Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
7h48. Sonia DEVILLERS, votre invité ce matin est ministre de l'Enseignement et de la Recherche.
SONIA DEVILLERS
De l'Enseignement supérieur.
NICOLAS DEMORAND
Oui.
SONIA DEVILLERS
Bonjour Philippe BAPTISTE.
PHILIPPE BAPTISTE
Bonjour madame DEVILLERS.
SONIA DEVILLERS
Quelques 980 000 adolescents ont bouclé vœux, dossiers de candidature et lettres de motivation hier soir à minuit, date fatidique sur la plateforme Parcoursup. Première question, est-ce qu'il y a eu bug, surchauffe, est-ce que ça s'est bien passé ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non. Je vous rassure, tout s'est bien passé. Effectivement, 980 000 jeunes ont bouclé leurs dossiers hier soir.
SONIA DEVILLERS
Combien à la dernière minute ? Combien à 23h52 ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors, il y a eu de gros pics de connexions, de l'ordre de 100 000 connexions dans les dernières heures ou dernières minutes, voilà, mais ça veut dire que les dossiers ont été peaufinés jusqu'à la dernière seconde.
SONIA DEVILLERS
C'est ça. Bon, vous parlez sous surveillance parce que dans ce studio, il y a trois journalistes ici présents dont les enfants sont en terminale et se sont inscrits sur la plateforme, voilà.
PHILIPPE BAPTISTE
Je serai attentif.
SONIA DEVILLERS
24 000 formations sont recensées sur la plateforme d'admission. Le sujet qui écrase tout cette année, monsieur le ministre, ce n'est pas le nombre de places à l'université pour une fois, mais les dérives, voire les abus de l'enseignement supérieur privé à but lucratif. Ces écoles d'art, de commerce, de tourisme, de mode, d'informatique, aux tarifs parfois exorbitants, aux contenus pédagogiques invérifiables et aux diplômes parfois également de pacotille. D'abord, je lis que vous avez fait retirer plusieurs formations de la plateforme. Pourquoi et sur quels critères ?
PHILIPPE BAPTISTE
Oui. Alors déjà, il existe des formations effectivement dans l'enseignement supérieur privé qui peuvent être discutables sur les contenus et qu'on a constaté des dérives. Ces formations, elles ne sont pas sur Parcoursup parce que sur Parcoursup, on a une charte et les formations privées qui sont sur Parcoursup, elles s'engagent au travers de cette charte et donc on ne constate pas ce type de dérive sur la plateforme.
SONIA DEVILLERS
Ça veut dire que tout ce que les parents et les élèves retrouvent sur Parcoursup est de confiance et labellisé ?
PHILIPPE BAPTISTE
Est labellisé et de confiance. Ils ont signé cette charte, les formations sont sur Parcoursup, vous êtes en confiance. Par contre, évidemment, à côté de Parcoursup, il y a aussi des formations privées qui proposent de nombreuses formations.
SONIA DEVILLERS
C'est la jungle.
PHILIPPE BAPTISTE
Je voudrais d'abord dire une première chose, c'est qu'effectivement, elles se sont développées très rapidement avec en particulier les financements de l'apprentissage, mais elles correspondent à un besoin et à un souhait à la fois des entreprises et des familles parce qu'elles proposent des formations qui sont très proches des métiers, qui ont souvent des contenus qui sont des contenus très opérationnels, très concrets. Et donc ça correspond aussi à une réalité, à un besoin et à une envie, on ne peut pas l'écarter comme ça. Après, effectivement, il existe des formations qui, effectivement, semblent très discutables. Vous avez tous vu dans le métro des affiches qui vous ont peut-être fait frémir. Devenez photographe en ligne avec une formation 100 % en ligne pendant trois ans.
SONIA DEVILLERS
Oui. Et puis on a lu par ailleurs l'enquête de Claire MARCHAL qui est parue chez Flammarion sur le groupe Galileo, "Le Cube", et ça fait réagir quand même au ministère.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais bien sûr, c'est normal parce que c'est un livre qui est un livre qui porte des allégations qui sont des allégations qui sont assez graves.
SONIA DEVILLERS
Assez graves.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais ce ne sont que des allégations, je voudrais quand même le rappeler.
SONIA DEVILLERS
Mais sur la façon dont les familles sont essorées financièrement pour à la fin...
PHILIPPE BAPTISTE
Il y a évidemment un sujet autour de ça et moi, je voudrais rappeler tout simplement et très simplement que la qualité d'une formation ne se mesure pas à l'aune de ce que vous payez. En tout cas, pas en France. Pas en France. Et ça fait partie du modèle français…
SONIA DEVILLERS
Alors reprenons... Je vous demande de répondre à mes questions, monsieur le ministre.
PHILIPPE BAPTISTE
Oui mais avec plaisir.
SONIA DEVILLERS
D'abord, combien vous avez retiré de formation de la plateforme Parcoursup ?
PHILIPPE BAPTISTE
En fait, très peu, quelques dizaines parce que, de manière très pratique, tout ça a été fait en amont, c'est-à-dire qu'il y a un travail d'accompagnement qui est en amont.
SONIA DEVILLERS
D'accord. Pourquoi ne pas les avoir… comment dire ? Pourquoi ne pas avoir publié le nom de ces écoles ? Pourquoi ne pas utiliser, comme le font les anglo-saxons, le "name and shame" ? Pointer publiquement des écoles qui, en réalité, présentent des anomalies ou ne sont pas en règle
PHILIPPE BAPTISTE
Mais parce qu'en fait, la plupart du temps, c'étaient des anomalies et qui n'étaient pas forcément sur Parcoursup. Je parle de celles qui sont sur Parcoursup, des anomalies et que ce n'étaient pas forcément des choses qui étaient volontairement des choses qui étaient absolument horribles. C'étaient plus des corrections qu'il fallait amener et qui sont en train d'être amenées.
SONIA DEVILLERS
Votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait promis un label pour attester de la qualité des formations. Est-ce qu'il va voir le jour, ce label ?
PHILIPPE BAPTISTE
Absolument. Oui. Alors, c'est un label, en fait. Ce label, il existe. C'est Qualiopi. C'est un label qui permet à la fois de déclencher des financements en particulier sur l'apprentissage, et c'est un label qui est fait conjointement avec le ministère du Travail, mais c'est aussi un label qui doit, et c'est là qu'il y a une évolution majeure à faire, qui doit aussi prendre en compte la qualité pédagogique des formations. Et donc, c'est bien ce sur quoi on travaille. Et ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on va réguler.
SONIA DEVILLERS
Donc il n'y aura pas de nouveau label ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non. C'est un label, parce que le paysage est déjà suffisamment complet. C'est un label qui s'appelle Qualiopi, qui va s'enrichir. Et le but du jeu, simplement, en fait, c'est très simple, c'est de dire : "Aujourd'hui, il y a beaucoup de formations qui sont des formations privées. Beaucoup d'entre elles sont de bonne qualité, voire de très bonne qualité. Eh bien, malgré tout, à côté de ça, il faut quand même réguler ce système".
SONIA DEVILLERS
Et chasser le mouton noir.
PHILIPPE BAPTISTE
Et chasser le mouton noir. Et le réguler plus qu'on ne le fait aujourd'hui. Et c'est bien la logique du Gouvernement aujourd'hui.
SONIA DEVILLERS
L'autre dossier brûlant sur votre bureau, Philippe BAPTISTE, c'est l'offensive spectaculaire de l'administration TRUMP contre la recherche et le monde universitaire. On en parle particulièrement aujourd'hui, parce qu'il y a aujourd'hui même, à Lyon, à Grenoble, à Paris, ou encore à Clermont-Ferrand, dans beaucoup d'universités en France, une mobilisation au nom du collectif Stand Up for Science. Pour les auditeurs qui ne vous connaissent pas, je précise que vous n'êtes pas un haut fonctionnaire, que vous êtes vous-même un scientifique, ingénieur des mines, diplômé d'une grande université britannique également, puis titulaire d'un doctorat à l'université de Compiègne, que vous avez dirigé le CNRS, que vous avez enseigné à Polytechnique, et puis que vous avez présidé le CNES, c'est-à-dire le Centre National d'Études Spatiales. Ma première question, c'est quand TRUMP s'en prend à la recherche américaine, il s'en prend à la recherche mondiale. Quelles sont les conséquences pour la recherche française ?
PHILIPPE BAPTISTE
En fait, le sujet clé est bien celui-là, c'est-à-dire que la recherche aujourd'hui dans le monde, ce n'est pas une recherche que vous faites dans votre coin, dans votre laboratoire, c'est une recherche qu'on fait toujours en réseau, et ce sont des réseaux qui sont des réseaux mondiaux. Et les États-Unis, historiquement, ont tenu une place considérable dans à peu près tous les secteurs de la recherche, certains plus que d'autres, etc. Et donc, quand brutalement les États-Unis arrêtent des programmes de manière unilatérale, sans discuter avec les partenaires, de manière extraordinairement brutale, mais derrière, en fait, ils mettent en danger non seulement la science qui se fait aux États-Unis, mais parfois la science qui se fait dans le monde.
SONIA DEVILLERS
Exemple ?
PHILIPPE BAPTISTE
Et derrière… Je voudrais donner des exemples très concrets, parce que ce sont des exemples autour de la science, autour de la santé. Donc ce sont des programmes du INH, qui est, si vous voulez, l'INSERM américain, qui s'occupe des problématiques qui vont des sciences de la vie jusqu'à la santé. Mais c'est du suivi des zoonoses, c'est du suivi des infections, qui brutalement ne pourront plus être faites demain dans le monde, ou vont être faites de manière extrêmement dégradée. Mais concrètement, c'est un risque majeur pour la santé humaine mondiale. Derrière, ce sont des programmes autour du suivi du climat, de la compréhension du système Terre, de l'observation de la Terre, qui sont arrêtés unilatéralement. Ce sont des programmes qui engagent des milliards d'euros de coopérations, dans le spatial par exemple, pour l'observation de la Terre, qui demain sont… On ne sait pas. Mais je ne sais même pas vous dire ce qui va se passer demain.
SONIA DEVILLERS
Sont menacés en tout cas.
PHILIPPE BAPTISTE
Je vais vous donner un exemple. Elon MUSK a annoncé unilatéralement qu'il allait arrêter, qu'il voulait désorbiter la Station Spatiale Internationale en 2027. Station Spatiale Internationale dans laquelle, vous savez, nos astronautes volent, etc. Et dans laquelle il y a énormément de manip scientifique. Décision unilatérale, la Station Spatiale, elle fait l'objet d'un traité international. Moi je l'apprends ça par voie de presse, je suis ravi de l'entendre. Mais qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Qui est en train de parler ? Est-ce que c'est le patron de SPACEX ou est-ce que c'est l'administration américaine ?
SONIA DEVILLERS
Alors concrètement, toujours, est-ce que la France a les moyens d'accueillir un nombre considérable de chercheurs américains ? Puisque nous lisons un sondage publié par la revue Nature disant que 3 chercheurs américains sur 4.…
PHILIPPE BAPTISTE
Incroyable !
SONIA DEVILLERS
Oui, c'est incroyable, réfléchissent à quitter le pays.
PHILIPPE BAPTISTE
Effectivement, j'ai lu comme vous ce sondage. Effectivement, 3 chercheurs sur 4, aux États-Unis, qui envisagent de quitter le pays. Qui aurait pu imaginer dans le monde aujourd'hui avoir à entendre ça ?
SONIA DEVILLERS
C'est ce qu'on appelle une fuite de cerveau ?
PHILIPPE BAPTISTE
Donc effectivement, c'est un bouleversement systémique, il y a un changement, il y a un tournant majeur. Moi, je pense que c'est très grave pour la qualité de la recherche et la qualité de la science dans le monde. On doit faire notre part. On doit être fiers à la fois de ce qu'on fait, parce qu'on a de très grands scientifiques, on a des équipements, mais fiers de nos valeurs.
SONIA DEVILLERS
Est-ce que la France a les moyens ?
PHILIPPE BAPTISTE
Oui. Je vais y venir. Mais on doit être aussi fiers de nos valeurs et de la recherche qu'on porte. Et les valeurs, c'est quoi ? Ce sont des valeurs qu'on porte depuis des siècles, c'est la liberté académique, c'est la capacité de développer, de pousser des recherches.
SONIA DEVILLERS
Est-ce que ces chercheurs peuvent venir en France ?
PHILIPPE BAPTISTE
Oui.
SONIA DEVILLERS
Tous ?
PHILIPPE BAPTISTE
Tous, bien sûr que non. Et après, attendons de voir. Je veux dire, ça, on est très prudent. Mais en tout cas, oui, bien sûr, on accueillera des chercheurs.
SONIA DEVILLERS
Combien ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je ne sais pas combien de chercheurs sont candidats. Ce que je peux vous dire aujourd'hui, c'est que par exemple, l'université d'Aix-Marseille, qui a été très en pointe sur le sujet, ils ont lancé un programme pour accueillir des chercheurs avec des candidatures qui ont été ouvertes il y a quelques semaines. Et en quelques semaines, ils ont eu des centaines de candidatures. Moi, j'ai des centaines, enfin peut-être pas, j'ai beaucoup de collègues.
SONIA DEVILLERS
Est-ce qu'un budget particulier sera dégagé pour recevoir ces chercheurs ?
PHILIPPE BAPTISTE
Nous mettrons les moyens nécessaires additionnels…
SONIA DEVILLERS
Additionnels ?
PHILIPPE BAPTISTE
Nous mettrons les moyens additionnels pour pouvoir effectivement accueillir dans de bonnes conditions les chercheurs. Ces annonces seront faites dans quelques jours ou dans quelques semaines. Mais bien sûr, on accompagnera les établissements. C'est aussi un travail que je mène avec les autres ministres de la Recherche en Europe parce que c'est un enjeu majeur pour nous, pour nos valeurs, pour notre recherche et pour la science dans le monde.
SONIA DEVILLERS
Philippe Baptiste, merci.
PHILIPPE BAPTISTE
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 avril 2025