Déclaration de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, sur les priorités de l'Union européenne, au Sénat le 17 mars 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars 2025

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars 2025, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements au banc des commissions. – Mmes Solanges Nadille et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour évoquer le Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi prochains à Bruxelles.

L'Ukraine sera évidemment, de nouveau, au centre des discussions. L'unité des Européens sur ce dossier est absolument essentielle, et ce Conseil constituera une nouvelle occasion de la réaffirmer. C'était le sens de la séquence qu'a lancée le Président de la République en février dernier. Celle-ci s'est poursuivie à Londres, et a nous a permis d'affirmer, lors du sommet européen extraordinaire, notre approche commune pour parvenir à une paix juste et durable en Ukraine.

Nous devons désormais rester plus unis et mobilisés que jamais, en ce moment décisif où les États-Unis souhaitent accélérer les négociations de paix et où Moscou accentue sa pression militaire sur les troupes de Kiev dans la région de Koursk.

Sur le fond, nous sommes d'accord sur cinq points fondamentaux. Aucune négociation sur l'Ukraine ne doit avoir lieu sans l'Ukraine. Aucune négociation sur la sécurité européenne ne doit être menée sans les Européens. Toute trêve ou tout cessez-le-feu doit avoir lieu dans le cadre du processus menant à un accord de paix global. Tout accord de paix doit s'accompagner de garanties de sécurité robustes et crédibles pour l'Ukraine. Enfin, la paix ne peut aboutir à compromettre l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

Sur le plan de la méthode, notre action en faveur des Ukrainiens doit être guidée par deux principes essentiels : l'unité et la proactivité.

Nous devons travailler, avec les Européens, à des garanties de sécurité robustes et crédibles.

Sur ce point, le Président de la République a, encore une fois, donné l'impulsion, en invitant la semaine dernière tous les chefs d'état-major des armées de nos partenaires à Paris, pour étudier l'ensemble des options envisageables.

Cela suppose également de maintenir un soutien solide à l'Ukraine, en accélérant notamment le déboursement de notre prêt et en veillant à ce qu'il profite en priorité aux industriels européens. Nous continuerons à avancer sur ces deux volets jeudi et vendredi, avec nos partenaires européens.

La perspective d'un désengagement durable des États-Unis de la sécurité du continent doit nous conduire à réagir, en construisant une Union européenne plus indépendante pour sa défense. L'augmentation de nos capacités de défense constitue une priorité absolue pour assurer notre sécurité et nous permettre de peser de manière crédible dans les discussions à venir.

En matière de défense européenne, il faut aller plus vite et plus fort, opérer un véritable changement d'échelle. La France le dit depuis huit ans déjà. Après le déclenchement de la guerre d'agression russe en Ukraine et l'adoption de l'agenda de Versailles durant la présidence française, après le diagnostic établi par le rapport Draghi, après les prises de position de la nouvelle administration américaine et les questions qu'elles soulèvent quant à l'avenir de la relation transatlantique et de la garantie de sécurité américaine, nous assistons actuellement à une véritable révolution des mentalités chez nos amis européens, notamment en Allemagne.

Ce changement d'échelle, nous l'avons acté le 6 mars dernier. Nous nous sommes mis d'accord, pour la première fois, sur une liste de domaines prioritaires dans lesquels nous devons investir ensemble, en tant qu'Européens, et sur des options de financement à explorer, à partir notamment des propositions de la présidente de la Commission, dans le cadre du plan ReArm Europe.

Il faut aller maintenant le plus vite possible dans la mise en œuvre. Nous attendons les premières propositions de la Commission, qui auront lieu dès mercredi, lors de la publication d'un livre blanc sur la défense et d'un paquet législatif qui concrétisera les options de financement.

Les discussions sur la proposition de règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense, dit règlement Edip, qui doit permettre de renforcer notre base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), s'accélèrent aussi.

En ce qui concerne le financement, il faut donner un caractère opérationnel aux premières pistes identifiées par la Commission et continuer à étudier toutes les options innovantes, sans a priori ni tabou.

L'important est de nous assurer que cet effort supplémentaire de financement des projets industriels soit véritablement européen et qu'il bénéficie à la BITDE.

La semaine dernière, au Parlement européen, j'ai pu constater avec satisfaction que la notion de « préférence européenne », que nous défendons depuis longtemps, s'impose de plus en plus largement, sous l'effet bien sûr de la pression des événements et du discours de l'administration américaine.

Une Europe forte et indépendante est aussi une Europe prospère, capable d'innover et d'assurer sa production dans les domaines les plus stratégiques. Nous aurons ainsi, lors du Conseil européen, un nouvel échange sur la compétitivité.

Discours de la Sorbonne, agenda franco-allemand de Meseberg, rapports Letta et Draghi, agenda stratégique européen, déclarations de Versailles, Grenade et Budapest : nous n'avons eu de cesse d'appeler à un sursaut européen. La boussole pour la compétitivité et le pacte pour une industrie verte, récemment présenté par la Commission, témoignent que notre ambition en la matière est partagée par les institutions européennes. Il faut désormais que les propositions se concrétisent et qu'elles produisent leurs effets rapidement.

Nous accélérons aussi la mise en œuvre de l'agenda de simplification, cruciale pour libérer le potentiel de nos économies. L'enjeu est de trouver le bon équilibre entre la décarbonation de nos économies, une ambition qui figure dans le Pacte vert, et la compétitivité, pour répondre aux préoccupations de nos entreprises, de nos PME et de nos agriculteurs.

Les textes qui viennent d'être présentés par la Commission constituent un bon premier pas, notamment en direction de nos PME. Celles-ci devraient voir leurs charges administratives allégées. Nous pensons toutefois que cette démarche doit aller plus loin, notamment pour simplifier la vie de nos agriculteurs, comme le Président de la République le réaffirmera lors du Conseil.

Néanmoins, comme vous le savez, il ne suffit pas de définir un agenda industriel ambitieux : sa mise en œuvre peut, à tout moment, être compromise par des menaces ou des actions unilatérales, susceptibles d'exercer des effets préjudiciables graves sur nos économies et nos entreprises.

Nous devons donc assurer notre sécurité économique et, dans un monde de plus en plus fragmenté, nous défendre collectivement à la fois contre la concurrence déloyale, les surcapacités et les décisions tarifaires hostiles.

Il convient ainsi, comme nous venons de le faire en ce qui concerne la hausse des droits de douane américains sur l'acier et l'aluminium, que nous continuions à anticiper et à travailler ensemble, et à nous tenir prêts à agir, sous l'impulsion de la Commission – car tel est son rôle –, de manière unie, ferme, proportionnée, ciblée, dans le respect du droit international.

Pour bâtir notre autonomie stratégique, notre budget pour les prochaines années doit refléter clairement nos priorités communes.

J'en viens ainsi aux discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), qui ont commencé au sein du conseil Affaires générales, où je siège.

L'objectif est de garantir la mise en œuvre de notre agenda de souveraineté et de maintenir un haut niveau d'ambition dans nos domaines prioritaires, en augmentant la capacité d'action financière de l'Union européenne, à la fois publique – c'est le CFP –, mais aussi privée : je pense notamment à la mobilisation de l'épargne européenne et à la réalisation de l'union des marchés de capitaux.

Il s'agit, en substance, de finaliser l'agenda de Versailles, en réduisant nos dépendances dans des domaines comme l'énergie, la santé, le numérique ou les matières premières critiques.

Il importe de mieux mobiliser l'épargne dormante européenne, qui est mal investie ou qui contribue à financer, à hauteur de 300 milliards d'euros chaque année, l'économie américaine, pour l'orienter vers nos besoins d'investissement. J'ai souvent évoqué, avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sujet dans cet hémicycle.

Selon le rapport Draghi, l'Europe souffre d'un retard d'investissement, public comme privé, de 800 milliards d'euros par an pour financer la défense, la décarbonation, la tech. La réalisation d'une union des marchés de capitaux, la création d'un « 28e régime », la mise en œuvre d'une harmonisation réglementaire doivent permettre de mieux lier les capacités de financement offertes par l'épargne européenne et les besoins d'investissement que j'ai mentionnés.

Le prochain CFP devra également doter la politique agricole commune de moyens à la hauteur des enjeux. Alors que l'alimentation pourrait devenir, dans le contexte d'exacerbation des tensions géopolitiques, une arme utilisée par des puissances rivales, telles que la Russie, nous devons, si nous voulons répondre efficacement à ces enjeux, nous doter d'un agenda pour renforcer la souveraineté alimentaire européenne, en garantissant la capacité productive de l'Union, en préservant les revenus des agriculteurs, en établissant des conditions aptes à maintenir un niveau de concurrence équitable, et en prenant en compte les spécificités de la politique agricole commune.

Je tiens à souligner que la vision stratégique pour l'agriculture, présentée par le commissaire européen Christophe Hansen, reprend plusieurs des priorités formulées par la France : l'accompagnement et l'investissement sont ainsi privilégiés, plutôt que la contrainte ; l'accent est également mis sur la réciprocité commerciale, la souveraineté alimentaire de l'Union européenne ou encore la question du renouvellement des générations.

Nous devrons désormais veiller à ce que cette vision se traduise en actes dans le CFP et dans la mise en œuvre de la politique agricole commune, afin de défendre les intérêts de nos agriculteurs et de garantir la souveraineté alimentaire de l'Union européenne.

Nous serons également vigilants sur la politique de cohésion : nous devons préserver les intérêts de nos régions, notamment ultrapériphériques.

Cet effort d'investissement massif que nous souhaitons ne sera possible que si nous trouvons de nouvelles sources de financement du budget européen. Le Président de la République le dira très clairement à ses homologues à Bruxelles : la mise en place de nouvelles ressources propres constituera, pour la France, une condition sine qua non de son accord sur le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union. C'est une question de cohérence et d'ambition, dans un contexte où de nombreux États membres font face à des contraintes budgétaires.

Une Europe forte, c'est aussi une Europe qui prouve à ses citoyens qu'elle est capable d'agir efficacement face aux défis qui les touchent.

Je pense en particulier à la question de la maîtrise de l'immigration. Les chefs d'État et de gouvernement feront notamment le point sur la mise en œuvre – c'est un point essentiel – du pacte européen sur la migration et l'asile, qui nous dote de nouveaux outils indispensables pour assurer le contrôle de nos frontières.

Il est également primordial de faciliter les éloignements et les expulsions. La Commission a proposé une nouvelle législation, afin de faciliter les retours. Nous en discuterons, avec comme objectif de parvenir à adopter rapidement une réforme de notre cadre législatif en la matière. Il s'agit de rendre nos procédures de retour plus simples et plus efficaces. C'était une demande que la France avait exprimée, par la voix du Président de la République et du ministre de l'intérieur. Il faudra, pour cela, donner les marges de manœuvre nécessaires aux États membres pour remplir leurs missions.

Enfin, dans un ordre mondial en plein bouleversement, une Europe forte est une Europe capable d'avoir une action extérieure stable, lisible et cohérente pour nos partenaires, face à une administration américaine plus que jamais imprévisible.

Cela concerne notamment notre action au Proche-Orient, qui sera également à l'ordre du jour du Conseil européen.

Au Liban, nous devons accompagner la dynamique de changement engagée par le renouvellement de l'exécutif et continuer à soutenir la construction d'une paix durable dans le sud. La France continuera à jouer dans ce processus le rôle clé qu'elle a joué ces derniers mois.

En Israël et dans les territoires palestiniens, il nous importe de tout faire pour préserver le cessez-le-feu et la perspective d'une solution à deux États, face à l'imprévisibilité de l'action américaine, en soutenant unanimement le plan arabe pour Gaza.

L'engagement européen demeure nécessaire également en Syrie, où la situation reste, comme l'ont montré les récentes exactions, extrêmement fragile. Nous avons collectivement exprimé nos conditions dès le 8 décembre dernier : inclusivité et représentativité dans le processus ; respect des droits humains ; respect de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Syrie ; et mise en œuvre d'une action ferme en matière de lutte antiterroriste. Nous devons être très clairs sur ce point : notre engagement, notamment en ce qui concerne la levée des sanctions, est réversible.

Je dirai, en conclusion, un dernier mot sur notre action en faveur de l'océan. L'Europe doit être au rendez-vous et défendre ses ambitions pour la protection de ce bien commun, comme le souligneront les dirigeants européens à Bruxelles. Tel sera l'objectif du pacte européen pour les océans, qui sera bientôt présenté par la Commission. Celle-ci proposera aux Européens de mener une action concertée et intégrée pour la prochaine décennie, dans la perspective de la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, qui aura lieu au début du mois de juin à Nice : la France jouera, une nouvelle fois, un rôle d'impulsion majeur auprès de ses partenaires sur ce sujet multilatéral fondamental.

Tels seront les principaux sujets qui seront examinés lors du Conseil de jeudi et vendredi, lequel se tiendra dans un moment de bascule historique pour notre continent. J'ai essayé de vous présenter brièvement les priorités de la France lors de ce Conseil. Je me réjouis désormais, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous écouter et d'échanger avec vous sur ce sujet. (M. Marc Laménie applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence de l'agression russe contre l'Ukraine, puis la fermeté, pour ne pas dire la brutalité, du président Trump, ont provoqué un véritable réveil européen. Secoués de la torpeur dans laquelle nous avaient plongés les dividendes de la paix, nous n'avons pas d'autre choix que d'assumer notre propre sécurité.

Comme l'a dit le président Perrin lors du débat que nous avons eu la semaine dernière au Sénat, il nous revient maintenant de « diffuser en Europe notre volonté d'indépendance et de souveraineté ».

Les conclusions du dernier Conseil européen extraordinaire vont dans le bon sens. L'Union européenne semble déterminée à accroître sa préparation globale en matière de défense et à combler ses lacunes. Elle semble aussi vouloir y mettre les moyens.

Qu'y a-t-il toutefois, à ce stade, derrière les mots ?

Le dernier Conseil européen a validé le paquet de mesures exceptionnelles proposées par la présidente de la Commission, qui visent à financer un surcroît de dépenses de défense estimé à 800 milliards d'euros. Le montant est impressionnant. Il correspond exactement aux 5 % du PIB des États membres exigés par le président Trump. D'aucuns feront sans doute remarquer que l'on s'autonomise en obéissant… Cependant, au fond, seul l'objectif compte, à condition toutefois que l'on se donne les moyens de l'atteindre.

Il convient ainsi, tout d'abord, d'être plus précis. Le ministre Barrot a dit que la France se saisira de tous les instruments que la Commission mettra sur la table, tels que la dérogation aux règles budgétaires, les facilités de prêt ou encore l'emploi des fonds de cohésion inutilisés. Nous aimerions toutefois avoir davantage de détails sur les montants en jeu et sur leur emploi.

Ensuite, on ne voit pas encore bien comment garantir que cet effort de défense profitera prioritairement à l'industrie européenne. Le projet de règlement Edip, qui est en cours de discussion, ne représente encore qu'une goutte d'eau dans l'océan des investissements nécessaires et ne prend pas exactement le plus court chemin pour réduire nos dépendances à l'industrie américaine.

La méthode retenue pose d'autres problèmes. La présidente de la Commission invoque, pour accélérer la mise en œuvre des nouveaux instruments, l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui permet de contourner les discussions parlementaires, comme cela a été le cas lors de la crise du covid-19. Or il s'agit, en l'espèce, de bâtir des solutions de long terme, dont l'élaboration demande plus que quelques jours de débat dans l'urgence.

Une autre question reste lancinante : s'agit-il d'un plan pour renforcer la défense européenne, ou bien d'un moyen d'accroître le contrôle, par les institutions européennes, de la défense des États européens ? Nous posions déjà cette question l'an dernier dans notre rapport sur le projet de règlement Edip. L'instauration d'un financement européen ad hoc des dépenses de défense aura-t-elle un jour pour corollaires la budgétisation de ces dernières, puis un transfert de compétence ? Ce débat est donc d'abord un débat sur la souveraineté nationale.

Enfin, le Sénat a insisté, en maintes occasions, sur l'importance de renforcer l'influence française dans les institutions européennes. Nous l'avons fait, encore récemment, lors de l'examen de la proposition de loi du président Rapin qui prévoyait notamment la consultation du Parlement sur la nomination des commissaires européens.

L'actualité nous a donné une nouvelle illustration de l'importance de cet enjeu : en réponse à l'instauration de tarifs américains sur l'acier et l'aluminium, qui touchaient relativement peu les exportations françaises, la Commission européenne a relevé les droits de douane sur le whisky américain. Une telle mesure appelait forcément à son tour une riposte américaine sur les vins et spiritueux européens. Celle-ci, cette fois, expose bien davantage l'économie française.

Comment le Gouvernement compte-t-il faire prévaloir nos intérêts nationaux dans ces dossiers, alors que l'influence de la France est en recul sensible à tous les niveaux des institutions européennes, à commencer par celui formé par le collège des commissaires ? (MM. Marc Laménie et M. Thierry Meignen, ainsi que M. le rapporteur général, applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Si vous me le permettez, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, je rebondirai sur votre dernière phrase. Il me semble un petit peu décalé, eu égard à l'actualité, de dire que l'influence de la France recule en Europe !

En effet, on n'a jamais autant parlé, en Europe, de préférence européenne, de défense européenne, de réduction de nos dépendances. On vient d'assister à la tenue d'un Conseil européen extraordinaire, où les États ont brisé un grand nombre de tabous afin, précisément, d'investir dans notre défense.

Vous avez toutefois raison de dire qu'il nous reste encore beaucoup de travail à faire. Je pense que nous aurons l'occasion de reparler de ce sujet au cours du débat.

En ce qui concerne la défense, notre objectif est d'identifier les domaines capacitaires – c'est ce que nous avons fait lors du dernier Conseil européen extraordinaire – dans lesquels l'Union européenne souffre de retards et de dépendances et doit donc investir. Je pense en particulier aux munitions, au cyber, aux drones, aux capacités de frappe en profondeur ou encore, bien sûr, aux satellites et au secteur spatial – chacun a pu constater le rôle joué par Starlink dans la défense de l'Ukraine.

La Commission européenne a fait des propositions que nous soutenons. Le ministre Barrot a eu raison de dire que nous utiliserions tous les leviers à notre disposition pour flécher ces financements vers l'industrie de défense française et les projets que nous défendons. Parmi ces leviers, on peut citer l'instauration de nouvelles facilités d'investissement au niveau des États membres, grâce à l'exclusion de certaines dépenses de défense dans le calcul par la Commission du déficit au titre du pacte de stabilité, le refléchage de certains fonds non utilisés au titre de la politique de cohésion, ou encore le prêt loan to loan.

Ces dispositifs sont intéressants. Il faudra aller plus loin. On pourrait envisager de mobiliser les fonds restants du Mécanisme européen de stabilité, ou encore réfléchir à lancer un nouvel emprunt européen, comme nous avions su le faire pendant la crise du covid-19.

Toutefois, les mécanismes qui ont été annoncés constituent de premières avancées que l'on peut qualifier de décisives et que nous devons saluer. Je reviendrai peut-être tout à l'heure sur la façon dont nous utiliserons ces fonds, mais je n'en dirai pas plus dans l'immédiat, car j'ai épuisé le temps qui m'était imparti pour cette première réponse.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite aborder deux points relatifs à la préservation des océans, un sujet qui sera à l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars prochain.

Tout d'abord, c'est mon premier point, la Commission européenne s'est engagée à présenter avant la conférence des Nations unies sur l'océan, qui aura lieu à Nice en juin prochain, un pacte européen pour les océans, visant à favoriser la résilience des océans face au changement climatique, à promouvoir une économie bleue compétitive et à développer la connaissance et la recherche relatives aux écosystèmes marins.

Ce pacte pourrait également comporter des mesures législatives afin d'aider les communautés côtières et rurales dépendantes des océans à gérer les impacts du changement climatique et à mettre en œuvre une exploitation durable des ressources. Il s'agit d'un sujet essentiel pour notre chambre, qui représente les territoires.

Afin de préparer ce pacte, la Commission européenne a sollicité l'avis des parties intéressées en début d'année. La France, qui possède le deuxième domaine maritime au monde, se doit d'être aux avant-postes des négociations européennes sur les politiques maritimes et littorales. Aussi, monsieur le ministre, comment envisagez-vous le rôle de la France dans l'élaboration du pacte européen pour les océans, et quelles priorités allez-vous mettre en avant ?

La France bénéficie d'un espace maritime de près de 11 millions de kilomètres carrés, répartis entre quatre océans, et dont 97 % se situent en outre-mer. Les territoires ultramarins sont donc stratégiques, et je dirais même incontournables, dans la protection et la mise en valeur du patrimoine marin de notre pays. Ils sont également en première ligne face aux phénomènes climatiques extrêmes, comme l'actualité récente l'a encore démontré de manière dramatique. Ils sont aussi très exposés à la criminalité en mer : la pêche illicite, la piraterie ou encore le narcotrafic.

Monsieur le ministre, de quelle manière la France met-elle en avant les enjeux et les besoins spécifiques des outre-mer dans la conception du pacte européen pour les océans ? Quels instruments pourrions-nous promouvoir pour permettre à ces territoires de jouer un rôle actif dans la mise en œuvre de ce futur outil ?

J'en arrive à mon second point : alors que la haute mer représente plus de 60% de la surface des océans et qu'elle abrite des ressources inestimables pour l'humanité sur les plans scientifique, environnemental et économique, il a fallu attendre le 19 juin 2023 pour que soit signé le premier traité international visant à protéger la biodiversité marine de ces zones qui ne relèvent d'aucune juridiction nationale.

Cet accord historique a été signé par 111 États depuis le mois de septembre 2023, ce qui traduit, je m'en réjouis, une réelle volonté politique de la communauté internationale de poser les bases d'une conservation et d'une utilisation durables des écosystèmes marins, lesquels subissent, comme chacun le sait, une pression anthropique croissante. Ce traité vise notamment à mettre en œuvre le troisième objectif adopté lors de la 15e conférence des parties à la convention sur la diversité biologique (COP15) de 2022, qui prévoit la protection d'ici à 2030 d'au moins 30% des mers et des océans.

Pour que le traité entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins soixante États signataires. C'est chose faite pour la France, grâce à l'adoption par le Parlement, à l'unanimité, du projet de loi autorisant cette ratification, en novembre 2024.

Toutefois, alors que notre pays s'était mobilisé afin de faire en sorte que le traité puisse entrer en vigueur avant la conférence des Nations unies sur l'océan de Nice en juin prochain, nous sommes malheureusement loin du compte : seuls vingt États sur les soixante requis ont procédé à la ratification.

Monsieur le ministre, il est désormais certain que l'échéance de juin 2025 ne sera pas tenue : comment expliquer le retard pris ? Quels leviers la France et l'Union européenne pourraient-elles actionner pour accélérer le processus de ratification auprès des pays européens et des pays tiers ? (Mme Catherine Morin-Desailly et M. Marc Laménie applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président Longeot, je voudrais, tout d'abord, vous rappeler que la France s'est engagée à mobiliser tous ses moyens diplomatiques pour obtenir la ratification du traité. Nous avons d'ailleurs évoqué ce sujet lors de plusieurs échanges diplomatiques cette semaine.

La présentation du pacte européen pour les océans constituera l'un des moments principaux du sommet qui se tiendra en juin à Nice. Nous attendons de la Commission européenne qu'elle affiche une ambition forte en la matière. Ce pacte constituera une feuille de route, pour que les pays européens mettent en œuvre une approche concertée et intégrée au cours de la prochaine décennie.

La France dispose, en effet, comme vous l'avez dit, de beaucoup d'atouts. Elle possède ainsi la première zone économique exclusive au monde, grâce notamment à ses régions ultrapériphériques.

Ce pacte doit être ambitieux, aligné avec les autres cadres mondiaux et régionaux. Il doit servir de modèle en matière de préservation de l'océan, pour promouvoir une approche globale, comprenant les enjeux liés à la biodiversité, à l'économie bleue, à la lutte contre le changement climatique, à la dépollution et à la résilience. Il contribuera à accélérer nos efforts en vue de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Ce pacte sera donc complémentaire du Pacte vert, qui avait été adopté lors de la mandature précédente.

Nous devons nous engager à faire en sorte que l'océan soit sûr et sécurisé. Il s'agit d'assurer la préservation des écosystèmes et la sauvegarde des intérêts stratégiques et sécuritaires européens, en nous appuyant sur le développement d'un programme de recherche et d'innovation ambitieux, ainsi que sur un soutien financier renforcé. Nous attendons les propositions et les annonces de la Commission européenne sur ce point.

Comme vous l'avez souligné, et je vous en remercie, ce pacte devra permettre de valoriser les régions ultrapériphériques et les pays et les territoires d'outre-mer, qui constituent des atouts pour l'Union européenne et les États membres. Cela constitue – je l'ai indiqué tout à l'heure –, l'une de nos priorités, tant en ce qui concerne le contenu des politiques de cohésion – c'est l'un des objets de la réflexion sur le prochain CFP – ou la valorisation des fonds européens sur le territoire français – vous savez à quel point la question des régions ultrapériphériques est centrale à cet égard.

Ce pacte constituera donc un vecteur pour défendre nos idées, nos convictions et nos intérêts au niveau européen. Nous aurons l'occasion de reparler de ce sujet d'ici au mois de juin. Nous attendons que la Commission européenne affiche une ambition forte en la matière à Nice.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la menace ne faiblit pas sur le front ukrainien et que l'allié américain vacille, il appartient à l'Union européenne d'être ferme, de s'opposer à l'agression russe et de permettre à ses États membres d'assurer la sécurité sur le continent.

En tant que rapporteur général de la commission des finances du Sénat, ma responsabilité est aussi de veiller à ce que cet effort soit soutenable pour la France.

La prochaine réunion du Conseil européen permettra d'avancer sur ce point et de préciser les annonces qui se sont succédé ces dernières semaines sur la constitution et le financement d'une Europe de la défense.

La Commission européenne a proposé différentes mesures dans son plan Réarmer l'Europe, dont le principe a été validé lors du Conseil européen extraordinaire du 6 mars dernier.

Je retiens, à ce stade, deux mesures en particulier.

La Commission européenne a d'abord fait part de son intention d'activer la clause de sauvegarde prévue dans le pacte de stabilité et de croissance. Cela lui permettrait d'exclure, dans son calcul du déficit public, les dépenses engagées par les États membres en matière de défense, jusqu'à 1,5 % de leur PIB.

Si je salue la latitude accordée par les institutions européennes aux États membres, afin d'apporter une réponse à la hauteur des enjeux, je me dois de rappeler ici une évidence : une telle disposition ne desserre en rien la contrainte financière qui pèse sur notre pays. Les économies que nous avons proposées sur nos travées et les efforts budgétaires auxquels nous avons consenti dans cet hémicycle visent non pas à apaiser un arbitre bruxellois, mais à préserver les finances de notre pays, dans un souci de crédibilité vis-à-vis de nos créanciers et par devoir envers les générations futures.

Chaque euro dépensé doit être remboursé. C'est non pas la règle des 3 %, mais la charge de la dette qui pèse sur la France et les Français, et cela demeurera.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous concilier une hausse de notre effort militaire avec la nécessaire maîtrise du déficit et de la dette de notre pays ?

J'en viens à la seconde proposition forte de la Commission européenne, à savoir un nouvel instrument visant à accorder 150 milliards d'euros de prêts aux États membres pour des investissements dans le domaine de la défense. D'après les dernières informations, les emprunts se feraient sur une base volontaire et nécessiteraient que les États se mettent au moins à deux pour investir dans les domaines où les besoins sont les plus urgents : défense aérienne, drones, artillerie, munitions, etc.

Pouvez-vous m'indiquer la position que vous défendrez dans la définition des contours de ce nouvel instrument ? Si ces emprunts sont bien accordés sur une base volontaire et dans les conditions que je viens d'exposer, la France souhaite-t-elle recourir à ce dispositif et, si oui, à quelle hauteur et pour quelles dépenses ?

Si les contours de cet instrument doivent être discutés lors du prochain Conseil, il apparaît à ce stade non pas comme un nouvel emprunt commun au niveau de l'Union européenne, sur le modèle de ce qui avait été fait pour le plan de relance, mais plus comme une façon pour les États membres de lever une dette supplémentaire en passant par la Commission européenne.

Quel est l'intérêt d'un tel dispositif pour la France ? S'agit-il d'un simple tour de passe-passe comptable ? N'y a-t-il pas un risque pour notre pays de supporter des conditions financières moins avantageuses avec ces nouveaux emprunts ?

Je ne doute pas que vous allez nous rassurer et je vous en remercie par avance.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le rapporteur général, je l'ai dit tout à l'heure, la Commission européenne a fait un pas important en proposant ces nouvelles facilités, ainsi que ce prêt loan to loan de 150 milliards d'euros. Cependant, nous lui avons demandé d'aller plus loin avec d'autres dispositifs.

Au niveau national, le Président de la République et le Premier ministre l'ont dit dans des termes clairs, nous devrons faire des choix budgétaires pour donner la priorité au réarmement.

Nous n'avons pas attendu les derniers événements pour agir en la matière. Je rappelle que le budget de la défense a d'ores et déjà doublé sous les deux mandats d'Emmanuel Macron. La loi de programmation militaire 2024-2030 que le Parlement a votée est d'ailleurs très ambitieuse, mais il faudra probablement encore accélérer ces efforts pour réduire nos dépendances.

La position que nous défendrons sera très claire et elle n'a jamais bougé : il s'agit de la préférence européenne. En d'autres termes, c'est l'idée que les financements européens doivent aller de façon absolument prioritaire au développement d'une industrie de défense européenne, d'abord pour donner de la visibilité à nos industriels, afin qu'ils puissent augmenter leurs capacités, ensuite pour garder notre savoir-faire technologique ainsi que le contrôle de l'usage de nos matériels. Vous avez tous pu suivre les débats qui ont eu lieu chez nos voisins sur la possibilité offerte à d'autres puissances, notamment les Américains, de contrôler l'usage à distance de certains armements, comme les avions F-35.

C'est tout l'enjeu, d'ailleurs, de la discussion en cours sur Edip, le programme européen pour l'industrie de la défense, d'un montant de 15,5 milliards d'euros, qui constituera un précédent en ce qui concerne la façon dont les financements peuvent être fléchés et l'articulation entre préférence européenne et possibilité d'acheter en dehors du marché européen.

Voilà le message que la France portera lors des négociations. Nous aurons, je pense, recours à ces instruments, mais nous proposerons à nos partenaires d'aller plus loin dans la mise à disposition d'instruments de financement européens dans les prochains mois.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m'efforcer de faire une synthèse de tout ce qui s'est dit.

Ce Conseil européen est traditionnellement axé sur les enjeux économiques. Celui des 20 et 21 mars s'inscrit dans ce schéma, la compétitivité étant au cœur du programme, ainsi que l'a écrit le président du Conseil européen.

Cette réunion est importante, puisqu'elle permettra aux chefs d'État et de gouvernement d'évoquer les initiatives que la Commission européenne commence à déployer au travers de certaines communications stratégiques, comme la boussole de compétitivité, ou de paquets de simplification dits omnibus.

Ces orientations visant à simplifier, à alléger le fardeau réglementaire, à mieux prendre en compte les réalités économiques et les besoins des territoires sont une nécessité, comme le Sénat l'a souligné à de nombreuses reprises. Je pense notamment à la prise en compte des réalités des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, mais aussi de nos outre-mer, dont les atouts et les contraintes sont insuffisamment pris en compte.

Nous accueillons favorablement la nouvelle philosophie, plus pragmatique, esquissée par la Commission européenne et je veux saluer les premières annonces de simplification qu'elle a faites en matière de durabilité ou de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, ainsi que pour les outre-mer. Je fais ici référence à la proposition de résolution européenne que la commission des affaires européennes du Sénat a récemment votée sur l'intégration régionale des régions ultrapériphériques.

Nous irons défendre nos positions à Bruxelles pour que la Commission fasse preuve de plus d'audace, le contexte international dans lequel nous évoluons ayant fondamentalement changé. Les rapports des anciens premiers ministres italiens, Enrico Letta et Mario Draghi, que vous avez rappelés, monsieur le ministre, ont souligné les défis à relever. Or nous avons pu mesurer, lors d'une récente conférence interparlementaire à Bruxelles, que faire bouger les lignes n'allait pas de soi et que les paroles étaient diverses au sein des États membres.

Ce Conseil européen apparaît aussi comme une réunion de transition, d'abord sur la question du financement de l'industrie de défense, après la réunion extraordinaire du Conseil européen du 6 mars. À mes yeux, la réponse ne pourra pas seulement provenir des fonds publics : nous devons pousser les feux sur la mise en place de l'Union pour l'épargne et l'investissement, mais aussi faire en sorte que la Banque européenne d'investissement joue un réel rôle de soutien du secteur de la défense. Nous en avons parlé ensemble la semaine dernière, monsieur le ministre.

Je crains par ailleurs que notre pays, compte tenu de sa situation budgétaire, ne soit pas en mesure de bénéficier massivement des assouplissements envisagés du pacte de stabilité et de croissance. Je m'interroge également, comme le rapporteur général Jean-François Husson, sur l'intérêt qu'il pourrait trouver à solliciter l'enveloppe de prêts envisagée par la Commission, à hauteur de 150 milliards d'euros.

Cette réunion est également une réunion de transition dans le cadre de la préparation du prochain cadre financier pluriannuel. L'Union européenne fait face à des besoins croissants et nous refusons de remettre en cause les politiques traditionnelles, comme la politique de cohésion et la politique agricole commune. Aucune porte de sortie n'ayant pour l'instant été trouvée dans le dossier des ressources propres, l'équation actuelle est intenable et il faut trouver une solution.

La présidente de la Commission européenne déclarait la semaine dernière que le temps des illusions était révolu. Il est temps, en effet, de repenser réellement un certain nombre de politiques européennes, sans toutefois que cela soit synonyme de dessaisissement des États membres, comme l'a clairement souligné Pascal Allizard.

Pour le dire clairement, la Commission européenne doit agir avec plus de fermeté dans des domaines où elle est réellement compétente. Je pense à la réponse à la hausse des tarifs douaniers décidée par le président des États-Unis, à la lutte contre la concurrence déloyale dans les relations commerciales ou à la mise en œuvre des règlements européens, que les grandes plateformes du numérique doivent respecter.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la France adoptera une ligne de fermeté sur ces sujets ? (Mmes Solanges Nadille et Sophie Briante Guillemont, ainsi que M. Laurent Somon applaudissent.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président Rapin, vous avez soulevé plusieurs points essentiels.

Je l'ai dit précédemment à la tribune, nous devons absolument dégager un consensus sur les ressources propres de l'Union européenne en parallèle de nos discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel. C'est une condition sine qua non.

Vous avez également mentionné, ce que j'aurais dû faire, le rôle de la Banque européenne d'investissement. Nous avons fait modifier son mandat pour qu'elle puisse investir, notamment, dans la défense. Il lui revient maintenant de s'emparer de ces nouveaux pouvoirs. Cela fait partie des demandes que nous avons fait valoir auprès des institutions européennes.

Quand on parle d'investissements dans la défense, la tech, l'intelligence officielle, le quantique ou encore la décarbonation de notre continent, on pense bien sûr aux ressources publiques, qu'il s'agisse des facilités données aux États membres ou des ressources propres de l'Union européenne au titre du cadre financier pluriannuel, mais il ne faut pas oublier la libération des capitaux privés.

Vous évoquiez le financement de nos entreprises : faisons en sorte que le marché unique soit véritablement une opportunité pour nos PME, nos entrepreneurs, nos innovateurs.

À cet égard, nous devons avoir deux priorités.

La première est l'unification des marchés de capitaux, autrement dit l'approfondissement du marché unique. Trop souvent, quand nos chefs d'entreprise parlent de s'installer au Portugal, en Allemagne, en Italie ou en Pologne, ils regrettent de devoir presque tout recommencer à zéro, tant les différences en matière de cadre fiscal, assurantiel et de régulation sont importantes. L'agenda Letta-Draghi, avec le projet du " 28e régime " et l'harmonisation des régimes de régulation, doit permettre de faire du marché européen une véritable opportunité de développement à l'exportation pour nos entreprises.

La seconde priorité est la simplification. Le paquet omnibus présenté par la Commission va dans le bon sens, avec un assouplissement des directives CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), notamment au travers du relèvement d'un certain nombre de seuils, qui exonère de fait certaines PME de charges administratives prévues par ces textes.

Il faudra aller plus loin dans le trilogue pour continuer à simplifier ces instruments, voire reprendre un certain nombre de textes européens qui imposent des contraintes excessives à nos entreprises dans la concurrence internationale.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, pour la réplique.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, je reviens sur un point que j'ai soulevé avec Jean-François Husson, à savoir les crédits non utilisés des fonds de cohésion. Ceux-ci permettraient pourtant de " booster " les économies régionales. De nombreuses régions sont en train de bouger sur cette question ; il faudra les entendre.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (MM. Jean-François Longeot et Laurent Somon applaudissent.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 20 et 21 mars prochain revêt une importance toute particulière.

En quelques semaines, le président des États-Unis et ses acolytes ont, hélas ! plongé le monde dans une instabilité dangereuse.

Il y a eu la séquence ahurissante du 28 février dernier, au cours de laquelle nous avons été témoins de l'humiliation infligée par Donald Trump à Volodymyr Zelensky, suivie du lâchage en pleine guerre des Ukrainiens, le tout assorti d'un narratif scandaleux et de leçons de morale données par J.D. Vance aux Européens à Munich sur la liberté d'expression. Je n'oublie pas les déclarations tonitruantes sur l'annexion du Groenland et du Canada.

Faut-il être surpris de voir l'homme de la Maison-Blanche aujourd'hui brutaliser ses concitoyens au mépris de la Constitution, désarmer tous les contre-pouvoirs, laisser son double maléfique, Elon Musk, s'attaquer au démantèlement de l'État et des agences fédérales, tout en se mêlant de nos affaires ?

En trahissant ou agressant les traditionnels alliés des États-Unis, en s'alignant sur le Kremlin, Donald Trump a fait voler en éclats l'ordre issu de la Seconde Guerre mondiale. Comme si cela ne suffisait pas, il est par ailleurs en train de plonger les échanges et les paiements mondiaux dans le chaos, tout en déstabilisant l'économie américaine qui, pourtant, se portait plutôt bien.

La collusion du pouvoir avec les illuminés de la tech, qui font désormais la loi, accentue encore un peu plus ce que nous avons maintes fois dénoncé ici : ce capitalisme de prédation et de surveillance, hors de toute règle et de toute éthique, qui a poussé l'Union européenne à poser des règles pour son propre territoire.

L'Europe est donc aujourd'hui renvoyée à elle-même, prise en tenaille entre la Russie, la Chine et les États-Unis. Désormais, c'est le sursis ou le sursaut ! Il n'y a pas d'autre choix que de se réarmer militairement, mais aussi politiquement et économiquement.

Notre ministre des armées dit juste : pour commencer à se réarmer, il faut que chacun des États membres trouve les voies et moyens de faire les efforts qui s'imposent, tout en pensant une nouvelle architecture de sécurité comprenant, bien évidemment, le Royaume-Uni qui, comme la France, dispose de la dissuasion nucléaire.

Dans ce contexte, je salue l'annonce d'Ursula von der Leyen du lancement du programme ReArm Europe, qui pourrait mobiliser près de 800 milliards d'euros.

En attendant, l'urgence, c'est de collectivement soutenir l'Ukraine avec nos alliés. À ce jour, l'Union européenne lui a fourni 135,4 milliards d'euros, dont 49,2 milliards d'euros de soutien militaire, de subventions, d'aides en nature et de prêts à des conditions très favorables. En 2025, elle fournira 30,6 milliards d'euros au titre de la facilité pour l'Ukraine et au titre du prêt extraordinaire accordé par le G7 et financé par les avoirs russes gelés.

Vous avez raison, monsieur le ministre, alors que Donald Trump et Vladimir Poutine continuent à discuter d'une possible trêve, la France doit réaffirmer que toute trêve ou tout cessez-le-feu ne peut avoir lieu que dans le cadre d'un processus menant à un accord de paix global. Il ne peut y avoir de négociations affectant la sécurité européenne sans la participation de l'Europe. Il ne peut y avoir de négociations sur l'Ukraine sans l'Ukraine. Celle-ci ne saurait d'ailleurs payer au prix fort une guerre qu'elle n'a pas déclenchée.

L'Europe devra surtout s'assurer que les accords de paix soient respectés pour ne pas subir un nouveau conflit à court terme. Souvenons-nous des accords de Minsk en 2014 ! Il faut des garanties de sécurité robustes et crédibles pour l'Ukraine, et au-delà pour nous-mêmes, car, ne nous leurrons pas, le plan de Poutine est de revenir au partage du monde décidé à Yalta.

Selon les évaluations de l'Otan, de l'Allemagne, de la Pologne, du Danemark et des États baltes, la Russie pourrait être prête à attaquer un pays de l'Union européenne d'ici trois à dix ans. Alors, il s'agit bien de dissuader Poutine de revenir à la charge.

Pour cela, l'Union doit aussi se réarmer politiquement. Pour être efficace, compétitive et répondre aux défis du moment, elle doit être plus politique que bureaucratique, plus stratège que tatillonne. À cet égard, je vous renvoie, monsieur le ministre, au rapport que nous avons réalisé avec le président Rapin sur la dérive normative de l'Union, également pointée du doigt par MM. Draghi et Letta.

Il est malheureux qu'il ait fallu attendre la crise du covid-19, l'attaque de l'Ukraine par la Russie, la crise économique et, enfin, les derniers événements pour mesurer la dangerosité de nos dépendances, en particulier technologiques, faute d'avoir voulu mener les politiques industrielles nécessaires. Ces dépendances conditionnent le reste de notre vie économique.

Personnellement, j'alerte depuis plus de dix ans sur l'urgence à construire autre chose qu'une simple Europe des consommateurs : une Europe des acteurs.

Qu'on le veuille ou non, l'internet est un terrain d'affrontement mondial pour la domination du monde par l'économie et la connaissance. Théâtre de cyberattaques en tout genre, toujours plus nombreuses, c'est un terreau fertile pour la guerre informationnelle et les ingérences étrangères. Si ses chars ne sont pas aux portes de Paris, la Russie nous livre bien une guerre cyber souterraine.

L'Union a enfin légiféré utilement ces dernières années pour protéger les données des Européens, un actif stratégique majeur, pour créer les conditions d'un marché plus équitable pour nos propres entreprises face à la concurrence des big tech, pour réguler les services proposés par ces plateformes au modèle toxique, pour soutenir le développement d'une intelligence artificielle de confiance, mais elle a failli industriellement, empêchant ainsi toute souveraineté numérique.

Alors, monsieur le ministre, je reprends la formule de l'un de mes nombreux rapports : il est plus que temps de reprendre en main notre destin numérique !

Nous venons d'adopter le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, transposition de la directive NIS 2, qui établit une véritable architecture de sécurité pour notre pays, nos entreprises, nos collectivités territoriales et entités critiques.

C'est très bien d'appliquer certains standards, encore faut-il le faire en ayant recours à des entreprises françaises et européennes imperméables aux lois extraterritoriales américaines ou chinoises et dont nous serons sûrs. Rehausser notre sécurité en ligne, c'est aussi du réarmement : à ce titre, les dépenses effectuées devraient pouvoir échapper aux règles du pacte de stabilité et de croissance.

Le marché va se développer : il faut en profiter pour soutenir notre filière cyber, notamment par le levier de la commande publique avec la réforme annoncée de la directive sur les marchés publics en 2026. C'est bien ce qu'ont su faire les Américains, les Russes et les Chinois.

Ma collègue Florence Blatrix Contat et moi-même l'avons encore martelé ces derniers jours en proposant au vote de la commission des affaires européennes plusieurs propositions.

Nous avons notamment appelé à la création d'outils souverains fondés sur des règles éthiques rigoureuses et sur le mode open source qui soient de véritables substituts aux modèles toxiques des plateformes, ainsi qu'à un investissement massif dans les dernières technologies, l'intelligence artificielle et le quantique, dans le cadre du programme Horizon Europe.

Nous demandons aussi la stricte et rigoureuse application des règlements européens portant sur la régulation du numérique, n'en déplaise à MM. Musk et Zuckerberg, dont le combat au nom de la prétendue liberté d'expression justifie le non-respect de la loi et toutes les dérives sur les réseaux sociaux, y compris les plus graves : celles qui mettent en danger nos enfants, conduisent à l'assassinat d'un professeur, ou encore menacent nos démocraties au travers de la manipulation des opinions et des élections.

Il faut à cet égard que le bouclier européen de la démocratie annoncé par la Commission européenne soit adopté rapidement. Il devra renforcer les moyens de contrôle des plateformes numériques, en particulier en fixant des normes éthiques minimales pour tous les algorithmes de recommandation, et ce dès leur conception. Il faut aussi qu'il garantisse la pérennité et la vitalité de nos médias et du journalisme professionnel. Il y va de la protection du droit à l'information.

Enfin, compte tenu du contexte géopolitique, pouvez-vous faire en sorte, monsieur le ministre, que soit reprise la réflexion sur la certification européenne pour les services cloud, dite EUCS ? Nos données ne sauraient être confiées, comme l'a toujours plaidé la France, qu'à des entreprises justifiant d'un haut niveau d'exigence, c'est-à-dire High +, garantissant leur immunité par rapport aux législations extraterritoriales. Malheureusement, certains pays européens ne semblaient pas être convaincus de cette menace. Le nouveau contexte géopolitique va peut-être aider à les convaincre…

En conclusion, si le défi devant nous paraît immense, le groupe Union Centriste est convaincu que l'Union européenne est capable de le relever si elle se montre soudée, stratège et volontaire. (MM. Jean-François Longeot, Laurent Somon et Jacques Fernique applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, vous le savez, nous partageons vos ambitions et vos préoccupations concernant la défense de l'espace démocratique européen face aux menaces d'ingérence. C'est pourquoi nous avons demandé à la Commission européenne de faire appliquer le règlement sur les services numériques (DSA) en menant à leur terme les enquêtes en cours, que ce soit sur X ou sur TikTok, et, le cas échéant, de prononcer les sanctions qui s'imposent.

Nous avons encore pu constater l'influence de la Russie lors de l'élection présidentielle en Roumanie, où je me suis rendu voilà quelques semaines. La Russie a réussi à amplifier de façon totalement artificielle le discours d'un candidat complotiste d'extrême droite prorusse en intervenant massivement sur TikTok : le nom de ce dernier a ainsi été le huitième nom le plus partagé au monde sur le réseau en question pendant l'élection présidentielle roumaine ! Voilà pour la partie défensive, c'est-à-dire la lutte contre les ingérences, la haine en ligne, la manipulation des algorithmes.

Par ailleurs, pour éviter d'être dépendants dans le cadre des prochains champs informationnels – et je pense bien évidemment à l'intelligence artificielle –, soutenons nos entreprises innovantes en mettant le paquet sur les investissements pour développer des solutions européennes. Cela passe notamment par l'affirmation de la préférence européenne.

Vous avez justement évoqué la protection des données : vous connaissez notre position très ferme sur le sujet.

Je le répète, je suis frappé de voir l'évolution du débat chez certains de nos partenaires, que ce soit sur la défense ou la tech. Quand on parle de préférence européenne dans l'intelligence artificielle, c'est-à-dire du soutien des acteurs européens pour ne pas être dépendants des Américains ou des Chinois, avec des solutions décarbonées et souveraines, nous sommes rejoints par nombre de nos partenaires pour ne pas reproduire les erreurs faites avec les réseaux sociaux. Il s'agira d'une priorité pour nous dans les prochaines années.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'heure où l'Europe s'apprête à se réunir pour un Conseil déterminant, une certitude s'impose : l'avenir du continent se joue sous nos yeux. Et ce futur, nous dit-on, se résume en un seul mot, martelé avec solennité et gravité : réarmement. Mais que trouve-t-on derrière cette injonction ? Une politique au service de qui ? Une Europe au bénéfice de quels intérêts ?

Si nous approuvons la nécessité de soutenir le peuple ukrainien, victime d'une guerre atroce et injustifiable choisie par Vladimir Poutine, nous affirmons aussi que la paix ne se construit pas dans l'escalade. Pourtant, c'est bien cette voie qui est choisie, avec une nouvelle annonce du ministre des armées évoquant un « poids de forme » de l'armée à 90 milliards d'euros, contre 50 milliards aujourd'hui, un triplement annoncé des dépenses militaires européennes, des prêts garantis par l'Union européenne à hauteur de 180 milliards d'euros et une obsession martiale qui fait écho aux mots glaçants de Mme von der Leyen : " Le temps est venu d'assurer la paix par la force. "

Nous soulignons le paradoxe suivant : à l'heure où la paix se construit difficilement dans une ébauche de cessez-le-feu, l'Union appelle au surarmement, avec 800 milliards d'euros mobilisés sur plusieurs années, soit 5% du PIB européen. Le décalage est surprenant !

Ce chiffre résonne étrangement avec les exigences de Donald Trump, qui veut voir l'Otan financée par l'Europe, tout en conservant la suprématie américaine. Mme von der Leyen lui offre finalement sur un plateau ce qu'il réclamait depuis des années.

Autre coïncidence, c'est aussi le montant avancé par Mario Draghi pour sauver la compétitivité européenne. Vous ne pourrez pas cacher éternellement cette réalité : l'Europe est addict aux armes américaines. Les importations d'armes par les pays européens membres de l'Otan ont plus que doublé entre les périodes 2015-2019 et 2020-2024. Dans le même temps, les États-Unis nous ont fourni 64 % de ces armes, contre 52 % auparavant. En clair, nous importons deux fois plus d'armes et nous sommes toujours plus dépendants des États-Unis.

Monsieur le ministre, dans l'attente d'une Union pour l'épargne et l'investissement, devrons-nous compter sur BlackRock et consorts pour accompagner la base industrielle et technologique de défense française ?

Nous ne croyons pas en cette doctrine qui transforme l'Europe en machine de guerre. Nous ne croyons pas à cette fuite en avant, où les dividendes des marchands d'armes explosent pendant que l'on demande aux peuples de se serrer la ceinture. En un an, le cours de l'action Dassault a grimpé de 66%, le titre Rheinmetall de 125%.

La France ne doit pas être l'otage de cette stratégie de militarisation à marche forcée. Il est temps d'engager une autre voie, celle d'une conférence d'Helsinki 2 imaginant une nouvelle sécurité collective qui ferait de l'Europe non pas un terrain de manœuvres militaires, mais un pôle de stabilisation et de diplomatie.

La question ukrainienne ne peut évidemment occulter les grandes tensions qui traversent le monde, à commencer par le Proche-Orient et le Moyen-Orient.

La situation en Syrie, avec le massacre de plus d'un millier de civils alaouites, mais aussi de chrétiens, ne laisse pas de nous interroger sur la fiabilité des nouvelles autorités de ce pays et sur la crédibilité de la conversion à la démocratie de leurs dirigeants.

C'est bien sûr la situation en Palestine, à commencer par Gaza, qui continue à nous préoccuper au plus haut point. Les trêves se suivent, sans lendemain, et le sort des derniers otages, ou de leurs cadavres, n'est toujours pas réglé. La responsabilité porte à la fois sur le gouvernement Netanyahou, allié à l'extrême droite, et sur l'islamisme radical, qui pollue la juste cause palestinienne.

Comment la diplomatie européenne peut-elle, dans cette situation inextricable, agir de façon efficace, si ce n'est, comme l'a déjà fait l'Espagne, en reconnaissant deux États, Israël et la Palestine ?

Enfin, je veux conclure sur ceux qui, chez nous, subissent les logiques d'intérêts à courte vue de l'Union européenne. Les salariés du Pas-de-Calais, des Hauts-de-France et d'ailleurs savent ce que veut dire le mot « compétitivité ». Ce fut l'argument pour briser les mines, le textile, la sidérurgie. Aujourd'hui encore, c'est l'excuse parfaite pour justifier la fermeture d'usines, les suppressions de postes, la disparition des savoir-faire et l'allégement du devoir de vigilance, comme le prévoit d'ailleurs la nouvelle directive omnibus. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, à vous entendre, j'ai l'impression que les Européens n'ont à faire face aujourd'hui à aucune menace et que l'augmentation des investissements dans notre outil militaire se fait de façon totalement décorrélée de l'environnement géopolitique dans lequel nous évoluons.

Vous avez évoqué la possibilité de réunir une conférence Helsinki 2. Sachez que, en 1975, au moment de la première conférence d'Helsinki, la France consacrait plus de 3% de son PIB à l'outil de défense. C'était aussi le cas de la plupart de nos partenaires européens. Il n'y a pas d'incompatibilité entre la volonté de dialoguer par la voie diplomatique et le souhait de se donner les moyens d'assurer notre sécurité. Ces deux aspects se renforcent même mutuellement.

Nous devons faire face aux conséquences, aux portes de l'Union européenne, de la guerre d'agression de la Russie sur l'Ukraine, aux ingérences massives de la Russie dans nos processus démocratiques, aux attaques cyber et aux offensives contre nos intérêts en Afrique et ailleurs. Nous voyons les États-Unis s'éloigner, et avec eux les garanties de sécurité qu'ils fournissaient dans le cadre des relations transatlantiques.

L'Union européenne nous a permis de créer un continent de paix, de coopération, remplaçant des siècles de violences, de conflits, de nationalismes par le dialogue, le droit et la régulation, mais nous avons toujours des voisins qui nous menacent et nous évoluons dans un environnement géopolitique de plus en plus instable. Nous devons en tirer les conclusions en nous donnant les moyens de défendre nos valeurs de liberté, de paix et les institutions européennes que nous avons fondées.

Je le répète, il n'y a pas d'incompatibilité, et l'exemple d'Helsinki, que vous avez vous-même donné, le démontre.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la fin du mois de février, on assiste à un déferlement d'électrochocs violents : alignement Trump-Poutine ; vote groupé à l'ONU des États-Unis, de la Russie et de la Corée du Nord ; traquenard du bureau ovale ; suspension temporaire du soutien américain à l'Ukraine ; tarifs douaniers hostiles !

Avec ces électrochocs, les illusions géopolitiques se volatilisent et les logiques souverainistes de fragmentation qui ont tant entravé notre Union européenne reculent enfin. Ces toutes dernières semaines, en ce moment de bascule historique, la succession rapide des réunions extraordinaires par lesquelles les responsables européens, saisis par l'urgence, répondent à ces défis correspond bien peu au rythme ordinaire du suivi par notre assemblée des réunions du Conseil européen, par le biais de ce traditionnel débat préalable.

Assurément, cet après-midi, nous interrogeons sans doute bien moins l'ordre du jour précis du Conseil européen des 20 et 21 mars que la démarche engagée par l'Union depuis le 27 février, qu'illustre particulièrement le plan Réarmer l'Europe présenté le 4 mars.

Les illusions se dissipent et chacun voit bien que c'est le principe même de l'Union européenne qui est attaqué au travers de l'agression et des prétentions russes contre la liberté du peuple ukrainien. Avec cette montée du recours à la force et à la violence comme méthode principale d'acteurs étatiques et non étatiques, c'est notre modèle européen fondé sur la coopération, la régulation et le droit, modèle porteur de nos valeurs de démocratie et de liberté, qui est attaqué. Voilà ce à quoi les États-Unis d'Amérique et leur Président erratique et autoritaire sont dorénavant hostiles !

L'Europe est au pied du mur, condamnée à l'impuissance, voire à la dislocation, si elle n'accomplit pas l'indispensable saut fédéral seul à même d'assurer sa sécurité collective et celle de l'Ukraine en première ligne, si elle n'engendre pas cette Europe de la défense – défense de ses valeurs, défense de ses intérêts.

L'écologie politique porte le pacifisme au cœur de son histoire. Nous ressentons donc l'anxiété populaire face à cet engrenage militaire, mais nous affirmons d'autant plus nettement qu'il nous faut admettre le rapport de force pour préserver notre sécurité et nos idéaux, pour préserver l'espérance du droit international et du multilatéralisme.

Les fortes paroles et les résolutions prises nécessitent que des actes soient engagés. C'est ce que nous attendons de ce Conseil européen. Il ne peut être question de " limiter notre niveau de préparation à ce qui est aisé à obtenir politiquement " ; il convient de répondre aux besoins pour faire face aux scénarios les plus graves.

Si la Hongrie ou la Slovaquie s'obstinent à se désolidariser de l'aide à l'Ukraine et à contrecarrer la construction de l'Europe de la défense, il faudra bien que les autres États membres fassent progresser le vote à la majorité qualifiée, au lieu de l'unanimité aujourd'hui requise dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité.

Pour répondre aux défis du temps présent, il nous faut sans doute remettre en cause le cadre de gouvernance qui limite les ressources financières : il s'agit de garantir une sécurité de financement à long terme pour renforcer les capacités de production de défense européenne, développer les infrastructures à double usage et soutenir les investissements dans la transition juste.

Le temps est donc venu, comme pour la relance après la crise du covid-19, de procéder à un emprunt commun européen. Sur ce sujet, des pays comme l'Allemagne, la Finlande ou encore l'Estonie évoluent ; de meilleures perspectives s'offrent à la France pour faire aboutir ce choix collectif décisif.

En outre, il faudra bien faire contribuer les super-riches, mais aussi soumettre à l'impôt les bénéfices exceptionnels des acteurs systémiques du secteur de la défense. Pour financer le plan de 800 milliards d'euros annoncé, il faudra avant tout créer de nouvelles ressources propres plutôt que de chercher ces sommes dans les fonds de cohésion ou dans ceux de la politique agricole. Il serait désastreux de s'aliéner nombre de citoyens européens en mettant en concurrence les investissements dans la défense avec les dépenses sociales, la cohésion territoriale et la transition climatique.

Seul le renforcement du tissu social et économique de l'Europe renforcera la capacité de l'Union à se défendre contre la désinformation et l'influence étrangère. Ne donnons pas davantage de grain à moudre au réseau X, aux médias Bolloré, ou encore à des forces politiques fascinées par Poutine ou par Trump !

Bâtir notre autonomie stratégique n'est pas seulement une question d'armes et de munitions. Il importe de sortir de cette logique contre-productive qui a fait que, en 2024, alors que nous donnions d'une main 19 milliards d'euros à l'Ukraine, nous en versions de l'autre 22 milliards à la Russie en échange de ses énergies fossiles ! La transition énergétique et le Pacte vert pour l'Europe ne sont pas en concurrence avec la défense : ils sont partie intégrante de l'établissement d'une véritable souveraineté européenne. S'émanciper du gaz russe, des engrais azotés et du gaz naturel liquéfié (GNL) américain est aussi important que de réduire la part de nos acquisitions militaires auprès des États-Unis.

En ce sens, le revirement de la Commission européenne, dont le projet de paquet législatif omnibus revient sur plus d'une décennie d'avancées environnementales et sociales, arrive selon nous au pire moment, alors que le dérèglement climatique s'accélère et qu'il faudrait déployer de nouveaux outils de souveraineté économique plutôt que d'affaiblir ceux dont nous disposons !

La tâche est considérable. Que ce Conseil européen sache avancer, en actes et en cohérence, de manière efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'approche du Conseil européen des 20 et 21 mars, ce débat préalable devant la représentation nationale est d'autant plus essentiel que l'actualité internationale ne cesse de se dégrader. Les défis majeurs qui attendent l'Europe sont ainsi amplifiés, comme l'a déjà montré le Conseil européen extraordinaire présidé par Antonio Costa le 6 mars dernier.

Au cœur des débats européens figurent évidemment la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine et la question de la défense européenne, mais aussi la politique migratoire et, plus largement, notre politique extérieure.

Malgré la poursuite des pressions russes et une position américaine instable, tournée d'abord vers ses propres intérêts, l'Ukraine continue de se battre vaillamment pour sa souveraineté. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tient à réaffirmer ici son plein soutien à la résistance ukrainienne et à sa mobilisation pour une paix juste et durable.

Les sénateurs et députés socialistes restent favorables à la saisie sans délai des 210 milliards d'euros d'avoirs russes gelés et immobilisés, ainsi qu'à l'affectation intégrale à l'Ukraine des intérêts qu'ils produisent. C'est aussi la position adoptée par la majorité de l'Assemblée nationale. Laisser fléchir notre engagement aux côtés de l'Ukraine serait non seulement trahir un peuple agressé, mais aussi exposer toute l'Europe à de nouvelles menaces, physiques et cyber.

Alors, monsieur le ministre, le Gouvernement compte-t-il, enfin, porter cette exigence de justice devant le prochain Conseil européen et soutenir plus fermement la confiscation des avoirs russes et leur réaffectation directe au renforcement militaire de la résistance et à la reconstruction de l'Ukraine ?

Nous observons évidemment les différents mouvements du Président de la République et les efforts qu'il a déployés conjointement avec le Premier ministre britannique. Mais pouvez-vous nous assurer que, au-delà de cette implication toute personnelle d'Emmanuel Macron, la France est bien à la recherche d'une position partagée tant à l'échelon national qu'à l'échelon européen, voire au-delà ?

En effet, c'est de l'implication de tous les États membres que dépendent l'autonomie et l'avancement de la défense européenne, ainsi que la crédibilité des garanties de sécurité qui peuvent être apportées.

Alors que le Brexit a malheureusement modifié la place des Britanniques dans l'Europe, pouvez-vous nous indiquer quelles seront les prochaines étapes du rétablissement de relations franco-allemandes plus fidèles à l'histoire de la construction européenne ? Face aux États plus frileux, le moteur franco-allemand nous paraît en effet stratégique pour renforcer, d'urgence, l'action politique, économique et militaire de l'Europe.

Celle-ci doit se placer en première ligne face aux conflits qui secouent le monde et aux menaces qui pèsent sur la paix globale. Quant à la France, elle doit peser de tout son poids pour que l'Europe se crée une place, non pas contre les États-Unis ou quiconque d'autre, mais pour elle-même, pour sa sécurité et notre avenir à tous.

C'est vrai des négociations d'une trêve éventuelle entre l'Ukraine et la Russie.

C'est vrai face à la situation sensible dans les Balkans.

C'est vrai aussi des prochaines étapes du cessez-le-feu au Proche-Orient. Les négociations entre Israël et le Hamas semblent piétiner et les États-Unis s'imposent dans la région et entendent y jouer un rôle dont chacun perçoit bien la dangerosité et la faible compatibilité avec nos valeurs.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quelle initiative précise la France entend prendre, en lien avec l'Union européenne, pour exercer une influence positive en faveur d'une résolution juste et rapide de ce conflit meurtrier pour les populations civiles de Gaza et pour les otages ?

J'en viens maintenant à un autre sujet de l'ordre du jour de ce Conseil européen : la réforme de la politique migratoire de l'Union, censée renforcer l'efficacité des expulsions.

La révision prévue de la directive Retour fragiliserait, de notre point de vue, les valeurs européennes : on prévoit l'allongement de la durée de rétention des migrants, jusqu'à deux ans, la suppression de l'effet suspensif des recours, ou encore l'externalisation, dans des conditions opaques, des expulsions vers des pays tiers.

Au regard de l'obsession migratoire de votre collègue ministre de l'intérieur Bruno Retailleau, il faut reconnaître, monsieur le ministre, que nous ne sommes malheureusement guère surpris du silence de la France sur les aspects les plus préoccupants de ce projet de règlement, qui comporterait de graves atteintes au droit d'asile et au principe de non-refoulement !

Allez-vous réellement laisser faire, ou pouvons-nous compter sur votre discernement pour que la France veille à ce que ce nouveau texte, préparé à la hâte, sans concertation réelle avec les ONG, ne viole pas les droits fondamentaux des migrants et ne comporte pas de mesures démagogiques directement inspirées de l'extrême droite ?

Si un nouveau règlement est, par certains aspects, nécessaire, il n'aura de sens que s'il permet des retours durables et dignes. L'Europe ne peut pas, d'un côté, prôner le respect des droits humains partout dans le monde et, de l'autre, accepter les « hubs de retour » et accréditer la thèse selon laquelle les migrants seraient d'abord des criminels devant être traités comme tels.

Bref, nous vous demandons plus que jamais, monsieur le ministre, de porter avec force et cohérence le projet européen et d'affirmer une position de la France qui soit claire et conforme à son histoire et à ses valeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, vous avez mentionné la question des avoirs immobilisés en Europe de la Banque centrale russe, qui a fait l'objet d'un débat – vous l'avez rappelé – à l'Assemblée nationale la semaine dernière.

Vous connaissez la position de la France sur ce sujet.

Tout d'abord, je rappelle que ces actifs ont été immobilisés au lendemain de la guerre d'agression de la Russie, les intérêts produits par ces actifs, les profits d'aubaine, sont aujourd'hui utilisés pour financer un prêt de 50 milliards d'euros du G7 à l'Ukraine, qui sert à financer à la fois ses besoins macroéconomiques et ses besoins militaires. L'Union européenne couvre 20 milliards d'euros de ce prêt de 50 milliards.

La saisie du principal de ces actifs pose des questions juridiques, mais aussi quant au précédent que cela pourrait représenter pour les investisseurs étrangers en Europe ; la Banque centrale européenne (BCE) nous en a d'ailleurs avertis. Ce n'en est pas moins un des leviers dont nous disposons dans la négociation et le rapport de force avec Moscou.

Je rappelle néanmoins que cette décision doit être collective et consensuelle, car elle exposerait certains de nos partenaires, en particulier la Belgique, dans la mesure où – on a tendance à l'oublier – cet argent est conservé non pas en France, mais dans ce pays. Des questions demeurent donc.

Quoi qu'il en soit, ces actifs demeurent immobilisés et la décision que nous avons prise, tant au niveau du G7 que du Conseil européen, c'est qu'ils devront servir à l'Ukraine ou, en tout cas, qu'ils ne seront dégelés que le jour où la Russie acceptera de payer des réparations, ce qui n'est évidemment pas le cas aujourd'hui. Je le redis, c'est un levier dont nous disposons.

Je dirai à présent un mot du Proche-Orient, que vous avez également évoqué. Vous connaissez l'engagement et la mobilisation de la diplomatie française pour trouver les conditions non seulement d'un cessez-le-feu, mais aussi, bien sûr, d'une relance du dialogue politique qui pourra mener à deux États, israélien et palestinien, à la sécurité des Israéliens, à la souveraineté des Palestiniens et à la libération sans condition de tous les otages. La diplomatie française a été particulièrement mobilisée sur ce dossier.

Elle a également joué, aux côtés de nos partenaires américains, un rôle pilote dans la négociation du cessez-le-feu au Liban. Nous continuons à travailler, là aussi, à la restauration de la pleine souveraineté du Liban et à la relance du dialogue politique au sein de ce pays comme dans la région tout entière.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à un tournant historique : une guerre se déroule sur notre continent ; notre principal allié semble n'en être plus un ; notre économie est fragilisée. C'est dans ce contexte que se tiendra la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars prochain.

L'ordre du jour de ce prochain sommet porte sur des enjeux majeurs pour l'avenir de l'Europe, qu'il s'agisse de la guerre en Ukraine, de la situation au Proche-Orient, de la compétitivité, du prochain cadre financier pluriannuel, des migrations, de la politique maritime ou les relations extérieures de l'Union.

Plus d'un million de morts et de blessés : voilà le bilan de la guerre en Ukraine, selon le Wall Street Journal ; un million de personnes massacrées, mutilées, sacrifiées sur l'autel de l'impérialisme russe. Alors que les États-Unis de Donald Trump ont fait le choix de se rapprocher de celui qui a provoqué cette guerre, l'Europe doit, plus que jamais, être mobilisée.

Le 6 mars dernier, le Conseil européen s'était réuni pour une session extraordinaire à la suite de la suspension de l'aide américaine à l'Ukraine. À cette occasion, les Vingt-Sept se sont accordés sur des mesures historiques pour la défense européenne.

Cependant, de nombreux points restent en suspens. Sur l'Ukraine, la position commune adoptée le 6 mars renvoie à la « prochaine réunion » du Conseil européen. En effet, la Hongrie de Victor Orban, soutien de Donald Trump, a refusé d'approuver les positions des vingt-six autres États membres en faveur du renforcement du soutien à l'Ukraine. Le groupe Les Indépendants le déplore et fait part de ses vives inquiétudes sur l'attitude de la Hongrie.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous faire un point d'étape sur ce sujet déterminant pour notre sécurité collective et nos valeurs ?

En Syrie, l'histoire semble se répéter. Les tensions communautaires, qui déchirent le Proche-Orient depuis des décennies, ont encore donné lieu à des violences d'une brutalité inouïe. En l'espace de quatre jours, des milliers de civils ont été assassinés et blessés.

Des forces armées islamistes, liées au groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ont massacré des populations chrétiennes et alaouites, la communauté du dictateur Bachar al-Assad. Ces assassinats de masse rappellent les représailles dont ont fait l'objet les sunnites après la chute de Saddam Hussein, puis les chiites lors de l'arrivée de Daech. Ils font craindre le pire pour la Syrie.

Quelle est la réponse de l'Union européenne face à cela ? Aujourd'hui même, l'Union organise à Bruxelles la neuvième conférence internationale de soutien à la Syrie, afin de lever des fonds pour soutenir le peuple syrien. Il y a moins d'un mois, elle avait décidé de suspendre un certain nombre de sanctions prises à l'encontre de la Syrie, tout en réaffirmant sa volonté d'être aux côtés du peuple syrien dans la période de transition qui s'ouvre pour lui.

La Syrie a réussi à se libérer du joug de Bachar al-Assad, mais le combat n'est pas terminé. Aujourd'hui, des Syriens risquent leur vie en raison de leur appartenance religieuse ; je pense notamment aux chrétiens d'Orient. Ne laissons pas se reproduire ce qu'il s'est passé en Irak ! La situation appelle une vigilance absolue, et l'Europe devra être au rendez-vous.

Au-delà de la guerre, c'est notre économie qui est aujourd'hui menacée. Paru en septembre dernier, après celui de M. Letta, le rapport de M. Draghi sur notre compétitivité est sans appel. Pour qualifier la situation de l'économie européenne, Mario Draghi en vient à parler de " lente agonie ". Or qui dit affaiblissement économique dit perte de souveraineté et d'indépendance. C'est pourquoi la compétitivité européenne sera, elle aussi, au cœur des échanges des 20 et 21 mars.

La Commission européenne semble s'être saisie pleinement de cette problématique, en publiant à la fin du mois de janvier dernier une " boussole pour la compétitivité ".

Ce document fixe trois objectifs pour relancer l'économie européenne : combler notre retard d'innovation ; combiner décarbonation et compétitivité ; enfin, réduire les dépendances et renforcer notre sécurité.

Le groupe Les Indépendants salue cette démarche, mais insiste sur la nécessité de prioriser les initiatives visant à simplifier les normes. Cette simplification est vitale pour l'avenir de nos entreprises. Elle est d'ailleurs au cœur des priorités de l'Union, comme le montre le paquet législatif omnibus dévoilé à la fin du mois de février.

Dans un monde de plus en plus instable, face à une concurrence de plus en plus déloyale, ces mesures de simplification s'imposent. Il y va de notre souveraineté. En ce sens, monsieur le ministre, comment envisagez-vous la mise en œuvre de ces mesures à l'échelle nationale ?

Les 20 et 21 mars, le Conseil européen abordera également le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union. Cette question est tout aussi stratégique pour notre souveraineté que la compétitivité. Le 12 février dernier, la Commission a présenté un document exposant les grandes orientations de ce prochain budget.

Pour sa part, le groupe Les Indépendants alerte sur la nécessité d'un budget qui soit à la hauteur des défis qu'il nous faudra relever. Dans ce cadre, monsieur le ministre, quelles sont les positions du Gouvernement sur la mise en place de nouvelles ressources propres ?

Enfin, la question des migrations sera l'un des points clés de la prochaine réunion du Conseil. Là encore, les enjeux sont majeurs.

Le 11 mars dernier, la Commission a dévoilé au Parlement européen le projet de règlement visant à faciliter les départs de migrants en situation irrégulière. En effet, chaque année, près d'un demi-million de migrants illégaux reçoivent l'ordre de quitter l'UE, mais seulement un sur cinq le fait. Comment faire respecter notre politique migratoire si notre droit n'est pas réellement appliqué ? Nous accueillons donc favorablement cette volonté de réforme. Dans ce domaine, monsieur le ministre, quelles sont les perspectives du Gouvernement ?

Pour conclure, j'insiste sur le moment de bascule historique dans lequel nous nous trouvons. Notre seule boussole doit être le renforcement, l'unité et l'efficacité de l'Union européenne. C'est ce que notre groupe attend de la prochaine réunion du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

M. Jean-Pierre Grand. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Laménie, vous avez évoqué beaucoup de sujets dont l'importance est évidente. Je rebondirai sur plusieurs d'entre eux.

Pour ce qui est de la Hongrie, si nous continuons de maintenir un dialogue exigeant avec ce pays, c'est précisément afin de pouvoir trouver un consensus européen.

Aujourd'hui même, au Conseil des ministres des affaires étrangères, où Jean-Noël Barrot représentait la France, nous avons renouvelé les sanctions – gels d'avoirs et interdictions de visas notamment – contre un certain nombre d'individus liés au régime ou au monde économique russes et, partant, à la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine. Pour ce faire, nous avons travaillé avec la Hongrie, tout en nous montrant extrêmement vigilants et fermes sur les atteintes à l'État de droit, comme nous l'avons toujours été aux côtés de la Commission européenne.

Vous avez aussi évoqué, à la suite de plusieurs orateurs, la question de la simplification des normes et plus particulièrement les avancées du paquet législatif omnibus ; vous m'interrogez sur leur transposition dans le droit national. De fait, nous en avons déjà transposé certaines, mais le calendrier d'application fait qu'elles ne sont pas entrées en vigueur à ce jour, mais trouveront à s'appliquer dans les prochaines années. Je pense à des mesures de report et de seuil qui préservent notamment certaines catégories de PME de diverses obligations.

Pour ma part, je pense qu'il faut aller plus loin. J'évoquais tout à l'heure l'exemple de la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) : il faut réduire le nombre d'obligations de reporting que l'on fait peser sur nos entreprises.

On parle ici d'enjeux européens, mais un autre volet du problème est bien national : il s'agit de la façon dont, en France, nous surtransposons un certain nombre de directives européennes. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au service des affaires européennes de Matignon de réaliser un audit de tous les textes qui ont été surtransposés depuis une dizaine d'années.

En 2018, un premier texte législatif visait déjà, si vous me pardonnez ce jargon quelque peu technocratique, à procéder à une « désurtransposition » de certains textes de nature diverse, portant notamment sur les questions agricoles et environnementales, qui pesaient souvent sur nos entreprises. Cette fois-ci encore, nous regarderons, texte par texte, où il est possible d'aller plus loin pour simplifier la vie de nos acteurs économiques.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Je veux enfin vous répondre très brièvement sur la Syrie. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure à la tribune, les levées de sanctions sont évidemment réversibles. La France continuera de tenir un discours très exigeant sur la protection des droits humains, sur la lutte contre le terrorisme, sur le dialogue inclusif et bien sûr, comme vous nous y appelez, sur la protection des chrétiens d'Orient.

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en l'espace de trois ans, l'environnement stratégique du continent européen s'est radicalement transformé.

D'abord, c'est un tabou que la Russie a brisé, en recourant à la force armée contre un État voisin et en violant ses frontières pour les remodeler.

Désormais, c'est le totem de l'alliance atlantique que le Président américain fait vaciller au travers de son rapprochement avec Vladimir Poutine, de ses critiques envers l'Otan, ou de ses attaques sur le terrain commercial.

Pour nombre de pays européens qui ont assis leur vision du monde, leur prospérité et leur sécurité sur le lien transatlantique, l'émotion est particulièrement vive. Pourtant, la situation exige avant tout une analyse lucide, que ce soit sur l'état de la menace ou sur celui de nos alliances.

En effet, alors que l'armée russe jette toutes ses forces dans la bataille et que ses pertes humaines et matérielles atteignent des niveaux considérables, ses avancées restent modestes. Et si, après trois ans de combats, elle n'a pas réussi à passer le Dniepr, qui pourrait croire qu'elle est en mesure de se porter jusqu'aux rives du Rhin ?

Néanmoins, le passé récent, en Géorgie ou en Ukraine, alimente les craintes de nos amis et alliés d'Europe centrale. Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer les risques que la Russie fait peser sur notre pays, que ce soit par ses intimidations nucléaires et balistiques ou par l'agressivité qu'elle manifeste à notre encontre dans tous les champs hybrides.

La menace russe est donc objective. La qualifier d'existentielle, comme l'a fait le Président de la République, est à mon sens tout à fait exagéré, mais il n'en reste pas moins vrai qu'elle s'est renforcée et qu'elle trouve dans le nouveau positionnement américain un contexte favorable à son intensification.

Quant aux États-Unis, ils sont certes devenus un allié imprévisible, mais ils restent tout de même un allié. Ainsi, ni une dénonciation de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord ni un retrait des dizaines de milliers de soldats américains stationnés en Europe ne semblent devoir advenir dans un avenir proche.

Un fait n'en demeure pas moins : le pivot des États-Unis vers l'Asie s'accélère. Et demain, indépendamment de la présidence Trump, l'engagement américain sur notre continent ne sera plus celui d'hier.

Les Européens sont dès lors face à un choix. Il ne s'agit pas de penser notre sécurité collective en dehors de toute alliance ni, encore moins, de se préparer à affronter la Russie sur le terrain ukrainien. Aucune de ces extrémités n'est raisonnable ni même crédible.

Il importe en revanche de prendre acte des transformations de l'ordre international et des bouleversements de notre environnement proche, et d'agir en conséquence, ne serait-ce que pour gagner la considération stratégique qui nous est aujourd'hui refusée.

À court terme, cela signifie que nous ne pouvons abandonner l'Ukraine à son sort. À moyen et long terme, cela impose de mettre enfin sur pied une défense du continent européen qui, pour être dissuasive, devra être à la fois crédible et autonome.

Ne nous payons toutefois pas de mots : les défis à relever pour atteindre ces objectifs sont immenses. Cela prendra nécessairement plus de temps que nous ne le souhaiterions. Surtout, ils impliqueront d'agir selon certains principes.

Je pense tout d'abord au pilotage de nos efforts collectifs. En effet, la remontée en puissance de nos outils militaires ne peut être menée anarchiquement ; elle devra nécessairement être coordonnée dans de nombreux domaines.

Néanmoins, ce processus ne peut servir de paravent à la transformation des compétences dévolues par les traités. L'article 4 du traité sur l'Union européenne est parfaitement clair : « La sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. » L'idée d'une armée européenne, à laquelle, heureusement, plus grand monde ne croit, est donc vouée à rester une chimère.

Mais, au-delà, nous devons affirmer que la coopération européenne de défense est par essence intergouvernementale et qu'elle doit le rester. Il n'est ainsi pas acceptable que la Commission européenne cherche, comme elle l'a fait dans le cadre de la proposition de règlement relatif au programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), à s'arroger des prérogatives qui, par nature, ne peuvent pas être les siennes. De la sorte, la présidente von der Leyen dépasse à mon sens très largement ses attributions.

En outre, les débats sur ce projet de règlement livrent un autre enseignement : la révolution culturelle qu'implique l'autonomie stratégique européenne n'est pas encore parvenue à son terme.

En effet, si une certaine prise de conscience s'est indéniablement enclenchée, les discussions sur la notion de préférence européenne en matière d'achat de matériels militaires restent particulièrement difficiles, en écho au fait que le réarmement qui a commencé à s'opérer en urgence dans les États membres s'est surtout concrétisé par des achats d'équipements américains.

Or il y a là une contradiction majeure. Comment les Européens peuvent-ils déclarer leur volonté d'assumer leur propre sécurité, voire proclamer leur souveraineté collective, tout en acceptant de rester sous tutelle, en étant armés par un tiers ?

En ce qui nous concerne, la ligne est claire : affirmer l'autonomie stratégique, c'est affirmer que la défense de l'Europe doit être assurée en premier lieu par les armes de l'Europe et que les fonds européens doivent aller aux entreprises européennes.

Enfin j'évoquerai la dimension financière de ces enjeux. En effet, si nos efforts doivent s'amplifier, ils doivent aussi être financés.

La situation budgétaire et financière de notre pays nous interdit, de fait, de recourir pour cela à l'impôt ou à la dette. C'est bien pourquoi l'initiative ReArm Europe présentée récemment par Ursula von der Leyen ne nous sera sans doute pas d'une grande utilité.

En effet, loin de mettre sur la table 800 milliards d'euros d'argent frais, comme la présidente de la Commission aime à le faire penser, ce plan repose principalement sur deux propositions.

D'abord, on exclurait, partiellement, les dépenses de défense des règles du pacte de stabilité et de croissance. Cette mesure, que nous soutenons de longue date, arrive bien tard, hélas ! car le déficit de la France atteint aujourd'hui des sommets, et s'il ne passe pas sous les fourches caudines de la Commission, il passera nécessairement tôt ou tard sous celles des marchés.

Ensuite, le plan prévoit d'octroyer aux États membres des prêts garantis par le budget européen. Mais ceux-ci devront bien être remboursés, tout comme d'éventuels nouveaux Eurobonds qui, en l'absence de nouvelles ressources propres, devraient in fine être financés par les budgets nationaux.

Pas plus pour la défense que pour d'autres secteurs, il n'y aura d'argent magique, et notre effort de défense ne pourra être assumé, pour l'essentiel, que grâce à des économies supplémentaires et à des réformes libérant le potentiel de croissance.

Je me félicite ainsi que la Commission ait fait de la réduction de la charge administrative l'un des éléments clés de sa politique économique pour les cinq années à venir. Après des années passées à surréglementer méthodiquement, elle semble enfin avoir compris que la coupe était pleine pour nos entreprises, asphyxiées sous une avalanche de normes. Et nos industries de défense ne font pas exception, tant s'en faut. Il est donc positif qu'un train de mesures de simplification spécifiques à ce secteur accompagne la présentation cette semaine du livre blanc de la Commission.

J'insiste néanmoins sur la nécessité absolue de revenir sur la conception de certains textes. Je pense en particulier à la taxonomie européenne des investissements durables, qui vient brider les circuits d'investissements et qui, il faut bien le dire, ressemble parfois à une mise à l'index pure et simple des entreprises de défense.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le renforcement national et européen de nos outils militaires est une nécessité que nous reconnaissons sans ambages. Mais loin de l'émotion qui parfois peut nous saisir face au tourbillon des événements, cette tâche considérable exigera que nous nous y attelions avec calme et lucidité, avec détermination et constance – et surtout, monsieur le ministre, avec réalisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Cadec, merci pour ces différents éléments et pour cet appel au calme, à la détermination et au réalisme, que nous partageons.

Vous avez évoqué la taxonomie qui, en effet, excluait la défense. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons poussé à la modification du mandat de la Banque européenne d'investissement (BEI). Nous continuerons à œuvrer pour faciliter les investissements dans la défense et à promouvoir une préférence européenne afin de renforcer notre industrie de défense autonome.

Vous avez fait référence à l'alliance avec les États-Unis. Vous avez raison, les Américains restent nos partenaires et nous voulons continuer de travailler avec les États-Unis. C'est d'ailleurs dans cet esprit que, sous l'impulsion du Président de la République, nous cherchons à renforcer la position de négociation des Ukrainiens dans le rapport de force avec la Russie, tout en réalisant des investissements massifs pour relancer notre outil de défense européen.

Parallèlement, nous maintenons un dialogue diplomatique constant avec les États-Unis, car il ne serait pas dans leur intérêt de concéder une victoire à Vladimir Poutine, de forcer une capitulation de l'Ukraine et de créer un précédent vis-à-vis de la Chine ou d'autres puissances qu'ils considèrent aujourd'hui comme prioritaires. Ces deux approches, que nous menons simultanément, ne nous semblent pas contradictoires, et vous avez raison de le souligner.

Enfin, l'outil de défense européen reste, bien entendu, l'apanage des États membres. Il n'y a pas de contradiction entre, d'une part, une vision européenne permettant d'identifier nos dépendances et nos lacunes capacitaires – qu'il s'agisse des frappes en profondeur, de l'artillerie, des munitions, du cyber, des drones ou encore des satellites – et, d'autre part, le fait de dégager des financements, aussi bien à l'échelle européenne qu'auprès des États membres. Mais il est essentiel de rappeler que les États conservent leur souveraineté sur l'usage de la force militaire et qu'il n'est en aucun cas question d'une fédéralisation de l'outil militaire, comme cela peut parfois être avancé dans le débat politique.

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mercredi dernier, les ministres de la défense des cinq plus grandes nations militaires européennes – la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Pologne – étaient réunis à Paris. Nos objectifs sont toujours identiques : faire front commun pour instaurer un nouveau cadre de sécurité pour l'Ukraine ; faire front commun avec une nouvelle politique de défense européenne ; faire front commun afin de répondre au rapprochement entre les États-Unis et la Russie ; faire front commun au Parlement.

Prenons le temps de nous rappeler les mots de celui qui, en 2017, entrait à l'Assemblée nationale et regardait avec mépris le drapeau européen présent dans l'hémicycle : " On est obligés de supporter cela… ", disait-il ! Rappelons-nous celle qui, en 2022, annonçait un recours devant le Conseil d'État parce que le drapeau européen flottait sous l'Arc de Triomphe, pendant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. C'était une provocation, à ses yeux ! Elle se disait défenseure des productions françaises, mais, dans le même temps, soutenait avec force celui qui envisage aujourd'hui d'imposer des droits de douane de 200 % sur le champagne et les vins français. Rappelons-nous, au-delà des symboles, qu'ils ont systématiquement été contre l'Europe et sa nécessaire souveraineté.

Mais constatons aussi, dans le même temps, que le Président de la République a toujours poussé nos alliés à réfléchir à une défense commune et à investir dans ce sens, pour que nous ne dépendions que de nous-mêmes. À ses côtés se tiennent les membres de sa majorité, mais aussi plusieurs groupes politiques du Sénat.

Emmanuel Macron a toujours défendu une Europe puissante. La volonté du chef de l'État a pu être critiquée, mais la politique s'inscrit dans le temps long, et l'ère géopolitique nouvelle qui s'est ouverte lui donne plus que jamais raison sur ce point.

Certains aimeraient faire croire ici que nous aurions librement à choisir entre le réarmement et la défense de l'environnement, là que nous sommes en train de choisir le péril hypothétique russe plutôt que la lutte contre le terrorisme islamiste. Si nous comprenons aisément la raison politicienne et le ressort démagogique de ces discours, ils n'en restent pas moins faux et sont, en vérité, irresponsables.

C'est bien parce que nous ne voulons, ni ne pouvons ni ne devons choisir que l'Europe unie est la solution, et la seule. Il en sera question lors du prochain Conseil européen, et il en sera question à titre principal – avec, bien entendu, la situation au Proche-Orient.

Dans ce contexte international bouleversé, grave, dangereux, anxiogène que nous connaissons désormais, nous avons ici même, au Sénat, débattu de la guerre en Ukraine à la veille de l'allocution présidentielle. Même si la défense nationale et les affaires internationales relèvent du domaine réservé du chef de l'État, le Parlement français jouera tout son rôle d'interpellation et de proposition, comme nous le faisons aujourd'hui.

Monsieur le ministre, les dirigeants des Vingt-Sept, soutenus par des majorités politiques très différentes, ont donné leur feu vert au plan de la Commission européenne pour nous réarmer contre les menaces expansionnistes et existentielles. La France a été motrice. Ce sont 800 milliards d'euros qui sont prévus, dont 150 milliards d'euros sous forme de prêts, pour renforcer nos capacités de défense.

L'ancien ministre Hubert Védrine l'a souligné dans Le Télégramme, c'est notre épreuve de vérité. Le groupe RDPI tient à saluer l'action constante et l'engagement remarquable, depuis des années, de Sébastien Lecornu, ministre des armées. Celui-ci reconnaît la nécessité d'accroître le niveau d'information des groupes parlementaires. C'est pourquoi il a reçu les présidents de groupe de l'Assemblée nationale et du Sénat, au lendemain de l'adoption par les députés d'une résolution sur le renforcement du soutien à l'Ukraine. Mais il a démontré aussi, jeudi dernier encore, sa volonté d'informer les Français eux-mêmes et de débattre avec eux – une attitude qui doit être saluée.

Monsieur le ministre, alors que nous avons à nous prononcer chaque année sur les crédits de la défense, que nous avons à débattre des projets de loi de programmation militaire, et que l'examen du prochain budget, sur ce point, sera d'une importance cruciale, pourriez-vous nous détailler les positions que la France défendra ces 20 et 21 mars, sur le financement mutualisé et sur les outils prévus par chaque État membre ?

Impliquée moi-même dans les problématiques de commande publique, je souhaite connaître la position de la France en ce qui concerne la préférence européenne dans les achats militaires. Les fonds mobilisés doivent financer l'industrie européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Nadille, je tiens à souligner l'importance de ce que vous avez mentionné en introduction. En cette période de bascule géopolitique, alors que nous connaissons un tournant historique, nous avons besoin d'une Europe forte. C'est la vision que la France défend depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République en 2017 : une Europe moins dépendante technologiquement, militairement et énergétiquement de ses voisins, une Europe qui reprend en main son destin.

Alors que l'on a tant entendu parler de la perte d'influence de la France ou des divisions entre Européens, nous constatons aujourd'hui que les idées que nous défendons depuis 2017 sont au cœur des débats européens. Nous voyons les vingt-sept États membres s'unir pour réaffirmer leur soutien à l'Ukraine et, surtout, prendre des décisions historiques, qui constituent des étapes majeures, pour réinvestir dans l'outil militaire.

La position de la France n'a jamais varié : nous devons absolument soutenir une industrie de défense européenne autonome. Il s'agit de donner de la visibilité à nos industriels, de leur permettre de monter en capacité, mais aussi de préserver notre savoir-faire technologique et la maîtrise de ces technologies.

C'est la ligne que nous défendons dans les négociations, notamment sur le règlement relatif au programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), actuellement en discussion au sein des institutions européennes.

C'est également la position que nous porterons dans les discussions à venir sur les mécanismes de gouvernance des financements annoncés par la Commission européenne. Nous devons investir pour combler les lacunes identifiées dans nos domaines capacitaires à l'échelon européen : c'est ce que disent déjà les conclusions du Conseil européen extraordinaire du 6 mars. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen se réunira les 20 et 21 mars prochain. Cette rencontre fait suite au sommet extraordinaire convoqué le 6 mars dernier, qui a surtout été l'occasion d'aborder la question du réarmement de l'Europe et de l'Ukraine dans le contexte géopolitique que l'on connaît. De fait, nous attendons avec une certaine impatience le livre blanc sur la défense qui doit être publié mercredi.

Si la proposition de cessez-le-feu élaborée à Djeddah a légèrement fait bouger les lignes diplomatiques, et si des discussions techniques ont débuté aujourd'hui, la situation reste hautement préoccupante. Depuis le 11 mars, la position russe demeure largement ambiguë. Bien sûr, tout part du revirement des États-Unis, la position de l'administration de M. Trump tranchant largement avec le soutien de son prédécesseur à l'Ukraine. Le rapprochement avec la Russie crée une instabilité manifeste, qui force l'Europe au réveil. Pour l'heure, beaucoup jugent la politique de Donald Trump erratique et peu compréhensible.

Nous espérons qu'elle le soit, en fait, plutôt que d'imaginer que la stratégie actuelle est parfaitement pensée et voulue : cela ne la rendrait que plus dangereuse. En effet, la thèse selon laquelle les États-Unis seraient en train de laisser le champ libre à la Russie sur le vieux continent devient de plus en plus plausible.

Ce bouleversement que nous connaissons depuis quelques semaines, nous n'avons plus d'autre choix que de le comprendre comme une occasion offerte à l'Union européenne. Il sera, espérons-le, l'électrochoc qu'il fallait à l'Europe pour qu'elle commence à réinvestir collectivement dans sa défense et dans sa souveraineté, sans compter aveuglément et ad vitam aeternam sur le soutien des États-Unis. Ce sont 800 milliards d'euros qui devraient ainsi être mobilisés par la Commission européenne.

Cette nouvelle donne n'en demeure pas moins catastrophique pour l'Ukraine. Cela fait un peu plus de trois ans que ce pays subit l'invasion russe, trois ans que les Ukrainiennes et les Ukrainiens s'épuisent à défendre leurs vies et leur territoire, face à un État russe toujours plus autoritaire.

À l'issue du Conseil européen du 6 mars dernier, tous les États membres de l'Union, à l'exception notable de la Hongrie, ont réaffirmé les conditions indispensables à la paix entre l'Ukraine et la Russie : une paix globale, juste et durable, des négociations qui incluent nécessairement l'Ukraine et l'Europe et surtout, une paix qui respecte l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

À la différence du président et du vice-président des États-Unis, membres éminents de l'internationale réactionnaire, nous ne voulons pas d'une paix au rabais, impliquant une répartition des territoires et des ressources ukrainiens. D'ailleurs, de leur côté, les États-Unis semblent parfois hésiter. Ils cessent les livraisons d'armes et de renseignements un jour pour les reprendre le lendemain… La seule conclusion que nous pouvons tirer de cette séquence est que les États-Unis ne sont plus un allié fiable. L'Europe doit en tirer les conséquences.

Une série de questions se pose, aussi, d'un point de vue financier. Pouvons-nous à la fois maîtriser nos déficits publics, dépenser davantage pour nos armées respectives et accélérer notre soutien à l'Ukraine ? La réponse est non. Aussi notre groupe demande-t-il une transparence totale sur ce sujet, préalable indispensable pour que l'ensemble de nos compatriotes adhèrent aux mesures qui doivent être prises.

Enfin, la prochaine réunion du Conseil européen sera l'occasion d'aborder la situation au Proche-Orient. Sur ce sujet également, Donald Trump tente de rebattre les cartes pour montrer au monde entier ses talents de deal maker. Mais la diplomatie, la bonne diplomatie, s'improvise rarement, surtout lorsque les propositions formulées sont aberrantes, à l'instar de cette idée de transformer Gaza en Riviera du Proche-Orient.

Le groupe du RDSE ne peut qu'affirmer l'absolue nécessité de respecter le droit international et les droits fondamentaux des individus. L'Union européenne et la France doivent peser de tout leur poids pour que le cessez-le-feu actuel entre le Hamas et Israël et les échanges de prisonniers et d'otages se poursuivent dans de bonnes conditions, afin que le cessez-le-feu temporaire devienne définitif.

Qu'il s'agisse de l'Ukraine ou du Proche-Orient, l'enjeu pour l'Europe et pour la France n'est pas simplement de mettre un terme aux conflits, qui ne cessent de se multiplier et de prendre de l'ampleur ; il est d'établir les conditions d'une paix juste et durable entre tous les belligérants. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, sur l'Ukraine, vous connaissez la position de la France. Avec ses partenaires européens, notre pays s'engage pour trouver les conditions d'une paix juste et durable. Cela ne signifie pas un simple cessez-le-feu, qui risquerait de n'être qu'une trêve temporaire, exploitée par la Russie pour se réarmer et relancer ses attaques contre les Ukrainiens.

Nous nous félicitons que le président Zelensky ait accepté le principe d'une trêve de trente jours afin de créer les conditions d'une négociation. Il revient désormais à la Russie de montrer qu'elle est prête à choisir la voie de la paix et de la diplomatie, qu'elle a rejetée ces trois dernières années.

Rappelons que la fin de cette guerre passe par un renforcement de la pression sur la Russie, l'agresseur qui, une fois encore, a choisi la voie de la guerre, et ce depuis 2014. Cette pression s'exerce à la fois par un soutien militaire accru à l'Ukraine et par un durcissement des sanctions économiques.

C'est pourquoi nous nous félicitons d'avoir procédé aujourd'hui, en Conseil des affaires étrangères, à des désignations supplémentaires, en complément des sanctions déjà adoptées il y a quelques semaines, notamment dans le secteur énergétique russe. Nous poursuivrons ce travail pour maintenir la pression sur la Russie et établir les conditions d'une paix durable.

Cette paix devra nécessairement s'accompagner de garanties de sécurité pour l'Ukraine. Nous avons tous en mémoire les accords de Minsk, violés à plusieurs reprises par la Russie. C'est pourquoi, pour assurer une paix durable, les Européens devront pleinement assumer leurs responsabilités. C'est le sens du rôle moteur que la France joue aux côtés de ses partenaires européens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'histoire européenne est faite de ces moments où l'impensable devient réalité. On croyait l'Union incapable de recourir à l'endettement commun, jusqu'à ce qu'une pandémie l'y contraigne. On la pensait figée dans ses dépendances, jusqu'à ce que l'invasion de l'Ukraine par la Russie impose un tournant majeur.

Aujourd'hui, l'Europe doit impérativement renforcer son autonomie stratégique. Cela passe par le rehaussement de nos dépenses militaires, mais aussi par un investissement massif dans notre souveraineté économique et technologique, afin de soutenir à la fois la réindustrialisation du continent et la transition écologique.

Dans le domaine de la défense, il y a une première évidence : nous devons instaurer une préférence européenne dans les achats militaires. Mais la question centrale demeure bien entendu le financement de l'effort.

La présidente de la Commission a annoncé un plan de 800 milliards d'euros pour la défense européenne, dont 150 milliards d'euros seraient mutualisés via un prêt européen, le reste reposant sur les dépenses individuelles de chaque État membre.

Pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, cet effort ne saurait se traduire par des coupes budgétaires qui fragiliseraient notre modèle social. Il ne saurait non plus servir de prétexte pour enterrer toute modification de la réforme des retraites.

Afin d'éviter que cet effort ne se fasse au détriment de dépenses utiles à nos concitoyens, l'Union européenne devra également être capable de mobiliser des financements exceptionnels. Ainsi, plusieurs centaines de milliards d'euros pourraient être débloqués dans le cadre du mécanisme européen de stabilité (MES). Monsieur le ministre, cette piste est-elle envisagée ?

Autre conséquence de la nouvelle donne géopolitique : les cours boursiers des industries de défense connaissent un envol depuis plusieurs mois. Le risque de superprofits est bien réel. Quelles mesures sont envisagées pour éviter qu'une rente de situation ne se forme sur le chaos géopolitique ?

Notre souveraineté ne se résume pas aux chars et aux canons. L'effort doit aussi porter sur les infrastructures numériques : réseaux sociaux, intelligence artificielle, cybersécurité, stockage et protection des données. L'Europe ne peut plus se contenter d'être un marché captif, en proie aux ingérences étrangères d'États qui cherchent à l'affaiblir.

Reprendre la main passe par le développement de plateformes souveraines, financées par des fonds publics. Tel est notamment l'objet de la proposition de résolution européenne sur la souveraineté numérique de l'Union européenne du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dont Catherine Morin-Desailly et moi sommes les rapporteures et qui a été adoptée la semaine dernière à l'unanimité par la commission des affaires européennes.

Monsieur le ministre, comment la France défendra-t-elle un modèle numérique européen affranchi des géants américains et chinois ?

Par ailleurs, alors que les négociations du cadre financier pluriannuel pour les années 2028-2034 débutent, la question de l'adoption de nouvelles ressources propres est cruciale. Si nous n'y apportons pas de réponse, le remboursement du plan Next Generation EU incombera aux États. Sans nouvelles ressources propres, la participation de la France au budget de l'Union européenne augmentera inexorablement. Nous espérons que la France saura faire entendre sa voix sur ce sujet.

Enfin, notre quête de souveraineté ne doit pas se faire au détriment de nos engagements sociaux et environnementaux. La compétitivité et la simplification sont des enjeux clés, mais elles ne doivent pas servir de prétexte à un nivellement par le bas. Simplifier les normes ? Oui. Baisser le niveau d'exigence ? Non !

Quelle est la position de la France sur la révision des directives CSRD et CS3D, notamment sur la condition suspensive ?

Monsieur le ministre, une Europe forte ne peut être qu'une Europe qui protège, qui régule et qui innove. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, je vous encourage à ne pas opposer souveraineté et simplification, bien au contraire. Si nous imposons à nos entreprises des normes certes fondées sur une ambition louable – la décarbonation et la transition environnementale de notre continent –, mais dont l'application fragilise nos industriels face à la concurrence chinoise et américaine, alors nous affaiblirons notre souveraineté tout en nous éloignant de nos objectifs en matière de transition environnementale.

C'est précisément dans cet esprit que mes collègues Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, et moi-même avons obtenu la suspension et le lissage des amendes que devaient payer les constructeurs automobiles en 2025. Il était en effet absurde d'exiger de ces industriels, qui ont consenti d'importants investissements dans l'électrification de leurs véhicules, qu'ils paient des pénalités ou achètent des crédits d'émission de carbone à leurs concurrents – en l'occurrence des acteurs chinois comme BYD ou américains comme Tesla – alors même que la demande en véhicules électriques a chuté en 2024, sans que cette baisse soit liée aux efforts des constructeurs.

Faire preuve de pragmatisme et de bon sens pour accompagner nos industriels dans la transition environnementale en leur simplifiant la tâche n'est en aucun cas contradictoire avec l'objectif de souveraineté économique.

Je dirai enfin un mot sur la souveraineté numérique, car vous avez raison d'insister sur ce point. La souveraineté ne se limite pas à l'autonomie stratégique militaire ; elle implique aussi de ne pas dépendre d'acteurs étrangers, notamment américains ou chinois, pour nos technologies. Nous savons en effet combien cette dépendance peut avoir des effets sur notre démocratie et notre espace public.

C'est pourquoi nous devons faire respecter nos règles européennes, notamment le règlement sur les services numériques, le Digital Services Act (DSA), et le règlement sur les marchés numériques, le Digital Markets Act (DMA), pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des grandes plateformes. Mais nous devons également investir et innover en soutenant notre écosystème technologique, nos start-up et nos entreprises en Europe, afin que les financements ne partent pas à l'étranger, en particulier aux États-Unis. C'était tout l'enjeu du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle organisé récemment par la France.

Notre stratégie repose donc sur deux piliers : défendre nos règles pour protéger notre démocratie ; investir et innover pour garantir notre autonomie technologique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)


source https://www.senat.fr, le 31 mars 2025