Texte intégral
Bonjour à toutes et à tous,
Je reviens d'une tournée en Asie où j'ai pu constater le souhait d'un certain nombre de pays d'approfondir leur coopération avec la France - et avec l'Europe d'ailleurs -, au moment où s'agite le spectre des guerres commerciales. C'est vrai des pays de l'Asie du Sud-Est, des pays de l'ASEAN.
C'est vrai aussi de la Chine, où ma visite a permis de franchir une étape importante dans le règlement du différend qui nous oppose sur la question du cognac et de l'armagnac. Avant ma visite, les filières européennes, la filière française, étaient sous la menace d'une application imminente des droits définitifs chinois sur le cognac et l'armagnac, entravées dans leurs activités par le blocage des ventes dans les duty free. Ma visite a permis de repousser cette menace imminente, avec un report des conclusions de l'enquête, et aux autorités chinoises de décider d'une mesure d'assouplissement de l'approvisionnement des duty free en cognac et en armagnac C'est donc une étape importante vers le règlement de ce différend qui nous permettra d'avancer résolument vers les coopérations que nous appelons de nos voeux entre la France et la Chine ; entre, bien sûr, l'Union européenne et la Chine. Parce que nous appelons de nos voeux la coopération plutôt que la confrontation.
Et de ce point de vue-là, je souhaite vivement que nos alliés américains puissent réexaminer leur décision à venir, mercredi prochain, d'appliquer des droits de douane réciproques.
D'abord parce que les droits de douane, ce sont des impôts sur les classes moyennes et sur les classes moyennes américaines. L'application de ces droits de douane renchérirait le coût pour les familles américaines de faire le plein à la station essence, ou de faire le plein de courses au supermarché.
Ensuite, parce que les États-Unis ont un besoin vital de l'économie européenne. D'abord parce que notre marché unique permet à leurs entreprises de se développer, et je pense en particulier aux grandes entreprises américaines du numérique, qui réalisent un quart de leurs revenus en Europe - c'est plusieurs centaines de milliards d'euros, de dollars. Ensuite, parce que l'épargne européenne contribue à financer l'économie américaine et le déficit public américain. La zone euro finance l'Union européenne à hauteur de 3.000 milliards d'euros, une fois pris en compte, nets, les investissements américains en Europe. 3.000 milliards d'euros, c'est considérable. C'est la taille du PIB français, de la richesse nationale produite chaque année en France. Et puis pour vous donner un autre exemple, la France détient 335 milliards de dollars de bons du Trésor américain. Là encore, c'est considérable : cela représente deux années de déficit public français.
Enfin, je souhaite vivement que les États-Unis puissent réexaminer cette décision d'appliquer des droits de douane réciproques. Parce que s'ils le faisaient, la Commission européenne serait conduite, d'une manière ou d'une autre, à répliquer comme elle le fait systématiquement lorsque les intérêts commerciaux de l'Europe sont atteints. Et elle le ferait en mobilisant l'ensemble des instruments à sa disposition pour lutter contre les mesures de coercition ; plus généralement, ses instruments de dissuasion. Et elle dispose aujourd'hui d'instruments particulièrement puissants qui lui permettent d'aller bien au-delà de l'application de droits de douane, en réplique à des droits de douane qui seraient appliqués sur des produits européens, mais également appliquer des taxes aux exportations et pas seulement aux importations, à prendre des mesures de restriction à l'accès aux marchés publics européens, voire même à des restrictions d'accès au marché unique européen, des services, y compris des services numériques ou des services financiers.
Tout cela, nous voulons évidemment l'éviter. Et c'est pourquoi nous appelons les États-Unis, dont la France est le plus ancien des alliés, à entrer dans une logique de coopération plutôt qu'une logique de confrontation.
Un mot sur la réunion d'aujourd'hui, qui est très importante et que je remercie l'Espagne d'accueillir, qui va nous permettre de faire le suivi et d'opérationnaliser les décisions qui ont été prises lors du sommet de jeudi dernier que le Président de la République a convié à l'Elysée, en présence de Volodymyr Zelensky. Et en particulier, de poursuivre notre soutien à la résistance ukrainienne. De ce point de vue-là, le Président de la République a annoncé deux milliards d'euros de soutien supplémentaire à l'Ukraine en provenance de la France. De soutenir les efforts américains pour aboutir à un cessez-le-feu. Et de ce point de vue-là, il y a déjà plusieurs semaines, l'Ukraine a consenti à un cessez-le-feu sans conditions, cependant que la Russie poursuit ses crimes de guerre, et je le dis au jour du troisième anniversaire du massacre de Boutcha. Je crois qu'aujourd'hui, la Russie doit aux États-Unis d'Amérique, qui se sont beaucoup engagés pour aboutir à un cessez-le-feu, une réponse claire sur sa volonté de cheminer vers la paix : c'est oui, ou c'est non.
Et puis cette réunion nous permettra aussi, je dirais, dans la suite de la réunion du sommet de jeudi dernier, d'aborder la préparation des garanties que nous pourrons apporter une fois la paix conclue pour qu'elle soit juste et qu'elle soit durable. Et de ce point de vue-là, une équipe franco-britannique se rendra dans les prochains jours en Ukraine pour avancer sur ces travaux.
Ce soutien à l'Ukraine, il s'inscrit plus largement dans notre souhait de renforcer la paix et la sécurité en Europe. Et pour cela, de poursuivre le travail engagé au niveau européen avec le Livre blanc sur la défense ; nous aurons des échanges avec le commissaire en charge aujourd'hui. Et puis, dans la suite des conclusions du Conseil européen qui ont défini les besoins capacitaires et les moyens de les combler. Parce que oui, si nous voulons la paix et la sécurité, nous devons dissuader la menace, et nous dissuaderons la menace par la force militaire. Une force militaire qui s'appuiera sur notre force économique et sur notre force morale. Nous avons tous les moyens pour y parvenir. Nous avons une épargne abondante, nous avons un niveau d'endettement qui est beaucoup plus limité que d'autres régions du monde, nous avons un marché unique qui est particulièrement puissant, et nous avons une capacité d'innovation inégalée. La seule chose qu'il nous fait, c'est de la volonté, parce que pour reprendre les termes de Raymond Aron, nous croyons dans la victoire finale des démocraties, à condition qu'elles le veuillent.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er avril 2025