Texte intégral
Mme la présidente
La proposition de loi portant fin du maintien à vie dans le logement social ayant été retirée par son auteur en application de l'article 84, alinéa 2, du règlement, l'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de Mme Brigitte Liso et plusieurs de ses collègues pour une stratégie nationale de prévention sur le chemsex (no 326).
(…)
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins
Avant de saluer l'initiative transpartisane qui nous réunit et de préciser le calendrier que prévoit la feuille de route du gouvernement, je reviendrai brièvement sur la définition du chemsex. Cette pratique consiste à combiner sexe et prise de drogues de synthèse, dans l'objectif de faciliter, de prolonger ou d'intensifier les rapports grâce aux effets psychoactifs et stimulants des produits consommés.
Souvent associée à la désinhibition et au plaisir par les usagers, la pratique du chemsex n'a pourtant rien d'un comportement sexuel libérateur. Bien au contraire, elle constitue une spirale d'enfermement dans l'addiction. Une fois pour essayer, de temps en temps, de plus en plus souvent : de fil en aiguille, beaucoup n'arrivent plus à envisager de sexualité sans drogue. Cela correspond à la définition de la dépendance proposée par le docteur Pierre Fouquet, psychiatre, qui la décrivait au début des années 1970 comme "la perte de la liberté de s'abstenir".
Ainsi, les prises se poursuivent, et les doses augmentent pour que les substances continuent de faire effet : cathinones, méthamphétamines, certains se tournent même vers des produits du quotidien détournés de leur usage comme le GBL, un décapant chimique pour les jantes de voitures utilisé comme euphorisant que vous avez été nombreux à citer.
Les conséquences sont pourtant très graves. Elles concernent d'abord la santé physique : outre les multiples complications cardiaques – dont je peux témoigner en tant que cardiologue – et les overdoses, la consommation intraveineuse expose à des risques bactériens ; plaies, abcès et nécroses entraînent des dommages potentiellement irréversibles, voire mortels en cas de septicémie. La semaine dernière encore, une soirée a viré au drame à Bordeaux ; en décembre dernier, un jeune homme de 21 ans est décédé à Tourcoing.
Il y a aussi des conséquences pour la santé sexuelle : le risque d'infection sexuellement transmissible est accru par les conduites à risques que favorisent les produits. Enfin, cette pratique compromet la santé mentale – grande cause nationale pour 2025 : à l'addiction s'ajoutent les risques de dépression, de psychose, d'isolement social et de décrochage académique ou professionnel.
Si le chemsex est fréquemment associé aux milieux urbains et festifs – on pense ici à la médiatique affaire Palmade –, si cette pratique touche majoritairement les communautés HSH – les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes – et si l'âge médian de ceux qui s'y adonnent est de 37 ans, le phénomène s'est étendu à tous les milieux et à tous les âges ces dernières années. Les villes moyennes, les communes rurales et la jeunesse, hétérosexuelle comme homosexuelle, sont plus exposées, notamment parce que l'accès aux produits de synthèse est devenu plus facile sur internet, via les réseaux sociaux et les applications de rencontres.
Dans un rapport rendu le 17 mars 2022 au ministre de la santé, le professeur Amine Benyamina estimait que le phénomène concernait entre 100 000 et 200 000 personnes. Il appelait à renforcer notre réponse globale par des mesures de prévention et de réduction des risques à destination de ces personnes et par l'amélioration de leur prise en charge.
Tel est bien l'objectif de cette proposition de résolution, initiative transpartisane que je tiens à saluer, qui appelle l'attention sur la nécessité d'une stratégie nationale visant à lutter contre ce phénomène. Je tiens en particulier à saluer Mme Brigitte Liso, qui s'est emparée de cet enjeu avec conviction. Je connais son investissement de longue date en faveur de la prévention et de la santé sexuelle, notamment au sein du groupe d'études VIH et sida. Ces sujets me tiennent également à cœur.
Je veux souligner la dynamique transpartisane en faveur de cette résolution. Je ne pourrais citer tous les parlementaires, issus de différents groupes, qui y ont contribué ; certains d'entre eux se sont exprimés cet après-midi, comme MM. Delaporte, Peu et Peytavie. Cette dynamique dépasse d'ailleurs cet hémicycle, puisque de nombreux sénateurs, comme le président Patrick Kanner, mais aussi beaucoup d'élus locaux et de responsables associatifs, ont signé au mois d'octobre une tribune dans le même sens. Enfin, nous saluons tous l'engagement de Jean-Luc Romero et de l'ensemble des élus locaux sur ces sujets.
Ce n'est pas la première fois que l'Assemblée nationale se saisit d'un problème de santé publique pour promouvoir notre action face à de nouvelles pratiques ou à de nouveaux produits qui menacent notre santé collective. Je pense naturellement à la mobilisation au sein de tous les groupes parlementaires qui a permis d'adopter de manière unanime et définitive la proposition de loi visant à interdire les puffs, ou à la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote – l'investissement des sénateurs et des députés a permis de mieux encadrer la vente de ce produit. Je m'en réjouis, car cela prouve que la méthode que je veux privilégier – ce construire nos politiques de santé avec le Parlement – fonctionne.
Quelle est la feuille de route ? Elle commence par la pérennisation des centres de santé et de médiation en santé sexuelle (CSMSS), d'ailleurs votée par le Parlement dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Issus d'une expérimentation permise par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, ces centres entreront dans le droit commun cette année. Grâce à la pluridisciplinarité des professionnels qui s'y investissent – infectiologues, psychologues, addictologues –, les CSMSS ont la capacité de développer des parcours complets de prévention, de réduction des risques et de prise en charge pour les personnes pratiquant le chemsex, qui représentent environ 40 % de leur file active. Lesdits parcours se combinent avec d'autres démarches de santé sexuelle, telles que le dépistage ou la délivrance de la Prep.
L'approche combinée que je défends consiste aussi à mobiliser localement tous les acteurs – qu'ils soient professionnels de santé, membres d'associations, comme Act Up, élus locaux ou personnels des ARS – investis dans les centres de santé sexuelle, les centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic ou les centres de santé communautaires. Ces structures de terrain sont en première ligne : elles permettent de déployer dans chaque territoire des actions ciblées qui répondent à des besoins identifiés.
Votre proposition de résolution ne dit pas autre chose, madame Liso. Je cite mot pour mot votre exposé des motifs, car je n'aurais pas formulé la chose autrement : "Une politique nationale devra être déclinée dans chaque territoire avec l'appui des agences régionales de santé et des collectivités, afin de construire les réponses les plus adaptées, selon les besoins locaux."
Les exemples sont très nombreux. Chez moi, en Auvergne-Rhône-Alpes, le centre de santé d'approche communautaire lyonnais "Le Griffon", dont la création a été soutenue par l'ARS et l'assurance maladie, propose des consultations spécialisées sur le chemsex. On pourrait aussi mentionner l'expérimentation menée depuis trois ans dans le territoire de l'Artois, dans le Pas-de-Calais, par l'ARS Hauts-de-France : elle vise à fédérer un véritable "réseau chemsex" mobilisant le centre hospitalier de Lens, le Cegidd, le centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) et les associations du territoire. Cela permet notamment de former les professionnels accompagnant les usagers à leur prise en charge spécifique et de définir des protocoles d'accompagnement communs à l'ensemble des structures d'accueil.
Pour renforcer cette dynamique, une expérimentation très prometteuse, Arpa-chemsex – accompagnement en réseau pluridisciplinaire amélioré –, financée par le fonds de lutte contre les addictions, est en cours. Développée conjointement par la Fédération addiction et par l'association Aides, elle a permis de mettre en place, dans six villes pilotes – Aix-Marseille-Provence, Bordeaux, Lille, Lyon, Montpellier et Paris –, une offre d'accompagnement en réseau pluridisciplinaire spécifiquement pensée pour les personnes pratiquant le chemsex. Le projet vise à rapprocher les structures appartenant au champ de la santé sexuelle de celles qui relèvent de l'addictologie et de la santé mentale, dont l'importance est tout aussi cruciale.
Une telle méthode correspond tout à fait à l'approche transversale et populationnelle qui est au cœur de votre proposition de résolution. C'est également le fil conducteur de la feuille de route de la stratégie nationale de santé sexuelle, dont la prochaine édition est justement prévue pour 2025. Le projet Arpa-chemsex prend fin mi-2025. Une première restitution intermédiaire, organisée par la direction générale de la santé (DGS) en novembre 2024, a permis d'établir qu'il répond en très grande partie aux demandes formulées dans votre proposition de résolution, madame la rapporteure. Sous réserve d'une évaluation définitive positive, son déploiement et sa promotion pourraient être arrimés à la stratégie nationale de prévention que vous appelez de vos vœux ; l'expérimentation serait ainsi intégrée à notre nouvelle feuille de route globale sur la santé sexuelle – dans ce domaine, je l'ai dit, les travaux et les concertations préparatoires sont en cours de finalisation. J'attends notamment le rapport du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), que nous espérons recevoir avant l'été. Ce sera l'occasion de renforcer notre engagement à accompagner les personnes pratiquant le chemsex et à protéger les plus vulnérables, les communautés les plus exposées ainsi que les jeunes, contre les risques associés à cette pratique.
Vous l'avez compris, je souhaite que nous concrétisions ensemble cette nouvelle feuille de route à la rentrée de septembre 2025. Mesdames et messieurs les députés, votre mobilisation, qui a embarqué l'ensemble des acteurs concernés, a permis de donner une visibilité nouvelle à ce sujet : désormais, on parle – et on ose parler – de plus en plus du chemsex. C'est déterminant car pour pouvoir mettre en œuvre des politiques publiques efficaces sur un sujet aussi complexe et sensible, qui mêle l'intime et l'illicite, il faut aussi que la parole puisse se libérer. C'est à cette condition qu'il sera possible de sensibiliser le grand public sans stigmatiser, mais également d'atteindre les plus exposés pour qu'ils bénéficient de l'accompagnement et des soins dont ils ont besoin.
Je remercie donc l'ensemble des parlementaires : vous pouvez compter sur moi pour continuer à travailler et à avancer avec vous, afin de donner corps à votre engagement. Je vous donne rendez-vous en septembre prochain pour le lancement du plan "chemsex 2025" ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 2 avril 2025