Texte intégral
Je suis heureux d'être parmi vous pour rendre compte des conclusions du dernier Conseil européen, qui faisait suite à la réunion extraordinaire du Conseil portant sur les questions de défense, qui s'est tenue le 6 mars dernier.
Les lignes bougent de façon rapide et des décisions historiques sont prises, en grande partie sous l'impulsion de la diplomatie de notre pays. Depuis sept ans, nous portons une vision claire : celle d'une autonomie stratégique européenne, d'une Europe qui doit prendre en charge son destin face aux bouleversements du monde, en commençant par assurer son réarmement et par réduire ses dépendances, sur les plans militaire, technologique et énergétique.
Le contexte géopolitique - la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine à nos portes, mais aussi les incertitudes sur l'avenir des relations transatlantiques et les garanties de sécurité américaines - suscite une grande convergence stratégique en matière de soutien à l'Ukraine et de réarmement, comme sur les questions d'unification du marché unique et de relance de la compétitivité. Plus que jamais, les idées françaises portent le débat, comme le dernier Conseil européen l'a encore démontré.
D'abord, le Conseil a permis de réaffirmer notre soutien à l'Ukraine et à une résolution du conflit passant par une paix juste et durable. Il ne doit pas s'agir d'un cessez-le-feu que la Russie pourrait utiliser pour réarmer avant de réattaquer, mais d'une paix garantissant la souveraineté et l'orientation européenne de l'Ukraine. La France travaille en ce sens avec ses partenaires du Conseil européen et déploie aussi des efforts diplomatiques. Le président Zelensky vient d'atterrir à Paris, où le sommet de la coalition des volontaires se tiendra demain autour du Président de la République.
La première des priorités est de maintenir notre soutien à l'Ukraine. Le Conseil européen a été l'occasion de réaffirmer la nécessite d'accélérer le déboursement des prêts du G7, dits prêts ERA (Extraordinary Revenue Acceleration Loans for Ukraine), qui s'élèvent à 50 milliards d'euros et sont garantis grâce aux intérêts générés par les avoirs gelés de la banque centrale russe. Au niveau européen, la majorité de ces prêts seront utilisés pour financer les efforts militaires de l'Ukraine.
Concernant les négociations en cours, nous avons réaffirmé notre position commune, qui repose sur cinq points fondamentaux : aucune négociation ne doit avoir lieu sans les Ukrainiens ; aucune négociation sur la sécurité européenne ne doit être menée sans les Européens ; toute trêve et tout cessez-le-feu doivent être signés dans le cadre d'un processus menant à un accord de paix global ; un tel accord doit s'accompagner de garanties de sécurité robustes et crédibles pour l'Ukraine ; et la paix ne peut aboutir à compromettre l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
Le deuxième grand sujet que nous avons abordé, qui est lié au précédent, est celui du renforcement de la défense européenne. La réunion extraordinaire du 6 mars avait déjà permis d'acter des avancées majeures. Le plan ReArm Europe/Readiness 2030, présenté par la présidente de la Commission européenne, permettra aux Etats membres d'augmenter de façon considérable leurs dépenses de défense, soit d'environ 800 milliards d'euros.
Il s'agit d'abord de permettre l'application de la clause de sauvegarde, pour exclure certaines dépenses du calcul des déficits. Le mécanisme devrait permettre de générer entre 600 et 650 milliards d'euros de dépenses supplémentaires en matière de défense dans les prochaines années.
De plus, grâce à l'instrument "Agir pour la sécurité de l'Europe - SAFE", la Commission européenne contractera un emprunt de 150 milliards d'euros. Elle pourra ensuite prêter aux Etats membres à un taux préférentiel, pour que ces derniers puissent investir dans certains domaines capacitaires que nous sommes en train de définir. Nous devons pouvoir investir en commun dans des domaines où nous avons des dépendances et des lacunes, tels que ceux du cyber, des drones, des munitions ou des satellites.
Enfin, une partie des fonds restants, notamment dans les fonds de cohésion, pourront être refléchés vers la défense.
Il s'agit d'une étape importante mais il faudra aller plus loin, comme le souligne le livre blanc du commissaire Kubilius, et je citerai deux autres étapes potentielles.
D'abord, nous pourrions identifier d'autres fonds européens susceptibles d'être utilisés. Ainsi, le mécanisme européen de stabilité, fonds assurantiel créé lors de la crise financière, pourrait servir à l'effort de défense. Une telle opération nécessite de fournir un travail juridique et d'établir un consensus entre Etats membres.
Une autre étape potentielle a été évoquée par le Président de la République et devra faire l'objet d'un dialogue avec nos partenaires, dont le prochain gouvernement allemand. Il s'agit du possible lancement d'un nouveau grand emprunt. Nous avions réussi à le faire afin de répondre à la crise existentielle du covid, levant 750 milliards d'euros pour relancer les économies, à un moment où on prédisait l'impuissance et la division des Européens. Nous faisons face à autre moment existentiel ; soyons capables de réagir ensemble.
Après avoir évoqué les capacités et le financement, j'en viens au troisième pilier, sur lequel nous tenons une position ferme et qui se retrouve dans les positions de la Commission, notamment dans le livre blanc : la préférence européenne. Les financements européens doivent soutenir une industrie européenne de défense autonome, pour donner de la visibilité à nos industriels de défense pour qu'ils puissent monter en cadence et en capacité, mais aussi pour conserver le savoir-faire technologique et la maîtrise de l'usage de ces armements. Il s'agit de la ligne que nous avons défendue dans le cadre de la négociation du programme européen pour l'industrie de la défense (EDIP), qui doit être examiné par le Parlement européen.
Au-delà des éléments techniques, nous assistons à une révolution des mentalités et du logiciel européen. Les Européens sortent de leur naïveté et assument à présent de défendre leurs intérêts, leur sécurité et des rapports de force, afin de ne pas laisser les autres - la Chine, la Russie ou les Etats-Unis - écrire l'histoire de leur continent à leur place.
J'en viens à la compétitivité. Le rapport Draghi souligne le décrochage industriel, technologique et économique de notre continent, notamment comparé aux Etats-Unis. Depuis trente ans, les Américains ont généré deux fois plus de PIB par habitant que l'Union européenne. En 2008, les PIB de l'Union et des Etats-Unis étaient équivalents. Aujourd'hui, le PIB américain est supérieur au nôtre de 30 %.
Le facteur de la productivité, notamment entraînée par l'innovation technologique, explique dans une grande mesure ce différentiel. Nous observons un retard d'investissement du continent européen dans la tech - intelligence artificielle et quantique - dans la défense ou la décarbonation. Le rapport Draghi estime ce retard d'investissement à 800 milliards d'euros par an, de fonds privés et publics.
L'épargne européenne reste dormante, est investie dans des produits aux taux peu rentables ou franchit l'Atlantique, pour financer l'économie et l'innovation américaines, à hauteur de 300 milliards d'euros par an. Face à ce constat, il nous faut soutenir nos PME, nos start-up et nos innovateurs. La France compte des innovateurs et des pépites, notamment dans les domaines de l'intelligence artificielle et du quantique. Cependant, il reste compliqué pour eux de passer à l'échelle supérieure. Il faut donc mettre en oeuvre le plus rapidement possible l'union des marchés de capitaux et la simplification.
À cet égard, le paquet omnibus a représenté une première étape pour simplifier de façon drastique des normes réglementaires qui pèsent sur les entreprises. Les premières propositions vont dans le bon sens mais nous pourrons aller plus loin encore. Il faut aussi finaliser l'agenda de souveraineté européenne fixé lors du sommet de Versailles, en soutenant l'innovation et en réduisant nos dépendances.
Nous avons aussi évoqué le prochain cadre financier pluriannuel. Le budget de l'Union européenne est discuté au sein du Conseil des affaires générales, dans lequel je siège. Une première discussion a eu lieu il y a quelques semaines, au cours de laquelle nous avons rappelé nos lignes et nos exigences.
Il faut dégager des ressources propres, maintenir une ambition haute pour le soutien à la compétitivité de notre continent, établir la préférence européenne pour notre industrie de défense et protéger les revenus de nos agriculteurs. J'ai échangé il y a quelques jours avec le commissaire à l'agriculture, qui a récemment dévoilé sa vision stratégique. Celle-ci reprend nombre de nos priorités : la défense de la souveraineté alimentaire de l'Union européenne, la simplification, le passage d'une logique de contraintes et de normes à une logique d'investissement, d'accompagnement et d'incitation - en particulier pour la transition environnementale -, le renouvellement des générations et la réciprocité commerciale.
Nous avons également évoqué la défense de nos intérêts commerciaux, notamment face aux tarifs annoncés par les Etats-Unis sur l'acier et l'aluminium, et la nécessité de répondre de manière déterminée et proportionnée, de maintenir notre unité face à ces mesures, qui sont injustes et ne servent l'intérêt de personne, ni celui des Européens ni celui de l'économie américaine. Par ailleurs, Jean-Noël Barrot se rend en Chine pour évoquer ces sujets, notamment les mesures tarifaires adoptées contre nos produits spiritueux.
Nous avons aussi mentionné la nécessité de défendre nos frontières au niveau européen face à l'immigration illégale et de mettre en oeuvre le plus rapidement possible le pacte européen sur la migration et l'asile. Celui-ci a permis, après des années de négociation, de trouver un consensus, qui prévoit notamment une petite révolution juridique : le fait de pouvoir exercer un premier contrôle de la demande d'asile aux frontières de l'Union. La révision de la directive "retour" est également prévue.
Nous avons aussi rappelé notre attachement à un cessez-le-feu au Moyen-Orient et à la relance du dialogue politique.
Enfin, nous avons demandé à la Commission européenne de préparer le pacte européen pour les océans, qui sera dévoilé lors de la conférence des Nations unies sur l'océan, qui se tiendra en juin à Nice.
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R - L'adhésion des nations est en effet très importante. À cet égard, le commissaire Kubilius a rappelé que l'effort de défense annoncé ne remettait pas en cause la souveraineté des États sur les questions de défense. Les grandes décisions, comme celle de l'emploi de la force armée, restent à la main des États membres. De plus, les décisions portant sur la politique étrangère et la sécurité se prennent à l'unanimité au sein du Conseil européen.
En ce qui concerne les avoirs gelés, les débats ont été de qualité lors de l'examen de la proposition de résolution européenne à l'Assemblée nationale. Les députés se mobilisent et font aussi entendre la voix de la France en matière de soutien à l'Ukraine.
Les intérêts générés par les avoirs, qui représentent entre 2 et 3 milliards d'euros par an, servent de garantie pour l'emprunt de 50 milliards d'euros contracté au niveau du G7.
Quant à la confiscation des avoirs, elle pose des questions juridiques, notamment en matière d'immunité des avoirs souverains des banques centrales, mais aussi des questions économiques. En effet, la confiscation pourrait créer un précédent pour d'autres investissements. De plus, les avoirs ne se trouvent pas en France et une telle décision doit faire l'objet d'un consensus des pays européens. Certains de nos partenaires sont plus exposés que d'autres et nous mettent en garde contre un potentiel risque systémique pour leur économie. Cependant, la possibilité de la confiscation constitue un levier dans le rapport de force.
Enfin, le lancement d'un grand emprunt est l'une des pistes évoquées par la France pour répondre à la nécessité d'investir massivement dans l'effort de réarmement. Nous pourrions aussi attirer des fonds privés mais, en matière de défense, nous avons besoin du leadership des États et de fonds publics.
Des débats ont toujours eu lieu au niveau européen sur la question de la dette, notamment avec des pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, historiquement plus réservés sur le sujet. Néanmoins, nous avons réussi à surmonter ces divisions pendant la crise du covid, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, afin de lancer le plan de relance. Il nous faudra mener cette discussion mais les lignes bougent et certains de nos partenaires surmontent des tabous historiques, sous la pression des événements.
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R - Nous soutenons les négociations en cours entre les Américains, les Russes et les Ukrainiens, et échangeons régulièrement avec nos partenaires ukrainiens, européens et américains. Il y a une dizaine de jours, les Ukrainiens ont donné leur accord à une trêve de trente jours. Aujourd'hui, nous observons les manoeuvres dilatoires menées par la Russie, qui a d'abord accepté une trêve couvrant la mer Noire et les infrastructures énergétiques, avant d'y poser des conditions, comme la levée des sanctions. C'est bien la Russie qui refuse de négocier et continue d'agresser l'Ukraine en bombardant des civils et des cibles militaires.
La coalition des volontaires compte 31 pays, dont l'Ukraine, des membres de l'Union européenne, la Norvège, le Royaume-Uni ou encore le Canada. Le sommet de demain sera l'occasion de renforcer notre soutien militaire à l'Ukraine, pour que le pays soit dans la meilleure position possible lors des négociations et pour renforcer la pression militaire et économique sur la Russie. Il s'agira aussi de préparer un cessez-le-feu et les conditions d'une paix durable et juste, qui devra passer par le renforcement de l'armée ukrainienne, ce que la Russie continue de refuser. Enfin, il faudra élaborer avec nos partenaires européens, y compris avec les Britanniques, des garanties de sécurité afin de dissuader une future agression de la Russie. Le cessez-le-feu ne doit pas être une simple parenthèse qui permettrait à la Russie de se réarmer, comme cela a été le cas avec les accords de Minsk, que la Russie a régulièrement bafoués avant l'invasion de février 2022.
Nous évoquerons aussi le réarmement de notre continent face à la menace que fait peser la Russie sur toutes les démocraties européennes, avec ses ambitions maximalistes, ses attaques cyber, ses ingérences et ses manoeuvres de déstabilisation.
Enfin, concernant les moyens, le Président de la République a demandé au Gouvernement de faire des propositions pour identifier des financements. Les ministres de l'économie et de la défense ont notamment évoqué des produits d'épargne. Notons tout de même que la France n'a pas attendu la situation actuelle pour renforcer son effort financier en la matière, qui aura doublé au cours des deux mandats d'Emmanuel Macron. Il faudra continuer d'avancer et d'accélérer, aussi bien au niveau national qu'au niveau européen.
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R - Je salue les travaux de la Commission européenne à ce sujet, notamment l'annonce du Clean Industrial Deal qui, pour accompagner nos industriels dans la transition énergétique, propose la mise en place d'une banque de l'électrification visant à soutenir des projets communs sur notre continent.
Je mentionnerai aussi le principe de la neutralité technologique et la reconnaissance de l'apport de l'énergie nucléaire dans le mix et la décarbonation de notre continent. À cet égard, j'ai l'espoir de voir émerger une relation plus partenariale avec le prochain gouvernement allemand.
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R - Ce que vous dites est inexact. Il ne s'agit pas de fédéraliser l'effort de défense européen. Nous dégageons des financements communs et nous nous mettons d'accord sur des domaines capacitaires, dans lesquels nous avons intérêt à réduire nos dépendances, notamment vis-à-vis des États-Unis. Les décisions liées à la politique de défense restent souveraines.
Concernant le financement, au-delà des pourcentages, l'enjeu est de maîtriser l'autorité de conception et le savoir-faire technologique. Il s'agit de garder la maîtrise de l'usage, aussi bien l'exportation que l'usage sur le terrain de guerre.
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R - Effectivement, le sujet de la compétitivité est lié à celui de la défense, puisqu'il s'agit de notre capacité à attirer des investissements, à créer de la croissance, à accueillir des innovateurs et des entreprises conquérantes face à la concurrence et ainsi à garantir notre souveraineté.
En matière de souveraineté technologique, il faut réduire nos dépendances dans les domaines existants et faire appliquer notre droit. Cependant, il faut aussi faire en sorte de développer des champions européens sur les technologies de demain, pour ne pas nous retrouver dans la situation actuelle et voir des acteurs américains ou chinois avoir un impact démesuré sur notre espace public et démocratique.
Concernant la simplification, il faudra aller plus loin à deux égards. En premier lieu, il faut avancer sur les textes déjà concernés par la directive omnibus. À titre d'exemple, selon la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), les entreprises doivent faire des rapports sur leur empreinte carbone prenant en compte toute leur chaîne de valeur. Certes, l'intention est louable, alors que nous nous sommes dotés d'ambitions élevées en matière de décarbonation, qui constitue une condition de la lutte contre le réchauffement climatique mais aussi de notre compétitivité et de notre souveraineté, pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles produites par d'autres. Cependant, le texte est très complexe et fait intervenir 1 200 points de données de reporting. De plus, les mêmes conditions s'appliquent aux PME et aux très grands groupes, qui ont les moyens de faire appel à des cabinets de conseil.
La Commission a fait des propositions, dont la création d'un statut d'entreprise de taille intermédiaire (ETI) entraînant différentes obligations et le report de la mise en oeuvre du texte. On pourrait aussi aller plus loin, en travaillant sur des effets de seuil et sur la réduction drastique du nombre de données à fournir.
En second lieu, il faut élargir le processus de simplification à d'autres mécanismes et textes. Nous pourrions nous pencher sur la PAC ou sur certains textes de régulation macrofinancière, comme ceux qui concernent les ratios de capital appliqués à nos institutions financières et à nos banques, qui ne sont pas appliqués par les Américains et les Britanniques, posant un problème de concurrence déloyale. La question de la réciprocité commerciale concerne aussi les textes agricoles ou de nature normative.
J'en viens au sujet des ingérences. Le Président de la République a reçu la semaine dernière la présidente moldave Maia Sandu. Plusieurs accords ont été signés, dont l'un prévoit une collaboration renforcée en matière de lutte contre les ingérences étrangères.
La Moldavie a été victime d'une ingérence russe massive lors de la dernière élection présidentielle et du référendum européen. La déstabilisation du scrutin, qui a reposé sur des manoeuvres d'achat de voix via des réseaux et le basculement d'environ 10 % des voix, a coûté à la Russie l'équivalent d'un jour de guerre en Ukraine. Dans quelques mois, des élections législatives auront lieu, et des soupçons pèsent sur la Russie, qui pourrait encore tenter de s'ingérer. Nous coopérons avec les autorités moldaves pour apprendre de ce qui s'est déjà passé et pour renforcer notre soutien.
Nous coopérons au niveau bilatéral mais avons aussi reçu la visite de la vice-première ministre moldave en charge de l'intégration européenne. Nous avons organisé un groupe composé de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, de la Roumanie et du Royaume Uni, pour réfléchir à la façon d'accroître notre soutien dans cette lutte. Ne nous y trompons pas : cette menace touche toutes nos démocraties.
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R - Notre objectif est de renforcer le pilier européen de l'Otan, de réduire nos dépendances, de renforcer nos moyens de coopération militaire et de le faire en bonne intelligence avec nos alliés américains. Cependant, nous ne pouvons ignorer un contexte d'interrogation quant aux garanties de sécurité américaines et à l'avenir de l'alliance transatlantique, qui va au-delà de la présidence de Donald Trump.
En effet, le président Obama avait déjà évoqué un "pivot" vers l'Asie et s'était référé à certains alliés européens comme à des "passagers clandestins". Un secrétaire américain à la défense avait dit que les futures générations américaines ne paieraient plus pour la sécurité des Européens. Nous avions déjà observé des tendances protectionnistes. À cet égard, je pourrais mentionner la fameuse "ligne rouge" en Syrie, la signature de l'accord AUKUS sur les sous-marins au détriment de nos intérêts, le retrait unilatéral des troupes américaines d'Afghanistan ou l'Inflation Reduction Act, un plan de subvention massive consacré à l'industrie américaine, adopté sans coordination avec les Européens.
Les Américains ont d'autres priorités, comme leur rivalité avec la Chine, et nous devons en tirer les conséquences. Il nous faut prendre en charge une part de plus en plus importante de notre sécurité, face à la Russie mais aussi face au terrorisme islamiste et à l'instabilité dans notre voisinage, notamment dans les Balkans.
J'en viens aux autres partenaires. Sur l'Ukraine, nous travaillons avec les Britanniques, qui ont une armée importante, sont riches d'une grande culture stratégique et restent des partenaires de premier plan. Certes, des questions institutionnelles issues du Brexit continuent de se poser, relatives notamment à la protection de nos pêcheurs, à l'intégrité du marché unique ou aux quatre libertés. Cependant, si nous devons bâtir une culture de défense européenne, il nous faudra le faire avec le Royaume-Uni. C'est aussi pour cette raison que nous avons développé, au lendemain de l'agression russe contre l'Ukraine, la Communauté politique européenne, plateforme d'échange entre tous les pays du continent - membres de l'Union, Norvégiens, Britanniques et pays candidats - afin d'échanger sur les grands enjeux stratégiques qui nous concernent tous.
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R - Nous soutenons le processus d'adhésion des Balkans, qui doit être basé sur le mérite. Nous soutenons aussi la nécessité de défendre la stabilité politique et le dialogue régional. J'étais au Monténégro il y a quelques jours, pour rappeler à la fois notre soutien au processus d'adhésion, qui avance vite, et les principes fondamentaux, basés sur le mérite propre de chaque pays : son intégration de l'acquis communautaire, ses réformes en matière d'économie et d'Etat de droit, ainsi que son alignement sur les objectifs de politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne, appréhendé notamment à travers la mise en oeuvre des sanctions. Cette visite a aussi été l'occasion de signer des accords et d'inaugurer le centre de sécurité et de coopération sur le cyber, situé à Podgorica, qui offre un bon exemple de coopération dans la région.
Concernant la Bosnie-Herzégovine, nous commémorerons bientôt les trente ans de l'accord de Dayton-Paris mais aussi du génocide de Srebrenica. J'ai échangé avec le ministre des affaires étrangères pour rappeler notre soutien à l'unité du pays, au dialogue politique, à l'intégrité territoriale de la Bosnie et à l'héritage de l'accord, dont la France a été l'un des principaux négociateurs et signataires.
Les tentatives de déstabilisation à l'oeuvre en Republika Srpska représentent une menace pour l'intégrité territoriale et cet héritage. Nous suivons la situation avec préoccupation et plusieurs représentants de la Commission européenne se rendront en Bosnie dans les prochains jours. Nous coordonnons notre action et je serai à Londres vendredi, où nous évoquerons ce sujet parmi d'autres, tels que ceux de la défense et de la pêche. Nous ne devons pas oublier cette région primordiale. Je le rappelle souvent : Sarajevo est plus proche de Paris que Kiev.
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R - En ce qui concerne les avoirs gelés, leur montant s'élève à environ 200 milliards d'euros, qui se trouvent principalement en Belgique, au sein d'Euroclear. Ils ont été gelés au lendemain du début de la guerre d'agression menée par la Russie. Ils continuent à générer des profits, qui servent à garantir l'emprunt de 50 milliards d'euros contracté par les Etats du G7, dont 20 milliards pour les Européens, 20 milliards pour les Américains et 10 milliards pour les autres membres : Japonais, Canadiens et Britanniques. Cette utilisation peut déjà justifier le maintien du gel de ces avoirs.
Un débat a lieu sur leur confiscation. Comme de nombreux pays, notamment de la zone euro, nous considérons que celle-ci pose des questions juridiques et économiques, et expose certains pays, notamment la Belgique, pour lesquels une telle opération pourrait entraîner un risque systémique sur le plan économique. À ce stade, la confiscation ne fait pas l'objet d'un consensus. Néanmoins, ces avoirs gelés constituent un moyen de pression.
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R - Face aux mesures tarifaires, nous devons répondre de façon déterminée, ferme et proportionnée. De plus, les Européens doivent rester unis pour être en mesure d'assurer un rapport de force et de défendre leurs intérêts.
Lors du premier mandat de Donald Trump, la Commission européenne avait réagi, ce qui avait permis d'atteindre notre objectif : la désescalade. En effet, la guerre commerciale n'est dans l'intérêt de personne et, le jour où Donald Trump a annoncé des mesures contre le Mexique, les actions de General Motors ont dévissé de 6%.
Au début du deuxième mandat du président Trump, la première réaction de la Commission a été de réimposer les contre-mesures de 2018, qui avaient été suspendues. Pour l'instant, elles ont été de nouveau suspendues afin que nous puissions réviser le paquet, qui n'est pas à la hauteur des mesures prises par l'administration américaine. Il s'agit aussi d'adapter ce paquet pour prendre en compte les intérêts de nos filières, notamment celle des vins et spiritueux. La Commission continue de dialoguer avec les Etats-Unis à ce sujet et, à ce jour, l'administration américaine n'a pas ajouté de taxe dans ce domaine. Jean-Noël Barrot se trouve aussi en Chine pour discuter des mesures tarifaires injustes imposées par ce pays, notamment sur le cognac et l'armagnac.
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R - Le pacte vert représente aussi un atout pour la compétitivité de notre économie. Nous sommes importateurs d'énergies fossiles et, pour réduire nos dépendances et garantir la baisse du coût de l'énergie, il nous faut investir massivement dans l'autonomie énergétique de notre continent, qui passe par le nucléaire et les énergies renouvelables. Nous avons donc fixé des ambitions hautes en matière de décarbonation et des industriels ont déjà lancé des investissements pour tenir l'horizon 2035, sur lequel ils ne demandent pas de revenir.
En revanche, ils réclament de la visibilité et des simplifications. À cet égard, pour le secteur automobile, nous avons demandé à la Commission, avec Agnès Pannier-Runacher et Marc Ferracci, le lissage des amendes prévues pour 2025 contre les constructeurs automobiles. Il faut du bon sens et du pragmatisme. Les industriels ont fait des investissements mais la demande pour les véhicules électriques a chuté en 2024. Ils devaient donc soit payer des amendes, soit réduire leurs coûts, soit acheter des bons d'émission carbone à des entreprises vertueuses sur le plan de l'électrification, chinoises ou américaines. Nous marchions sur la tête et la France a obtenu gain de cause. Maintenons le cap et l'ambition, mais injectons de la simplification pour soutenir nos industriels dans la voie de la décarbonation et de la compétitivité internationale.
En ce qui concerne l'immigration, c'est grâce à la coopération européenne que nous observons en 2024 une baisse des arrivées sur le continent européen, notamment par la route de la Méditerranée centrale. Ceux-là mêmes qui soutenaient le repli nationaliste en la matière, comme les Italiens, ont finalement fait le choix de la coopération, du renforcement de nos instruments européens comme Frontex et de la solidarité.
Nous avons demandé le renforcement de ces instruments, la mise en oeuvre du pacte sur la migration et l'asile, la révision de la directive "retour" et la consolidation de nos outils externes. Je pense notamment au levier du "visa-réadmission". En effet, lorsque nous avons mis en oeuvre des politiques de pression à l'égard des pays d'Afrique du Nord, nous avons réalisé qu'il existait des voies de contournement, puisqu'il est possible d'entrer en Europe en obtenant des visas auprès d'autres pays européens. Nous avons donc intérêt à renforcer nos outils européens pour avoir recours à des logiques de pression face aux pays qui ne reprennent pas leurs ressortissants expulsés. De la même façon, nous devrions développer des logiques de conditionnalité dans le cadre de l'aide au développement ou des accords commerciaux.
Ces positions défendues par la France font l'objet d'un soutien assez large dans les institutions européennes. Il s'agit des prochains chantiers sur lesquels il nous faudra avancer avec nos partenaires, pour mener une politique commune de lutte contre l'immigration illégale et de maîtrise de nos frontières, et assumer des rapports de force face aux pays qui ne respectent pas leurs engagements.
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R - Le règlement permettra d'aller plus vite. Nous veillons, dans nos échanges avec la présidente de la Commission et avec le commissaire Brunner, à ce que le règlement soit le plus ferme possible, qu'il puisse nous permettre de faciliter les expulsions et de les rendre plus rapides. La possibilité d'adapter les directives va généralement à l'encontre de nos intérêts. Nos concitoyens souhaitent moins de surtranspositions, qui ont tendance à créer des inégalités et des logiques de concurrence déloyale.
Sur la question de la dette, je perçois une légère confusion dans votre question, entre la dette nationale et la possibilité d'emprunter et de mettre en commun des ressources au niveau européen. Le développement de ressources propres peut passer par exemple par la mise en place de taxes sur les grandes entreprises étrangères.
Par ailleurs, les méthodes que vous avez mentionnées ne sont pas les seules. Nous pouvons aussi créer de la croissance et des richesses, qui suscitent ensuite des recettes fiscales.
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R - Il ne s'agit pas pour la France de modifier ses acquisitions. Des dépenses seront réalisées par les États membres mais nous ne financerons pas l'acquisition de matériel américain par d'autres États membres. En ce qui concerne les missiles à longue portée, certains de nos partenaires ont fait l'objet de restrictions d'usage de la part des Américains, ce qui a conduit certains d'entre eux, qui étaient moins au fait des restrictions liées au mécanisme Itar, à prendre conscience des limites de l'achat de matériel américain. Nous défendons la préférence européenne, pour l'usage, pour le savoir-faire technologique et pour l'autorité de conception. Ce sera au coeur des négociations.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 avril 2025