Interview de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi, à RTL le 18 mars 2025, sur l'âge de la retraite et la restriction des visas de travail pour les ressortissants algériens.

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Média : RTL

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Astrid PANOSYAN-BOUVET. Ma première question est très simple, on a entendu Michel PICON, le patron de l'U2P qui représente 3 millions de TPE, de PME, dire "Pour nous le conclave sur les retraites c'est terminé, ma décision est définitive". Est-ce que, ce matin, ce conclave est mort ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, il n'est pas mort. Moi j'ai un infini respect pour Michel PICON avec lequel j'ai échangé, d'ailleurs hier matin, où il m'expliquait déjà les raisons de ce départ. Moi je pense qu'il faut continuer à faire le pari de l'intelligence collective et il est important que ces concertations aillent jusqu'à leur terme.

THOMAS SOTTO
Donc, vous lui dites de revenir à table ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi j'aimerais, parce qu'en plus Michel PICON et l'U2P apportent beaucoup de choses au dialogue social. Ils apportent effectivement cette réalité de proximité et puis aussi cette sensibilité sociale. Donc, je trouve dommage mais ça fait partie du jeu du dialogue social qui est aussi de pouvoir quitter la table quand on n'est pas en confort avec la manière dont les choses se passent.

THOMAS SOTTO
Sauf que la CGT menace de le faire aussi, elle va décider ça entre aujourd'hui et demain. S'il n'y a plus la CGT, s'il n'y a plus les petits patrons…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que c'est extrêmement important que cette concertation aille à son terme. Pourquoi ? Parce que d'abord on a fait le pari d'un diagnostic commun partagé par la Cour des comptes. Je pense qu'ici vous avez partagé les conclusions de la Cour des comptes qui rappelle que la trajectoire de notre régime financier est préoccupante selon les termes. C'est important que ça aille à terme parce qu'il y a une lettre de mission du Premier ministre qui souhaite que ce régime revienne à l'équilibre 2030.

THOMAS SOTTO
On n'y comprend plus rien.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Et troisième chose, et moi je trouve qu'il y a un décalage entre les réunions qui se tiennent tous les jeudis et puis le bruit qui en est fait. Parce qu'il y a un ordre du jour qui a été décidé par les partenaires sociaux sur l'âge, la pénibilité, les carrières longues, les femmes, la gouvernance, l'épargne-retraite. Et ces réunions sont plutôt studieuses et on demande beaucoup aux administrations pour fournir en simulation et en hypothèse.

THOMAS SOTTO
Vous êtes dans quelle équipe vous ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Qu'est-ce que c'est que cette question ?

THOMAS SOTTO
Il y a l'équipe BAYROU qui dit "Le retour à la retraite à 62 ans, c'est non". Il y a l'équipe LOMBARD, du nom de votre collègue le ministre de l'économie, qui dit "C'est aux partenaires sociaux de décider". Ce que dit aussi Élisabeth BORNE qui, entre parenthèse, est celle qui a écrit cette fameuse réforme des retraites. Il y a l'équipe MONTCHALIN, la ministre des comptes publics, visiblement en désaccord avec le ministre de l'économie, qui dit "Il ne serait pas réaliste de revenir à 62 ans". Il faut comprendre quoi là-dedans ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi je suis la ministre du Travail et avec Catherine VAUTRIN, qui est en charge du Pôle social, on veut faire confiance au dialogue social. Je pense que sur l'avenir des régimes des retraites, c'est important…

THOMAS SOTTO
Mais vous dites-vous aussi qu'il n'est pas question de revenir aux 62 ans ou pas. Est-ce que c'est la position du Gouvernement, ce matin ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça fait partie des sujets qui doivent être discutés. Je pense que la lettre de mission du Premier ministre indique qu'il y a une ligne claire qui est qu'on revienne à l'équilibre en 2030. Moi, je voudrais quand même rappeler à ceux qui vont au travail, ce matin. 28 % de leur salaire brut part en financement de la retraite. Mais ce n'est pas pour leur propre retraite, c'est pour la pension de ceux qui sont déjà en retraite. Donc, la question de l'équilibre, elle est fondamentale…

THOMAS SOTTO
Vous ne répondez pas à ma question et plus personne ne comprend rien, on est dans un flou complet. Et vous connaissez la formule, "Quand c'est flou c'est qu'il y a un loup". Est-ce que le retour à la retraite à 62 ans, c'est un non ferme et définitif ? Ou est-ce qu'il n'y a ni totem ni tabou comme l'a dit François BAYROU ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ce qui prévaut aujourd'hui, et je pense que François BAYROU va rencontrer Marylise LÉON tout à l'heure, la patronne de la CFDT, c'est la lettre de mission, c'est-à-dire revenir à l'équilibre en 2030. Encore une fois c'est fondamental, parce que si on n'a pas un régime par répartition à l'équilibre, ça veut dire que ceux qui financent les retraites, vous là tous autour de la table, vous risquez de ne pas avoir de retraite quand vous arriverez à l'âge de la retraite. Donc, c'est absolument fondamental et il y a différents sujets à l'ordre du jour, aujourd'hui, pour regarder comment on y arrive.

THOMAS SOTTO
J'entends bien mais c'est important, il y a une lettre de cadrage, on fixe les règles et, ce matin, on ne comprend plus les règles. Est-ce que 62 ans ça reste un sujet ? Est-ce que les syndicats qui vont peut-être, ceux qui vont y aller jeudi à la prochaine réunion, ils auront le droit de réfléchir à un retour à 62 ans ou est-ce que c'est non ? Ce n'est pas compliqué comme question.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que le sujet c'est qu'ils peuvent regarder si tant est que l'équation financière est là. Et ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faudrait augmenter le coût du travail. C'est-à-dire, si tant est que l'équation financière est là et qu'il y a un compromis aussi avec le patronat. C'est pour ça que c'est important que l'U2P, j'aurais préféré que l'U2P reste. Tout à fait.

THOMAS SOTTO
Ce que vous nous dites c'est que tout est possible, mais que vous ne croyez pas possible d'arriver à l'équilibre financier en revenant à 62 ans. C'est ça que vous voulez faire comprendre ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais c'est sous condition. C'est-à-dire qu'effectivement il faut… Non mais attendez. Il faut revenir à l'équilibre. Et il faut un compromis

THOMAS SOTTO
Il faut aussi 7 milliards, d'ici 2030.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Voilà. Et il faut un compromis. Plus, parce qu'effectivement si on veut… Je parle tout à fait. Et sous le contrôle surtout de la Cour des comptes, qui montre qu'il faut 6 milliards de plus si on veut aller à 63 ans, et 6 milliards de plus encore, donc 12 milliards de plus si on veut… 12 milliards c'est juste le budget du ministère de la Justice, parce qu'on parle en milliards et ça ne veut pas dire grand-chose. Donc, je dis que c'est sous condition de revenir à l'équilibre et sous condition de trouver un compromis avec tous les gens qui sont autour de la table, et notamment les employeurs, pour que ça ne pèse pas sur le coût du travail ou le pouvoir d'achat et les cotisations des salariés.

THOMAS SOTTO
Vous ne pouvez pas faire abstraction du contexte politique, Astrid PANOSYAN-BROUVET. Il y a eu des réactions à la phrase de François BAYROU. "Il se trompe et il tue un espoir", disait, ici même hier matin, Anne HIDALGO. La gauche, plus globalement, parle de trahison. C'est la fin du conclave et c'est un moment important, un motif, pardon, important de censure, dit le RN Sébastien CHENU. Est-ce que vous avez peur que tout ça se termine en motion de censure et fasse tomber le Gouvernement ? Est-ce que ce manque de clarté risque de faire tomber le Gouvernement ? Est-ce que c'est un risque aujourd'hui ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, vraiment, je veux me concentrer sur le sujet des retraites et de l'emploi. Et tout n'est d'ailleurs pas qu'un sujet de retraite. On a une détérioration aussi de la situation économique liée à la situation géopolitique qui vient d'être indiquée et qui se traduit aussi par une détérioration du monde de l'emploi dans lequel j'ai aussi besoin des partenaires sociaux pour simplifier un certain nombre de dispositifs, notamment sur les sujets de reconversion. Et puis, un deuxième sujet, c'est qu'il est absolument essentiel que tous ceux qui sont en situation de pouvoir travailler, travaillent. On a, aujourd'hui, un vrai sujet autour des seniors, des jeunes, mais également des femmes. On a 150 000 femmes, aujourd'hui, qui quittent le marché du travail chaque année parce qu'elles n'ont pas de solution de garde d'enfants. C'est aussi ce sujet-là. Parce que dans la compétition mondiale, dans ce nouveau monde qui se profile, aujourd'hui, il faut qu'on soit puissant économiquement.

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'il va falloir qu'on travaille plus ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense qu'il faut qu'on travaille plus.

THOMAS SOTTO
Comment ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je vous renvoie à une étude du Conseil d'analyse économique qui montre qu'on travaille 100 heures de moins par an que les Allemands. Mais ce n'est pas ceux qui travaillent qui travaillent moins. Eux, ils travaillent beaucoup, sinon plus que les Allemands et les Britanniques, aujourd'hui. C'est qu'on n'a pas assez de gens qui travaillent dans notre pays.

THOMAS SOTTO
Édouard PHILIPPE a une proposition.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On est 8 sur le terrain de foot quand les Allemands et les Américains sont 11. Donc, forcément qu'on travaille moins. Et pour travailler plus, il faut travailler mieux.

THOMAS SOTTO
Sauf qu'Édouard PHILIPPE, qui considère que le conclave est mort et n'a plus lieu d'être par ailleurs, a une proposition dans le Figaro ce week-end. Il dit qu'à 28 ou à 40 ans, on peut sans doute travailler plus qu'à 60. Est-ce que moduler le temps de travail en fonction de l'âge, ça peut-être une piste pour la ministre de l'Emploi que vous êtes ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça fait partie des sujets qui doivent être sur la table.

THOMAS SOTTO
Moduler le temps de travail en fonction de l'âge. En gros, vous faites des plus grosses semaines quand vous avez 28 ou 30 ans que quand vous avez 60 ans.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, mais vous savez, je pense que c'est des choses qu'il faut regarder parce que typiquement dans les pays d'Europe du Nord qui arrivent à concilier à la fois compétitivité, attractivité économique et cohésion sociale, derrière les très forts taux d'activité des seniors, il y a beaucoup de temps partiel. Parce qu'il y a des sujets de santé, il y a de l'aidance familiale, ce sont des sujets qu'il faut regarder pour pouvoir concilier les aspirations à partir de cet âge.

THOMAS SOTTO
Un peu de mots sur l'Algérie pour terminer. La tension ne cesse de montrer entre Paris et Alger. Les Algériens, on l'a dit, ont rejeté hier la liste de ressortissants que Bruno RETAILLEAU voulait renvoyer dans leur pays. Bruno RETAILLEAU dit qu'il va lancer la riposte graduée. Est-ce que ça peut passer par une restriction des visas de travail pour les travailleurs algériens ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que ça fait partie des ripostes graduées, effectivement. Il y a un avant et un après Mulhouse. La première piste, c'est de regarder le traité de 2007 sur les visas pour ceux qui détiennent des passeports diplomatiques et qui viennent régulièrement en France. Et ça, je pense que ce sera la première raison. Je pense que ça fera partie effectivement des sujets parce que le traité de 1968 dont on a parlé montre que l'Algérie bénéficie, aujourd'hui, d'exonérations exceptionnelles qui pouvaient se justifier quelques années après les accords d'Évian mais qui ne se justifient plus, aujourd'hui.

THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Astrid PANOSYAN-BOUVET d'être venue sur RTL ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 mars 2025