Interview de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à TF1 le 20 mars 2025, sur le financement des industries de défense et les discussions concernant la réforme des retraites.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
Il est 7 h 35, bonjour Adrien GINDRE,

ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruce,

BRUCE TOUSSAINT
Votre invité, ce matin, c'est Éric LOMBARD, Ministre de l'Economie et des Finances.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Éric LOMBARD,

ÉRIC LOMBARD
Bonjour Adrien GINDRE,

ADRIEN GINDRE
On va parler, dans un instant, retraite parce que c'est un sujet très important ce matin. Mais d'abord, le financement de nos industries de défense puisque dans deux heures, vous tenez à Bercy une grande réunion avec votre collègue des Armées, Sébastien LECORNU et tous les acteurs du secteur. On va évoquer notamment les solutions, mais d'abord pour bien poser le décor, de quoi parle-t-on ? Combien d'argent faut-il trouver ?

ÉRIC LOMBARD
Avant de parler d'argent, il faut rappeler la situation mondiale qui a beaucoup changé, puisqu'en fait le parapluie américain est devenu incertain, on l'a vu, et l'Union européenne doit devenir adulte en matière de défense. Nous devons nous organiser pour préparer la paix, pour garantir la paix. Pour ça, il faut qu'on investisse dans la défense européenne et la défense. Au départ, ce sont des entreprises, 4 000 entreprises du secteur de la défense que nous allons réunir avec le ministre Sébastien LECORNU. Ces entreprises, 4 000 entreprises, 200 000 emplois, ont besoin de se développer pour fournir les armées européennes et encore une fois, assurer la paix.

ADRIEN GINDRE
Et donc, ça coûte combien ce développement ?

ÉRIC LOMBARD
Les entreprises auront besoin à peu près de 5 milliards de fonds propres, de capitaux nouveaux, d'argent des investisseurs publics et privés afin d'augmenter les chaînes de production, de se développer. D'ailleurs, on ira avec le ministre inaugurer une usine à Bergerac cet après-midi.

ADRIEN GINDRE
Donc les 5 milliards, ce sera à la fois de l'argent public et de l'argent privé ?

ÉRIC LOMBARD
Ce sera de l'argent public, de BPI FRANCE, de la Caisse des dépôts de l'Etat, mais de l'argent privé, nous avons besoin d'argent privé. Ce sont des entreprises privées. Il y a neuf très grandes entreprises françaises qui sont les têtes de file de ces grandes activités les avions, les missiles, le spatial.

ADRIEN GINDRE
C'est vrai qu'il y a beaucoup de PME.

ÉRIC LOMBARD
Il y a un grand nombre de PME. Il y a 4 000 PME qui ont besoin de capital et de prêts de financement.

ADRIEN GINDRE
Alors, Éric LOMBARD, très concrètement, ça fait plusieurs semaines qu'on se demande si l'épargne des Français va être mise à contribution pour financer cet effort. Quelle est la réponse ?

ÉRIC LOMBARD
Sur une base volontaire, beaucoup de Françaises et de Français vont vouloir souscrire des produits de défense. D'ailleurs, la Banque publique d'investissement de France va lancer un produit, pour 500 euros, vous pourrez devenir indirectement actionnaire des entreprises du secteur de la défense. Mais beaucoup de fonds privés que je ne peux pas citer sont aussi engagés. C'est pour celles et ceux qui le veulent. C'est un placement.

ADRIEN GINDRE
D'ailleurs, c'est pour bien comprendre. Vous nous dites, ce matin, un nouveau fonds va être créé pour que les Français puissent investir une partie de leur épargne qui servira pour la défense. Expliquez-nous cela.

ÉRIC LOMBARD
Un nouveau fonds va être créé par BPI France, les Français pourront, par l'étiquette de 500 euros, placer leur argent sur du long terme, parce que c'est du financement d'entreprise, mais je ne parle de BPI France parce que c'est une banque publique. Les grands réseaux bancaires, les grands réseaux d'assurance vont mettre à disposition d'autres fonds, des fonds purement privés pour que celles et ceux qui le souhaitent sur une base de volontariat. Et cela s'adresse évidemment à celles et ceux qui ont un peu d'épargne à long terme. Ce n'est pas comme le livret A, de l'argent qu'on peut placer et reprendre deux mois après, mais c'est très important d'associer l'ensemble des Françaises et des Français à cet effort. Et encore une fois, ce seront des bons placements parce que c'est une bonne et une mauvaise nouvelle. Mais nous devrons, dans la durée, augmenter notre effort de défense nationale.

ADRIEN GINDRE
Éric LOMBARD, vous dites comme le livret A. Le livret A, il a un taux fixe. On sait à l'avance combien on va gagner, c'est 2,4 %, en ce moment. Ces placements-là, ils seront rémunérés à combien ?

ÉRIC LOMBARD
Cela n'a aucune relation, si je puis dire. Le taux du livret A dépend d'une formule, d'ailleurs, qui dépend des taux à court terme, qui dépend de l'inflation. Les fonds du livret A, ils servent d'abord à financer le fond social. Ça, ça ne va pas bouger. Ils vont d'ailleurs servir à financer notre nouveau programme nucléaire. On est en train de financer un programme de six nouveaux réacteurs nucléaires. Ils peuvent financer, si les dirigeants de la Caisse des dépôts souscrivent des infrastructures de défense, par exemple, des casernes ou des infrastructures. Mais, là, on parle pour le financement des entreprises de défense, de fonds privés pour des entreprises.

BRUCE TOUSSAINT
Oui, mais pour le public ? Excusez-moi mais pour tous ceux qui nous regardent, qui se disent " Tient, oui, j'ai envie de participer à cet effort ". Il va bien falloir donner quelques informations supplémentaires. Est-ce que c'est trop tôt, c'est ce que vous nous dites, ce matin ?

ÉRIC LOMBARD
C'est en train de se mettre en place avec les ministres et les acteurs, mais très vite dans les réseaux, il y aura des…

BRUCE TOUSSAINT
Vous avez dit 500 euros, c'est quoi ? C'est le minimum, c'est le maximum, je n'ai pas bien compris.

ÉRIC LOMBARD
C'est le minimum.

BRUCE TOUSSAINT
Et le maximum, c'est combien ?

ÉRIC LOMBARD
Ce n'est pas encore décidé.

BRUCE TOUSSAINT
Ce sera quelques milliers d'euros.

ÉRIC LOMBARD
Quelques milliers d'euros.

ADRIEN GINDRE
Si je comprends bien ce que vous dites, Éric LOMBARD, c'est que, contrairement au livret A, où on gagne un taux fixe et un risque zéro, il n'y aura pas d'office et donc, du risque sur ce placement-là.

ÉRIC LOMBARD
Ce sont des placements de façon générale. Mais j'encourage les Français à investir plus dans l'économie parce que bien sûr, il y a du risque, mais ce sont des belles entreprises et en réalité, sur la longue durée, cela rémunère mieux l'épargne. Et donc, encore une fois, pour celles et ceux qui ont d'épargne et une fois préparés.

BRUCE TOUSSAINT
Combien de temps cela sera bloqué, combien de temps est-ce que… Cinq ans ?

ÉRIC LOMBARD
C'est bloqué pendant au moins cinq ans.

BRUCE TOUSSAINT
Au moins cinq ans.

ÉRIC LOMBARD
Puisqu'encore une fois, c'est du capital d'entreprise et donc, il faut que ces entreprises montent en régime de façon à ce qu'au bout d'un moment, on puisse retrouver sa liquidité.

ADRIEN GINDRE
Et vous attendez quel montant ? Vous disiez que le besoin total, c'est 5 milliards par ce fonds là, ça va vous rapporter combien ?

ÉRIC LOMBARD
Alors, ce fonds-là va être de 450 millions, donc, un-dixième du sujet. Mais d'autres entreprises privées, des fonds d'investissement, des banques vont proposer à leurs clients des produits adaptés.

ADRIEN GINDRE
Vous évoquiez le livret A. Dans les produits d'épargne, il y a aussi les assurances-vie, l'épargne-retraite. Est-ce que les assurances-vie et les épargnes-retraite pourront, demain, être mobilisées pour l'effort de défense ?

ÉRIC LOMBARD
Oui. Et encore une fois, ce sera la décision des clients, des Françaises et des Français, qui pourront souscrire ces produits. Mais s'ils ne le souhaitent pas, il y a tous les autres produits financiers qui, évidemment, continuent d'être distribués.

ADRIEN GINDRE
Et ce sera donc, l'objet de cette réunion, ce matin. Je voudrais qu'on en vienne à l'autre sujet très important qui vous concerne tout directement. C'est la question des retraites. Le conclave retraite continue théoriquement, chaque jeudi. Il se trouve qu'après le départ de Force ouvrière, de l'organisation patronale U2P, les artisans, hier soir, c'est la CGT qui a dénoncé une trahison de François BAYROU et qui dit se retirer. Est-ce que le conclave sur les retraites ce matin est caduque ?

ÉRIC LOMBARD
J'ai entendu Marylise LEON au téléphone, j'ai vu Patrick MARTIN. Il y a encore de très grandes organisations représentatives qui sont prêtes à continuer.

ADRIEN GINDRE
Là, vous dites CFDT, MEDEF sont toujours là, certes.

ÉRIC LOMBARD
Et d'autres.

ADRIEN GINDRE
Donc, le départ de la CGT ne change rien ?

ÉRIC LOMBARD
J'aurais préféré que la CGT reste. On savait depuis le début qu'ils hésitaient. Voilà, la décision est prise. Moi, je souhaite que cette réunion, ce dialogue continue. C'est la meilleure solution politique que les partenaires sociaux parviennent à un accord pour l'évolution de notre système de retraite dans la ligne indiquée par le Premier ministre, c'est-à-dire de rétablir l'équilibre des régimes.

ADRIEN GINDRE
Mais vous dites, que vous souhaitez que ce conclave continue. Est-ce que vous considérez qu'il a encore du sens et qu'il peut encore aboutir ? Quand on a ni la Force ouvrière, ni la CGT ni l'U2P déjà pour le moment et que la CFDT, je le précise, dit qu'il faut fermer ce conclave-ci pour en rouvrir un autre avec d'autres règles ?

ÉRIC LOMBARD
Ça peut être une réflexion d'ailleurs intéressante, élargir le mandat de ce conclave, parce que nous avons un problème d'équilibre de l'ensemble de nos financements.

ADRIEN GINDRE
Donc, vous dites oui à l'idée de la CFDT ?

ÉRIC LOMBARD
L'idée de la CFDT me paraît très intéressante. C'est Catherine VAUTRIN qui est en charge de cette affaire-là. Mais ça me paraît une idée intéressante. Moi, je pense que ce conclave a toute légitimité pour continuer à travailler. Et j'irai même plus loin. Je pense qu'un accord est possible, les organisations qui se sont éloignées pourront revenir à la table si cet accord leur convient. En tout cas, c'est très important de faire vivre la démocratie sociale dans notre pays. J'y suis très attaché.

ADRIEN GINDRE
Vous avez raison, Éric LOMBARD, de dire que c'est la ministre du Travail, Catherine VAUTRIN, qui est en charge. Mais je vous interroge aussi parce que vous êtes celui qui a contribué à éviter la censure du Gouvernement en ramenant les socialistes à la table des discussions. Il se trouve qu'Olivier FAURE, le patron du PS, a dénoncé une trahison de François BAYROU, hier, sur l'antenne de LCI. Est-ce que vous voyez désormais arriver la motion de censure ? Est-ce que vous voyez se profiler à la chute du Gouvernement ?

ÉRIC LOMBARD
On est dans une période extrêmement difficile sur beaucoup de fronts. On a parlé des sujets de sécurité. On a le sujet des tarifs avec les États-Unis. Moi, je pense qu'il faut qu'on reste tous concentrés. J'entends ce que dit Olivier FAURE dans sa responsabilité.

ADRIEN GINDRE
Vous le dites pour le Premier ministre, qui lui-même, a fermé la porte en disant que le retour à 62 ans n'était pas possible.

ÉRIC LOMBARD
Les partenaires sociaux ont mandat de proposer les solutions de leur choix. Moi, je dis dans la gravité du temps, il faut que ce débat se poursuive. Il faut que chacune et chacun, dans ses responsabilités, continuent à travailler. Et je remercie d'ailleurs les partenaires sociaux qui continuent à travailler aujourd'hui.

ADRIEN GINDRE
Éric LOMBARD, est-ce que ça veut dire que pour vous, le conclave peut, oui ou non, remettre en cause l'âge légal de départ à 64 ans ?

ÉRIC LOMBARD
Le seul mandat du conclave, comme vous continuez à l'appeler, c'est de parvenir à l'équilibre en 2030. Et donc, sur les questions d'âge, leur liberté est totale. Et ceux qui décideront aura beaucoup d'autorité politique.

BRUCE TOUSSAINT
Donc vous nous dites, ce matin... Pardonnez-moi. Je sais que chaque mot est important, notamment dans une concertation. Mais pour être parfaitement clair, si on retourne le truc, le Gouvernement dit « Ça continue ». C'est ce que je comprends ce matin. Le Gouvernement…

ÉRIC LOMBARD
J'en ai évidemment parlé avec le Premier ministre. Catherine VAUTRIN, souhaite que ça continue.

BRUCE TOUSSAINT
Oui, mais souhaite... Ou est-ce que ça continue ? Est-ce que là, il y a des discussions qui sont prévues ? Il y a un rendez-vous…

ÉRIC LOMBARD
Oui, c'est prévu aujourd'hui.

BRUCE TOUSSAINT
La réunion a lieu.

ÉRIC LOMBARD
Le Gouvernement ne participe pas à ces réunions.

BRUCE TOUSSAINT
Enfin vous êtes un peu organisateur, quand même.

ÉRIC LOMBARD
Oui. Je pense que ça continue, je le souhaite, je l'espère. Je ne peux pas l'assurer, parce que le rendez-vous est prévu aujourd'hui. J'espère qu'il aura lieu.

BRUCE TOUSSAINT
Et vous me permettez une dernière question, juste comme ça, un peu de bon sens. Le Premier ministre dit non à 62 et 63.

ÉRIC LOMBARD
Vous devriez participer à la réunion. Je suis sûr que ça serait…

BRUCE TOUSSAINT
Non mais vous, qu'est-ce que vous en pensez ?

ÉRIC LOMBARD
Moi, je me suis interdit de rentrer dans cette négociation. Je la suis. Je dialogue avec l'ensemble des parties prenantes avec beaucoup de plaisir, parce qu'ils sont tous très engagés. Et ce sera très bien, parce que je suis convaincu que ça va réussir.

BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup, Éric LOMBARD. Merci, Adrien GINDRE. On va se retrouver dans quelques instants pour parler de l'un des plus grands mystères de l'histoire du XXe siècle.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2025