Déclaration de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur le levier de la finance durable concernant la transition écologique, à Paris le 31 mars 2025.

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  • Éric Lombard - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Ouverture des Rencontres de l'Institut de la Finance durable (IFD)

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres, chère Cécile Duflot, chère Sylvie Goulard, cher Arnaud Montebourg, cher Julien Denormandie,
[Madame la président de l'Autorité des Marchés financiers, chère Marie-Anne Barbat-Layani
Mesdames et Messieurs les directrices et directeurs d'administration centrale,
Mesdames et Messieurs les dirigeants d'entreprises engagées,
Mesdames et Messieurs les acteurs de la finance durable,

Je suis particulièrement heureux de pouvoir vous accueillir aujourd'hui à Bercy pour évoquer le levier de la finance durable sur la transition écologique. Vous savez combien ce sujet me tient à coeur. J'en avais même fait la priorité de mon second mandat comme directeur général de la Caisse des dépôts.

1. L'impératif de la lutte contre le changement climatique est plus prégnant que jamais.

Les évènements climatiques récents, depuis les incendies de Californie, jusqu'aux inondations de Valence en Espagne, en passant par le cyclone Chido qui a dévasté Mayotte ne sont qu'une des manifestations de cette urgence. Mais ils nous redisent que l'inaction n'est pas une option, que le bouleversement de notre climat, de nos écosystèmes, de notre biodiversité aussi, menace grièvement notre mode de vie, notre économie et jusqu'aux fondements de notre société.

Les dernières estimations du réseau des banques centrales sur le climat (NGFS – Réseau pour le verdissement du système financier) montrent que notre trajectoire actuelle de réchauffement, +3°C en 2100, diminuera le PIB mondial de 15 points dès 2050, par rapport à un monde sans changement climatique.

Les pertes assurées que le cyclone Chido a occasionnées sont estimées entre 650 et 800M€. De la même façon, les crues qui ont frappé les Hauts-de-France l'hiver dernier ont causé un surcoût de 640 M€ pour le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

C'est dire combien nos investissements verts, en-deçà même des bénéfices qu'ils génèrent, représentent des coûts bien inférieurs à celui de l'inaction.

2. Mais soyons lucides, l'urgence climatique n'est pas unanimement reconnue.

Le contexte actuel entre les tensions géopolitiques, ouvertes ou larvées, ainsi que le recul de l'administration Trump sur ces sujets, risque parfois de faire passer au second plan ce qui relève en fait de la priorité absolue.

Certains Etats développent une posture climato-sceptique, et vont jusqu'à contacter directement nos grandes entreprises pour les questionner sur leurs critères d'équité.

Sans doute certaines d'entre vous présentes ce matin ont reçu cette lettre de l'ambassade américaine. Sachez que vous me trouverez à vos côtés pour vous soutenir dans vos engagements, et que nous serons d'autant plus forts que nous agirons de concert.

J'en veux pour preuve que le récent désintéressement des assets managers américains pour les enjeux climatiques, est en train de réorienter de nombreux fonds de pension vers les acteurs européens. Pour prendre un seul exemple, People's Pension, un des plus gros fonds de pension britannique a retiré son mandat à l'américain State Street, et vient de le confier au français Amundi, leader en Europe. Preuve s'il en fallait que la conservation collective de notre cap commence déjà à porter ses fruits.

3. C'est pourquoi je tiens à vous dire aujourd'hui que ce contexte international nous donne au contraire précisément l'occasion de mettre l'Europe, et singulièrement la place de Paris, aux avant-postes sur ce sujet.

En défendant notre approche de l'économie par la finance durable, nous ne défendons pas autre chose qu'une certaine conception du monde tel que nous voulons le laisser à nos enfants et petits-enfants.

Ainsi, lorsque nous appelons à des investissements considérables, publics et privés, dans notre industrie de défense, ce n'est pas pour rendre moins prioritaire cet engagement à la durabilité. Bien au contraire. D'abord parce que ce sont des entreprises qui cultivent une très haute valeur en termes environnementaux, sociétaux et de gouvernance. Mais surtout parce que ce sont des entreprises, ou plutôt des filières entières, qui nous permettent de défendre notre autonomie stratégique, notre souveraineté, et, partant, les principes que nous prônons.

Conservons cela à l'esprit lorsque nous déployons une vision stratégique de long terme en matière de durabilité, comme y appelle votre précieux colloque.

4. Dans ce contexte, la bonne nouvelle, c'est que collectivement nous disposons des instruments pour assurer une transition ordonnée.

La finance constitue l'un des plus puissants leviers de cette transition. Et elle s'est d'ores et déjà mise en ordre de marche, comme votre présence nombreuse aujourd'hui le prouve. Je salue d'ailleurs l'Institut de la Finance Durable pour ses travaux et pour l'organisation de cette journée d'échanges sur un thème aussi crucial.

Nous pouvons même parler de leadership européen en matière de finance durable : plus de 60 % des fonds d'investissement dans l'Union européenne, soit 7000 milliards d'euros, promeuvent des objectifs environnementaux et sociaux. Le stock d'obligations vertes dans l'Union est de plus de 780 milliards d'euros.

Et les acteurs de la finance durable peuvent s'appuyer sur les instruments puissants mis en place par l'UE. Parmi lesquels la taxonomie européenne [des activités durables sur le plan environnemental], qui a fait des émules dans d'autres pays jusqu'en Chine et à Singapour.

Mais également les règles de transparence sur les performances et risques ESG, mises en place par la directive CSRD [Corporate Sustainability Reporting Directive] ou le règlement SFDR [Sustainable Finance Disclosure Regulation] sur les fonds.

Ainsi que via les labels, comme l'ISR [Investissement Socialement Responsable] en France qui a démontré sa capacité à tirer vers le haut nos pratiques de marché, et que nous travaillons à étendre aux fonds de capital investissement.

Mais cette action ambitieuse doit aussi être confrontée aux retours d'expérience des entreprises, et savoir s'adapter pour renforcer son efficacité. C'est l'enjeu de la simplification que nous poussons auprès de la Commission européenne sur plusieurs réglementations, dont la directive CSRD.

Simplification ne veut pas dire renoncement mais recentrage, pour que les entreprises et leurs parties prenantes puissent mieux s'approprier ce précieux outil, qui fournit des données indispensables à la bonne orientation de nos financements.

5. Le thème de cette année est d'autant mieux choisi que les enjeux de durabilité bien comprise sont à mon sens l'occasion de projeter la finance sur le long terme.

Il nous faut bien admettre que la finance a parfois des accès de court-termisme, de myopie, comme l'a encore montré le retournement des marchés américains en quelques semaines.

Or, ces projections sur long-terme, les investisseurs les demandent. Et c'est aussi le rôle de l'Etat que d'assurer cet horizon de long-terme. La PPE par exemple, notre programmation pluriannuelle de l'énergie, nous projette à 2035. C'est un signal fort pour les investisseurs. En son sein, nos investissements en faveur de l'énergie nucléaire et des nouveaux EPR occupent une place centrale. Je crois même pouvoir dire que les montants records que nous y consacrerons aux côtés des investisseurs privés représenteront le plus important investissement durable de notre siècle.

La cohérence de nos investissements, mais aussi de nos plans d'action associant acteurs publics et privés est indispensable. En ce sens, la publication du PNACC-3, le troisième Plan national d'adaptation au changement climatique, est une bonne illustration de cette concertation efficace. Ses mesures nous permettent de renforcer notre connaissance du risque et notre capacité de résilience dans des proportions inédites.

Nous l'aurons compris, l'ampleur du défi que représente la transition écologique appelle une transformation profonde de nos économies. L'Etat prend sa part avec des financements significatifs, comme en témoignent les éléments présentés dans le budget vert. Mais une chose est sûre : la mise en oeuvre effective de la transition vers un modèle productif neutre en carbone et respectueux de l'environnement, ne pourra se faire que par les entreprises, avec le soutien de leurs investisseurs.


En conclusion,

L'IFD joue un rôle moteur pour mobiliser les acteurs financiers vers une économie bas-carbone, et contribue à faire de la place de Paris un centre financier de référence dans ce domaine.

Définir et tenir un cap n'est pas moins important lors des difficultés conjoncturelles que nous traversons, et cela va des difficultés de la vie quotidienne d'une entreprise, que je connais, jusqu'à la réorganisation géopolitique du monde.

Le programme riche et concret de ce jour atteste de la conscience que nous en avons. Je compte sur vous pour que chacun tienne ses responsabilités.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 1er avril 2025