Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution visant à mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles (n° 924 rectifié).
(…)
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Il y a vingt-deux ans, la France se réveillait en apprenant la mort de Marie Trintignant, battue à mort par son compagnon. Il faut nous souvenir des mots employés à l'époque : "Marie Trintignant, tombée dans le coma après une dispute", "Une dispute amoureuse qui a mal tourné", "Un huis clos tragique". L'histoire était racontée comme si la responsabilité était partagée entre les deux membres du couple. Pire, comme si c'était d'abord la responsabilité de la victime : son passé, son caractère, sa vie intime étaient auscultés, comme s'ils pouvaient d'une quelconque manière excuser son meurtre. On parlait de "crime passionnel", de "drame amoureux", comme si l'amour pouvait justifier la mort. Marie Trintignant n'est pas morte d'amour : elle a été assassinée, par la violence d'un homme.
Depuis, notre société a progressé. Nous avons appris que les mots ont un poids, qu'ils façonnent notre vision du monde et nos actes. Nous ne parlons plus de "crimes passionnels" mais de féminicides. Nous avons compris que les violences physiques et sexuelles ne sont jamais des malentendus, mais des délits ou des crimes. Pourtant, un autre poison subsiste, celui du doute, celui du soupçon qui, encore aujourd'hui, ne pèse pas sur les agresseurs, mais bien sur les victimes. Nous avons tous entendu ces phrases : "Elle ne s'est pas débattue", "Elle n'a pas crié", "Elle exagère", "Ça n'était qu'une simple gifle", "C'est parce qu'elle l'a trompé". Comme si, en plus d'avoir été agressées, les victimes devaient encore prouver qu'elles l'ont été correctement, qu'elles ont réagi de la bonne manière. Comme s'il y avait une manière acceptable d'être une "bonne" victime. Face à quel autre crime, face à quelle autre infraction, exige-t-on autant de la victime ?
Cette proposition de résolution est utile, parce que continuer de culpabiliser les victimes, c'est offrir un passe-droit aux agresseurs. C'est suggérer, à mots couverts, que ce n'est pas si grave, que ça ne mérite pas d'en faire un scandale. C'est entendre, encore et encore, ces phrases insoutenables : "Il a dérapé, ça arrive à tout le monde", "Il ne faut pas ruiner une vie pour ça", "On ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire". Comme si frapper, violenter, tuer une femme relevait d'un moment d'égarement et non d'un crime. Comme si la véritable injustice n'était pas la violence subie, mais la conséquence pour celui qui l'a commise. Voilà comment, insidieusement, une société minimise, banalise, normalise, perpétue. Voilà comment on absout les coupables en chargeant les victimes. Disons-le clairement : une gifle, un viol, un féminicide, ce n'est jamais une simple erreur. C'est toujours un acte de domination. Nous ne laisserons plus rien passer.
Cette proposition de résolution est utile, parce qu'en tant que société, nous devons faire en sorte que cesse de peser sur les victimes l'ombre terrible du soupçon. Jamais une seule femme ayant dénoncé les violences qu'elle a subies n'a relancé sa carrière grâce à cela. Pourtant, dès qu'elles parlent, les accusations d'opportunisme surgissent : chantage, volonté de nuire, recherche de notoriété, calcul stratégique, plan secret… Quelle femme a déjà gagné quoi que ce soit – professionnellement, médiatiquement, politiquement, financièrement – à porter plainte ? Aucune. Elles y perdent même souvent : de l'argent dans des procédures longues et épuisantes, du crédit dans des milieux professionnels compétitifs, de la sérénité dans leur vie quotidienne. Elles affrontent des menaces, des insultes, le mépris, l'isolement. Elles doivent tout prouver, tout justifier ; pourtant leur parole reste suspecte. En réalité, leur seul bénéfice est intime : retrouver l'estime de soi, espérer se réparer et aider d'autres victimes. Faire entendre une vérité qui, sans elles, resterait dans l'ombre.
Cette proposition de résolution est utile, parce que la procédure judiciaire, qui devrait être pour les victimes un moment de reconnaissance et de justice, peut se transformer en une épreuve supplémentaire. Il arrive encore aujourd'hui que l'on ne cherche pas seulement à établir les faits : on scrute leur passé, on traque leurs moindres gestes, leurs moindres silences, on décortique leur vie privée et sexuelle, leurs émotions, leurs réactions. Comme si le simple fait d'avoir survécu suffisait à les décrédibiliser, comme si leur douleur devait être passée au crible du soupçon permanent.
Nous sommes dans un État de droit. Dans un État de droit, un accusé est présumé innocent jusqu'au jugement définitif, un accusé a le droit de se défendre. Mais dans un État de droit, le débat contradictoire n'exclut pas l'éthique. Rien ne justifie les invectives sexistes et misogynes envers des avocates, telles que celles, honteuses, que nous avons pu entendre la semaine dernière. Absolument rien ne justifie que des victimes soient traitées avec suspicion, ou parfois même humiliées par des questions ignobles qui ajoutent une nouvelle couche de violence, alors que nous aurions dû les protéger. Rien ne justifie que l'on interroge encore des victimes sur la longueur de leur jupe, sur leur consommation d'alcool, que l'on questionne leur vertu, leur passé sentimental ou leur vie sexuelle, comme si un seul de ces éléments pouvait atténuer la gravité du crime commis. Rien ne justifie que l'on ne prenne pas au sérieux la douleur et la plainte d'une victime qui, après des années de silence, trouve enfin la force de parler. Au lieu de nous étonner du silence des femmes, demandons-nous si la société les a vraiment écoutées. Car, en réalité, elles n'ont jamais été silencieuses : des milliers de victimes ont parlé, dénoncé, témoigné, écrit, milité. Leur parole a-t-elle été prise en compte ? A-t-elle été respectée ou a-t-elle été minimisée, moquée, disqualifiée ?
La parole s'est libérée, heureusement, mais il ne suffit plus d'entendre : il faut agir. Notre détermination est totale, comme il se doit. Nous sommes pleinement engagés pour enfin rompre le cycle de la violence et de l'impunité.
Mme Marie Mesmeur
Il me semble que cela ne suffit pas !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Nous luttons avec toujours plus de détermination contre les violences faites aux femmes sous toutes leurs formes : physiques, sexuelles et psychologiques, mais aussi économiques, numériques ou par soumission chimique. Contrairement à ce que j'ai entendu, nous augmentons les budgets : celui de mon ministère a augmenté de plus de 20 % cette année ; il a plus que triplé depuis 2017.
Mme Marie Mesmeur
Il a baissé de 25 % depuis 2019 !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Le montant alloué à l'aide aux victimes a quant à lui progressé de 89 % depuis 2020.
La lutte contre les violences faites aux femmes passe aussi par le renforcement des dispositifs de protection, d'accompagnement et d'hébergement, par la formation des professionnels de santé et des forces de l'ordre, ou encore par le déploiement d'au moins une maison des femmes adossée à un établissement de santé dans chaque département – nous faisons tout cela. Cela passe aussi par le renforcement de notre arsenal juridique pour mieux accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires et mieux qualifier les faits pour, à la fin, mieux condamner les auteurs.
Mme Marie Mesmeur
Macron a pourtant dit le contraire !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
À ce titre, l'examen de la proposition de loi de Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin doit marquer un tournant, afin que la question du consentement soit placée au cœur de notre droit.
Nous nous apprêtons également à faire entrer dans la loi la notion de contrôle coercitif avec l'examen, ce jeudi au Sénat, de la proposition de loi que vous avez adoptée le 28 janvier dernier. Avec elle entrera également dans la loi, je l'espère, l'imprescriptibilité pour les crimes sexuels commis à l'encontre des enfants.
Nous devons mieux caractériser pour mieux sanctionner tous les comportements – les regards, les mots, les interdictions, l'isolement, les humiliations –, lesquels peuvent s'accumuler pour former une relation oppressive et dégradante. Nous avons lancé un travail transpartisan, avec tous les groupes de l'Assemblée et du Sénat, de manière à élaborer une loi-cadre pour lutter contre ces violences.
Cette proposition de résolution est utile. Pour les victimes qui n'ont jamais parlé. Pour celles qui ont parlé et n'ont jamais été écoutées et respectées. Aucune victime ne doit porter, en plus de ses blessures, le poids du doute, de la culpabilité et de la honte. Aucun agresseur ne doit trouver refuge dans l'indifférence ou l'excuse. Notre société doit ouvrir les yeux, regarder en face ce qu'elle refuse encore trop souvent de voir : une femme isolée, rabaissée, humiliée, contrainte, frappée, violée, tuée, n'est pas et ne sera jamais un fait divers. Il ne s'agit pas d'une affaire privée, mais de l'affaire de chaque citoyenne et de chaque citoyen, de l'affaire de la République : il y va de la justice, des droits, de la liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs des groupes EcoS et LIOT.)
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 3 avril 2025