Déclaration de M. Patrick Mignola, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement, sur "les conséquences de la dissolution sur notre démocratie", à l'Assemblée nationale le 26 mars 2025.

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Intervenant(s) : 
  • Patrick Mignola - Ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement

Circonstance : Débat demandé par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Les conséquences de la dissolution sur notre démocratie, du non-respect des résultats des élections législatives par le président de la République et de la nécessité de convoquer une assemblée constituante pour rédiger la Constitution de la VIe République".

M. Pierre Henriet
Rien que ça !

M. le président

Ce débat a été demandé par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire. Conformément à l'organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d'abord les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
J'invite tous les députés, ainsi que le ministre, à limiter autant que possible la durée de leurs interventions pour que nous puissions clore ce débat avant vingt heures.

(…)

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Je salue les orateurs qui se sont succédé à la tribune. Je tâcherai de tenir des propos aussi nuancés que les leurs. Je m'en tiendrai à deux rappels et formulerai plusieurs propositions destinées à améliorer notre vie démocratique.
Mon premier rappel concerne la légitimité de la dissolution : nul n'ignore que dissolution et censure sont les deux clés qui font que nous ne sommes pas dans un régime présidentiel mais bien dans un régime parlementaire.

Mme Mathilde Panot
Sauf que le président n'a pas consulté les présidents des deux chambres avant de dissoudre !

M. Benjamin Lucas-Lundy
Demandez à M. Larcher ce qu'il en pense !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Si seule la censure pouvait être décidée, nous serions confrontés à une forme d'absolutisme parlementaire.

Mme Mathilde Panot
On en est loin !

M. Pierre-Yves Cadalen
Vous oubliez que le président n'est pas responsable devant le Parlement !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Or, comme l'écrivait Lord Acton, si "le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument". Nous devons donc organiser l'équilibre entre les pouvoirs.
Mon deuxième rappel concerne l'interprétation des résultats des législatives : tentons autant que faire se peut de sortir de la dystopie dans laquelle le NFP se fait voler sa victoire. Le vice-président Iordanoff rappelait à juste titre il y a quelques minutes que personne n'a gagné les élections.

Mme Mathilde Panot
Si, si !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Lorsqu'aucune force n'obtient de majorité absolue au sein de l'Assemblée, il est nécessaire de procéder à des alliances, de trouver des compromis, de former des coalitions.

M. Benjamin Lucas-Lundy
En 2022, vous n'aviez pas de majorité absolue mais vous aviez gouverné quand même !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Au lieu de cela, nous avons entendu les représentants du NFP prononcer une phrase, toute simple, qui excluait toute recherche d'alliance ou de compromis : "Le programme, tout le programme, rien que le programme."

Mme Mathilde Panot
Le programme aurait fait l'objet d'une discussion parlementaire, nous l'avons répété maintes et maintes fois !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Le bloc central a trouvé quant à lui un compromis et réussi à former une alliance électorale…

Mme Mathilde Panot
Avec le RN !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… avec le groupe Droite républicaine. Il en est résulté – en l'espèce, seule l'arithmétique fait foi – 211 députés pour le bloc central associé au groupe DR,…

M. Benjamin Lucas-Lundy
Bayrou et Wauquiez s'adorent, c'est bien connu !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… 192 députés pour le NFP et 139 pour le RN allié à l'UDR. La présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a ainsi été élue au perchoir avec 220 voix…

Mme Mathilde Panot
Grâce aux voix des ministres démissionnaires, une première sous la Ve République !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… tandis qu'André Chassaigne, que je salue à nouveau, malgré ses éminentes qualités, n'en obtenait que 207, et Sébastien Chenu 141.
Nous ne parviendrons pas à nous accorder…

M. Pierre Henriet
Pas ce soir !

Mme Mathilde Panot
En effet !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… sur la nécessité de convoquer une constituante, de bouleverser les institutions et de créer une nouvelle république. En tout cas, pas ce soir. (Sourires.)

M. Benjamin Lucas-Lundy
Vous êtes pessimiste !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Je voudrais néanmoins énoncer, au nom du Gouvernement, quelques pistes d'amélioration de notre vie démocratique. Emprunter ce chemin est peut-être plus difficile que de chercher à tout casser…

M. Pierre-Yves Cadalen
Ce n'est pas ce que nous voulons !

Mme Mathilde Panot
… pour tout reconstruire ensuite, avec tous les risques d'instabilité que cela induirait. Comment améliorer, moderniser, amener notre vie démocratique – qui en a besoin – à maturité ?
Arrêtez de réprimer vos opposants et d'éborgner les gilets jaunes, par exemple !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Pour répondre à cette question, je me suis inspiré des nombreux travaux conduits par l'Assemblée nationale ces dix dernières années : sur les conditions de vote, la démocratie participative et les modes de scrutin, nous pourrions déjà travailler ensemble pour améliorer ce qui est, avant de réfléchir à ce qui pourrait être.
Sur les conditions de vote, des travaux de l'Assemblée, souvent relayés par le Sénat, ont concerné un premier sujet : les électeurs mal inscrits sur les listes électorales, empêchés de voter dans de bonnes conditions ; plusieurs centaines de milliers de nos compatriotes sont dans ce cas.

Mme Mathilde Panot
Vous n'organisez plus de campagnes d'inscription ! Vous n'avez rien fait pour remédier à cette situation !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Deuxième sujet : le vote par correspondance. La France est l'un des derniers pays à ne pas le pratiquer. Dans tous les grands comités d'entreprise, qui représentent des milliers de salariés et disposent parfois d'un budget de plusieurs dizaines de millions d'euros, le vote par correspondance est utilisé sans qu'aucune fraude n'ait jamais été relevée.
Troisième sujet relatif aux conditions de vote : l'accessibilité pour les personnes âgées ou handicapées, mais également pour les détenus – dans quelles communes ces derniers peuvent-ils voter ? Je pourrais aussi citer d'autres travaux parlementaires intéressants, sur le droit de vote dès 16 ans ou la reconnaissance du vote blanc, par exemple.

Mme Mathilde Panot
Faites-le, nous sommes d'accord !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
J'en viens au thème de la démocratie participative. Si nous voulons revitaliser, améliorer et moderniser notre vie démocratique – comme vous il m'arrive de le souhaiter –, il faut poursuivre le travail de la députée Pochon sur les cahiers de doléances. Je me réjouis que le Gouvernement envisage de rouvrir ces cahiers et d'utiliser les travaux réalisés lors du grand débat national ; cette forme de démocratie participative n'avait jamais été testée auparavant dans le pays.
Citons aussi les conventions citoyennes. Celle sur la fin de vie – les deux textes sur le sujet seront examinés au mois de mai – a permis d'avancer et de désenflammer le débat. Sur un sujet aussi particulier, ses travaux permettront aux parlementaires de s'exprimer sans crainte.

Mme Mathilde Panot
Faut-il rappeler que vous avez jeté à la poubelle 90 % des propositions de la Convention citoyenne pour le climat ?

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Bien qu'elle ait donné lieu à davantage de polémiques, je citerai également la Convention citoyenne pour le climat. On peut reprocher au président de la République d'avoir utilisé des jokers,…

M. Benjamin Lucas-Lundy
Ce n'est pas un jeu ! Il y va de l'avenir de l'humanité !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… dès lors que la Convention proposait des modifications de la Constitution susceptibles de déstabiliser notre cadre juridique. Toutefois, des dispositifs comme le ZAN – objectif zéro artificialisation nette – ou les ZFE – zones à faibles émissions –, bien qu'ils soient aujourd'hui controversés, sont issus de ses travaux. La Convention citoyenne pour le climat a donc incontestablement permis d'éclairer les travaux du Parlement et de moderniser les politiques écologiques.
Enfin, la démocratie participative recèle des trésors…

M. Julien Limongi
Surtout le référendum !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… sur lesquels nous n'insistons pas assez, bien qu'ils aient été testés et améliorés sur le terrain. Je pense aux référendums locaux organisés par les maires, trop souvent prisonniers de leur forme uniquement consultative. Horizontaliser notre vie démocratique passe par un retour au peuple : que ce dernier participe à la décision locale comme nationale permettrait évidemment de faire progresser la démocratie.

M. Matthias Renault
Instaurez les RIC !

Mme Mathilde Panot
Soumettez l'abrogation de la retraite à 64 ans au référendum !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Nous pourrions également explorer la possibilité de recourir à des référendums à questions multiples, ce qui serait inédit en France. Tous ces chantiers ont été ouverts par l'Assemblée ou pourront l'être prochainement si vous le décidez – c'est en tout cas mon souhait et celui du Gouvernement.
D'un mot, sachez que les contours de la banque de la démocratie souhaitée par le Gouvernement seront prochainement précisés et qu'elle jouera un rôle clé dans le financement de campagnes électorales indépendantes et protégées des ingérences étrangères.
Le député Castellani évoquait l'autonomie de la Corse : nous devrons explorer les voies constitutionnelles pour y parvenir, comme le Gouvernement s'y est engagé, avec un calendrier précis.
S'agissant des modes de scrutin, vous examinerez ces prochaines semaines des textes importants. L'un concerne les élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants ; il tend à faire en sorte que le scrutin de liste soit pleinement paritaire dans 80 % des communes, ce qui – anomalie démocratique – n'est pas encore le cas. L'autre est une réforme de la loi Paris-Lyon-Marseille (PLM) de 1982. Pourquoi les habitants de ces trois villes n'auraient pas le droit de choisir leur maire comme les autres citoyens français ?
J'en viens au scrutin législatif évoqué par plusieurs d'entre vous : dans sa déclaration de politique générale, le premier ministre a annoncé vouloir instaurer une part de proportionnelle. Ce sujet est fondamental. Le Parlement n'a jamais eu autant de pouvoir qu'aujourd'hui. (Mme Mathilde Panot s'esclaffe.) Il n'a jamais eu autant de pouvoir, précisément parce qu'il n'a pas de majorité absolue !

Mme Mathilde Panot
Vous oubliez les 49.3 sur la réforme des retraites et sur les projets de loi de finances ! On ne vote plus les budgets depuis trois ans !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
En l'absence de majorité absolue, l'exécutif ne peut pas compter sur le fait que les textes qu'il met à l'ordre du jour de l'Assemblée en ressortiront sans aucune modification ou presque. Vous exercez votre pouvoir législatif et cet apprentissage est parfois difficile…

Mme Mathilde Panot
Vous avez fait passer en force la retraite à 64 ans alors que tous les syndicats s'y opposaient !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Vous pourriez profiter de la situation actuelle, dans laquelle le Gouvernement privilégie les propositions de loi aux projets de loi, afin de progresser, d'améliorer le quotidien des Français, de répondre à leurs attentes. Malheureusement, bien que l'absence de majorité absolue nous oblige à en trouver, nous n'avons pas la culture du compromis. Dès lors, nous ne parvenons pas toujours à constituer des majorités projet par projet, et il arrive que certains ralentissent les débats en multipliant les amendements.

Mme Mathilde Panot
Il ne faudrait pas que la démocratie prenne trop de temps !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Lors des semaines de l'Assemblée, sont mis à l'ordre du jour des textes transpartisans très intéressants ; d'autres sont tellement aseptisés qu'ils ne servent plus les intérêts du plus grand nombre.

Mme Mathilde Panot
Ce sont les seules semaines où l'on peut voter !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Nous devons tous progresser. Il faudra bien accepter un jour qu'il y ait cinq, six, sept sensibilités différentes dans le pays, et que chacune soit représentée dans l'hémicycle,…

Mme Mathilde Panot
Vous devrez bien accepter un jour que vous avez perdu !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… avec des députés dotés de la responsabilité, de la modernité, de la maturité nécessaires pour trouver les voies et moyens d'une entente permettant de construire et d'avancer collectivement. Pour cela, il faudrait que les députés ne soient plus désignés au scrutin majoritaire mais au scrutin proportionnel…

M. Jérémie Iordanoff
Intégral !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Il nous faudra une meilleure représentation. Un électeur de gauche à Neuilly-sur-Seine et un électeur de droite à Saint-Denis doivent être assurés que leur bulletin de vote est susceptible de compter.
Lorsqu'on se présente à une élection et qu'on s'attend à ne pas siéger au sein d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale, c'est qu'a priori on a la volonté de rechercher la discussion et les compromis avec ceux qui pensent différemment.

Mme Mathilde Panot
Vous ne recherchez aucun compromis ! Vous piétinez l'Assemblée nationale !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
C'est cette modification de la culture démocratique française qui nous permettra d'avancer dans les années qui viennent, et d'éviter que les marges de manœuvre de l'exécutif s'épuisent au bout de dix-huit mois.
Avec le quinquennat combiné à l'inversion du calendrier électoral depuis 2002, des majorités absolues se dégagent. On pense que ce système est très utile et qu'il permet au président de la République de s'appuyer sur une majorité absolue à l'Assemblée nationale et de faire ainsi avancer la France pendant cinq ans, mais ce n'est pas vrai : au bout de dix-huit mois, quand le contre-pouvoir n'est pas assuré à l'Assemblée nationale, il se constitue dans la rue par l'intermédiaire de crises sociales ou sous la forme d'une opinion publique qui finit par servir de butée.

M. Julien Limongi
La majorité peut aussi être décevante !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Je ne suis pas de ceux qui croient que l'amour dure trois ans, je pense qu'il peut durer plus longtemps. Et je suis persuadé qu'un quinquennat ne peut pas durer dix-huit mois si l'on veut faire avancer un pays. Je m'efforce donc de travailler avec vous afin que, dans les mois qui viennent, nous progressions et que, à défaut d'une nouvelle république, nous inventions une nouvelle pratique de celle-ci. Ainsi, plutôt que de chercher à délégitimer les institutions…

Mme Mathilde Panot
C'est vous qui les délégitimez ! Vous êtes en train de détruire la démocratie !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… parce qu'elles sont dirigées par des personnes auxquelles vous êtes opposés, vous pourriez rechercher avec nous les voies et moyens qui permettront demain, même lorsqu'on est foncièrement opposé aux dirigeants du pays, de contribuer à des décisions d'intérêt général, au service des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)

M. Pierre-Yves Cadalen
Essayez le nom "Ensemble pour la VIe République" !

M. le président
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Carlos Martens Bilongo.

M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NFP)
Au soir du dimanche 9 juin 2024, le président de la République Emmanuel Macron a appuyé sur le bouton de la dissolution. Grâce ou en dépit des pouvoirs que lui confère la Ve République, il a dissous l'Assemblée nationale. Notre pays souffre d'une faible confiance envers ses représentants politiques : la participation électorale varie entre 40 %, lors des municipales, et 80 %, lors des présidentielles.
À la suite des élections européennes et de la dissolution, une question s'est posée : quelle était la véritable intention d'Emmanuel Macron ? En vérité, il entendait installer l'extrême droite à Matignon.

Mme Mathilde Panot
Évidemment !

M. Carlos Martens Bilongo
C'était sans compter sur la mobilisation populaire. Les Françaises et les Français se sont déplacés en masse pour faire barrage aux idées de la droite extrême. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Le Nouveau Front populaire, les organisations syndicales et de jeunesse, les associations et la société civile de gauche ont déjoué les vingt-sept instituts de sondage qui annonçaient le Rassemblement national au pouvoir, comme Macron le souhaitait. (Mme Mathilde Panot applaudit.) Ainsi, 66 % des Français ont voté au second tour des législatives du 7 juillet, soit une augmentation du taux de participation de plus de 20 points par rapport aux élections législatives de 2022, où il s'élevait à 46 %.
Qu'a fait alors le président de la République ? Il a immobilisé le pays en profitant des Jeux Olympiques. Il a réalisé des consultations à l'Élysée pour imposer un gouvernement illégitime et un premier ministre sans programme, qui n'avait même pas fait campagne pendant les législatives. Il s'agit d'un vol et d'un déni démocratiques qui visent à démobiliser l'électorat populaire opposé à l'extrême droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Après la fausse majorité Barnier, vous avez créé le bric-à-brac Bayrou : des ministres en campagne pour le congrès des Républicains, sans soutien des parlementaires.
Il faut directement passer à la VIe République, pour donner un véritable pouvoir au Parlement, pour garantir le vote du budget et pour éviter que les Français ne se fassent voler deux ans de vie par une réforme des retraites qui n'a même pas été votée à l'Assemblée nationale, sans parler du semblant de conclave dont la seule fonction est d'éviter une censure. (Mêmes mouvements.) Tout ceci ne profite pas à la démocratie et contribuera à en éloigner nos concitoyens en les décourageant d'aller voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Nous pouvons nous opposer sans nous inventer réciproquement des intentions. En l'occurrence, pour fonder vos critiques, vous prêtez des intentions au président de la République et au Gouvernement.

Mme Mathilde Panot
C'est une demande du RN, la dissolution !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Entre le programme que vous défendiez aux élections législatives et que vous continuez de défendre dans cet hémicycle, et le programme du Gouvernement, il peut y avoir des différences fondamentales. Il n'est donc pas besoin d'inventer ou de réécrire des scénarios pour consolider votre position : vous êtes légitimes à vous opposer, nous le reconnaissons absolument, et je crois que nous sommes également légitimes à gouverner. C'est la beauté de la démocratie.

M. Pierre-Yves Cadalen
Avec quel programme ?

M. le président
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir.

Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP)
La Ve République est un régime monarchique qui méprise le peuple. Emmanuel Macron a piétiné le résultat de l'élection démocratique parce qu'il ne lui convenait pas. Sous la Ve République, une fois le monarque élu, il impose ce qu'il veut à la population en prétendant être "responsable et raisonnable" – sous-entendant que les Français ne le sont pas. Ainsi, lors de la réforme des retraites que plus de 70 % des Français rejetaient, Mme Borne claironnait, pour défendre son 49.3, que cette réforme était "nécessaire" et qu'il s'agissait d'un choix de "responsabilité". Or, dans une démocratie fonctionnelle, c'est le peuple qui décide ce qu'il est responsable de faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Dans une démocratie fonctionnelle, ses décisions seraient appliquées, son vote respecté et l'intérêt général placé au cœur des décisions.
À l'heure de la sixième extinction de masse, alors que chaque été est le plus chaud jamais enregistré, qu'il n'y a plus de doute sur les liens entre pollution et dégradation de la santé humaine, que les catastrophes naturelles se multiplient sur notre sol, il est plus que jamais responsable de préserver les conditions de vie sur la planète. Soit l'inverse exact de ce qui se passe sous la présidence Macron : de projet de loi industrie verte en projet de loi de simplification de la vie économique, c'est le droit de l'environnement qui se trouve systématiquement attaqué et qui ressort toujours plus affaibli. (Mêmes mouvements.)
La VIe République, c'est la possibilité de consacrer de nouveaux droits, comme la nécessaire règle verte : ne pas prendre plus à la planète qu'elle ne peut régénérer. C'est respecter la volonté citoyenne et empêcher qu'un monarque présidentiel méprise les recommandations d'une convention citoyenne pour le climat, comme l'a fait Macron. (Mêmes mouvements.) Une telle République respecterait l'État de droit, ne ferait pas passer en force des projets écocidaires au mépris des principes environnementaux constitutionnels et législatifs, des populations locales, des scientifiques et même des décisions de justice, comme vous tentez de le faire avec l'autoroute A69. (Mêmes mouvements.) Elle ne permettrait pas la répression violente et aveugle de citoyens qui se battent pour préserver le vivant.
La règle verte et le droit des générations futures à vivre doivent constituer la boussole des politiques publiques. En juillet 2024, les élections législatives ont placé en tête les forces de gauche,…

M. Pierre Henriet
C'est faux, on vous l'a dit !

Mme Anne Stambach-Terrenoir
… qui défendaient un projet écologique. Pourtant, nous avons aujourd'hui un gouvernement qui cède aux sirènes de l'extrême droite et pratique le déni écologique. Votre irresponsabilité a assez duré. Il faut convoquer une Assemblée constituante et passer à la VIe République. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Je partage votre conscience de l'urgence écologique.

Mme Anne Stambach-Terrenoir
Ah !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Est-ce que, dans ces conditions, vous ne gagneriez pas du temps – puisque le problème est urgent – à déposer une proposition de loi, voire une proposition de loi constitutionnelle, visant à instaurer la règle verte ?

M. Jérémie Iordanoff
Vous la voteriez ?

Mme Mathilde Panot
Si vous saviez le nombre de propositions de loi que nous avons déposées !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Ainsi fonctionne le Parlement et je ne peux que vous inviter à le faire. Si les choses sont urgentes, pourquoi passer par une Assemblée constituante, qui nous engagerait pour six à douze mois de travaux ? Réfléchissons plutôt à la définition de la règle verte et à son inscription dans la loi, et cherchons s'il est possible de trouver une majorité à l'Assemblée nationale en sa faveur.

M. Benjamin Lucas-Lundy
Vous y seriez favorable ?

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Je suis sûr qu'on pourrait faire un très bel apprentissage sur un tel sujet, qui touche à l'intérêt général et à l'intérêt supérieur des générations futures, afin qu'ensemble nous trouvions peut-être des compromis.

Mme Anne Stambach-Terrenoir
Vous la soutiendrez ?

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Je suis prêt à y travailler !

M. le président
La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli (SOC)
Ce débat est intéressant et mériterait de recueillir l'attention d'un plus grand nombre de députés. Le refus du président de la République de désigner un premier ministre issu de la coalition arrivée première, en nombre de députés, aux élections législatives de juin et juillet 2024 a mis en évidence le fait que le président entendait sortir de son rôle d'arbitre pour donner un coup de pouce à une autre coalition. Il a influencé le résultat par l'exercice de sa prérogative constitutionnelle.
D'après certains juristes spécialistes des institutions, le choix du premier ministre devrait émaner de l'Assemblée nationale. Dans les autres régimes parlementaires, le chef de l'État charge le chef du parti et de la coalition arrivée en tête aux élections législatives de former un gouvernement. Celui-ci doit ensuite démontrer qu'il est en capacité d'obtenir une majorité – les déclarations médiatiques ne suffisent pas.
Monsieur le ministre, vous avez appelé à une évolution de la culture parlementaire française. En 2022, la commission des lois avait débattu d'une proposition de loi visant à un meilleur équilibre des pouvoirs sous la Ve République. Celui-ci passe par la correction du texte constitutionnel et par la modification de l'article 8 de la Constitution, afin que le premier ministre soit investi par l'Assemblée nationale préalablement à sa nomination par le président de la République.
Selon l'article 20 de la Constitution, le premier ministre "est responsable devant le Parlement". Il est logique qu'il soit investi par l'Assemblée nationale et qu'il puisse, en contrepartie, renvoyer les députés devant les électeurs en cas de différend persistant ou récurrent. Le Gouvernement entend-il conduire une réflexion en ce sens ? Une réforme constitutionnelle visant in fine à rééquilibrer les pouvoirs constitutionnels et à éviter l'hyperprésidentialisation sera-t-elle envisagée ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Nous partageons des convictions communes à ce sujet. Pour avoir aussi siégé dans cet hémicycle durant la XVe législature, je sais combien cette question illustre la difficulté à se départir de l'idée selon laquelle le Gouvernement doit nécessairement prendre l'initiative. Je vous ferai une confidence : à ce jour, le Gouvernement ne dispose pas d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. (Sourires.)

M. Benjamin Lucas-Lundy
Mince ! Sans blague !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Tout comme le groupe La France insoumise pourrait demain déposer une proposition de loi constitutionnelle relative à l'écologie, le groupe socialiste pourrait déposer une proposition de loi constitutionnelle tendant à réécrire l'article 8 de la Constitution, et nous ne serions pas opposés à vous laisser rechercher une coalition en sa faveur.

M. Benjamin Lucas-Lundy
Ah, c'est sympa !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Nous devons inverser notre schéma mental : alors que nous avons désormais des gouvernements qui s'appuient sur des majorités relatives, voire très relatives, ce qui les conduit, pour faire aboutir un texte, à déborder de leur socle central,…

M. Pierre-Yves Cadalen
Un socle friable !

M. Jérémie Iordanoff
En ce moment, il déborde surtout par là-bas (désignant les bancs du RN) !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… j'invite les groupes d'opposition à adopter la même démarche. En tant que ministre des relations avec le Parlement, je m'engage à ce qu'il n'y ait aucun a priori de la part des forces politiques qui soutiennent le Gouvernement à l'égard de votre proposition de loi et à vous accompagner dans ce travail.

M. le président
La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli (SOC)
Dans un rapport de la commission des affaires européennes, mon corapporteur et moi-même nous sommes étonnés de la difficulté d'obtenir certaines informations recueillies par le Gouvernement auprès de la Commission européenne. Dans ce document, nous appelons le Gouvernement à une plus grande transparence sur les négociations au niveau européen et à une communication régulière au Parlement des documents de travail émanant des institutions européennes ou des négociations conduites avec celles-ci ou avec d'autres États membres. Nous considérons que l'appréciation du caractère utile ou non de ces documents doit revenir exclusivement au Parlement. Ainsi la Loi fondamentale allemande prévoit-elle à l'article 23, alinéa 2, que "le Bundestag et les Länder par l'intermédiaire du Bundesrat concourent aux affaires de l'Union européenne. Le Gouvernement fédéral doit informer le Bundestag et le Bundesrat de manière complète et aussi tôt que possible."
Les parlements nationaux devraient par ailleurs être mieux associés aux décisions de l'Union européenne en matière budgétaire et financière, et probablement aussi en matière de défense, au moment où l'Union européenne entend changer d'approche dans ce domaine. Une conférence interparlementaire a été évoquée : elle permettrait de mieux coordonner le travail des parlements nationaux.
Ma question est double : le Gouvernement entend-il modifier la Constitution dans le sens d'une information systématique et complète du Parlement ? S'engage-t-il, en outre, à mener une concertation avec les autres gouvernements afin de mieux associer les parlements nationaux à l'examen de sujets essentiels tels que l'équilibre budgétaire et la défense commune ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
S'agissant de la conférence interparlementaire, comme vous l'avez sans doute observé, une coalition est en train de se constituer en Allemagne autour du futur chancelier Merz, et plusieurs réunions bilatérales sont programmées.
Une nouvelle conférence interparlementaire aura probablement lieu en mai ou en juin : elle devrait nous permettre d'évoquer la mise à disposition d'un certain nombre de documents que les gouvernements, dans d'autres pays de l'Union, communiquent beaucoup plus facilement à leurs parlements nationaux, cette décision relevant exclusivement de la compétence gouvernementale.
La France est engagée, aux côtés de soixante-treize autres pays dans le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO). Le premier objectif du plan d'action 2024-2026 du PGO est de permettre aux élus des démocraties représentatives, ainsi qu'à leurs citoyens, d'accéder à la documentation, sur le modèle de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA).
Je m'engage à ce qu'il soit possible de mettre à disposition un certain nombre de documents, en veillant à respecter une analogie avec le droit de l'Union européenne, sans qu'il soit nécessaire d'en passer par une proposition de loi constitutionnelle. Je vous communiquerai prochainement les différents éléments de ce plan d'action et j'entends bien saisir le Parlement sur les objectifs du PGO. D'autres initiatives existent en matière de démocratie participative et de redevabilité – autrement dit la question du suivi, par les citoyens, de la bonne application des lois.

M. le président
La parole est à M. Benjamin Lucas-Lundy.

M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS)
Les électeurs de Mantes-la-Jolie ont été très nombreux à se mobiliser pour les législatives – certains pour la première fois. Qu'allez-vous répondre à Fatima, Marcel, Jean-Claude, Lucie, Louise ou Micheline qui, au premier tour, m'ont apporté leurs suffrages pour vous battre – battre la Macronie, dans le sillage de la réforme des retraites décidée par Élisabeth Borne – et à qui le premier ministre explique désormais qu'on ne touchera pas au départ à 64 ans, alors que vous avez perdu les élections et que vous êtes, dans cet hémicycle, en minorité absolue ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Pierre Henriet s'exclame.)
Qu'allez-vous répondre à ces électrices et à ces électeurs qui, au second tour, m'ont également apporté leurs suffrages, comme à une majorité d'entre nous ici, pour faire barrage à l'extrême droite et pour empêcher que ne prenne corps dans ce pays le projet rance et raciste de Mme Le Pen et de M. Bardella, et qui se retrouvent avec M. Retailleau au banc des ministres (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP), lui qui reprend les thèmes et les termes de l'extrême droite ? Qui se retrouvent avec M. Valls, lui qui explique que le monde arabo-musulman serait, en France, responsable de l'antisémitisme et de sa montée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

Mme Mathilde Panot
Exactement !

M. Benjamin Lucas-Lundy
J'aimerais que vous leur répondiez quand ils essayent d'apprendre à leurs enfants à respecter les règles à l'école et que ces derniers voient, au journal télévisé, le président du Sénat – ce n'est pas rien dans notre démocratie – expliquer que le président de la République ne l'a pas consulté, ainsi que la Constitution l'exige, avant de dissoudre l'Assemblée nationale.
J'aimerais savoir comment vous vous y prendriez, dans ce moment où, partout, la démocratie vacille – regardons ce qui se passe dans ces pays qui sont, ou qui furent, de grandes démocraties –, pour leur expliquer que la démocratie est encore ce qui nous protège ; pour leur expliquer qu'il faudra aller voter demain et changer ainsi notre destin collectif et individuel – quand vous avez justement trahi cette promesse démocratique et républicaine.
Ici, on ne joue pas. Ici, on ne fait pas du théâtre. Nous sommes là pour honorer un mandat qui nous a été confié par les électrices et les électeurs. Comment leur faire comprendre cela alors que vous siégez au banc des ministres, vous qui avez été battu aux élections législatives ? À quel moment arrête-t-on de mépriser nos concitoyens avec des gouvernements de minoritaires, dirigés par des représentants de groupes marginaux – M. Barnier et après lui M. Bayrou ? Quand respectera-t-on la démocratie et nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)

Mme Mathilde Panot
Bravo ! Excellent, monsieur Lucas-Lundy !

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Ce que je pourrais répondre à vos électeurs du premier tour qui vous ont permis de faire barrage, au second tour, au candidat qu'ils souhaitaient éliminer ? Exactement ce j'ai dit aux électeurs de la circonscription de Chambéry, qui m'ont élu à neuf reprises avant que je ne sois battu à la dixième par votre collègue Jean-François Coulomme : il fallait voter pour lui, afin de faire barrage à l'extrême droite. Il n'est pas pour autant celui qui cherche le plus le compromis avec le Gouvernement.
Dans un monde politique multipolaire, on ne gagne jamais seul. Dès lors qu'il est nécessaire d'additionner un certain nombre de voix pour éliminer ceux dont on ne veut pas au second tour, chaque député élu par une coalition d'électeurs a vocation à travailler avec les autres, dans un esprit d'ouverture, pour faire avancer le pays dans le bon sens.

Mme Mathilde Panot
Et sur la présence de M. Retailleau au Gouvernement ?

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Nous ne sommes pas obligés de nous retrouver sur ce constat, mais c'est celui qui m'anime.

M. Pierre-Yves Cadalen
Et M. Retailleau ?

M. le président
La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani (LIOT)
L'un des chantiers que nous ne pourrons pas contourner est celui du développement durable – je l'évoquai tout à l'heure à la tribune. Nous devons diminuer l'empreinte de nos activités sur les milieux naturels. On pourrait évoquer à ce sujet les interminables débats autour de l'objectif ZAN. Chaque année, en France, l'artificialisation fait disparaître, en moyenne, 25 000 hectares d'espaces naturels. S'ils comprennent l'intérêt de protéger ce patrimoine, les élus locaux sont nombreux à déplorer le caractère mécanique du dispositif. La commission des affaires économiques du Sénat a ainsi adopté, le 19 février dernier, une proposition de loi visant à assouplir son application, estimant hors d'atteinte l'objectif d'une réduction de moitié du rythme de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d'ici à 2031.
Ces restrictions sont regrettables si l'on considère l'importance de la protection des milieux naturels. Ne faudrait-il pas, à tout le moins, mieux adapter les lois aux réalités locales, qui sont en France si diverses et inégales ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
J'ai cru déceler, dans ce plaidoyer pour une meilleure différentiation de la norme, l'idée qu'une adaptation des lois au territoire corse en serait une excellente illustration. Le Gouvernement a repris à son compte le calendrier établi lors de l'initiative dite processus de Beauvau. L'Assemblée nationale a déjà travaillé il y a quelques années sur cette notion de différentiation, si bien que nous pouvons avancer par des voies constitutionnelles, sous le contrôle du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel, vers de possibles adaptations de la norme ou de la disposition législative aux particularités locales – s'agissant d'une île-montagne à caractère méditerranéen, cette particularité me semble suffisamment caractérisée.

M. le président
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.

Mme Soumya Bourouaha (GDR)
Le dernier baromètre de la confiance politique du Cevipof est sans appel : 31 % des Français considèrent que le Gouvernement est légitime. Ce chiffre, à lui seul, dit la défiance profonde dans laquelle notre pays est plongé. En recherchant les chiffres des années précédentes, je me suis aperçu qu'ils n'existaient pas : la question ne se posait même pas, elle qui pourtant aujourd'hui s'impose.
Elle s'impose, parce que la dissolution précipitée de l'Assemblée nationale par le président de la République, suivie du refus de respecter le verdict des urnes, a plongé nos institutions dans une crise d'une gravité inédite sous la Ve République. Nous sommes entrés dans une aire de chaos institutionnel, dans laquelle le pouvoir exécutif tente de gouverner sans majorité, sans cap et sans légitimité politique. Le pays, lui, se divise en trois blocs, tandis que l'extrême droite prospère sur les ruines de notre démocratie.
Doit-on attendre une nouvelle dissolution ? Doit-on subir une nouvelle élection présidentielle réduisant la vie politique à un duel étouffant ? Aucune de ces deux perspectives ne répond à la crise démocratique actuelle.
Ne pensez-vous pas que le moment est venu de rendre la parole aux Français – non pour choisir de nouveau entre deux figures présidentielles ou secouer encore le panier de la dissolution, mais pour redéfinir ensemble les règles du jeu ? Ne pensez-vous pas qu'il est temps d'ouvrir un travail constituant pour fonder une VIe République démocratique, parlementaire, écologique et sociale adaptée aux besoins de notre époque ? N'est-ce pas la voie que nous devons suivre si nous voulons sortir durablement de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons ?

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Notre culture politique nous permet de savoir, même sans les baromètres de confiance qui n'ont pas toujours existé, que les cotes de popularité des présidents de la République et des gouvernements, ces trente dernières années, ont régulièrement connu des niveaux extrêmement bas : souvenons-nous du président Sarkozy et du président Hollande, ou des gouvernements Raffarin en 2004 et 2005, sous la présidence de Jacques Chirac.
L'impopularité est consubstantielle à l'exercice gouvernemental. C'est encore plus vrai dans un pays qui, au milieu des inquiétudes que le monde fait peser sur lui, peut être traversé de très grandes fragilités. Si, à chaque fois qu'il devait s'y confronter, on en venait à chercher la solution dans une dissolution ou une démission – je sais que ce n'est pas le sens de votre propos –, un président élu et une assemblée ayant reçu l'onction du suffrage universel seraient systématiquement conduits à remettre en cause leur mandat – à chaque crise sociale, à chaque élection intermédiaire défavorable, à chaque période d'impopularité.
Je comprends la logique qui vous amène à envisager une Assemblée constituante. Toutefois, dans le moment de bascule que nous vivons, dans ce tournant historique pour le monde, les Européens, et les Français en particulier, doivent prendre conscience qu'ils doivent déclarer leur indépendance. À l'instabilité internationale, la France ne gagnerait donc pas à ajouter l'instabilité nationale…

Mme Mathilde Panot
Ça s'appelle la démocratie, ce n'est pas de l'instabilité !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
… vers laquelle nous entraînerait probablement pour plusieurs mois la création d'une nouvelle Constitution, au détriment des décisions importantes que nous avons à prendre.

M. Jérémie Iordanoff
La démocratie est là, maintenant !

M. le président
La parole est à M. Julien Limongi.

M. Julien Limongi (RN)
La France insoumise nous invite aujourd'hui à débattre du non-respect du résultat des élections législatives et de la dissolution – mais de qui se moque-t-on ? Vous osez dénoncer un prétendu mépris du suffrage universel quand vous avez été les premiers, rappelons-le, à pactiser avec la Macronie pour sauver vos sièges.

M. Jérémie Iordanoff
Pour faire barrage au RN, ce n'est pas pareil !

M. Julien Limongi
Les conséquences de cette dissolution sont claires : les Français ont enfin vu votre vrai visage, celui de stratèges du reniement toujours prêts à toutes les compromissions pour préserver leurs intérêts. De La France insoumise aux Républicains en passant par les socialistes et les macronistes, vous vous êtes ligués pour empêcher l'alternance.
Un exemple parmi tant d'autres, dans ma circonscription : dès le lendemain du premier tour, le candidat LFI s'est empressé de tendre la main à la candidate macroniste-LR. Ceux qui se prétendent adversaires se retrouvent soudainement alliés dès qu'il s'agit de faire barrage aux choix des électeurs. Pour quel résultat ? (M. Jérémie Iordanoff s'exclame.) Ceux que vous prétendez combattre ont été réélus et sont même redevenus ministres !

Mme Mathilde Panot
Vous êtes des hypocrites, des tartuffes !

M. Julien Limongi
Et ils vous en remercient chaleureusement, madame Panot ! Vous osez, avec ça, parler de blocage ? Vous êtes pourtant les véritables artisans de l'impasse institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons. Avec vos petits arrangements entre partis, vous paralysez la France, tandis qu'au Rassemblement national nous défendons avec constance la volonté du peuple français et les intérêts de notre pays. Pire encore, vous refusez de voter des textes par pur sectarisme, même lorsqu'ils servent l'intérêt des Français, simplement parce que vous n'en êtes pas à l'origine.
En juin dernier, une vague d'espoir s'est levée : 11 millions d'électeurs ont voté pour les candidats de l'Union nationale. Ils sont aujourd'hui plus nombreux encore à attendre l'arrivée de Marine Le Pen à l'Élysée.
Après tant de renoncements et de compromissions, êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à rompre avec ces alliances de circonstance et à laisser enfin les Français décider librement de leur avenir, sans manœuvre partisane ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

M. le président
La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Dans un scrutin majoritaire, au premier tour, on choisit, au second, on élimine lorsque le candidat de son choix n'a pas été qualifié ou lorsqu'il a décidé de se retirer : ce n'est en rien une manœuvre partisane, mais un choix de liberté et de conviction. C'est la démocratie même.
Je préférerais que la démocratie s'exprime dans des conditions plus saines, et surtout plus représentatives, grâce à un scrutin proportionnel départemental à un seul tour. Chacun pourrait alors déposer le bulletin de son choix dans l'urne.

M. Julien Limongi
Mais quand arrive-t-il à l'Assemblée nationale ce texte ?

M. le président
La parole est à Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho (RN)
Comme en 1997, la dissolution prononcée par le président de la République en 2024 n'a pas eu les effets escomptés. La recomposition de la chambre basse n'a pas conforté la majorité déjà relative du président de la République, et elle a mené le Gouvernement à composer avec des forces disparates. En réalité, elle n'a fait que souligner l'ampleur de la crise institutionnelle que nous traversons.
Pourtant, il existe des remèdes. La mise en œuvre du scrutin proportionnel, qui n'exige pas de révision constitutionnelle, en est un. Si ce n'est pas un remède parfait, il serait malgré tout indiqué et permettrait une représentation plus juste du paysage politique français. Nos compatriotes sont d'ailleurs largement favorables à ce mode de scrutin plus équitable – d'après une enquête publiée en décembre dernier, ils le sont à 74 %.
À l'occasion de son discours de politique générale, M. le premier ministre a proposé que "nous avancions concernant la réforme du mode de scrutin législatif" . Il estime que ce mode de scrutin permet de mieux reconnaître le pluralisme. Où en est la révision du mode de scrutin législatif que le premier ministre appelait de ses vœux il y a quelques mois ?

M. le président
La parole est à M. Patrick Mignola, ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
L'engagement pris par le premier ministre à cette tribune sera tenu. Comment faire et surtout comment concrétiser cet engagement ?

Plusieurs députés du groupe RN
Surtout quand ?

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Le premier ministre a consulté les présidents de groupe parlementaire et de parti. Je poursuis actuellement ce travail dans l'objectif d'une meilleure proportionnalité du scrutin, même si certains contestent ce principe pour une série de raisons qu'il serait trop long d'exposer ici. S'il se dégage une majorité pour aller vers plus de proportionnalité, nous nous poserons alors la question du comment.
Je suis l'auteur de deux propositions de loi sur ce sujet, mais d'autres en ont aussi déposées. Les miennes reviennent à la proportionnelle départementale à un tour de 1986, celle de François Mitterrand. Nous pourrions imaginer des variantes et nous aligner par exemple sur le mode de désignation des sénateurs : dans les plus petits départements, le scrutin majoritaire continuerait à être utilisé, la proportionnelle étant réservée aux départements plus grands.
Quand nous aurons terminé les consultations – c'est une affaire de semaines –, nous reviendrons vers le Parlement. Il sera alors souverain pour déterminer dans quelles conditions et selon quelles modalités ce type de scrutin pourrait être adopté.

M. le président
La parole est à M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars (EPR)
Monsieur le ministre, je vous rejoins totalement :…

Mme Mathilde Panot
Voilà une question impertinente !

M. Stéphane Mazars
… nous allons devoir changer notre façon de faire, nous parler, chercher des compromis, voire, après les élections, former des coalitions majoritaires capables de faire adopter leur programme. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, mais il me semble important de ne pas dramatiser les périodes de gestion des affaires courantes, qui vont peut-être se multiplier ou durer plus longtemps. Il s'agit d'un temps utile pour que les groupes politiques puissent discuter et former des coalitions.
Avec ma collègue écologiste Léa Balage El Mariky, nous avons déposé une proposition de loi, adoptée à l'unanimité hier en commission des lois, visant à renforcer le contrôle du Parlement en période d'expédition des affaires courantes. Elle sera examinée la semaine prochaine dans cet hémicycle. Il s'agit notamment de créer un intérêt à agir devant la juridiction administrative pour les présidents des assemblées parlementaires, les présidents des commissions permanentes et les présidents de groupe – un amendement a été adopté hier s'agissant de ces derniers. Le texte prévoit en outre la transmission au Parlement de toutes les décisions prises par les ministres démissionnaires au cours de la période.
Je profite de l'occasion pour solliciter votre avis sur ce texte, ainsi que celui du Gouvernement, monsieur le ministre, puisque je crois que vous serez au banc la semaine prochaine.

M. le président
Deux débats en un ! La parole est à M. Patrick Mignola, ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Je vais donc pouvoir prendre un engagement que je n'aurai pas oublié la semaine prochaine ! (Sourires)

M. Pierre-Yves Cadalen
Il est vrai que vous les oubliez vite !

M. Patrick Mignola, ministre délégué
Je vous remercie, ainsi que Mme Léa Balage El Mariky, pour ce travail en profondeur. Je sais que vous avez réalisé de nombreuses auditions, très fouillées.
Ce nouveau droit de contrôle du Parlement est fondamental. Les périodes d'expédition des affaires courantes sont particulières et souvent coûteuses sur le plan économique. Le Parlement a donc le droit de vérifier à intervalles réguliers et a posteriori ce qu'a fait le Gouvernement. Je ne prête aucune mauvaise intention ni à ce Gouvernement, ni à ceux qui l'ont précédé, ni à ceux qui le suivront, mais un pouvoir qui se sait contrôlé sera forcément mieux inspiré.

M. le président
Je remercie le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire, représenté par sa présidente, d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour.

Mme Mathilde Panot
Merci, monsieur le président !

M. le président
Je remercie les députés pour leurs questions et leur contribution à la discussion. Enfin, je remercie le ministre pour l'exhaustivité de ses réponses. Je vous félicite tous : nous finissons dix minutes en avance ! (Sourires.)
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 mars 2025