Texte intégral
ORIANE MANCINI
Bonjour Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Bonjour.
ORIANE MANCINI
Merci d'avoir acceptée notre invitation. Vous êtes ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et la Lutte contre les discriminations/ On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale. Bonjour Julien LECUYER.
JULIEN LECUYER
Bonjour. Il est long ce titre.
ORIANE MANCINI
Oui.
JULIEN LECUYER
Parce qu'on est avec la ministre.
ORIANE MANCINI
Merci d'être avec nous Julien de La Voix du Nord. On va évidemment parler de vos dossiers, des dossiers de votre ministère. Mais d'abord l'actualité. Et c'est Donald TRUMP qui, cette nuit, a déclaré une guerre commerciale en annonçant des droits de douane qui ciblent notamment l'Union européenne. 20 %. Emmanuel MACRON va réunir cet après-midi les filières concernées. Comment peut-on riposter ?
AURORE BERGÉ
Déjà c'est le président de la République qui doit d'abord réunir les filières pour mesurer les conséquences concrètes que ça aurait sur chacune d'entre elles, réagir aussi en Européens. Quand le président de la République martèle cette phrase depuis 2017, souvent on était un peu seuls à le penser et un peu seul à le vouloir. Mais je crois que c'est une nécessité absolue. C'est-à-dire que vous avez besoin d'avoir un marché intérieur qui fonctionne, 450 millions de consommateurs. Cela veut dire qu'à la fin on a cette puissance en nous. Il faut aussi sortir de cette forme de naïveté européenne, de crédulité européenne et assumer cette Europe beaucoup plus puissante. Et je crois que c'est en ce sens que le président de la République travaille.
ORIANE MANCINI
Et cela veut dire entrer dans un bras de fer ou il faut continuer à chercher à négocier ?
AURORE BERGÉ
Je pense qu'il faut continuer à chercher les voies de la négociation pour ne pas entrer dans une situation qui mettrait nos entreprises encore plus en difficulté. Donc je pense que la bonne voie, c'est d'abord de réunir celles et ceux qui sont concernés, c'est-à-dire nos entreprises, nos filières, pour mesurer les impacts que cela aurait sur leur capacité d'exportation, sur leur emploi et avec elles, décider des réponses qui seront appropriées.
ORIANE MANCINI
Julien.
JULIEN LECUYER
On va parler d'une actualité évidemment brûlante, celle qui est autour du procès de Marine LE PEN. Une question simple, madame la ministre, êtes-vous troublée par le jugement à l'encontre de la leader du Rassemblement national ?
AURORE BERGÉ
En fait, je n'ai pas à avoir d'avis sur un jugement. J'ai ni à m'en réjouir parce que ce n'est pas moi qui juge, mais je n'ai pas à le contester d'une quelconque manière.
ORIANE MANCINI
François BAYROU, il s'est dit troublé. Gabriel ATTAL ne s'est dit pas troublé. Vous êtes troublée ou pas du tout ?
AURORE BERGÉ
Je n'ai pas entendu de phrases du Premier ministre. J'ai entendu des propos d'entourage.
ORIANE MANCINI
De son entourage.
AURORE BERGÉ
On pourra avoir parfois…
JULIEN LECUYER
Enfin il a eu des interrogations. Si on ne parle pas de trouble, cela a été rapporté par son entourage, il avait rapporté des interrogations.
AURORE BERGÉ
Il m'a réaffirmé de manière très claire d'abord le soutien aux magistrats, puisqu'on est aujourd'hui dans un pays où des magistrats doivent être placés sous protection policière parce qu'ils subissent des menaces. Et cela devrait tous nous révolter, quelle que soit l'avis que l'on peut avoir sur l'institution judiciaire, que l'on peut avoir sur des jugements qui sont rendus, que des magistrats aient besoin d'être placés sous protection policière, ce n'est pas la première magistrate à qui cela arrive. Pour bien des procès parfois moins médiatisés, c'est aussi le cas parce que cela devient dangereux de faire appliquer la loi et de juger. Et ça, c'est absolument intolérable. Ensuite Marine LE PEN reste présumée innocente jusqu'à ce que le procès définitif ait lieu. Il y aura lieu un appel. La Cour d'appel de Paris a d'ailleurs dit qu'elle permettrait que dans les meilleurs délais la Cour d'appel se réunisse de manière à statuer. C'est assez inhabituel que ce soit dit. Et je crois que c'était nécessaire pour qu'il n'y ait pas de soupçons qui puissent peser sur l'intentionnalité qui serait celle de l'institution judiciaire. L'institution judiciaire, elle n'a pas à avoir des intentions politiques. Elle ne juge pas en opportunité politique. Elle juge en droit et uniquement en droit.
ORIANE MANCINI
Donc c'est bien qu'il y a un accès là sur le calendrier.
AURORE BERGÉ
Ben je pense qu'on est dans un moment qui est inédit. Je pense que le terme est approprié. C'est inédit comme situation juridique et politique puisque ça a encore des conséquences politiques qui seraient majeures. Donc le fait qu'un jugement définitif puisse être rendu par la Cour d'Appel avant et suffisamment avant l'élection présidentielle pour que l'élection présidentielle ne soit en rien entachée par ça parce qu'on voit bien cette musique qui est maintenant nouvelle, qui serait de dire : "Mais quelle légitimité demain pour celui ou celle qui serait élu ?" La légitimité de la prochaine élection présidentielle, elle est pleine et entière, et ce d'autant plus que…
JULIEN LECUYER
Aurore BERGÉ, la légitimité du jugement et les interrogations qui sont soulevées par le Premier ministre, est-ce qu'elles ne fragilisent par l'institution judiciaire ? Quand il dit, par exemple, qu'il a des interrogations autour de cette peine d'inéligibilité avec exécution provisoire. Est-ce que c'est au Premier ministre, alors qu'on est dans un temps compliqué, vous l'avez rappelé, d'interroger la justice sur ce point ?
AURORE BERGÉ
Il n'interroge pas la justice, il interroge la loi. Non, mais aujourd'hui, la magistrate, elle fait quoi ? Elle met en application une loi qui a été adoptée, à l'encontre de laquelle d'ailleurs, Marine LE PEN ne s'est pas opposée. Elle était déjà députée. Elle ne s'est pas opposée à ce que cette loi soit adoptée. Donc, le sujet, il est là. Il y a deux choses. Il y a un jugement. Et sur le jugement quelque part, nous n'avons pas, nous, à porter nous-mêmes justement un jugement et quelconque valeur associée.
JULIEN LECUYER
Il a porté un jugement, le Premier ministre. On peut le tourner dans tous les sens. Il a porté un jugement sur la condamnation avec la peine d'inéligibilité à effets immédiats.
AURORE BERGÉ
Il a apporté un soutien clair et net aux magistrats et à l'autorité de la chose jugée. Parce que nous sommes dans un État de droit, que notre État de droit n'est en rien fragilisé parce qu'un jugement aurait été rendu. Un jugement qui respecte stricto sensu le droit et la loi Et après, il y a une question qui se posera en opportunité politique. Certains ont déjà dit qu'ils déposeraient des propositions de loi…
ORIANE MANCINI
Comme Éric CIOTTI.
AURORE BERGÉ
Pour savoir si oui ou non il faut modifier la loi sur la question de l'exécution provisoire.
ORIANE MANCINI
Est ce qu'il faut la revoir pour vous ?
AURORE BERGÉ
Moi, je suis au Gouvernement, je ne suis pas députée aujourd'hui, donc ce sont les parlementaires qui trancheront. On verra si le texte sera vraiment inscrit à l'Assemblée nationale. Je comprends qu'il y aurait des initiatives au Sénat, peut-être en ce sens, et on verra s'il y aura une majorité pour que cette inéligibilité provisoire qui porte un peu mal son nom, cette exécution provisoire qui est en fait un peu immédiate, puisse être revue. Après, moi, vous savez, sur les questions d'inéligibilité, j'avais moi-même porté un texte sur ce sujet-là parce que moi, je crois beaucoup à ce principe d'exemplarité. Je l'avais porté sur la question déjà des violences faites aux femmes et aux enfants, considérant que quelqu'un qui avait été condamné pour des faits de violences intrafamiliales ne méritait pas de pouvoir se présenter aux suffrages des électeurs. Et donc on a toujours cette confrontation entre il faut en dernier ressort que quoi qu'il arrive, les Français choisissent, peu importe la personne qui se présente à eux. Et puis ceux qui disent, et moi j'en fais plutôt partie, en fait, s'il y a un principe d'exemplarité qui fait que, en fonction de ce qui a été commis, ça justifie que la personne, de toute façon, soit par principe écartée, ne puisse pas se présenter. Moi en tout cas, j'avais porté ce principe-là sur la question des...
ORIANE MANCINI
Là, la question, c'est plutôt l'exécution provisoire qui fait que l'appel n'a aucun impact sur une inéligibilité immédiate.
AURORE BERGÉ
Oui. C'est une autre question de droit en effet qui est posée.
JULIEN LECUYER
... On comprend que vous soutenez l'exécution provisoire, enfin l'effet immédiat de la peine d'inéligibilité.
AURORE BERGÉ
Non, mais c'est autre chose. En tout cas, moi je pense que par rapport aux débats sur l'inéligibilité, vous voyez bien que ces principes qui se percutent de ceux qui disent quoi qu'il arrive, il faut que n'importe qui presque puisse se présenter et ce sont les électeurs qui choisissent et ce sont les Français qui décident. Moi je pense qu'en fonction d'un certain nombre de cas qui sont graves, encore une fois, je le disais, sur des violences, sur des faits de corruption, des faits de fraudes, sur du détournement d'argent public, puisque c'est ce dont on parle, plusieurs millions d'euros d'argent public auraient été détournés. Cela peut justifier, je pense, pleinement qu'on ne puisse pas être…
JULIEN LECUYER
Aurore BERGÉ, je reviens juste sur cette question de la peine d'éligibilité et des mots de François BAYROU. Est-ce que vous n'avez quand même pas l'impression que Marine LE PEN a détourné l'attention du jugement envers cette peine d'inéligibilité en la mettant en cause et en fait, on en oublie la condamnation pour détournement de fonds publics et qu'au final, le Premier ministre, en abondant sur cette question de l'inéligibilité, tombe dans le piège ?
AURORE BERGÉ
Non mais honnêtement, je ne pense pas qu'il ait abondé. Moi, j'ai entendu... Enfin, je suis avec lui quasiment au quotidien, des propos clairs sur un jugement, l'autorité de la chose jugée, le soutien aux magistrats. Après, il y a une question politique de dire : "Est ce qu'on considère que cette loi mérite d'être modifiée ou pas ?" Ça ne veut pas dire qu'on considère que le jugement... qu'on porte un avis sur le jugement, c'est autre chose.
JULIEN LECUYER
Tout le monde parle de ça et plus tellement de la condamnation.
AURORE BERGÉ
Mais la condamnation, en effet, c'est 4,4 millions d'euros qui auraient été détournés. Je le laisse au conditionnel parce que présomption d'innocence et je ne veux pas qu'on rentre justement dans ce débat-là. Et il y aura un appel. Et moi, ce que j'attends, c'est que quelle que soit la décision en appel, parce que justement nous sommes dans un État de droit, tout le monde se soumette à cette décision. On ne peut pas, matin, midi et soir, plaider pour des décisions de justice exemplaire. J'entends beaucoup d'hommes et de femmes politiques qui appellent à ça, des décisions de justice exemplaire. Je ne sais pas bien ce que ça veut dire en fait, des décisions de justice exemplaire. Là, en l'espèce, la loi a été suivie. Donc on pourrait dire ça. Donc, vous voyez, chacun est pétri de contradictions. Moi, je ne pense pas être pétrie de contradictions. Je pense qu'il faut, à un moment, respecter l'État de droit qui est le nôtre, donc respecter l'indépendance de la justice, donc protéger nos magistrats de la manière avec laquelle on pourrait porter une influence sur eux et sur les décisions qu'ils pourraient prendre et encore une fois, rappeler les faits. Les faits, ce serait 4,4 millions d'euros d'argent public des Français qui auraient été détournés.
ORIANE MANCINI
Et Marine LE PEN qui peut rester députée malgré cette condamnation mais elle ne pourra pas se présenter en cas de dissolution. Est-ce que selon vous, ça éloigne les menaces de censure ?
AURORE BERGÉ
Oula ! Alors vous savez, ça fait beaucoup de politique fiction, mais c'est vrai qu'en un an, il y a beaucoup de choses qui se sont passées. La censure, il faut quand même la justifier. Aujourd'hui, on a l'impression que c'est la seule arme politique qui existe en fait, c'est la censure. Comme si le désaccord sur un texte ne pouvait pas être tout simplement un vote contraire à un texte. Ce serait la censure de manière systématique et automatique. Il y a heureusement d'autres choses qui existent dans une vie parlementaire et dans une vie politique. Et accessoirement la censure. Normalement, en tout cas dans les textes, c'est démontré qu'on a un projet politique alternatif. C'est démontré qu'on pourrait donc gouverner à la place du Gouvernement actuel. Je ne vois pas de majorité alternative. Il n'y en a pas plus aujourd'hui qu'il y en avait au lendemain de la dissolution.
ORIANE MANCINI
Enfin il n'y en avait pas au moment de la censure de Michel BARNIER.
AURORE BERGÉ
Je sais bien, mais c'est bien le sujet. C'est-à-dire qu'à un moment ça veut dire que des personnes qui sont à peu près opposées sur tout, s'allient donc dans l'unique objectif de faire tomber un Gouvernement. Mais pour dire quoi aux Français ? Pour proposer quoi aux Français ? J'ai l'impression que les Français attendent que nous, on soit au travail, que nous, on obtient des résultats, que ça crée un peu de stabilité dans un monde qui est suffisamment instable. La première question que vous m'avez posée sur des droits de douane record qui seraient imposés à nos entreprises, dans un moment d'instabilité, d'inquiétude économique et d'inquiétude aussi sur certaine idée de ce qu'est notre pays et de son identité, je pense que nous, on a besoin de démontrer qu'on fait, qu'on agit, qu'on n'est pas juste là pour durer, qu'on est là pour faire et pour agir. Et aux oppositions justement de s'opposer, évidemment, et de travailler peut-être aussi avec nous sur un certain nombre de textes. Je crois qu'on est capable de cela.
JULIEN LECUYER
En termes de stabilité, simplement, je reviens sur le Rassemblement national qui organise une manifestation de soutien à Marine LE PEN, dimanche à Paris, intitulée Sauvons la démocratie. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
AURORE BERGÉ
Manifestation et un droit qui est préservé dans notre État de droit.
JULIEN LECUYER
Sauvons la démocratie. Est-ce que la démocratie doit être sauvée ?
AURORE BERGÉ
La démocratie, elle, n'est pas en danger par une décision de justice. La démocratie serait en danger si, encore une fois, chaque décision de justice était remise en cause. Si les magistrats devaient être systématiquement protégés parce qu'ils ont peur de rendre une décision de justice. Vous savez, enfin de la même manière que quand on fait pression sur des élus locaux, quand on fait pression sur des parlementaires, quand on fait pression sur des magistrats, ça, c'est un poison pour la démocratie. Combien d'élus sont venus ici chez vous dire qu'ils subissaient des violences, des insultes, des intimidations, des pressions ? Et aujourd'hui, ce sont des magistrats. Et cela, c'est grave pour la démocratie quelles que soient les opinions politiques des élus qui sont en cause, quels que soient les jugements qui sont rendus par les magistrats, parce que ces pressions et ces intimidations, elles ont un but et un seul, faire en sorte que nous ayons peur et que nous ne soyons plus libres de nos propos et de nos actions.
JULIEN LECUYER
Le RN fait pression ? Il intimide ?
AURORE BERGÉ
Donc il ne faut en aucun cas faire pression sur la justice.
JULIEN LECUYER
C'est ce que fait le Rassemblement national, intimider ?
AURORE BERGÉ
En tout cas, je vois un certain nombre d'élus de la République qui considèrent que la décision de justice n'a pas été rendue comme elle aurait dû être rendue. Mais ce n'est pas à nous d'en juger, encore une fois. Et ce n'est pas à nous d'en juger.
ORIANE MANCINI
Et ce meeting…
AURORE BERGÉ
... d'avoir une opinion. Mais quand on est député, quand on est aussi, je le dis pour moi en tant que membre du Gouvernement, en fait, notre rôle est de nous tenir à l'écart de la justice. Ça s'appelle l'indépendance de la justice. Si on remet en cause ce principe, oui, je pense que ça, c'est une entaille.
ORIANE MANCINI
Ce meeting du Rassemblement national, il va télescoper celui du socle commun de Renaissance. Le discours de Gabriel Attal aura lieu à la même heure. Ça va changer votre message ?
AURORE BERGÉ
Bien, écoutez, nous, ça fait longtemps que ce rassemblement est prévu. Ce rassemblement, vous voyez bien que ce n'est pas totalement dans la même optique qu'il avait été créé, mais ça va nous permettre de parler justement de nos valeurs, des valeurs qui nous rassemblent, qui nous rassemblent au sein de Renaissance, d'Horizons, du MoDem, du socle commun. Le Premier ministre sera présent, Edouard PHILIPPE aussi. Je pense que c'est ça aussi qui est important, de renvoyer ce message d'unité pour dire que justement, ces valeurs-là, elles sont des valeurs absolument déterminantes pour l'avenir de nos enfants et de notre pays, et qu'on ne laissera personne les entailler.
ORIANE MANCINI
Ça change la stratégie pour 2027 ?
AURORE BERGÉ
Je ne veux pas me placer dedans parce que ça veut dire que je considérerais qu'elle est définitivement condamnée. Elle n'est pas définitivement condamnée et quoi qu'il arrive, nous aurons face à nous un adversaire du Rassemblement national et nous avons un Rassemblement national qui a atteint des niveaux record dans notre pays. Record. Donc moi, je ne veux pas qu'il y ait un seul Français qui puisse avoir le doute ou le soupçon qu'on aurait cherché à changer la nature des candidats. Je ne cherche pas à changer quelle sera ou pas la candidate ou le candidat du Rassemblement national. Je cherche à les combattre, à les combattre par nos résultats et à les combattre par la campagne que nous allons mener ensuite en 2027.
ORIANE MANCINI
On va parler de vos dossiers. Ils sont nombreux. On va commencer par les violences faites aux femmes.
JULIEN LECUYER
Lundi, des discussions se sont engagées entre le Gouvernement et les groupes politiques représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat pour parler de la loi-cadre sur les violences faites aux femmes. Cette loi-cadre concrètement, expliquez-nous à quoi ça doit servir ?
AURORE BERGÉ
Alors déjà tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée et au Sénat ont accepté qu'on puisse faire ce travail collectif. Ce qui est assez inédit de les réunir de cette manière-là, de se dire que tous les mois on va travailler, qu'on va mener des auditions communes. Pourquoi ? Parce qu'on a beaucoup légiféré sur la question des violences faites aux femmes, sur la question des violences sexuelles. On l'a fait par projet de loi, on l'a fait par proposition de loi. Sauf que, du coup, cela n'aide pas forcément la clarté juridique aussi, la bonne compréhension par les Français de ce que nous avons fait. Et donc ça nécessite peut-être qu'on se réinterroge. Qu'est-ce qui s'est passé ces 15 dernières années ? Pas juste ces huit dernières années. Ces 15 dernières années comme évolution juridique, ces 15 dernières années, comme évolution juridique, est-ce que ça mérite de remettre les choses à plat ? Est-ce que ça mérite d'aller plus loin sur un certain nombre de sujets ? Et est-ce qu'il y a une majorité pour le faire ? Parce que, encore une fois, comme la situation politique n'a pas changé depuis la dissolution, l'idée n'est pas de se faire plaisir en tant que ministre en disant : "Je dépose un projet de loi", mais de garantir que ce projet de loi soit utile, et puis de garantir qu'il puisse y avoir une majorité pour l'adopter.
JULIEN LECUYER
Vous y croyez qu'il y a des mesures consensuelles qui puissent passer ?
AURORE BERGE
Oui, j'y crois. Déjà parce que tous les groupes ont joué le jeu, dans leur diversité absolue. Mais tous les groupes ont joué le jeu et étaient présents dans le ministère pour qu'on travaille ensemble. Donc ça, je trouve que c'est rassurant, d'ailleurs, quand on parle de démocratie. Ensuite, parce que tous les groupes, puisque c'est les présidents de groupe qui ont choisi les représentants, ce n'est pas moi évidemment qui les ai choisis, ont assumé l'idée qu'ils étaient favorables à une loi-cadre. Donc, ça veut dire que tout le monde considère qu'il y a encore des progrès qu'on peut réaliser et qu'on a intérêt à le faire ensemble. Et oui, dans le moment présent, je trouve que c'est plutôt rassurant.
ORIANE MANCINI
Et le Sénat qui examine aujourd'hui votre loi pour renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, avec au cœur notamment des débats la question de l'imprescriptibilité, ça a été supprimé à l'Assemblée nationale. Est-ce que vous pensez que ça sera réintroduit au Sénat ?
AURORE BERGE
On verra dans quelques heures. Moi, j'y mets beaucoup d'engagement parce que l'engagement, il m'a été transmis par des hommes et des femmes que j'ai rencontrés et qui, enfant ont subi le pire des crimes, c'est-à-dire l'inceste, c'est-à-dire subir un viol en étant un enfant ou un adolescent et qui nous disent et qui nous interpellent en disant que : "En fait, quand moi, j'ai enfin la force, le courage, la possibilité de parler, la justice me renvoie à une nouvelle violence et me dit ce mot terrible de prescription. Elle me dit que c'est trop tard. Il fallait parler avant". Et donc, moi, je pense que le droit mérite d'être changé. Et ce n'est pas suivre l'évolution de la société. Ce n'est pas ça la question qui est posée. C'est juste de dire : "Il y a un nouveau principe de droit qui doit pouvoir être posé", c'est-à-dire que pour ce crime absolu qui est le crime d'inceste, le viol commis sur un enfant, eh bien ça ne doit jamais être trop tard pour avoir accès à la justice. Je le mets en matière civile, pas en matière pénale, pour que les gens comprennent. Aujourd'hui, il y a une seule exception en droit pénal sur l'imprescriptibilité : c'est les crimes contre l'humanité. Je n'y touche pas. Et le civil n'avait pas cette possibilité-là. Mais ça veut dire quoi, au civil ? Ça veut dire que tout au long de sa vie, quelqu'un qui a subi ce crime absolu pourra avoir accès à la justice. Et en plus, au civil, c'est beaucoup d'écrits et non de l'oralité. Et on sait à quel point un procès peut aussi être une violence supplémentaire. Et donc je crois que ça protège aussi. Ça protège la présomption d'innocence, ça protège nos principes essentiels, mais ça garantit encore une fois l'accès à la justice. Ça ne garantit jamais la condamnation, mais ça garantit l'accès à la justice, la capacité que cette parole soit enfin entendue et recueillie par la justice.
JULIEN LECUYER
Autre sujet vous concernant, vous serez vendredi à Haumont, de retour trois mois après le meurtre d'Isabelle MORTAIGNE par son compagnon. Vous devez signer un plan local et annoncer un nouveau volet national dans le cadre des violences conjugales. De quoi s'agit-il ? Qu'est-ce que vous allez annoncer ?
AURORE BERGE
Déjà, j'avais pris l'engagement de revenir à Haumont, donc, c'est bien de tenir ses engagements parce que l'année s'était ouverte sur un féminicide. Aujourd'hui, au moment où je vous parle, il y a vingt femmes qui ont été assassinées depuis le début de l'année sous les coups de leurs conjoints et 28 orphelins, 28 enfants qui ont perdu leur mère, qui parfois ont assisté à la scène ou ont découvert leur maman qui venait d'être assassinée. Donc, c'est ça aussi l'état de notre société qui suppose un réveil collectif. Encore une fois, moi, je continuerai toujours à le dire. Composer le 17, ce n'est pas de la délation. Composer le 17, ça permet de sauver des vies, de sauver des femmes, des enfants qui seraient en danger. Appeler le 39 19, 24 h sur 24, sept jours sur sept, ça permet encore une fois d'avoir quoi faire quand on est victime, mais aussi quand on est témoin. Donc revenir à Haumont, c'est remettre autour de la table tous les acteurs, à la fois le maire d'Haumont, procureur de la République, préfet, force de l'ordre, pour faire un re-text en disant : "Est-ce qu'il y a d'autres éléments qui se sont révélés ?"
JULIEN LECUYER
Et ça, ça a déjà eu lieu en janvier.
AURORE BERGE
Oui, je le refais parce qu'il y a peut-être d'autres éléments qui se sont révélés.
JULIEN LECUYER
Il n'y a pas vraiment de conclusions qui ont été tirées depuis janvier.
AURORE BERGE
Alors, si, il y a des choses qui évoluent dans la ville, un énorme travail de prévention qui est fait par le maire, parce que moi, je veux qu'on s'appuie beaucoup plus sur les maires et les élus locaux, parce que souvent ils recueillent la parole.
JULIEN LECUYER
Est-ce qu'il y a eu des défaillances ? Est-ce que l'objectif du rétexte, c'était en janvier…
AURORE BERGE
On n'a pas relevé de déterminé. On n'a pas relevé de dépôt de plainte ou de main courante qui n'aurait pas été suivie des faits. On n'a pas relevé d'alerte qui aurait été posée. Mais en fait, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas eu un dépôt de plainte que pour autant, ça veut dire qu'il n'y a pas des signes, des signaux qui devaient pouvoir exister, d'une capacité à détecter. Donc, notre enjeu, il est quoi ? Notre enjeu, il est de beaucoup mieux nous former, nous collectivement. Moi, je veux qu'on le fasse pour l'ensemble des élus locaux et des maires, parce qu'ils sont volontaires, ils ont envie de s'engager, sauf qu'ils ne savent pas forcément comment détecter, comment prévenir, comment accompagner, comment recueillir la parole. Ça, c'est ce que l'État leur doit pour pouvoir les accompagner. Ensuite, il y a comment on met beaucoup mieux en réseau pour que dès qu'une femme commence à verbaliser les violences, elle soit immédiatement accompagnée, pour pas qu'on perde de temps, pour pas qu'on prenne le risque qu'elle revienne en arrière sur la décision qu'elle a prise, qui est une décision fondamentale de s'extraire des violences, mais on sait qu'il y a toujours ce chiffre terrible de sept allers-retours. Cette fois, une femme va partir et revenir, partir et revenir, parce que ça n'est pas si simple pour elle intimement, mais ça n'est pas si simple matériellement, ça n'est pas si simple d'être accompagnée. Et donc ça, c'est justement cet accord que je vais signer très local, et qui doit aussi en inspirer bien d'autres, avec d'autres communautés de communes, d'agglomérations, pour garantir que tout ce réseau se mette en place, en lien avec les élus locaux, en lien avec les instances de l'État, pour accompagner, prévenir et garantir encore une fois qu'une femme victime de violences, ça ne se traduise jamais par un féminicide, et que ça s'arrête le plus tôt possible. Et j'espère aussi qu'on changera la loi au Sénat aujourd'hui, à nouveau sur la question des violences et la lutte contre les violences, parce que la violence, ce n'est pas que les coups. La violence, ça commence rarement par les coups. Les femmes ne sont pas stupides.
JULIEN LECUYER
Contre le coercitif, vous parlez.
AURORE BERGE
Exactement, mais parce que les femmes ne sont pas complètement stupides, vous savez. Si on subissait les coups, première heure, le premier jour d'une relation, on partirait en courant. Ça ne se passe pas comme ça. C'est un contrôle qui se met en place, contrôle de votre téléphone, contrôle de vos sorties, contrôle de vos fréquentations, contrôle de vos tenues, contrôle de vos dépenses. Et tout ça, en fait, se met en place un système qui vous emprisonne, qui vous empoisonne, qui vous empêche ensuite de sortir et de vous extraire des violences. Et en changer la définition dans la loi, c'est aussi dire à la société : "Regardez ces signaux-là, soyez attentifs à ces signaux-là pour vous-même, mais aussi pour les autres, et surtout mieux le sanctionner, parce que nous devons avoir des condamnations plus sévères dans ces types de situations".
ORIANE MANCINI
Parmi les sujets dont vous vous occupez, il y a aussi la lutte contre l'antisémitisme. Est-ce que vous avez le chiffre du nombre d'actes antisémites depuis le début de l'année ?
AURORE BERGE
Non, il n'a pas encore été comptabilisé. Malheureusement, ce qu'on sait, parce que ça nous remonte, police, gendarmerie, c'est qu'on reste malheureusement sur des niveaux qui sont sensiblement les mêmes que ceux de 2024, qui étaient les mêmes que ceux de 2023, année record. Année record, parce que depuis le 7 octobre 2023, depuis les attentats terroristes perpétrés par le Hamas, il y a une explosion de l'antisémitisme et c'est vraiment un risque que l'antisémitisme se réenracine dans notre pays, se renouvelle, mute, et c'est pour ça qu'on y travaille sur deux volets. Le volet de l'éducation, il y a une loi importante qui a été adoptée au Sénat sur justement la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. Elle sera examinée début mai à l'Assemblée nationale. On a voulu aller vite justement pour garantir sa mise en application parce qu'on a aujourd'hui des étudiants qui sont fragilisés, des étudiants qui nous disent subir des menaces, des intimidations, des remarques insidieuses matin, midi et soir, et puis on voit bien aussi que cet antisémitisme, il a changé. On voit bien qu'aujourd'hui, par exemple, ce que nous disent les étudiants, c'est qu'on leur fait des remarques matin, midi et soir sur la situation à Gaza, sur Israël, parce qu'ils sont juifs, alors ils sont responsables de la situation à plus de 4 000 km d'ici. Donc, c'est aussi ça, sans doute, qu'on doit changer en droit pour mieux caractériser ce qu'est devenu cet antisémitisme.
JULIEN LECUYER
Donc, ça veut dire qu'il faut changer la loi aujourd'hui ? Il faut une loi supplémentaire sur l'antisémitisme ?
AURORE BERGE
Moi je le crois profondément, parce qu'aujourd'hui les tribunaux nous disent eux-mêmes qu'ils ont des situations pour lesquelles ils n'ont aucun doute sur le fait que ça relève de l'antisémitisme, mais que malheureusement ils n'arrivent pas à le condamner. Je rappelle pour un exemple, qui est pour moi le plus insupportable qu'on ait eu à subir ces deux dernières années, le viol d'une enfant. À Courbevoie, une petite fille a été violée à l'âge de douze ans par des enfants qui avaient son âge. Et quels ont été les mots employés par ces agresseurs ? Justement cela, la traiter de "Sale sioniste", lui dire qu'elle était responsable de la situation à Gaza. C'est de l'antisémitisme. Elle a été ciblée parce qu'elle est juive. Elle a été ciblée alors que c'est une enfant de douze ans. Elle a été ciblée par des enfants qui ont le même âge que le sien.
JULIEN LECUYER
Et ça, la Justice ne peut pas ?
AURORE BERGE
Alors, ils seront jugés évidemment pour crime, parce qu'encore une fois, le viol, c'est un crime, mais on voit bien que non. On a des difficultés aujourd'hui à caractériser…
ORIANE MANCINI
Mais est-ce que vous, vous travaillez sur cette loi ?
AURORE BERGE
On y travaille. On y travaille avec des professeurs de droit public. On y travaille avec des conseillers d'État. On y travaille avec des avocats. On y travaille avec des magistrats. Et ils me rendront leur conclusion fin avril de manière à ce qu'on voit comment on fera ensemble évoluer notre droit.
ORIANE MANCINI
Et vous espérez la présenter quand du coup ?
AURORE BERGE
Le plus rapidement possible dans un agenda. Donc vous savez qu'il est contraint. Mais ils me rendent leurs travaux fin avril parce que je voulais m'appuyer sur des praticiens du droit, ceux qui tous les jours sont au contact des victimes, sont dans nos tribunaux, magistrats, avocats et puis aussi des spécialistes, professeurs de droit public qui nous aident à y voir clair sur ces questions essentielles.
ORIANE MANCINI
Merci, Aurore BERGE.
AURORE BERGE
Merci à vous.
ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'avoir été notre invitée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 avril 2025