqués dans la diplomatie avec les Ukrainiens, avec les Américains, avec lesquels nous échangeons régulièrement. Et une fois de plus, cette proposition d'une trêve de 30 jours qui peut mener à une négociation, c'était aussi une idée de la France et des Européens.

Q - Sur les conséquences concrètes de cette économie de guerre qu'il va falloir déployer, que dites-vous aujourd'hui, aux syndicats qui continuent d'espérer, pour certains d'entre eux, un retour sur le départ de l'âge légal à 64 ans à la retraite ?

R - Écoutez, le Premier ministre a fait un choix courageux et responsable qui est celui du dialogue et de la confiance. Et donc, on a aujourd'hui ce dialogue avec les partenaires sociaux.

Q - Est-ce que ce dialogue, aujourd'hui, il a des chances d'aboutir ? Est-ce que vous dites aux syndicats : "C'est tout de même hors-sol, de continuer à espérer cela, vu le contexte" ?

R - Le Premier ministre, encore une fois, a fait le choix de voir comment on peut faire confiance aux partenaires sociaux pour améliorer la réforme des retraites. Maintenant, ce qui est vrai, c'est que, quand on regarde le contexte dans lequel on est, on doit trouver des financements pour pouvoir accroître et accélérer notre effort de défense. On a doublé le budget de défense sur les deux mandats d'Emmanuel Macron, mais effectivement, il faut aller plus loin et plus vite.

Q - C'est aux actifs de payer ?

R - Alors on le fait au niveau européen, je tiens quand même à le dire, parce qu'il y a quand même un volet européen qui est important...

Q - Mais au niveau national ?

R - On a eu une étape importante du Conseil européen jeudi dernier pour dégager des nouvelles marges de manoeuvre budgétaires, pour financer notre réarmement. On devra aussi le faire au niveau national. Vous savez, je voyage beaucoup en Europe. Quand je vois nos voisins, ce que je constate, c'est qu'on taxe plus souvent que nos voisins européens. On est le deuxième pays en Europe qui taxe le plus. Mais en revanche, on travaille moins en moyenne, c'est-à-dire qu'on a moins d'heures travaillées...

Q - Faire comme le Danemark ?

R - ... et on a un taux d'emploi qui est inférieur. Là, on a des leviers. La question, ce n'est pas seulement : est-ce qu'on taxe plus ou est-ce qu'on baisse les dépenses...

Q - Mais qu'est-ce vous dites aujourd'hui aux syndicats ?

R - ... la question, c'est comment est-ce qu'on peut continuer de réformer, accélérer même le rythme de réforme de notre pays pour pouvoir créer des richesses, et donc entraîner des recettes supplémentaires, et faire en sorte de pouvoir financer ce dont nous avons besoin pour nous préparer, pour avoir une Europe qui est moins dépendante, et notamment moins dépendante des États-Unis.

Q - Je note que vous ne répondez pas à la question. Benjamin Haddad, dernière chose : vous êtes favorable, vous, au retour du service militaire ?

R - Non, on est passé à un service professionnel. Vous le savez, on a une armée professionnelle. Je crois que si on regarde les efforts que l'on va devoir faire... Déjà, effectivement, il faudra se poser, on vient d'en parler, des questions budgétaires. Mais sur des capacités, les drones, le cyber, les frappes en profondeur, les munitions, autant de domaines dans lesquels on a des dépendances, au niveau européen, par rapport aux États-Unis sur lesquels il va falloir mettre le paquet d'investissements. En revanche, on a renforcé avec Sébastien Lecornu, le ministre des armées, la possibilité d'être réserviste pour pouvoir donner à tous les Français qui le souhaitent, la possibilité de s'engager pour le pays. Donc, j'encourage vraiment à le faire. Mais on a une armée professionnelle de métier qui est absolument remarquable.

Q - Une toute dernière question. Vous connaissez le Prix Charlemagne ?

R - Oui, bien sûr.

Q - C'est le prix qu'on remet à une personnalité européenne. Le Financial Times, un journal sérieux, propose qu'on le donne à Donald Trump parce que Trump a fait plus pour l'unité de l'Europe depuis un mois que n'importe qui. Vous répondez quoi à ça ? À cette ironie ?

R - Non, mais c'est vrai qu'on est vraiment dans un tournant de l'histoire européenne, sous la pression effectivement, bien sûr, de la guerre d'agression de la Russie, mais aussi, quand on voit ce qui se passe aux Etats-Unis et les questions qui sont posées sur l'avenir de la relation transatlantique. Maintenant, c'est surtout à nous de saisir ce moment, d'en faire une opportunité pour être capable d'avoir une Europe qui est plus autonome et indépendante.

Q - Merci beaucoup, Benjamin Haddad. Merci à Sehla Bougriou.

Q - Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2025